Fragment Commencement n° 13 / 16  – Papier original : RO 61-8

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 223 p. 79 / C2 : p. 105

Éditions de Port-Royal : Chap. I - Contre l’Indifférence des Athées : 1669 et janv. 1670 p. 12 / 1678 n° 1 p. 11

Éditions savantes : Faugère II, 18 / Havet IX.4 / Michaut 165 / Brunschvicg 200 / Tourneur p. 227-4 / Le Guern 152 / Lafuma 163 / Sellier 195

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Bibliographie

 

Académie universelle des jeux, contenant les règles des jeux de quadrille, et quintille, de l’hombre à trois, du piquet, du réversis, des échecs, du trictrac et de tous les autres jeux, avec des instructions faciles pour apprendre à les bien jouer, Nouvelle édition, Paris, Théodore le Gras, 1739.

ARNAULD D’ANDILLY Robert, Œuvres chrétiennes, 1644, Stance LXXXIX, De l’erreur de ceux qui ne se préparent pas à la mort.

BELIN Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002.

COUSIN Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Quatrième série, Littérature, tome I, Paris, Pagnerre, 1849, p. 170.

DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

JUNGO Dom Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie. Contribution à l’étude de la langue de Pascal, Paris, D’Artrey, sd.

LEDUC-FAYETTE Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, Cerf, Paris, 1996.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

NICOLE Pierre, Essais de morale, I, De la crainte de Dieu, ch. III, éd. 1755, p. 167.

 

Éclaircissements

 

Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’une heure pour l’apprendre, cette heure suffisant s’il sait qu’il est donné pour le faire révoquer, il est contre nature qu’il emploie cette heure-là, non à s’informer si l’arrêt est donné, mais à jouer au piquet.

 

 Cachot

 

Commencement 14 (Laf. 164, Sel. 196). Commencement. Cachot.

Belin Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 354-355 sq. Le cachot. Pascal ajoute une dimension tragique à ce thème, par rapport à ce qu’en fait saint Augustin : p. 355.

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal, p. 87. Rapprochement avec le mythe de la caverne de Platon. Idée que le monde est une geôle.

Pascal amplifiera l’image en enfermant plusieurs prisonniers dans un même cachot, dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 434, Sel. 686), pour donner à cette figure la force d’une véritable allégorie. Enfin ce cachot fictif prendra des dimensions toutes différentes dans le fragment Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) . Et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, les maisons et soi‑même, son juste prix.

 

 Piquet

 

Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal, p. 77-78. Jeu populaire datant du XVe siècle et se jouant avec 36 cartes. La Brinvilliers, demandant un jeu de piquet à ses gardiens, réalise l’idée de Pascal dans sa prison.

Académie universelle des jeux, contenant les règles des jeux de quadrille, et quintille, de l’hombre à trois, du piquet, du réversis, des échecs, du trictrac et de tous les autres jeux, avec des instructions faciles pour apprendre à les bien jouer, Nouvelle édition, Paris, Théodore le Gras, 1739, p. 133 sq. Le piquet est un « des plus beaux jeux qui se joue aux cartes, et dont l’on ne s’est jamais lassé » ; l’ouvrage précise que l’attention que l’on prête au jeu en est un aspect essentiel : « quelque difficile que ce jeu paraisse, il ne faut néanmoins qu’une grande attention à son jeu pour être bon joueur, car la grande science est de savoir par son jeu ce que son adversaire doit avoir dans le sien, soit par ce qu’il montre sur table, soit par ce qu’il n’a point et qu’il pourrait avoir ». Le piquet est donc ici pris pour exemple d’un divertissement futile et absorbant pour fuir la pensée de la mort. Mais si, dans la liasse qui porte ce titre, le divertissement était présenté comme une réaction naturelle à la condition humaine, c’est que la misère de l’homme y était présentée comme irrémédiable : lorsque le malheur est inévitable, il n’est pas déraisonnable de chercher à s’en distraire. Mais dans le présent fragment, le divertissement devient une conduite inepte, parce que Pascal a accumulé les circonstances qui permettent au condamné d’éviter le malheur : il ne sait pas si son arrêt est donné, il peut s’en informer, il a devant lui juste le temps nécessaire pour l’apprendre, et il est en mesure de le faire révoquer. Dans ces conditions, très différentes de celles qui sont envisagées dans la liasse Divertissement, il est contre l’intérêt du condamné de se plonger dans un jeu de cartes et de ne pas faire le nécessaire pour se sauver : en d’autres termes, son amour propre même devrait le détourner du divertissement. C’est en ce sens que Pascal écrit que son attitude est contre nature.

 

Ainsi il est surnaturel que l’homme, etc. C’est un appesantissement de la main de Dieu.

 

C’est un procédé fréquent chez Pascal, de prendre ses contradicteurs en personne comme preuve de la cause qu’il défend. Dans les premières liasses des Pensées par exemple, les philosophes qui dénoncent la misère de l’homme servent de preuve pour établir la réalité d’un fond de grandeur en l’homme ; et inversement, les philosophes, stoïciens ou cartésiens, qui affirment la grandeur humaine, apparaissent comme des preuves vivantes de la vanité et de la misère de l’homme. Dans le cas présent, ce sont les athées qui, par leur inconscience, servent de marque du fait qu’il existe bien un ordre du surnaturel, qu’ils nient. Leur inconscience est en effet telle, si contraire à leurs habitudes en toute autre chose, et surtout si contraire aux intérêts de l’amour propre, qu’elle dépasse les proportions ordinaires, et qu’on peut y voir l’effet d’une force supérieure à celles de la nature, un « appesantissement de la main de Dieu ». Cette remarque, qui ne peut évidemment pas à cette étape servir de preuve, sert tout de même à souligner ce que la conduite des athées a d’extraordinairement déraisonnable ; mais surtout, elle prend son relief du fait que, depuis la liasse A P. R., l’idée du Dieu caché qui éclaire les bons mais aussi aveugle les cœurs mauvais, prend progressivement de l’importance dans les Pensées. Pascal habitue ainsi peu à peu le lecteur à considérer l’attitude des athées non pas comme une conduite normale, mais comme un égarement monstrueux, propre à susciter chez lui une réaction de rejet.

Nicole Pierre, Essais de morale, I, De la crainte de Dieu, ch. III, éd. 1755, p. 167. « C’est pourquoi cette prodigieuse insensibilité qu’on voit dans les hommes à l’égard des choses dont ils devraient être le plus touchés, est une marque évidente qu’ils ne sont point dans l’état où ils ont été formés, et que leur nature est corrompue. Cette stupidité ne saurait être naturelle. Ils s’affligent des moindres choses jusqu’au désespoir ; et lorsqu’il y va de tout leur être, et de leur bonheur ou de leur malheur éternel, ils n’en sont non plus touchés que s’il s’agissait d’une chose de néant ».

Laf. 432, Sel. 662. Est-ce qu’ils sont si fermes qu’ils soient insensibles à tout ce qui les touche ? Eprouvons-le dans la perte des biens ou de l’honneur. Quoi ? c’est un enchantement.

Dossier de travail (Laf. 383, Sel. 2). D’être insensible à mépriser les choses intéressantes, et devenir insensible au point qui nous intéresse le plus.

Laf. 632, Sel. 525. La sensibilité de l’homme aux petites choses et l’insensibilité (aux) plus grandes choses, marque d’un étrange renversement.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Rien n’est si important à l’homme que son état ; rien ne lui est si redoutable que l’éternité. Et ainsi, qu’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d’une éternité de misères, cela n’est point naturel. Ils sont tout autres à l’égard de toutes les autres choses : ils craignent jusqu’aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d’une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c’est celui-là même qui sait qu’il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes.

C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause.

 

Ainsi non seulement le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas.

 

Laf. 432, Sel. 662. Nous en ferons le premier argument qu’il y a quelque chose de surnaturel car un aveuglement de cette sorte n’est pas une chose naturelle. Et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l’horreur d’un exemple si déplorable, et d’une folie si digne de compassion.

Type d’argument par dilemme auquel Pascal recourt souvent, qui consiste à montrer que la conduite des ennemis de la religion chrétienne est une preuve de sa vérité. Voir Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 416 sq., sur les pièges argumentatifs.

Le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, parce qu’il n’est pas possible qu’un homme laissé à ses seules forces parvienne à chercher Dieu : ce zèle, dans l’état de nature corrompue, ne peut venir que de la grâce.

L’aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas prouve Dieu, parce que cet aveuglement est si contraire à l’amour propre naturel de l’homme qu’il est visible qu’il provient d’une cause qui n’est pas naturelle.