La liasse COMMENCEMENT (suite)

 

 

Commencement et l’édition de Port-Royal

 

Trois fragments ont été utilisés pour compléter le chapitre I, Contre l’indifférence des athées : Commencement 3, 13 et 16, et un fragment (Commencement 2) a été retenu dans le chapitre VIII intitulé Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu.

Ces deux derniers chapitres ont été construits à partir de textes plus développés : Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681 et Laf. 428, Sel. 682) et une page tirée d’un dossier des Pensées diverses (Laf. 432 série XXX, Sel. 662) pour le chap. I ; Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229), Preuves par discours II (Laf. 429, Sel. 682) et III (Laf. 436, Sel. 688), Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691), II (Laf. 452, Sel. 692), IV (Laf. 454, Sel. 694) pour le chap. VIII.

Les fragments Commencement 1, 5, 8, 10, 11 et 14 ont été publiés dans le chapitre Pensées chrétiennes (n° XXVIII).

Commencement 15 a été publié dans le chapitre Pensées morales (n° XXIX).

Les fragments Commencement 4, 6, 7, 9 et 12 n’ont pas été retenus par le Comité. Seuls les fragments 7 et 12 ont ensuite été recopiés par Louis Périer dont une copie a été conservée. Le père P. N. Desmolets a publié ces deux derniers fragments en 1728 en utilisant cette copie. Les fragments 4, 6 et 9 n’ont pas retenu l’attention de L. Périer. Il faut attendre l’édition Faugère (1844) pour qu’ils soient publiés.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Commencement

 

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 300, un papier, celui de Commencement 2 (RO 63-11), porte un P, fragment d’un filigrane PF / B  R que l’on retrouve sur de grandes feuilles de dimensions 50 cm x 38 cm de type Marque royale & PF / B  R ; un deuxième papier écrit par le secrétaire assidu de Pascal, celui de Commencement 9 (RO 63-7), porte des traces d’un filigrane difficiles à identifier, qui pourraient, selon P. Ernst, provenir d’un filigrane Deux écus de France et Navarre / P ♥ H. Les autres papiers ne portent pas de filigrane.

Par la reconstitution complète d’un feuillet originel écrit uniquement par un copiste (Album p. 118), Pol Ernst montre que le papier de Commencement 4 (RO 63-10) est issu d’un feuillet de type Au cor couronné / P  H.

Dans une autre reconstitution, cette fois-ci incomplète, d’un feuillet originel (Album p. 138), Pol Ernst montre que les papiers de Commencement 14 (RO 27-5) et Commencement 15 (RO 63-3) faisaient parties d’un même feuillet au type Cadran & B ♥ C (feuilles de dimensions 47 cm x 37,5 cm). Il est aussi tenté d’y associer le papier de Commencement 16 (RO 27-4) mais cela reste une hypothèse. Cette reconstitution a retenu notre attention car tout porte à penser que ce feuillet était intitulé Commencement et que c’est ce titre qui a été découpé et utilisé comme titre de la liasse : voir notre hypothèse dans l’étude des Copies C1 et C2 du fragment Commencement 1.

Les feuillets utilisés semblent d’origines très diverses : Commencement 1 (RO 25-2), Commencement 8 (RO 65-1) et Commencement 10 (RO 61-10) seraient issus d’un ou plusieurs feuillets de type Écusson fleurette RC/DV (petites feuilles de dimensions 35 cm x 25,5 cm) ; Commencement 5 (RO 63-2) et Commencement 7 (RO 61-9) seraient issus d’un ou plusieurs feuillets de type Deux écus de France et Navarre / I ♥ C ; Commencement 6 (RO 63-5) proviendrait d’un feuillet de type Cadran & Deux écus de France et Navarre / P ♥ H.

Ceux de Commencement 3 (RO 63-8), Commencement 11 (RO 63-4), Commencement 12 (RO 25-1) et Commencement 13 (RO 61-8) ne sont pas identifiés.

 

 

Bibliographie

 

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GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 82 sq.

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Éclaircissements

 

Structure de la liasse Commencement

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 211-212.

 

Quel sens donner à Commencement ?

 

Meurillon Christian, “La notion de commencement dans les Pensées”, Op. cit., 2, nov. 1993, p. 69 sq. Travail conceptuel sur la notion commune de commencement.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 197 sq. Le mot commencement.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 52. Dans la dispositio, le mot de commencement assigne au fragment ou à la liasse qui le porte une place inaugurale. Voir les autres fragments qui portent des indications de commencement : Commencement 12 (Laf. 162, Sel. 194) ; Commencement 14 (Laf. 164, Sel. 196) ; Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78) ; Morale chrétienne 18 (Laf. 368, Sel. 401) ; et le sens de Commencement dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). La liasse Commencement réunit treize pensées qui toutes constituent des notes préparatoires aux deux premières lettres, sur la nécessité de chercher Dieu, et sur la nécessité d’ôter les obstacles : p. 53 sq. et 60.

Mais il n’est pas certain que le terme commencement implique nécessairement que la liasse dont c’est le titre doit se trouver au début du projet de livre.

Le titre Commencement suggère bien que la liasse met en place des principes. La nécessité de la recherche en est un. Cependant il faut distinguer les principes premiers au sens ontologique, qui sont absolument premiers dans l’ordre des raisons (comme l’est le cogito de Descartes par exemple), et ceux qui servent de base et de point de départ à une démonstration, qui ne sont pas nécessairement des principes au sens absolu, mais peuvent fort bien être des conventions ou des conclusions tirées d’un précédent raisonnement.

Le commencement peut être l’ouverture d’un mouvement d’argumentation nouveau, qui reprenne un problème sur de nouvelles bases. Dans les Lettres de A. Dettonville, le commencement proprement dit est le Traité des trilignes, qui présente les propositions générales qui servent à résoudre les problèmes posés sur la roulette. Mais ce traité est précédé par la Lettre à Carcavy, qui présente les fondements et les principes de la méthode des indivisibles dont Pascal va faire usage dans tout l’ouvrage, et les relations entre onglets et solides de rotation en général. Il y a d’abord les conditions du problème ; ensuite, Pascal commence à traiter le problème. On peut ainsi présenter Commencement comme la liasse dans laquelle Pascal achève l’étude de la condition humaine telle qu’elle apparaît aux philosophes et aux incrédules, avant d’effectuer la transition vers la religion et Dieu.

Voir ce qu’en écrit Laurent Thirouin, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, p. 367. A P. R. est le véritable lieu de la transition, qui rassemble tous les éléments du problème repérés précédemment. Après l’examen des fausses solutions philosophiques du problème anthropologique, la liasse énonce les prétentions de la religion devant les incohérences relevées, ce à quoi elle entend parvenir et ce qu’elle ne prétend point faire.

Après le bilan d’A P. R. 2, Commencement, ouvre ce que l’on pourrait intituler le cycle des mauvaises solutions, qui comporte plusieurs ensembles successifs.

Commencement joue le rôle de captatio benevolentiae, en brisant l’inintérêt, le refus d’entendre et de rechercher la vérité. Cette liasse est dirigée contre l’athéisme, que l’on prend parfois à tort pour de la force d’esprit. Pascal répond aux arguments par lesquels les athées justifient leur inertie : que toutes les religions se ressemblent sans qu’aucune paraisse meilleure que les autres, et que de toute façon, si Dieu avait voulu qu’on reconnaisse sa religion, il aurait donné des marques pour qu’on la reconnaisse. Pascal répond que ces arguments sont faibles parce qu’ils ne vont pas au fond du problème, et  traduisent en réalité un parti-pris de désespoir qui conduit nécessairement à la catastrophe. Dans Commencement Pascal montre qu’à l’immobilité passive de l’athée, qui ne répond en rien aux exigences formulées dans A P. R. 1, ni quant aux conditions de vérité, ni pour les conditions de bonheur, doit se substituer, ne serait-ce que par amour propre, une attitude de recherche approfondie. C’est sans doute à ce point qu’aurait figuré le pari.

La seconde étape, Soumission et usage de la raison, est dirigée contre la superstition comme excès de religiosité, directement opposée à l’athéisme : elle montre que s’il faut se soumettre sur les principes, mais en même temps conserver à la raison la liberté d’en tirer les conséquences. Mais en montrant que si le christianisme comporte une part d’irrationnel, celle-ci demeure strictement limitée, et permet surtout à la pensée de s’exercer avec rigueur et liberté, elle constitue une seconde réponse aux athées qui confondent la foi et la superstition.

La troisième liasse, Excellence de cette manière de prouver Dieu, s’en prend au déisme, qui prétend atteindre Dieu directement, en montrant que la vraie connaissance de Dieu ne peut passer que par le Christ.

L’ensemble débouche sur les liasses Transition et Fausseté des autres religions, contre les caricatures de la foi en Dieu.

On notera que, chacun à leur manière, les fragments de la liasse qui portent le titre Commencement touchent l’art d’agréer :

Le fragment Commencement 12 (Laf. 162, Sel. 194), Commencer par plaindre les incrédules, témoigne de la tendresse que l’auteur est censé ressentir à l’égard de ceux qui ne peuvent croire.

Le fragment Commencement 14 (Laf 164, Sel. 196), Commencement. Cachot, tend à affliger le lecteur par le spectacle de sa condition.

Commencement a servi de réservoir d’arguments pour le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). De nombreux arguments s’y retrouvent, rendus parfois méconnaissables par une ample mise en œuvre qui tranche avec le caractère lapidaire des fragments de cette liasse.

Commencement doit également être mise en rapport direct avec l’argument du pari, Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), comme en témoignent plusieurs fragments dans lesquels apparaît le terme de partis.

C’est donc l’une des liasses cruciales du projet d’apologie.

Voir aussi sur cette liasse et son traitement dans l’édition de Port-Royal, les remarques de Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009. A P. R. tire les conclusions qui s’imposent au spectacle de la nature, savoir la nécessité pour la véritable religion de livrer la clé de ces contrariétés. Elle montre que la religion chrétienne possède cette marque, par le récit de la chute ; elle introduit la recherche des preuves, et évoque le fondement de la foi qu’est l’idée du Dieu caché. On voit mal comment Commencement s’inscrit dans ce mouvement argumentatif initié par A P. R. Il y aurait une sorte de concurrence entre les ébauches de A P. R. et Commencement.

 

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