Fragment Conclusion n° 4 / 6  – Papier original : RO 485-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Conclusion n° 371 p. 185 / C2 : p. 217

Éditions de Port-Royal : Chap. VI - Foi sans raisonnement : 1669 et janvier 1670 p. 50-51  / 1678 n° 2 p. 52-53

Éditions savantes : Faugère II, 177, III / Havet XIII.10 / Brunschvicg 284 / Tourneur p. 296-4 / Le Guern 360 / Lafuma 380 / Sellier 412

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Bibliographie

 

 

DESCOTES Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 47-53.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986, p. 31.

HARRINGTON Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, Paris, Vrin, 1972.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine Reprints, 1998.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010.

SHIOKAWA Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 133-151.

 

 

Éclaircissements

 

Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement.

 

Pascal prend ici en compte des personnes qui n’ont pas de culture religieuse, puisque, selon Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413), ils croient sans avoir lu les Testaments, et que selon Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414), ils n’ont pas la connaissance des prophéties et des preuves.

Croire sans raisonnement : les liasses précédentes montraient que la foi ne contredit pas la raison ; ici, Pascal soutient qu’elle peut se passer d’elle, au moins dans le cas de la foi des simples.

Le fait qu’on puisse croire sans raisonnement est ici présenté comme un paradoxe étonnant. C’est pourtant un thème courant du mouvement libertin : le peuple croit les religions parce qu’il ne raisonne pas. Pascal vient en revanche d’établir par la raison qu’il y a de bonnes raisons de croire ; de ce fait, le paradoxe se renverse, et le lecteur peut s’étonner qu’il y ait des personnes qui puissent croire sans raisonnement.

Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.

Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 47-53. Voir p. 52 sq. Apologie de la foi du charbonnier.

Voir le dossier thématique sur La foi selon Pascal.

 

Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux‑mêmes.

 

Il faut entendre que Dieu donne l’amour de lui-même à l’homme, qui est la charité, et non pas l’amour d’eux-mêmes, qui ne peut naître que de la concupiscence.

Cette expression indique bien que c’est la grâce de Dieu qui donne la foi à l’homme, comme Pascal l’explique en détail dans la Lettre sur la possibilité des commandements des Écrits sur la grâce. Le commentaire de la Bible de Port-Royal sur ce verset porte expressément sur ce point.

Voir sur cette formule les explications sur le fragment Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi. Si le pied avait toujours ignoré qu’il appartînt au corps et qu’il y eût un corps dont il dépendît, s’il n’avait eu que la connaissance et l’amour de soi et qu’il vînt à connaître qu’il appartient à un corps duquel il dépend, quel regret, quelle confusion de sa vie passée, d’avoir été inutile au corps qui lui a influé la vie, qui l’eût anéanti s’il l’eût rejeté et séparé de soi, comme il se séparait de lui. Quelles prières d’y être conservé ! et avec quelle soumission se laisserait-il gouverner à la volonté qui régit le corps, jusqu’à consentir à être retranché s’il le faut ! ou il perdrait sa qualité de membre ; car il faut que tout membre veuille bien périr pour le corps qui est le seul pour qui tout est.

La croyance n’est pas seulement un fait de connaissance, c’est d’abord un fait d’amour : elle ne consiste pas essentiellement à connaître Dieu, mais à l’aimer.

Voir ce que Pascal écrit là-dessus dans De l'Esprit géométrique, 2, De l'art de persuader, § 3-5, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413-414.

« Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n'aurais garde de faire tomber sous l'art de persuader, car elles sont infiniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l'âme, et par la manière qu'il lui plaît.

Je sais qu'il a voulu qu'elles entrent du cœur dans l'esprit, et non pas de l'esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s'est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu'au lieu qu'en parlant des choses humaines on dit qu'il les faut connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu'il les faut aimer pour les connaître, et qu'on n'entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences.

4. En quoi il paraît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l'ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre en faisant des choses profanes ce qu'ils devaient faire des choses saintes, parce qu'en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l'éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. Dites nous des choses agréables et nous vous écouterons, disaient les Juifs à Moïse ; comme si l'agrément devait régler la créance ! Et c'est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu'après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui le charme et qui l'entraîne. »

 

Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi, si Dieu n’incline le cœur, et on croira dès qu’il l’inclinera.

Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum, Deus, in, etc.

 

Inclina cor meum, Deus, in (testimonia tua) : Faites pencher mon cœur [mon Dieu] vers les témoignages de votre loi (traduction de la Bible de Port-Royal).

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, p. 200 sq. Pascal ajoute le mot Deus au texte du psalmiste.

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 30. Répons liturgique du bréviaire, Inclina cor meum, Deus, in testimonia tua, répété trois fois à Tierce, tous les jours, après la récitation du psaume 118.

La Vie de M. Pascal, 1e version ; OC I, p. 596 ; éd. Garnier, p. 129, § 72. « Il avait un amour sensible pour tout l’Office divin, mais surtout pour toutes les Petites Heures, parce qu’elles sont composées du psaume CXVIII, dans lequel il trouvait tant de choses admirables qu’il sentait de la délectation à le réciter. Et quand il s’entretenait avec ses amis de la beauté de ce psaume, il se transportait en sorte qu’il paraissait hors de lui-même : et cette méditation l’avait rendu si sensible à toutes les choses par lesquelles on tâche d’honorer Dieu qu’il n’en négligeait pas une. »

Inclination : au premier sens, approche d’une chose vers une autre. L’inclination de ces deux lignes fait un angle obtus. L’inclination de ces deux surfaces fait un angle solide (Furetière). Se dit aussi des mouvements du corps, quand il se baisse. Il lui a répondu par une inclination de tête. L’inclination du corps est une marque d’une grande soumission. Se dit figurément en choses spirituelles des affections de l’âme, et signifie alors une pente ou disposition naturelle à faire quelque chose. Les uns ont de l’inclination aux armes ; les autres à l’étude, les uns à la vertu, les autres à la débauche. On ne réussit jamais bien en une chose, quand on force son inclination. Se dit aussi de l’amour, de la bonne volonté qu’on a pour quelqu’un. Ces deux amis ont beaucoup d’inclination l’un pour l’autre, ils s’aiment d’inclination. Il se dit aussi des choses inanimées, en parlant de leurs vertus naturelles, qui les portent vers quelque objet. Tous les corps graves ont de l’inclination pour leur centre, l’aimant a de l’inclination pour le pôle, s’incline vers le pôle. Le mot a aussi un sens technique en médecine et en astronomie. Furetière ne donne pas le mot inclinaison.

Pascal emploie aussi le mot incliner pour désigner les tendances qui s’imposent au cœur corrompu. Voir Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, § XIII. « Ôtez donc de moi, Seigneur, la tristesse que l’amour de moi-même me pourrait donner de mes propres souffrances, et des choses du monde qui ne réussissent pas au gré des inclinations de mon cœur, qui ne regardent pas votre gloire ; mais mettez en moi une tristesse conforme à la vôtre. Que mes souffrances servent à apaiser votre colère. Faites-en une occasion de mon salut et de ma conversion. Que je ne souhaite désormais de santé et de vie qu’afin de l’employer et la finir pour vous, avec vous et en vous. Je ne vous demande ni santé, ni maladie, ni vie, ni mort ; mais que vous disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort, pour votre gloire, pour mon salut et pour l’utilité de l’Église et de vos saints, dont j’espère par votre grâce faire une portion. Vous seul savez ce qui m’est expédient : vous êtes le souverain maître, faites ce que vous voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi ; mais conformez ma volonté à la vôtre ; et que, dans une soumission humble et parfaite et dans une sainte confiance, je me dispose à recevoir les ordres de votre providence éternelle, et que j’adore également tout ce qui me vient de vous. »

Le mot doit être compris aussi de l’attirance invincible que la grâce exerce sur la volonté de l’homme pécheur pour susciter en lui la foi et la bonne volonté.

Voir le commentaire de la Bible de Port-Royal sur ce verset : « Je m’adresse à vous, mon Dieu, comme au maître de mon cœur, et reconnaissant l’impuissance où je suis sans vous pour toute sorte de bien, je vous demande que vous le fassiez pencher par le secours, de votre grâce du côté de votre loi, qui renferme les témoignages de votre amour, et non du côté de l’avarice. Quand je vous demande que vous le penchiez du côté de votre loi, je vous demande que vous lui inspiriez une forte volonté de l’accomplir, et que vous y répandiez par votre Esprit saint la charité qui est la fin et l’accomplissement de la loi. C’est cet amour, ô mon Dieu, que je reconnais qui n’est point en ma puissance dans votre grâce ».

Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’ils suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 211-220 sq. Voir p. 214 : rapprochement avec la fin du Mémorial.