Fragment Commencement n° 5 / 16  – Papier original : RO 63-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 220 p. 77 v° / C2 : p. 103

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées Chrétiennes : 1669 et janv. 1670 p. 246 / 1678 n° 19 p. 238

Éditions savantes : Faugère II, 172, II / Havet XXIV.16 ter  / Michaut 169 et 170 / Brunschvicg 237 et 281 / Tourneur p. 225-4 / Le Guern 144 / Lafuma 154 et 155 / Sellier 187

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Bibliographie

 

BELIN Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002.

CHEVALLEY Catherine, Pascal. Contingence et probabilités, Presses Universitaires de France, Paris, 1995.

COUMET Ernest, “La Théorie du Hasard est-elle née par hasard ?”,  Annales, mai-juin 1970, p. 574-598.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986, p. 54 sq.

LAPORTE Jean, Le cœur et la raison selon Pascal, Paris, Elzévir, 1950.

MAGNARD Pierre, Le vocabulaire de Pascal, p. 45 sq.

MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

McKENNA Antony, “Pascal et le cœur”, Courrier du CIBP, n° 16, Clermont-Ferrand, 1994, p. 9 sq.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MICHON Hélène, L'Ordre du cœur (philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal), Champion, Paris, 1996.

PASCAL, Usage du triangle arithmetique pour déterminer les partis qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1308.

PRIGENT Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”, Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, Strasbourg, Centre de Philologie et de littérature romanes, Klincksieck, Paris, 1975, p. 117-128. Voir p. 125.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 59 sq. Rapport avec le fragment Ordre 9 (Laf. 11, Sel. 45), sur la lettre d'ôter les obstacles, et avec le fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) sur le pari : p. 60.

THIROUIN Laurent, Le Hasard et les Règles. Le modèle du jeu dans la pensée de Pascal, Vrin, Paris, 1991.

 

Éclaircissements

Partis.

 

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Le fragment “Infini rien” repose sur la règle des partis, ou à ce que Pascal appelle la géométrie du hasard dans son Adresse à l’Académie parisienne. Le mot parti a dans cette théorie un sens particulier. Voir l’Usage du triangle arithmetique pour déterminer les partis qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1308. Voir Thirouin Laurent, Le Hasard et les Règles. Le modèle du jeu dans la pensée de Pascal, p. 112 sq. Parti est le participe passé pris comme substantif du verbe partir, c'est-à-dire partager. Faire le parti dans un jeu, c'est effectuer le partage des mises. Voir OC II, p.1308 : « le règlement de ce qui doit leur appartenir doit être tellement proportionné à ce qu'ils avaient droit d'espérer de la fortune que chacun d'eux trouve entièrement égal de prendre ce qu'on lui assigne ou de continuer l'aventure du jeu ; et cette juste distribution s'appelle le parti ». Le parti n’est pas la probabilité, mais l’accord financier qui, compte tenu d’une probabilité donnée, réalise le point d’équilibre dans une redistribution : p. 115. Mais trouver un parti suppose que l’on connaisse la probabilité d’un événement donné : p. 115. Le concept de parti suppose que Pascal ne s’intéresse pas à la probabilité pour elle-même, mais pour décider un comportement pratique : p. 115-116. Il en découle que le mot parti a le double sens de partage et de choix : voir Coumet Ernest, “La Théorie du Hasard est-elle née par hasard ?”, Annales, mai-juin 1970, p. 574-598, surtout p. 584. Dans le cas présent, le mot désigne le parti que l’on prend d’une conduite, considérée comme une décision fondée sur un principe, et qui comporte un risque si ce principe est faux.

Chevalley Catherine, Pascal. Contingence et probabilités, Presses Universitaires de France, Paris, 1995.

Coumet Ernest, “Le Problème des partis avant Pascal”, Archives internationales d’Histoire des Sciences, 72-73, juillet-décembre 1965, p. 245-272.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e édition, Paris, SEDES-CDU, 1993.

 

Il faut vivre autrement dans le monde, selon ces diverses suppositions :

 

Supposition doit ici être pris au sens latin, équivalent du grec hypothèse. Il s’agit de pricipes qui doivent déterminer le cours que prendra la vie pratique ; c’est un équivalent de maxime.

Diverses signifie ici non pas seulement différentes, mais contraires et incompatibles entre elles.

Ces diverses suppositions sont engendrées pour ainsi dire formellement ; ensuite, Pascal ne retient que celles qui correspondent à une situation réelle, et qui correspond à la problématique de Commencement.

Il faut ne signifie pas il est impératif que…, mais il est nécessaire, logiquement parlant que… Chacune des suppositions définies par Pascal entraîne par nécessité un certain genre de vie.

Dans leur rédaction primitive, les différentes hypothèses ont un caractère quelque peu abstrait, qui répond à leur genèse combinatoire. En cherchant à préciser sa pensée, et en approchant de la réalité vécue, Pascal est conduit à les modifier ou à en supprimer plusieurs, ne laissant au bout du compte que la première et la dernière. La dichotomie finale n’est donc pas le résultat d’une simplification excessive de la réalité, mais au contraire d’un processus d’approfondissement de la pensée.

Dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682), Pascal développe cette idée en ces termes : Il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.

 

1. Si on pouvait y être toujours.

 

Les deux formules ne sont pas équivalentes : la première suppose que l’on soit assuré de l’immortalité, la seconde fait de l’immortalité une simple possibilité.

Pourquoi Pascal a-t-il substitué si on pourrait y être toujours à s'il est sûr qu'on y sera toujours ?

La première rédaction a pour défaut de ne correspondre à aucune situation réelle : nul n’a jamais été sûr de vivre éternellement ici-bas.

En revanche, la seconde rédaction, si on pourrait y être toujours, définit un mode de vie très réel, celui de l’incrédule qui vit sans souci de l’éternité post mortem, comme s’il devait toujours être au monde sans jamais mourir : vivre comme si on devait être toujours au monde, c’est la manière de vivre de Dom Juan, par exemple.

Dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682), Pascal reprend une expression voisine : Que l’on juge donc là‑dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui, se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement.

Mais cette seconde expression ne comporte pas réellement d’hypothèse sur la durée éternelle de la vie : elle ne signifie pas que l’on soit effectivement immortel, mais que l’on vit comme si la vie sur terre ne devait pas avoir de terme. Par suite, la seconde supposition perd de son sens (voir ci-après), et Pascal sera conduit à la supprimer.

On notera que l’expression initiale S’il est sûr qu’on y sera toujours définit en fait la situation des anges.

 

2. S’il est incertain si on y sera toujours ou non.

 

Cette supposition est la contraire de la première rédaction de la proposition précédente par simple négation du mode.

Pourquoi Pascal l’a-t-il supprimée ? C’est sans doute que si elle a un sens comme contraire de s’il est sûr qu’on y sera toujours, elle ne l’a plus au regard de si on pourrait y être toujours. Car cette dernière supposition ne signifie pas que l’on peut vraiment vivre éternellement, mais que l’on vit comme si l’on devait vivre éternellement, sans souci de la fin. Mais dès lors, il n’y a plus à se demander si effectivement, il était incertain « si on y sera toujours ou non ». L’affinement de la pensée de Pascal le conduit à supprimer cette supposition.

 

3. S’il est sûr qu’on n’y sera pas toujours, mais qu’on soit assuré d’y être longtemps.

4. S’il est certain qu’on n’y sera pas toujours et incertain si on y sera longtemps.

 

Ces deux hypothèses sont toutes deux construites en ajoutant à des suppositions du type précédent une considération nouvelle, savoir si l’on doit demeurer longtemps sur terre.

La deuxième hypothèse est manifestement formée à partir de la précédente, par inversion de la deuxième partie.

Toutes deux ont un sens précis : ce sont des maximes qui correspondent à la manière de vivre la plus ordinaire, dans laquelle il est certain que l’on doit mourir un jour ; la différence entre elles consiste en ce que la proposition 3 suppose que l’on se croie certain de vivre vieux, alors que la quatrième implique que l’on n’est pas certain de vivre vieux.

Pascal supprime ces deux hypothèses, sans doute parce qu’en réalité, elles ne sont pas cohérentes avec le reste de la liasse Commencement. L’un des arguments majeurs de la liasse repose sur l’équivalence d’une durée longue et d’une durée courte. Voir Commencement 9 (Laf. 159, Sel. 191) : Si on doit donner huit jours de la vie on doit donner cent ans ; Prophéties 5 (Laf. 326, Sel. 358) Quiconque n’ayant plus que huit jours à vivre ne trouvera pas que le parti est de croire que tout cela n’est pas un coup du hasard. Or si les passions ne nous tenaient point,  huit jours et cent ans sont une même chose. Autrement dit, Pascal considère que la longévité essentielle de la vie ne fait rien à l’affaire, et qu’elle ne doit pas entrer en considération dans le choix d’un genre de vie.

 

Faux

 

La mention Faux porte sur les trois propositions centrales.

 

5. S’il est sûr qu’on n’y sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure.

Cette dernière supposition est la nôtre.

 

La nôtre, c’est-à-dire celle des chrétiens.

C’est l’hypothèse que le fragment Dossier de travail (Laf. 386, Sel. 5) élève en règle de vie : Afin que la passion ne nuise point faisons comme s'il n'y avait que 8 jours de vie.

La brièveté de la vie et l’urgence d’agir en conséquence sont nettement affirmées dans le grand fragment Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682). Cependant, cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu'ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée.

Le fragment Prophéties 5 (Laf. 326, Sel. 358) montre avec plus de précision comment le court délai de vie qui est imparti à l’homme peut influer sur sa manière de vivre et de penser :  Quiconque n’ayant plus que huit jours à vivre ne trouvera pas que le parti est de croire que tout cela n’est pas un coup du hasard. Or si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose.

Belin Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 353 sq.  Raccourcissement et anéantissement du temps à l’égard de l’éternité chez Pascal. La supposition dans laquelle vit le chrétien : p. 355. Huit jours et cent ans sont une même chose : p. 354. Pascal ajoute une dimension tragique à ce thème, par rapport à ce qu’en fait saint Augustin : p. 355.

 

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Cœur.

Instinct.

Principes.

 

Le cœur fournit la connaissance des principes par une sorte d’instinct. Voir le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) et sa bibliographie.