Fragment Conclusion n° 5 / 6  – Papier original : RO 481-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Conclusion n° 371 p. 185-185 v° / C2 : p. 217-218

Éditions de Port-Royal : Chap. VI - Foi sans raisonnement : 1669 et janvier 1670 p. 51-52  / 1678 n° 3 p. 53-54

Éditions savantes : Faugère II, 176, III / Havet XIII.11 / Brunschvicg 286 / Tourneur p. 296-5 / Le Guern 361 / Lafuma 381 / Sellier 413

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Bibliographie

 

 

DE NADAÏ Jean-Christophe Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

HARRINGTON Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, Paris, Vrin, 1972.

MESNARD Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, p. 355-362.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine Reprints, 1998.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 485-510.

SHIOKAWA Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 133-151.

 

 

Éclaircissements

 

Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments, c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme.

 

L’idée développe le précédent fragment.

Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement, Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes, il incline leur cœur à croire ; on ne croira jamais d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in, etc.

Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire et ainsi ils sont très efficacement persuadés.

Ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme : voir Ordre 5 (Laf. 7, Sel. 41). Lettre qui marque l’utilité des preuves, par la machine. La foi est différente de la preuve. L’une est humaine l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. C’est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur, dont la preuve est souvent l’instrument, fides ex auditu, mais cette foi est dans le cœur et fait dire nonscio mais credo. Voir saint Paul, Épître aux Romains, X, 17 : « La foi donc vient de ce qu’on a ouï ; et on a ouï, parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée » (Traduction de la Bible de Port-Royal).

Shiokawa Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 133-151. 

 

Ils sentent qu’un Dieu les a faits.

 

Voir Preuves par discours I (Laf. 424, Sel. 680). C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.

La connaissance de Dieu est une connaissance intuitive du cœur, et ne dépend pas d’une démonstration. Ce passage ajoute une idée au fragment précédent : la foi apprend à l’homme qu’il dépend du Dieu qui l’a créé.

Ce sentiment est évoqué dans l’opuscule Sur la conversion du pécheur, comme conséquence du sentiment de son néant qui affecte le converti :

« Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l'habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent être plus aimables que le Créateur, et sa raison aidée de la lumière de la grâce lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu et qu'il ne peut être ôté qu'à ceux qui le rejettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est le perdre.

Ainsi elle se réjouit d'avoir trouvé un bien qui ne peut lui être ravi tant qu'elle le désirera, et qui n'a rien au-dessus de soi. Et dans ces réflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'anéantit en conséquence et ne pouvant former d'elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu'aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu'elle multiplie sans cesse ; enfin dans cette conception, qui épuise ses forces, elle l'adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés l'adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et l'adorer. Ensuite elle reconnaît la grâce qu'il lui a faite de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau ; et après une ferme résolution d'en être éternellement reconnaissante, elle entre en confusion d'avoir préféré tant de vanités à ce divin maître, et dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié, pour arrêter sa colère dont l'effet lui paraît épouvantable dans la vue de ses immensités... »

 

Ils ne veulent aimer que Dieu,

 

Sur l’amour de Dieu, voir Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405), et la Xe Provinciale, qui doit être lue en relation avec la liasse Morale chrétienne.

Voir notre commentaire sur le fragment Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409). Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer.

Laf. 618, Sel. 511. S’il y a un Dieu il ne faut aimer que lui et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies dans la Sagesse n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. Cela posé, dit-il, jouissons donc des créatures. C’est le pis-aller. Mais s’il y avait un Dieu à aimer il n’aurait pas conclu cela mais bien le contraire. Et c’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures. Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher si nous l’ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache qu’à Dieu seul.

Mesnard Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, p. 355-362. Qu’est-ce qu’aimer Dieu ? L’élément affectif n’est pas le plus important. Les éléments intellectuels et volontaires tiennent la place essentielle. Aimer Dieu, d’une façon générale, c’est se conformer à sa volonté, adopter une attitude de recherche de la vérité morale. Résoudre un cas de conscience ne consiste pas à choisir entre des probabilités, mais à chercher une vérité. La vraie morale selon Pascal : p. 359 sq.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 30 sq. Ce n’est pas la connaissance de Dieu qui déclenche l’amour de Dieu, mais l’amour qui, en nous portant vers lui, rend possible la connaissance de Dieu. Quand Pascal parle de connaissance de Dieu et d’amour de Dieu, il ne parle pas du même Dieu : p. 31. L’apologiste comme Pascal peut enrichir la connaissance de Dieu, mais il y a très loin de là à l’aimer, si loin que l’apologétique ne peut franchir la distance : p. 37.

Commentaire de la Bible de Port-Royal sur le premier commandement, sur Matthieu, XXII, 36 : « Aimer Dieu en cette sorte, c’est rapporter toutes les pensées de son esprit, tous les mouvements de son cœur, et toutes les actions de sa vie à celui de qui ont tient et son esprit, et son cœur, et sa propre vie. » ; Sacy renvoie à saint Augustin, De doctrina christiana, I, 22. « Ainsi, selon la pensée du même saint, tout homme, pour le dire ainsi, est obligé par ce précepte d’aimer Dieu ; c’est-à-dire qu’il ne doit point y avoir aucune partie, ni dans l’homme, ni dans toute l’étendue de la vie de l’homme, qui ne soit remplie de l’amour de Dieu. Au moment donc, ajoute ce Père, que quelque objet se présente à notre esprit pour lui demander notre amour, il doit être comme absorbé en cet amour dominant qui règne en nous, et rapporté uniquement à cet objet souverain, où se porte toute l’impétuosité de notre cœur [...]. C’est pour cela que le Fils de Dieu dit à ce docteur que le commandement d’aimer Dieu était le premier et le plus grand, parce que c’est à celui-là que tous les autres doivent être rapportés ».

Ils ne veulent aimer que Dieu remplace ils n’aiment que Dieu. Le texte retenu montre que Pascal entend marquer nettement la part de la volonté de l’homme dans l’adoption de la foi, qui n’exclut pas que la source de ce mouvement réside dans la grâce de Dieu. La même remarque vaut pour la formule suivante.

 

ils ne veulent haïr qu’eux‑mêmes.

 

Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.

Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement, Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes, il incline leur cœur à croire ; on ne croira jamais d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in, etc.

Laf. 564, Sel. 471. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.

Laf. 597, Sel. 494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable. Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice. Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

Fausseté 18 (Laf. 220, Sel. 253). Nulle autre religion n’a proposé de se haïr, nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux‑là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.

Pensées, éd. Havet, I, Delagrave 1866, p. 196-197, renvoie à Jean, XII, 25. « Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle ». Cette expression renvoie directement à ce qui a été dit dans le dossier précédent, Morale chrétienne.

Thirouin Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, p. 217-247.

 

Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux‑mêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu

 

L’homme n’a pas de lui-même le pouvoir prochain suffisant pour aller à Dieu ; il faut que la grâce de Dieu guérisse la blessure que le péché originel a infligée à son âme et lui donne la force nécessaire pour prier, pour croire et pour accomplir les commandements de Dieu. On retrouve ici une idée que les Provinciales ont exposée, sur le pouvoir prochain. C’est ce que Pascal montre surtout dans les Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 642 sq., et dans les premières Provinciales.

Voir la Provinciale XVIII, § 5 sq., qui explique dans quelle mesure, quoique les bonnes actions de l’homme proviennent de sa volonté, elles n’en ont pas moins pour origine la grâce de Dieu, sans laquelle elles ne seraient pas accomplies :

« Je vous déclare donc, mon Père, que vous n’avez plus rien à reprendre en vos adversaires, parce qu’ils détestent assurément ce que vous détestez. Je suis seulement étonné de voir que vous l’ignoriez, et que vous ayez si peu de connaissance de leurs sentiments sur ce sujet, qu’ils ont tant de fois déclarés dans leurs ouvrages [...]. Vous verriez, mon Père, que non seulement ils tiennent qu’on résiste effectivement à ces grâces faibles, qu’on appelle excitantes ou inefficaces, en n’exécutant pas le bien qu’elles nous inspirent, mais qu’ils sont encore aussi fermes à soutenir contre Calvin le pouvoir que la volonté a de résister même à la grâce efficace et victorieuse qu’à défendre contre Molina le pouvoir de cette grâce sur la volonté, aussi jaloux de l’une de ces vérités que de l’autre. Ils ne savent que trop que l’homme, par sa propre nature, a toujours le pouvoir de pécher et de résister à la grâce, et que, depuis sa corruption, il porte un fonds malheureux de concupiscence, qui lui augmente infiniment ce pouvoir ; mais que néanmoins, quand il plaît à Dieu de le toucher par sa miséricorde, il lui fait faire ce qu’il veut et en la manière qu’il le veut, sans que cette infaillibilité de l’opération de Dieu détruise en aucune sorte la liberté naturelle de l’homme, par les secrètes et admirables manières dont Dieu opère ce changement, que saint Augustin a si excellemment expliquées, et qui dissipent toutes les contradictions imaginaires que les ennemis de la grâce efficace se figurent entre le pouvoir souverain de la grâce sur le libre arbitre et la puissance qu’a le libre arbitre de résister à la grâce ; car, selon ce grand saint, que les Papes de l’Église ont donné pour règle en cette matière, Dieu change le cœur de l’homme par une douceur céleste qu’il y répand, qui, surmontant la délectation de la chair, fait que l’homme sentant d’un côté sa mortalité et son néant, et découvrant de l’autre la grandeur et l’éternité de Dieu, conçoit du dégoût pour les délices du péché, qui le séparent du bien incorruptible. Trouvant sa plus grande joie dans le Dieu qui le charme, il s’y porte infailliblement de lui-même, par un mouvement tout libre, tout volontaire, tout amoureux ; de sorte que ce lui serait une peine et un supplice de s’en séparer. Ce n’est pas qu’il ne puisse toujours s’en éloigner, et qu’il ne s’en éloignât effectivement, s’il le voulait. Mais comment le voudrait-il, puisque la volonté ne se porte jamais qu’à ce qu’il lui plaît le plus, et que rien ne lui plaît tant alors que ce bien unique, qui comprend en soi tous les autres biens ? Quod enim amplius nos delectat, secundum id operemur necesse est, comme dit saint Augustin.

§ 6. C’est ainsi que Dieu dispose de la volonté libre de l’homme sans lui imposer de nécessité ; et que le libre arbitre, qui peut toujours résister à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, se porte aussi librement qu’infailliblement à Dieu, lorsqu’il veut l’attirer par la douceur de ses inspirations efficaces.

§ 7. Ce sont là, mon Père, les divins principes de saint Augustin et de saint Thomas, selon lesquels il est véritable que nous pouvons résister à la grâce, contre l’opinion de Calvin ; et que néanmoins, comme dit le pape Clément VIII, dans son écrit adressé à la Congrégation De auxiliis : Dieu forme en nous le mouvement de notre volonté, et dispose efficacement de notre cœur, par l’empire que sa majesté suprême a sur les volontés des hommes, aussi bien que sur le reste des créatures qui sont sous le ciel, selon saint Augustin.

§ 8. C’est encore selon ces principes que nous agissons de nous-mêmes ; ce qui fait que nous avons des mérites qui sont véritablement nôtres, contre l’erreur de Calvin, et que néanmoins, Dieu étant le premier principe de nos actions et faisant en nous ce qui lui est agréable, comme dit saint Paul, nos mérites sont des dons de Dieu, comme dit le Concile de Trente. »

Le Traité de la prédestination, dernier en date des Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 766 sq., expose les fondements théologiques de cette doctrine.

La Lettre sur la possibilité des commandements, dans les mêmes Écrits sur la grâce, explique comment, pour aller à Dieu, la grâce de la prière, qui précède toutes les autres, est nécessairement un don de Dieu, en suite duquel la volonté de l’homme peut obtenir les secours dont sa faiblesse a besoin.

Voir Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement final, 6, Rédaction inégalement élaborée, § 9-10, OC III, éd. J. Mesnard, p. 693-707. § 9. « Si nous trouvons que c'est un principe ferme dans saint Augustin, que non seulement les grandes actions sont des dons de Dieu, dont personne aujourd'hui ne doute plus, mais que la prière même et la foi, qui sont des moindres choses par lesquelles on adhère à Dieu, et sans lesquelles il est sûr qu'on le quitte, sont aussi des dons de la grâce, des effets et des ouvrages de la grâce et qu'elles ne se trouvent en personne que par l'opération expresse de la grâce, cela ne suffira-t-il pas pour montrer qu'on n'a jamais la prière que par une grâce qui fasse prier? [...] Et par conséquent, si saint Augustin et tous les Pères déclarent affirmativement que la prière est toujours un effet d'une grâce efficace, il s'ensuit nécessairement de cette affirmation universelle que ceux qui n'ont pas la prière n'ont pas un pouvoir prochain pour prier.

10. Donc pour montrer que tous ceux qui ne prient pas n'ont pas un pouvoir prochain de prier, il suffit de montrer que tous ceux qui prient, prient par une grâce efficace. Et c'est ce que nous trouvons dans tout saint Augustin, et pourquoi sont faits tous ses ouvrages sur la grâce, sans presque aucune exception. »

 

et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui,

 

Idée directrice de La nature est corrompue (Dossier de travail 34 et 35).

Voir la Lettre sur la possibilité des commandements, dans les Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 642 sq., qui montre que l’homme ne peut accomplir les commandements de Dieu s’il ne les secourt de sa grâce et s’il les délaisse (problème du double délaissement).

Le fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182) montre qu’une certaine humilité conduit à se juger indigne de la communication avec Dieu, mais que si elle est véritablement sincère, elle oblige à admettre que l’homme est capable de communication avec Dieu si Dieu s’abaisse jusqu’à lui et lui donne sa grâce : Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.

 

et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi‑même,

 

Ils entendent dire : écho de saint Paul, Épître aux Romains, X, 17, fides ex auditu. Voir ci-dessus.

 

mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu,

 

Sur la corruption de l’homme par le péché originel et sur la conséquence du péché, l’obscurcissement de l’esprit et l’affaiblissement de la volonté, voir Traité de la prédestination, III, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq. 

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 58 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 249 sq. Destruction de la première nature par le péché.

 

Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous.

 

Sur l’Incarnation, voir la liasse Preuves de Jésus-Christ.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008, p. 239 sq. Les clartés de l’Incarnation. « La vérité incréée et incarnée » : p. 239 sq.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 485-510. Pascal se représente l’Incarnation d’une manière « catastrophique ». Il voit dans l’existence de Jésus avant Pâques un avilissement de la divinité, une humiliation, un anéantissement. Le Christ ne s’est incarné que pour souffrir, à cause du péché des hommes. Pascal évoque continuellement la « bassesse » de « Dieu humilié » : p. 278. Voir Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273), Un Dieu humilié et jusqu’à la mort de la croix.

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 737 sq.

 

Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

 

Connaissance de leur devoir et de leur incapacité : écho de ce que Pascal a dit des sceptiques et des stoïciens, mais tourné vers le christianisme. Pascal a bien dit dans A P. R. qu’il faut que la véritable religion connaisse et les attributs de misère et les attributs de grandeur dans la nature de l’homme. Mais il remarque ici que les simples comprennent par une sorte de conscience immédiate du cœur les faiblesses que sa misère inflige à l’homme, et les devoirs que sa grandeur lui impose, toutes choses que les philosophes n’ont comprises que partiellement.