Fragment Commencement n° 4 / 16  – Papier original : RO 63-10

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 219 p. 77 v° / C2 : p. 103

Éditions savantes : Faugère II, 174, II / Havet XXV.92  / Brunschvicg 238 / Tourneur p. 225-3 / Le Guern 143 / Lafuma 153 / Sellier 186

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Bibliographie

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

 

 

Éclaircissements

 

 

 

Que me promettez‑vous enfin ? car dix ans est le parti, sinon dix ans d’amour propre, à bien essayer de plaire sans y réussir,

 

Amour propre ne doit pas prendre de tiret : il ne s’agit pas en effet de l’amour-propre au sens moderne d’orgueil personnel, mais de l’amour de soi, au sens augustinien du terme, c’est-à-dire de la concupiscence qui ramène tout à soi (ce que signifie précisément l’adjectif propre).

Sur le terme de parti, qui appartient au lexique technique de la « géométrie du hasard » de Pascal, voir la définition dans Commencement 5 (Laf. 154, Sel. 187).

Dans Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), il est bien dit que ce que l’on engage dans le pari est fini.

Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte et ce que vous jouez est fini. Port-Royal transcrit : « ce que vous jouez est si peu de chose, et de si peu de durée, qu’il y a de la folie à le ménager en cette occasion. »

« Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder, à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. »

 

Pourquoi Pascal compte-t-il que dix ans est le parti ?

 

Le charlatan de la fable VI, 19 de La Fontaine, déclare qu’avant dix ans, « Le roi, l’âne, ou moi, nous mourrons ».

Le fabuliste conclut :

« Il avait raison. C’est folie

De compter sur dix ans de vie.

Soyons bien buvants, bien mangeants,

Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans. »

Ces dix ans, Pascal les suppose consacrés à rechercher le bonheur dans la vie sociale, c’est-à-dire à tenter de satisfaire l’amour propre personnel, mais aussi celui des autres.

 

outre les peines certaines ?

 

Les peines sont certaines parce qu’elles sont le fait de l’homme lui-même. Voir par exemple Vanité 33 (Laf. 47, Sel. 80), qui montre ce que de telles peines ont de nécessaire : Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

 

Réaction critique

 

Un critique marxiste comme Henri Lefebvre, dans la communication qu’il a donnée au colloque de Royaumont (1955), a vivement reproché à Pascal cette manière de dénigrer l’action dans la vie sociale, et de se conduire comme un « voleur d’énergie » susceptible de détourner la jeunesse des activités politiques, syndicales et militantes grâce auxquelles l’avènement d’une société juste, démocratique et communiste deviendrait possible.