Fragment Religion aimable n° 1 / 2  – Papier original : RO 227-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Religion aimable n° 276 p. 113 / C2 : p. 139

Éditions de Port-Royal : Chap. XIV - Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 113 / 1678 n° 12 p. 113

Éditions savantes : Faugère II, 313, II / Havet XVII.12 / Brunschvicg 774 / Tourneur p. 249-3 / Le Guern 207 / Lafuma 221 / Sellier 254

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Bibliographie

 

 

DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Nizet, Paris, 1957.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 310 sq.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966, p. 42 sq. et p. 76-77.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 270 sq.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, Paris, Champion, 2000.

 

Voir les liasses Prophéties, Loi figurative et Preuves de Moïse.

 

 

Éclaircissements

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 310 sq., sur la place du fragment dans la liasse.

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 42 sq. et p. 76-77. L’osmose entre la Bible et la liturgie, dont ce fragment donne un exemple, conduit Philippe Sellier à dater le fragment des environs de Pâques 1658, par un rapprochement avec l’oraison qui suit la troisième lecture de l’office du samedi saint.

Ce fragment est un exemple d’osmose entre la Bible et le discours de Pascal apologiste. Les citations de la Genèse, d’Isaïe et des Psaumes ne servent pas seulement à confirmer la thèse de Pascal sur le fait que l’universalité de l’appel au salut adressé aux hommes par la religion chrétienne la rend aimable ; il s’en sert pour créer des formules nouvelles, applicables non plus à Moïse et au peuple juif, mais à Jésus-Christ. Il fait à cet effet appel aux plus grandes figures de la tradition juive : Moïse, David, Isaïe. Ce fragment illustre de manière frappante les remarques de Philippe Sellier sur la rhétorique biblique de Pascal. Voir sur ce point la section II, Pascal et la Bible de son Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 513 sq. 

 

Jésus-Christ pour tous.

Moïse pour un peuple.

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 241. L’universalité dans il est question dans Religion aimable se rattache surtout à la personne du Christ et à la Rédemption.

Sur Moïse, voir la liasse Preuves de Moïse. L’universalité se trouve déjà en Moïse, le grand prophète de l’ancien testament, qui sauva tout le peuple juif lors de la sortie d’Égypte et de la marche dans le désert. Mais chez Moïse, cette universalité est restreinte au peuple juif, dont il a été à la fois le chef et le prophète. Voir Lods Adolphe, Israël, Paris, A. Michel, 1969, p. 309 sq. Moïse s’est appliqué à constituer un peuple, une confédération de tribus, notamment par la fondation d’une religion nationale.

C’est en quoi la religion juive, à la racine, est inférieure à celle du Christ, dont l’appel ne se réduit pas à un peuple à l’exclusion des autres, mais englobe généralement tous les hommes.

 

Les Juifs bénis en Abraham. Je bénirai ceux qui te béniront, mais toutes nations bénies en sa semence.

 

Je bénirai ceux qui te béniront : Genèse, XII, 3. « Benedicam benedicentibus tibi, et maledicam maledicentibus tibi, atque in te benedicentur universae cognationes terrae. » Tr. de Sacy : « Je bénirai ceux qui vous béniront, et je maudirai ceux qui vous maudiront, et tous les peuples de la terre seront bénis en vous ».

Toutes nations bénies en sa semence : Genèse, XXII, 17-18. « Benedicam tibi, et multiplicabo semen tuum sicut stellas caeli, et velut arenam quae est in litore maris : possidebit semen tuum portas inimicorum suorum, et benedicentur in semine tuo omnes gentes terrae, quia obedisti voci meae ». Traduction de Sacy : « Je vous bénirai, et je multiplierai votre race comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Votre postérité possèdera la ville de ses ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies par celui qui sortira de vous, parce que vous avez obéi à ma voix ». Le commentaire de Sacy précise que celui qui sortira de vous est Jésus-Christ et renvoie à Actes des apôtres, III, 25-26.

Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 18-19 et p. 21, remarque que Pascal applique à Jésus-Christ ces dernières paroles, mais à l’endroit de la Genèse qu’il citait d’abord, en même temps que Dieu dit à Abraham je ferai sortir de toi une grande nation et je te bénirai et je bénirai ceux qui te béniront, le texte ajoute : et en toi seront bénies toutes les familles de la terre.

 

Parum est ut, etc. Isaïe.

 

Le sens de ce passage est indiqué de manière elliptique dans le fragment Prophéties 24 (Laf. 345, Sel. 377) : Parum est ut. Isaïe. Vocation des gentils.

Isaïe, XLIX, 6. « Et dixit : Parum est ut sis mihi servus ad suscitandas tribus Jacob et faeces Israël convertendas. Ecce dedi te in lucem gentium ut sis salus mea usque ad extremum terrae ». Tr. de Sacy : « Le Seigneur, dis-je, m’a dit : C’est peu que vous me serviez pour réparer les tribus de Jacob, et pour convertir à moi les restes d’Israël. Je vous ai établi pour être la lumière des nations, et le salut que j’envoie jusqu’aux extrémités de la terre ». Commentaire de Sacy sur ce passage d’Isaïe : « Saint Paul nous apprend que les paroles suivantes doivent s’entendre de Jésus-Christ, et que son Père l’a établi pour porter la lumière jusqu’aux extrémités du monde ». La traduction de Pascal est donnée dans le fragment Prophéties I (Laf. 483, Sel. 718). Pascal a relevé dans le Pugio fidei, p. 659, le chapitre d’Isaïe, XLIX, mais c’est un autre verset qui l’intéresse : « (En Égypte. Pugio), p. 659, Talmud : « C’est une tradition entre nous que, quand le Messie arrivera, la maison de Dieu, destinée à la dispensation de sa parole, sera pleine d’ordure et d’impureté, et que la sagesse des scribes sera corrompue et pourrie. Ceux qui craindront de pécher seront réprouvés du peuple, et traités de fous et d’insensés. » Dans le Pugio fidei, le renvoi est fait à Isaïe, LIX ; mais Pascal se réfère à Isaïe, XLIX : « Écoutez, peuples éloignés, et vous habitants des îles de la mer : le Seigneur m’a appelé par mon nom dès le ventre de ma mère, il me protège sous l’ombre de sa main, il a mis mes paroles comme un glaive aigu, et m’a dit : Tu es mon serviteur ; c’est par toi que je ferai paraître ma gloire. Et j’ai dit : Seigneur, ai-je travaillé en vain ? est-ce inutilement que j’ai consommé toute ma force ? faites-en le jugement, Seigneur, mon travail est devant vous. Lors le Seigneur, qui m’a formé lui-même dès le ventre de ma mère pour être tout à lui, afin de ramener Jacob et Israël, m’a dit : Tu seras glorieux en ma présence, et je serai moi-même ta force ; c’est peu de chose que tu convertisses les tribus de Jacob ; je t’ai suscité pour être la lumière des Gentils, et pour être mon salut jusqu’aux extrémités de la terre. Ce sont les choses que le Seigneur a dites à celui qui a humilié son âme, qui a été en mépris et en abomination aux Gentils et qui s’est soumis aux puissants de la terre. Les princes et les rois t’adoreront, parce que le Seigneur qui t’a élu est fidèle. »

 

Lumen ad revelationem gentium.

 

Lumen ad revelationem gentium : Luc, II, 29-32. « Nunc dimittis servum tuum Domine secundum verbum tuum in pace, quia viderunt oculi mei salutare tuum, quod parasti ante faciem omnium populorum, lumen ad revelationem gentium et gloriam plebis tuae Israël. » Tr. : « Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur selon votre parole ; puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez, et que vous destinez pour être exposé à la vue de tous les peuples, pour être la lumière qui éclairera les nations et la gloire de votre peuple d’Israël ». Ce sont les paroles de Siméon lors de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem.

 

Non fecit taliter omni nationi, disait David, en parlant de la Loi. Mais en parlant de Jésus-Christ il faut dire : Fecit taliter omni nationi, Parum est ut, etc. Isaïe.

 

Psaume CXLVII, 9. « Non fecit taliter omni nationi et iudicia sua non manifestavit eis. » Tr. : « Il n’a point traité de la sorte toutes les nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes ». Commentaire de Sacy : « Le peuple d’Israël descendu de Jacob a ce privilège par-dessus toutes les autres nations, que le Seigneur lui a annoncé sa parole et ses préceptes par la loi céleste qu’il lui a donnée, l’ayant traité en cela avec un amour tout singulier, qu’il n’a fait paraître à l’égard d’aucun autre peuple. » L’annotateur souligne que si la connaissance de la loi et de Dieu faisait que les Juifs en seraient jugés plus sévèrement pour leurs fautes, a fortiori les chrétiens, qui ont reçu la révélation par le Christ « rendront un compte beaucoup plus sévère de tant de grâces, s’ils n’ont soin de s’en rendre dignes ». La formule montre qu’il ne faut voir dans cette idée aucun pharisaïsme.

Pascal recompose ensuite le texte à partir de l’original, pour l’adapter au Christ.

 

Aussi c’est à Jésus-Christ d’être universel.

 

Entendre : il appartient à Jésus-Christ seul d’être universel.

 

L’Église même n’offre le sacrifice que pour les fidèles.

 

Il s’agit du sacrifice eucharistique.

Lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 4, du 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1035 sq. Seuls les fidèles peuvent comprendre le sacrifice eucharistique : quand Dieu « a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu’à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : « Véritablement tu es un Dieu caché. » C’est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques : il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. » Les protestants ignorent ou récusent la réalité de la transsubstantiation.

 

Jésus-Christ a offert celui de la croix pour tous.

 

C’est le sujet de l’une des propositions imputées à Jansénius : « C’est une erreur semi-pélagienne que dire que Jésus-Christ est mort généralement pour tous les hommes ».

Sur la question de savoir si le Christ est mort pour tous, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 270 sq., et Port-Royal et la littérature, II, p. 60 sq. 

Le problème est posé par l’expression de la Première lettre à Timothée, 2, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Référence de la formule citée par Pascal : saint Augustin, Epistola CCXVII, Ad Vitalem, § 16, Épître 107 des anciennes éditions. « 4. Nous savons que [la grâce] n’est pas donnée à tous les hommes… 5. Nous savons qu’à ceux qui la reçoivent elle est donnée par la miséricorde gratuite de Dieu. 6. Nous savons qu’à ceux qui ne la reçoivent pas elle est refusée par un juste jugement de Dieu ». Il y a différentes interprétations du tous, chez Augustin et à Port-Royal : p. 61. Par exemple, dans l’Enchiridion, Bibliothèque augustinienne, 421-422, tous signifie des hommes de toutes conditions ; dans le De correptione et gratia, 14, n. 44, cela signifie que tout le genre humain est en eux.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 60 sq. On peut soutenir dans un sens très large que le Christ est mort pour tous, dans la mesure où il est mort à cause du péché de l’humanité, ou parce que sa rédemption eût suffi à sauver tous les hommes, s’il l’eût décidé, ou, ce qui revient au même, s’ils l’eussent voulu. Arnauld consacre le livre III de son Apologie pour les saints Pères de 1651 à ce problème « de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes ». Voir p. 61, n. 27, les différentes réponses envisagées par saint Augustin.

Delassault Geneviève, Lemaître de Sacy et son temps, p. 50. La rédemption peut être dite universelle en ce sens que le Christ s’est revêtu de la nature commune à tous les hommes ; ou que le sang versé était un prix suffisant pour la rachat du monde. Hors de cela, il n’est plus question d’universalité, puisque le Christ n’a effectivement racheté que les élus. Sacy, dans les Heures de Port-Royal, Office de l’Église et de la Vierge, pouvait donc traduire les expressions de saint Prosper, Pro Augustino responsiones ad capitula Gallorum, pouvait dire que le Christ était rédempteur de tous les hommes, ou que le prix de son sang était suffisant pour le rachat du monde, ou que Jésus s’était revêtu de la nature humaine commune à tous les hommes. Il utilise ces formules équivalentes selon les besoins du vers. Lorsqu’une expression du latin, traduite, en laisse par aucun détail entrevoir que Redemptor omnium doit être interprété selon l’une des intentions du saint, et risquait donc d’être équivoque, laissant entendre une universalité étendue au salut de tous les hommes, elle n’est jamais traduite, et Sacy adapte le vers au sens général de la strophe : p. 51.

Pascal conclut dans son Traité de la prédestination, T2, § 30, OC III, éd. J. Mesnard, p. 488, « que c’est seulement pour leur salut que Jésus-Christ est mort et que les autres, pour le salut desquels il n’est pas mort, n’ont pas été délivrés de cette perdition universelle et juste. » Mais on trouve une explication plus précise dans le fragment Miracles III (Laf. 911, Sel. 451). J.-C. rédempteur de tous. Oui, car il a offert comme un homme qui a racheté tous ceux qui voudront venir à lui. Ceux qui mourront en chemin c’est leur malheur, mais quant à lui il leur offrait rédemption. Cela est bon en cet exemple où celui qui rachète et celui qui empêche de mourir font deux, mais non pas en J.-C. qui fait l’un et l’autre. Non car J.-C. en qualité de rédempteur n’est pas peut-être maître de tous, et ainsi en tant qu’il est en lui il est rédempteur de tous.

Pascal déclare bien, dans la Provinciale XVII, § 4, qu’il croit « faux, qu’il ne soit mort que pour les seuls prédestinés », et qu’il « déteste de tout [son] cœur » cette proposition « impie ».

Voir sur ce sujet Saint Augustin, De correptione et gratia, XIV, 44 ; De praedestinatione sanctorum, ch. VIII, 13 ; Liv. IV contre Julien, ch. VIII, et Enchiridion, CIII, n. 27.

Arnauld Antoine, Apologie pour les saints pères, Livre II, Œuvres, XVIII, ch. IV sq., p. 92 sq. Voir ch. V, p. 93 sq. Sur le sens que le traducteur donne à la formule « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », savoir « qu’il a une volonté efficace de sa part de les sauver tous, et qu’il ne demande sinon qu’ils le veuillent aussi de leur part, pour les sauver » : p. 93-94. C’est le sens des pélagiens et des semi-pélagiens, que Dieu veut sauver tous généralement, sans en excepter aucun. Voir ch. VII, p. 98. Sur saint Augustin, Lib. I de Gen., ch. III : « que cette lumière céleste n’est pas pour les yeux des animaux déraisonnables ; mais pour les cœurs épurés de ceux qui ont la foi ; qui se dégagent de l’amour des choses visibles, et sont résolus de garder les commandements de Dieu : ce que tous peuvent faire s’ils veulent, d’autant que cette lumière éclaire tout homme en ce monde, et qu’il ne tient qu’à ceux qui ne la voient pas d’ouvrir les yeux pour la voir ». Mais, répond Arnauld, Augustin avait prévu l’abus possible de ce texte ; voir Rétractations, ch. X : « de ce que j’ai dit, parlant de la lumière invisible, qu’elle ne repaît pas les yeux des animaux irraisonnables ; mais les cœurs purs de ceux qui croient en Dieu... Ce que nous n’avions pas dit en cet endroit parce qu’il n’était pas nécessaire en la question que nous traitions. » Voir p. 99 : les molinistes détournent le sens du texte : « car tant s’en faut qu’il s’ensuive de là que tous les hommes puissent accomplir les commandements de Dieu, qui est la prétention de cet écrivain, qu’il s’ensuit au contraire, que tous ne le peuvent pas, puisqu’il est vrai d’une part, que tous le peuvent s’ils le veulent, mais qu’il est vrai aussi de l’autre, comme l’assure S. Augustin, que ceux-là seuls le veulent, à qui Dieu donne cette volonté par la grâce ; et en qui même il fortifie cette volonté qui, étant faible, ne suffirait pas pour accomplir ses commandements, par le don d’un amour et d’une charité assez forte pour les pouvoir accomplir. Ce qu’on ne peut dire sans extravagance, que Dieu fasse dans tous les hommes, puisqu’autrement il faudrait dire que tous les hommes, que les schismatiques, les hérétiques, les Juifs, les Turcs, les païens, les infidèles et les athées, auraient la charité et l’amour de Dieu » : p. 99.

Arnauld Antoine, Apologie pour les saints Pères, Livre III, Second point, Œuvres, XVIII, p. 162 sq. État de la question. Les molinistes disent que « Jésus-Christ est mort pour le salut de tous les hommes, non seulement quant à la suffisance du prix, qui pouvait être appliqué à tous ; mais encore avec une volonté sincère et efficace de sa part, de les faire tous jouir du fruit de sa passion ». Les augustiniens disent « qu’on peut dire que Jésus-Christ est mort généralement pour tous les hommes à ne considérer que la suffisance du prix de sa mort, et la dette dont il s’est chargé en prenant la nature humaine, qui est commune à tous les hommes. Mais qu’à proprement parler, et selon l’application du prix de son sang, il est mort pour tous les fidèles qui, par le baptême et les autres sacrements, ont part aux grâces qu’il a méritées par sa mort ; qui sont appelés du nom de tous les hommes, et de tout le monde, parce qu’ils sont répandus par tout le monde, selon l’Écriture (Joan, 11. 52), et non pas généralement pour tous les hommes, en y comprenant tous les impies, et les idolâtres, qui étaient déjà dans l’enfer, avant qu’il vint au monde (ce que les conciles ont condamné comme une erreur insupportable) (Conc. Val. C. 4) et ceux qui, depuis son incarnation, ne l’ont point reconnu pour leur Sauveur. Et qu’il est mort encore plus particulièrement pour tous les élus ; parce que c’est sur eux qu’il répand ses plus grandes grâces, et qu’il a voulu que sa mort leur servit pour les rendre éternellement heureux, comme étant ces enfants de Dieu dispersés par toute la terre, pour lesquels il devait mourir, selon l’Évangile (Joan, 11, 52 ; Joan, 17, 6 ; 17, 9 ; 10, 11 ; 10, 28), afin de les rallier dans son Église : comme étant ceux que son Père lui a donnés, pour être particulièrement à lui, et pour lesquels il témoigne, qu’il le prie, et non pour le monde : et comme étant ses brebis chéries et bien aimées, pour lesquelles il déclare qu’il voulait donner sa vie, en assurant en même temps que nulle d’elles ne périrait » : p. 162-163.

Arnauld Antoine, Apologie de M. Jansénius, IIIe sermon, article XVII, p. 172 sq. En quel sens selon saint Augustin et les pères Jésus-Christ est mort pour tout le monde. Jansénius et saint Paul. Tous s’entend de toute l’Église, et non des païens : p. 173. En quel sens le Christ n’est pas mort pour les seuls prédestinés : p. 175. En quels termes la maxime que Jésus est mort pour tous les hommes se trouve dans Jansénius : p. 177. Voir l’article XXI, p. 215 sq., En quelle sorte Jésus-Christ est le rédempteur de tout le monde. Voir l’article XXVI, p. 227 sq., Explication de ce que dit le concile touchant la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes. Et particulièrement l’article XXXI, p. 242, Que le mot de tous ne se prend pas toujours si universellement dans l’Écriture, qu’il comprenne tous les hommes en général, sans en excepter aucun. Le problème rhétorique est traité dans le même article XXXI, p. 244 sq., Que les explications que saint Augustin donne aux passages de saint Paul, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et Jésus-Christ s’est donné pour la rédemption de tous, sont très raisonnables, et très conformes au langage de l’Écriture.

Le célèbre Écrit à trois colonnes, c’est-à-dire l’opuscule de Noël de Lalane, Louis Gorin de Saint-Amour, Nicolas Manessier, Toussaint Desmares et Louis Angran, Distinction abrégée des cinq propositions, 19 mai 1653, p. 9, compare les positions des différentes parties théologiques à l’égard de la question de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes. La colonne de gauche explique la position des calvinistes, que les ennemis de Port-Royal veulent faire passer pour janséniste ; la seconde expose la doctrine des théologiens de Port-Royal ; la troisième exprime la position des « restes des pélagiens », c’est-à-dire des molinistes.

 

CINQUIÈME PROPOSITION

fabriquée et exposée à la censure.

 

C’est parler en demi-pélagien de dire que Jésus-Christ est mort, ou qu’il a répandu son sang pour tous les hommes, sans en excepter un seul.

Le sens hérétique

que l’on peut malicieusement donner à cette cinquième proposition, qu’elle n’a pas néanmoins, si l’on la prend comme il faut.

 

Jésus-Christ est mort seulement pour les prédestinés, en sorte qu’il n’y a qu’eux seuls qui reçoivent la véritable foi et la justice par le mérite de la mort de Jésus-Christ.

 

Cette proposition est hérétique, calviniste ou luthérienne, et elle a été condamnée par le Concile de Trente.

CINQUIÈME PROPOSITION

dans le sens que nous l’entendons et que nous la défendons.

C’est parler en demi-pélagien de dire que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes en particulier, sans en excepter un seul, en sorte que la grâce nécessaire au salut soit présentée à tous, sans exception de personne, par sa mort, et qu’il dépende du mouvement et de la puissance de la volonté d’acquérir ce salut par cette grâce générale sans le secours d’une autre grâce efficace par elle-même.

Nous soutenons et nous sommes prêts de démontrer que cette proposition appartient à la foi de l’Église, et qu’elle est indubitable dans la doctrine de saint Augustin.

 

PROPOSITION

contraire à la cinquième dans le sens qu’elle est défendue par nos adversaires.

Ce n’est pas une erreur des demi-pélagiens, mais une proposition catholique de dire que Jésus-Christ a communiqué par sa mort à tous les hommes en particulier, sans en excepter un seul, la grâce prochainement et précisément nécessaire pour opérer, ou du moins pour commencer le salut et pour prier.

Nous soutenons et nous sommes prêts de démontrer que cette proposition, qui est de Molina et de nos adversaires, contient une doctrine contraire au Concile de Trente, et même qu’elle est pélagienne ou demi-pélagienne, parce qu’elle détruit la nécessité de la grâce de Jésus-Christ efficace par elle-même pour chaque bonne œuvre. Et il a été déclaré ainsi dans les Congrégations de auxiliis tenues à Rome.