Fragment A P.R. n° 1 / 2  – Papier original : RO 317 r/v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : APR n° 203 à 206 p. 69 à 71 / C2 : p. 95 à 97

Éditions de Port-Royal :

     Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 30 à 36 / 1678 n° 1 à 4 p. 33 à 39

Éditions savantes : Faugère II, 152, XVII / Havet XII.1 / Brunschvicg 430 / Tourneur p. 219 / Le Guern 139 / Lafuma 149 / Sellier 182

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Éclaircissements

 

 

 

Bibliographie

Analyse du texte de RO 317 : À P. R. Commencement après avoir expliqué l’incompréhensibilité...

Analyse du texte de RO 318 (317 v°) : Mais il n’a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption...

 

 

Mais il n’a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption, il a voulu se rendre centre de lui‑même et indépendant de mon secours. Il s’est soustrait de ma domination et, s’égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui‑même,

 

Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, Desclée de Brouwer, t. 49, p. 555. Le processus du premier péché.

La pensée de Pascal sur l’état originel de l’homme et la faute qui l’a corrompue est expliquée dans les Écrits sur la grâce, principalement dans le Traité de la prédestination, OC III, éd. J. Mesnard, p. 766 sq. Pascal affirme très nettement que le péché originel est un péché d’orgueil, qui consiste pour l’homme à tout rapporter à lui-même, comme s’il était Dieu.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007, p. 167. La Sagesse retrace ici la généalogie de la seconde nature. La lettre sur la mort de son père restait discrète sur l’événement du péché, et Pascal comble ici cette lacune. Pascal identifie le péché originel au péché d’orgueil : l’homme a voulu se rendre égal à Dieu.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 232 sq. Voir p. 239, qui insiste sur l’idée que Pascal suit saint Augustin, en soutenant que l’expérience que l’homme a de sa condition appelle irrésistiblement la révélation du péché originel. Voir p. 248 sq. Théorie du péché originel chez saint Augustin qui voit dans la faute une rébellion orgueilleuse : p. 248.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 32 sq. Voir p. 53 sq., sur la nature du péché.

Arnauld Antoine, Apologie de Jansénius, Livre I, ch. VII, Œuvres, XVI, p. 78 sq. Comment, dans sa félicité originelle, l’homme est devenu superbe et a couru à sa ruine.

Arnauld d’Andilly Robert, Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur où sont établis les véritables fondements des vertus chrétiennes, selon la doctrine de saint Augustin, prononcé par Cornelius Jansénius Evêque d’Ipre, p. 17-19. « Mais il n’était pas encore affermi dans cet état par cette dernière fermeté qui lui eût fait aimer cette sagesse divine jusqu’à s’oublier soi-même, et jusqu’à oublier encore sa propre grandeur, en la comparant avec cette grandeur infinie. De sorte qu’ayant commencé à s’apercevoir de son bonheur et à reconnaître quel il était, il fut ébloui et charmé de sa beauté : il commença à se regarder avec plaisir ; et par ce regard qui le rendit comme l’objet de ses propres yeux, il détourna sa vue de Dieu pour la tourner toute sur soi-même, il tomba dans la désobéissance. Car il ne fit pas remonter, comme il devait, le ruisseau, qui lui paraissait si agréable, vers la source d’où il était sorti ; mais il se détacha de son auteur ; il voulut n’être plus qu’à soi ; et se gouverner par sa propre autorité, au lieu de recevoir la loi de celui qui la lui devait donner. Il se perdit de cette sorte, en voulant s’élever contre l’ordre de la nature et de la raison ; n’y ayant point d’élèvement plus extravagant et plus injuste que de quitter le principe auquel on doit demeurer inséparablement attaché, pour se rendre comme principe de soi-même, le règle de sa vie, l’origine de ses connaissances, et la source de sa félicité. Et qu’est-ce que l’orgueil, sinon le désir de cette injuste grandeur ? et d’où vient ce désir, sinon de l’amour que l’homme se porte ? et à quoi se termine cet amour, sinon à quitter ce souverain bien et immuable que l’on doit aimer plus que soi-même ? »

S’égalant à moi : « Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal », Genèse, 3, 5, tr. Sacy, p. 160 sq. Espérance superbe de devenir semblable à Dieu : p. 161.

S’égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même je l’ai abandonné à lui : noter la rupture de construction.

 

je l’ai abandonné à lui,

 

Genèse, III, commentaire de Sacy, p. 161 sq. : « Adam ayant souhaité par un orgueil impie de n’être qu’à lui, et de ne dépendre que de lui, s’assurant qu’il deviendrait ainsi très heureux, Dieu l’a laissé à lui, et il s’est trouvé réduit à l’extrémité de l’indigence et de la misère, esclave du péché et du démon, lui qui avait affecté de se rendre souverainement libre, n’étant plus maître ni de la nature, ni des animaux, ni de son esprit, ni de son propre corps, et d’immortel qu’il était auparavant, puisqu’il ne serait jamais mort s’il l’avait voulu, il est devenu sujet à ma mort et temporelle et éternelle, c’est-à-dire du corps et de l’âme ».

Sacy décrit aussi les conséquences du péché, avec la justification détaillée des peines auxquelles Dieu condamne Adam : p. 231 sq.

 

et révoltant les créatures qui lui étaient soumises je les lui ai rendues ennemies, en sorte qu’aujourd’hui l’homme est devenu semblable aux bêtes et dans un tel éloignement de moi qu’à peine lui reste-t-il une lumière confuse de son auteur, tant toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées.

 

Il ne faut pas comprendre ici que les bêtes féroces menacent l’homme, mais que les créatures, par l’amour de concupiscence que l’homme corrompu leur porte, l’empêchent de chercher son véritable bien.

 

Les sens indépendants de la raison et souvent maîtres de la raison l’ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l’affligent ou le tentent, et dominent sur lui ou en le soumettant par leur force ou en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination plus terrible et plus injurieuse.

 

On retrouve ici des thèmes développés dans les liasses Vanité, notamment Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78), et Misère, mais placées ici sous un éclairage théologique, et non plus comme des observations de moraliste.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 58 sq.

François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I, XVII, Œuvres, Pléiade, p. 400 : « Le péché a beaucoup plus débilité la volonté humaine, qu’il n’a offusqué l’entendement ». La sédition commence en la volonté, et de là s’étend à l’entendement.

Wendrock [Pierre Nicole], Provinciales, tr. Joncoux, II, 1700, p. 296 sq. L’homme a été plus corrompu dans sa volonté que dans son entendement par le péché originel. Tous deux ont été atteints, mais la volonté plus gravement. Tous deux ont participé au péché. La volonté corrompue obscurcit en retour l’entendement. L’esprit ne hait pas les mystères de la foi en eux-mêmes. Il a de l’aversion pour les préceptes moraux qui en découlent.

Sur la révolte des sens contre l’esprit comme peine consécutive à la révolte de l’esprit contre Dieu, voir la note de saint Augustin, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 22, Desclée de Brouwer, p. 747 sq., et Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 249 sq. Destruction de la première nature par le péché.

Pascal fait ici allusion indirectement à la manière dont Dieu a laissé l’homme dans l’amour de la créature, une aversio mentis a Deo, conversio ad creaturas : voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 57 sq. ; Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 163 sq. Aversio, conversio, divertissement.

Comme l’écrit le P. Marin Mersenne, L’impiété des déistes, I, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 272, Dieu n’est pas cause de nos péchés « parce que le péché est une aversion, et un éloignement de Dieu, et un désordre, qui empêche que nos actions ne regardent, et ne tendent à Dieu ».

 

Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature.

 

Voir Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l’homme n’avait jamais été que corrompu, il n’aurait aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s’il n’y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur et ne pouvons y arriver, nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge, incapables d’ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus.

L’expression seconde nature n’a pas ici le même sens que dans le fragment Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78), Imagination.

 

De ce principe que je vous ouvre vous pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes et qui les ont partagés en de si divers sentiments. Observez maintenant tous les mouvements de grandeur et de gloire que l’épreuve de tant de misères ne peut étouffer, et voyez s’il ne faut pas que la cause en soit en une autre nature.

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 188. La prosopopée de la Sagesse de Dieu permet à Pascal de montrer comment la religion chrétienne, à l’aide de deux dogmes fondamentaux, la chute originelle et la rédemption, résout le nœud des contrariétés de la condition humaine.

De ce principe que je vous ouvre : Pascal insiste ici sur deux points essentiels de sa démonstration. Primo, le péché originel est un principe, c’est-à-dire une vérité fondamentale à partir de laquelle la raison pourra tirer des conséquences. Secundo que ce principe est apporté par la Sagesse de Dieu, et ne saurait se tirer d’une philosophie naturelle. Sur les vérités de la foi comme principes, voir saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, Q. 1, La Théologie, p. 115 sq., la théorie des principes donnés aux sciences subalternes par les sciences supérieures. « La doctrine procède des articles de foi qui sont connus par eux-mêmes » (Ia, Q. 1 art. 2, ad. 1 ; De Trinitate, Q. 2, art. 2, ad 4m et 5m). Tout ce qui est de foi est, de soi, apte à jouer dans le raisonnement le rôle de principe.

Voir Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous‑même ! Humiliez‑vous, raison impuissante ! Taisez‑vous, nature imbécile ! Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme et entendez de votre Maître votre condition véritable que vous ignorez.

Écoutez Dieu.

Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l’homme n’avait jamais été que corrompu, il n’aurait aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s’il n’y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur et ne pouvons y arriver, nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge, incapables d’ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus.

Chose étonnante cependant que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous‑mêmes !

 

Après A P. R. Commencement

 

Ce texte porte en germe deux développements.

Le premier est traité dans A P. R. Pour demain (A P. R. 2) : il consiste à écarter l’éventualité que la révélation qu’apporte la Sagesse de Dieu ne soit absurde, incohérente ou incroyable. Pascal y établit par différents arguments qu’il n’est pas incroyable que Dieu s’unisse à nous.

Le second consiste à montrer que si la religion chrétienne est une candidate sérieuse capable de révéler la vérité aux hommes, elle est aussi la seule : c’est ce que montrera la liasse Fausseté des autres religions.

La religion chrétienne sera en suite confirmée à l’aide de l’enquête historique relative aux prophéties.