Fragment Divertissement n° 4 / 7 – Papier original : RO 139, 210, 209, 217-2 et 133

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Divertissement n° 186 p. 53 à 57 v° / C2 : p. 76 à 81

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVI - Misère de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 203-217 / 1678 n° 1 à 3 p. 198-211

Éditions savantes : Faugère II, 31, II / Havet IV.2 / Michaut 335 / Brunschvicg 139 / Tourneur p. 205-3 / Le Guern 126 / Lafuma 136 / Sellier 168

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Éclaircissements

 

 

 

Bibliographie

Analyse du texte de RO 139 : Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes,...

Analyse du texte de RO 210 (+++) : De là vient que le jeu et la conversation des femmes,...

Analyse du texte de RO 209 (A) : Et ainsi, quand on leur reproche que ce qu’ils recherchent avec tant d’ardeur ne saurait les satisfaire,...

Analyse du texte de RO 217-2 (B et D) et 133 (B et C) : Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui,...

 

 

 

Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse suffisent pour le divertir.

 

Sur le divertissement et l’ennui, voir

Thirouin Laurent, “Le cycle du divertissement”, Studi francesi, 143, 2004, p. 262-272.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 221.

 

D’où vient que cet homme qui a perdu son fils unique depuis peu de mois et qui est accablé de procès, de querelles et de tant d’affaires importantes qui le rendaient tantôt si chagrin n’y pense plus à présent. Ne vous en étonnez pas. Il est tout occupé à savoir par où passera ce sanglier que ses chiens poursuivent. Il n’en faut pas davantage pour chasser tant de pensées tristes. Voilà l’esprit de ce maître du monde tant rempli de ce seul souci. (texte barré)

 

Mais, direz‑vous, quel objet a‑t‑il en tout cela ? Celui de se vanter demain entre ses amis de ce qu’il a mieux joué qu’un autre. Ainsi les autres suent dans leur cabinet pour montrer aux savants qu’ils ont résolu une question d’algèbre qu’on n’aurait pu trouver jusqu’ici. Et tant d’autres s’exposent aux derniers périls pour se vanter ensuite d’une place qu’ils auront prise, aussi sottement à mon gré. Et enfin les autres se tuent pour remarquer toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais seulement pour montrer qu’ils les savent, et ceux‑là sont les plus sots de la bande, puisqu’ils le sont avec connaissance, au lieu qu’on peut penser des autres qu’ils ne le seraient plus s’ils avaient cette connaissance.

 

La science comme divertissement

 

Mersenne Marin, L’impiété des déistes, II, p. 116 sq. « Je voudrais lui faire goûter la joie que reçoit l’esprit quand il s’efforce de pénétrer ce qu’il n’entend pas, et qu’il passe les nuits entières pour comprendre ce qui est si éloigné de tous les sens, qu’il ne leur paraît rien qu’une perpétuelle impossibilité, comme vous pourrez voir dans les côtés de la parabole, qui s’approchent toujours de plus en plus de leur axe, et dans ceux de l’hyperbole, qui s’avoisinent perpétuellement de leur asymptote, sans jamais les pouvoir toucher, comme je vous dirai tantôt, quand je vous expliquerai vos difficultés touchant la parabole. Or les sens avec toutes leurs opérations ne sauraient comprendre comment il est possible que deux lignes, qui vont toujours s’approchant de plus en plus l’une de l’autre, ne se touchent jamais, encore qu’elles fussent tirées à l’infini : et néanmoins la raison le comprend très facilement, laquelle ne se plaît qu’aux choses difficiles, et relevées, qui surpassent toutes les choses corporelles, et toute sorte d’imagination. De là vient que quand elle a surmonté quelque grande difficulté, et qu’elle a compris quelque vérité fort abstruse, et difficile, au même instant qu’elle a pénétré la difficulté, et qu’elle sait ce qu’elle ignorait, elle perd ce grand contentement, qu’elle ressentait à la recherche de la difficulté. Ce qui montre clairement que l’âme raisonnable ne peut être en repos, ni parfaitement contente jusqu’à ce qu’elle contemple, et qu’elle possède une vérité infinie : assurez-vous qu’il n’y a que la privation de cette vérité, qui soit cause de l’inquiétude que nous ressentons dans nos esprits, lesquels seront très contents sans se soucier d’aucune chose, quand ils envisageront la vérité éternelle, qui sera la récompense des bienheureux : vérité qui rassasiera parfaitement l’esprit, mais qui n’ennuiera jamais. »

 

Une question d’algèbre

 

Pourquoi une question d’algèbre, et non de géométrie ?

Pascal considère que la géométrie est une discipline très formatrice. Dans ses dernières années, où il écrit à Fermat que la géométrie ne fait plus guère partie de ses occupations : « pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l’esprit ; mais en même temps je la connais pour si mutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n’est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l’appelle le plus beau métier du monde ; mais enfin ce n’est qu’un métier ; et j’ai dit souvent qu’elle est bonne pour faire l’essai, mais non pas l’emploi de notre force » (lettre du 10 août 1660).

Il ne renie pas là ce qu’il a écrit dans L’esprit géométrique, I, § 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 391 : « elle seule sait les véritables règles du raisonnement, et, sans s’arrêter aux règles des syllogismes qui sont tellement naturelles qu’on ne peut les ignorer, s’arrête et se fonde sur la véritable méthode de conduire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore, et qu’il est si avantageux de savoir que nous voyons par expérience qu’entre esprits égaux et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l’emporte et en acquiert une vigueur toute nouvelle. »

Il n’en va pas de même de l’algèbre. L’algèbre traîne après elle une réputation méritée d’obscurité et de difficulté. Cela tient en partie à ses origines, car les maîtres d’abaque et de calcul qui ont les premiers usé de notations symboliques pour mettre au point des méthodes de calcul commercial avaient intérêt à préserver leurs secrets pour ne pas voir leur science dévaluée. Même lorsque des savants humanistes ont mis à profit les méthodes de l’algèbre cossique, leur manières d’écrire et de raisonner demeuraient souvent difficilement accessibles, voire cabalistiques.

Peletier Du Mans, Algèbre, Lyon, De Tournes, 1554, Chapitre I. De l’invention et usage de l’algèbre et de ceux qui en ont écrit, p. 3, parle des découvertes de Cardan, très ingénieuses, mais estime ses démonstrations laborieusement, confusément et obscurément cherchées. Pourtant « il a mis toute la peine qu’il a pu, de réduire l’art en sa simplicité » : p. 3. Quant aux algébristes, « je dirai de tous ensemble, qu’ils ont eu peu d’égard à la méthode et ordonnance » : p. 4.

Stevin Simon, Arithmétique, Œuvres, p. 7-8, adresse un reproche analogue aux caractères algébriques dits à l’époque cossiques : « l’opération par iceux caractères est obscure, laborieuse, et ennuyeuse (parce que telles figures ne nous signifient pas vulgairement ce qu’ils dénotaient aux Arabes) », alors que la notation de Stevin la rend « claire, légère et plaisante » ; que « les caractères 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 0. (en respect de plusieurs autres marques signifiant nombres) sont seulement brèves, mais nécessaires ; voire il semble que, sans leur convenable et naturel ordre, il eût été impossible à l’homme de parvenir aux secrets d’Arithmétique qu’il a acquis. »

Descartes aussi porte sur l’algèbre tel qu’il l’a connue et pratiquée un jugement sévère : voir Costabel Pierre, Descartes savant, p. 40 sq. D’après les Regulae IV et XVI, « un certain genre d’arithmétique » « fleurit », qui « accomplit touchant les nombres ce que les anciens faisaient touchant les figures ». Il renvoie à l’Arithmétique de Stevin, « contenant les computations des nombres arithmétiques ou vulgaires, aussi l’algèbre » : p. 41. L’algèbre est ici l’art du calcul sur les puissances, dans lequel les figures employées par les anciens, carrés, cubes, etc., sont remplacées par des « marques » numériques, et l’emploi de ces marques est déclaré justifier le nom d’algèbre du fait que les Arabes sont à la fois inventeurs des signes numériques et du calcul symbolique. Mais ce qui rend l’algèbre difficile, même aux mathématiciens, c’est qu’à l’époque, les notations symboliques ne sont pas unifiées, et que chaque algébriste a ses symboles particuliers, que les autres ne peuvent pas toujours comprendre. l’algèbre souffre d’une prolifération dans la nomenclature des nombres ; il faudrait selon Descartes la débarrasser « de la multitude des nombres et des figures inexplicables qui le ruinent ». C’est précisément à quoi Descartes s’attache dans sa Géométrie. Voir dans Cajori Florian, A history of mathematical notations, Dover, New York, 1993, le relevé de ces notations, et dans Serfati Michel, La révolution symbolique. La constitution de l’écriture symbolique mathématique, Paris, Petra, 2005, une étude de fond de leur évolution.

Plus tard encore, le P. Lamy Bernard, Éléments des mathématiques, Première partie, Section troisième, Chapitre I, p. 60 sq., admet que, entre l’algèbre primitive qui usait des nombres cossiques (Ce mot vient de l’italien cosa, c’est-à-dire chose, qui désignait l’inconnue cherchée pour résoudre un problème), et l’algèbre moderne, dite spécieuse, parce que ce sont les espèces ou formes des choses mêmes qu’on désigne par lettres, de grands progrès ont été accomplis en clarté : « Depuis qu’on s’y sert des lettres de l’alphabet, elle n’a rien que d’aisé ». Mais il avoue tout de même « que d’abord on a peine à se faire à ce calcul ».

En tout cas, le sens de science incompréhensible demeure vivant jusqu’à la fin du XVIe siècle. Voir le Dictionnaire de l’Académie. Algèbre : science des grandeurs en général. C’est de l’algèbre pour lui : une personne ne comprend rien à quelque chose.

 

Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant tous les jours peu de chose. Donnez‑lui tous les matins l’argent qu’il peut gagner chaque jour, à la charge qu’il ne joue point, vous le rendez malheureux. On dira peut‑être que c’est qu’il recherche l’amusement du jeu et non pas le gain. Faites‑le donc jouer pour rien, il ne s’y échauffera pas et s’y ennuiera. Ce n’est donc pas l’amusement seul qu’il recherche, un amusement languissant et sans passion l’ennuiera, il faut qu’il s’y échauffe et qu’il se pipe lui‑même en s’imaginant qu’il serait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu’il se forme un sujet de passion et qu’il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour l’objet qu’il s’est formé, comme les enfants qui s’effraient du visage qu’ils ont barbouillé.

 

Une expérience plus complexe détermine la nature du divertissement. Imaginons un joueur auquel nous enlevons d’abord le droit de jouer en lui accordant l’argent équivalent à son gain éventuel : Vous le rendez malheureux. Supprimons ensuite le gain en le laissant jouer : la partie ne l’intéressera plus. Donc le gain et le suspens sont nécessaires ensemble au divertissement. On comprend le phénomène plus finement : l’homme ne veut pas effectivement l’objet qu’il poursuit, mais un objet à la limite quelconque pour pouvoir s’obnubiler dans une poursuite qui lui fasse oublier sa misère.

Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal, p. 66-67. Port-Royal remplace se pipe par se pique. La variante se trouve dans les Copies.

Montaigne, Essais, I, IV. Se piper soi-même.

Laf. 779, Sel. 643. Les enfants qui s’effrayent du visage qu’ils ont barbouillé. Ce sont des enfants ; mais le moyen que ce qui est si faible étant enfant soit bien fort étant plus âgé ! on ne fait que changer de fantaisie. Tout ce qui se perfectionne par progrès périt aussi par progrès. Tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort. On a beau dire : il est crû, il est changé, il est aussi le même.

Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 308.

Le passage est conçu comme une expérience analogue à celle du roi auquel on retire son divertissement, mais d’une structure plus complexe. Ce n’est pas un seul facteur, mais deux successivement que Pascal supprime ; paradoxalement, quoique dans les deux cas ce soient deux éléments différents qui sont supprimés, le résultat est le même : en supprimant le jeu et en conservant l’argent, on plonge le joueur dans l’ennui, ce que le joueur recherche n’est donc pas l’argent seul ; en supprimant l’argent et en conservant le jeu, on plonge aussi le joueur dans l’ennui, et ce n’est donc pas le jeu à lui seul qui soutient le joueur. Par conséquent il faut le concours des deux éléments pour que le divertissement lui permette de s’exalter.

 

D’où vient que cet homme, qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé de procès et de querelles était ce matin si troublé, n’y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez pas, il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d’ardeur depuis six heures. Il n’en faut pas davantage. 

 

Une troisième expérience introduit un facteur nouveau : le temps. Soit un homme accablé de procès ; on lui fait chasser le sanglier quelques heures : « Le voilà heureux pendant ce temps-là. » Donc le bonheur assuré par le divertissement est limité au temps qu’il dure. Il doit donc être toujours renouvelé pour rester efficace, quitte à changer constamment d’objet, dans un cycle sans issue. C’est ainsi qu’on fait les carrières politiques.

Cousin Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Quatrième série, Littérature, tome I, Paris, Pagnerre, 1849, p. 244.

Laf. 522, Sel. 453. Cet homme si affligé de la mort de sa femme et de son fils unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente, d’où vient qu’à ce moment il n’est point triste et qu’on le voit si exempt de toutes ces pensées pénibles et inquiétantes ? Il ne faut pas s’en étonner. On vient de lui servir une balle et il faut qu’il la rejette à son compagnon. Il est occupé à la prendre à la chute du toit pour gagner une chasse. Comment voulez-vous qu’il pense à ses affaires ayant cette autre affaire à manier ? Voilà un soin digne d’occuper cette grande âme et de lui ôter toute autre pensée de l’esprit. Cet homme né pour connaître l’univers, pour juger de toutes choses, pour régler tout un État, le voilà occupé et tout rempli du soin de prendre un lièvre. Et s’il ne s’abaisse à cela et veuille toujours être tendu il n’en sera que plus sot, parce qu’il voudra s’élever au-dessus de l’humanité et il n’est qu’un homme au bout du compte, c’est-à-dire capable de peu et de beaucoup, de tout et de rien. Il n’est ni ange ni bête, mais homme. (Fragment barré.)

Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal, p. 78. Port-Royal remplace le sanglier par un cerf. Le sanglier est cependant plus intéressant, car c’est un animal dangereux.

Thirouin Laurent, “Se divertir, se convertir”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 302-303.

 

L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps‑là. Et l’homme, quelque heureux qu’il soit, s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de joie. Avec le divertissement il n’y a point de tristesse. Et c’est aussi ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition qu’ils ont un nombre de personnes qui les divertissent, et qu’ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état.

 

Le thème était annoncé dès la liasse Vanité. Voir Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70). Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir.

Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.

C’est aussi ce qui ressort de l’exemple du roi, qui sans divertissement n’est qu’un homme plein de misères.

François de Sales, Introduction à la vie dévote, IV, XII, éd. Pléiade, p. 274. De la tristesse ; tristesse selon Dieu, tristesse selon les hommes.

 

Prenez‑y garde, qu’est‑ce autre chose d’être surintendant, chancelier, premier président, sinon d’être en une condition où l’on a le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux‑mêmes ? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu’on les renvoie à leurs maisons des champs, où ils ne manquent ni de biens, ni de domestiques pour les assister dans leur besoin, ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de songer à eux.

 

Montaigne, Essais, I, XXXIX. « Notre mort ne nous faisait pas assez de peur, chargeons-nous encore de celle de nos femmes, de nos enfants, et de nos gens. Nos affaires ne nous donnaient pas assez de peine, prenons encore à nous tourmenter et rompre la tête de ceux de nos voisins et amis. »

Surintendance : charge qui donne un pouvoir général d’ordonner des finances du roi. On le dit aussi de la première charge chez le reine, qui donne un pouvoir général pour l’administration de la maison. Sur les différentes charges de surintendance, voir Bluche François, Dictionnaire du grand siècle, art. Surintendance, p. 1492.

Chancelier : voir Raisons des effets 6 (Laf. 87, Sel. 121).

Premier président : Président se dit le plus souvent d’un officier créé pour présider toujours à une compagnie. Ex. : le premier président du parlement, de la chambre des comptes, de la cour des aides.

Disgrâce : voir Bluche François, Dictionnaire du grand siècle, art. Disgrâce, p. 484. Furetière définit la disgrâce comme une « diminution perte de faveur. L’enfer des courtisans est l’éloignement de la cour, la disgrâce du prince ». Disgrâcer (sic), c’est éloigner de soi une personne, lui retirer la faveur et la protection qu’on lui donnait.

 

Le divertissement est une chose si nécessaire aux gens du monde qu’ils sont misérables sans cela. Tantôt un accident leur arrive, tantôt ils pensent à ceux qui leur peuvent arriver, ou même quand ils n’y penseraient pas et qu’ils n’auraient aucun sujet de chagrin, l’ennui de son autorité privée ne laisse pas de sortir du fonds du cœur où il a une racine naturelle et remplir tout l’esprit de son venin. (texte barré)

 

Le conseil qu’on donnait à Pyrrhus de prendre le repos qu’il allait chercher par tant de fatigues, recevait bien des difficultés.

 

Plutarque, Vies des hommes illustres, Pyrrhus, VII, ch. XXIX-XXXI, éd. G. Walter, Pléiade, I, p. 883-884. Cinéas était, « en la cour de Pyrrhus » un « homme de bon entendement ». [XXX] : « Voyant que Pyrrhus était fort affecté à cette guerre d’Italie, le trouvant un jour de loisir, le mit en tels propos : « L’on dit, sire, que les Romains sont fort bons hommes de guerre, et qu’ils commandent à plusieurs vaillantes et belliqueuses nations ; si donc les dieux nous font la grâce d’en venir au-dessus, à quoi nous servira cette victoire ? » Pyrrhus lui répondit : « Tu me demandes une chose qui est de soi-même tout évidente ; car, quand nous aurons dompté les Romains, il n’y aura plus en tout le pays cité grecque ni barbare qui nous puisse résister ; mais conquerrons incontinent sans difficulté tout le reste de l’Italie, la grandeur, bonté, richesse et puissance de laquelle personne ne doit mieux savoir ni connaître que toi-même. Cinéas, faisant un peu de pause, lui répliqua : « Et quand nous aurons pris l’Italie, que ferons-nous puis après ? » Pyrrhus, ne s’apercevant par encore où il voulait venir, lui dit : « La Sicile, comme tu sais, est tout joignant, qui nous tend les mains, par manière de dire, est une île riche, puissante, et abondante de peuple, laquelle nous sera très facile à prendre, parce que toutes les villes sont en dissension les unes contre les autres, n’ayant point de chef qui leur commande, depuis qu’Agathoclès est décédé, et n’y a que des orateurs qui prêchent le peuple, lesquels seront fort faciles à gagner. – Il y a grande apparence en ce que tu dis, répondit Cinéas ; mais quand nous aurons gagné la Sicile, sera-ce la fin de notre guerre ? – Dieu nous fasse la grâce, répondit Pyrrhus, que nous puissions atteindre à cette victoire, et venir à bout de cette entreprise ; parce que ce nous sera une entrée pour parvenir à bien plus grandes choses. Car qui se tiendrait de passer puis après en Afrique et à Carthage, qui seront conséquemment en si belle prise, vu qu’Agathoclès s’en était secrètement fui de Syracuse, et ayant traversé la mer avec bien peu de vaisseaux, fut bien près de la prendre, et quand nous aurons conquis et gagné tout cela, il est bien certain qu’il n’y aura plus pas un des ennemis qui nous fâchent et qui nous harcèlent maintenant, qui ose lever la tête contre nous. – Non certes, répondit Cinéas ; car il est tout manifeste qu’avec si grosse puissance nous pourrons facilement recouvrer le royaume de Macédoine, et commander sans contradiction à toute la Grèce ; mais quand nous aurons tout en notre puissance, que ferons-nous à la fin ? » Pyrrhus adonc se prenant à rire, « Nous nous reposerons, dit-il, à notre aise, mon ami, et ne ferons plus autre chose que faire festins tous les jours, et nous entretenir de plaisants devis les uns avec les autres, le plus joyeusement et en la meilleure chère qu’il nous sera possible. » Cinéas adonc, l’ayant amené à ce point, lui dit : « Et qui nous empêche, sire, de nous reposer dès maintenant, et de faire bonne chère ensemble, puisque nous avons tout présentement, sans plus nous travailler, ce que nous voulons aller chercher, avec tant d’effusion de sang humain, et tant de dangers ? encore ne savons-nous si nous y parviendrons jamais, après que nous aurons souffert, et fait souffrir à d’autres des maux et travaux infinis ». [XXXI] Ces dernières paroles de Cinéas offensèrent plutôt Pyrrhus qu’elles ne lui firent changer de volonté ; car il entendait bien quel heur et quelle félicité il abandonnait, mais il ne pouvait ôter de son entendement l’espérance de ce qu’il désirait » (tr. Amyot).

L’anecdote est reprise dans Montaigne, Essais, I, XLII, De l’inéqualité qui est entre nous, éd. Pléiade, p. 289. « Quand le roi Pyrrhus entreprenait de passer en Italie, Cinéas son sage conseiller lui voulant faire sentir la vanité de son ambition : Et bien Sire, lui demanda-il, à quelle fin dressez-vous cette grande entreprise ? Pour me faire maître de l’Italie, répondit-il soudain : Et puis, suivit Cinéas, cela fait ? Je passerai, dit l’autre, en Gaule et en Espagne : Et après ? Je m’en irai subjuguer l’Afrique, et enfin, quand j’aurai mis le monde en ma subjection, je me reposerai et vivrai content et à mon aise. Pour Dieu, Sire, rechargea lors Cinéas, dites-moi, à quoi il tient que vous ne soyez dès à présent, si vous voulez, en cet état ? Pourquoi ne vous logez vous dès cette heure, où vous dites aspirer, et vous épargnez tant de travail et de hasard, que vous jetez entre deux ? »

Une version parodique de cette histoire est présentée par Rabelais, Gargantua, XXXIII, dans le conseil de guerre de Picrochole. Pascal connaissait sans doute ce texte.

Boileau, Epître I, OC, Pléiade, p. 104-105.

Boullier, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XXIII-XXXVII, p. 72. Défense de l’exemple contre Voltaire, en remontant à la source, les Épîtres de Boileau, et Plutarque.

 

Dire à un homme qu’il soit en repos, c’est lui dire qu’il vive heureux. C’est lui conseiller d’avoir une condition toute heureuse et laquelle puisse considérer à loisir, sans y trouver sujet d’affliction.

Aussi les hommes qui sentent naturellement leur condition n’évitent rien tant que le repos, il n’y a rien qu’ils ne fassent pour chercher le trouble.

Ainsi on se prend mal pour les blâmer ; leur faute n’est pas en ce qu’ils cherchent le tumulte. S’ils ne le cherchaient que comme un divertissement, mais le mal est qu’ils le recherchent comme si la possession des choses qu’ils recherchent les devait rendre véritablement heureux, et c’est en quoi on a raison d’accuser leur recherche de vanité de sorte qu’en tout cela et ceux qui blâment et ceux qui sont blâmés n’entendent la véritable nature de l’homme. (texte barré)

 

La vanité : le plaisir de la montrer aux autres. (en marge du texte barré)

 

Pour approfondir…

 

Critiques et objections à la théorie du divertissement

 

Voltaire, Lettres philosophiques, éd. O. Ferret et A. McKenna, Paris, Garnier, 2010, p. 176-177. Contre la critique pascalienne du divertissement, qui prive l’homme de l’espérance, qui est son instinct pour améliorer sa condition.

Rousseau Jean-Jacques, Rousseau juge de Jean-Jacques, II, OC I, p. 814. « Faible ressource, allez-vous dire, que des visions contre une grande adversité ! Eh Monsieur, ces visions ont plus de réalité peut-être que tous les biens apparents dont les hommes sont tant de cas, puisqu’ils ne portent dans l’âme un vrai sentiment de bonheur, et que ceux qui les possèdent sont également forcés de se jeter dans l’avenir faute de trouver dans le présent des jouissances qui les satisfassent. »

Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien. Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1995, p. 177 sq. Avec le raisonnement de Pascal, toute activité humaine, y compris celles qui sont utiles à la vie, est illicite. Pascal ne s’adresse qu’à un monde de privilégiés.

Lefebvre Henri, “Divertissement pascalien et aliénation humaine”, in Blaise Pascal. L’homme et l’œuvre, Paris, Éd. de Minuit, 1956, p. 196-203. Pascal détourne par la doctrine du divertissement les jeunes énergies du travail qui les libérerait de l’aliénation qu’ils subissent. La théorie du divertissement détourne la jeunesse de se syndiquer.

Voir sur ce point la réponse de J. Mesnard à H. Lefebvre in Blaise Pascal. L’homme et l’œuvre, Paris, Éd. de Minuit, 1956, p. 204 : la théorie du divertissement a une valeur descriptive et non prescriptive.

 

Échos modernes de la description pascalienne du divertissement

 

L’analyse de Pascal a reçu des échos dans la pensée du XXe siècle : l’engagement politique, puis esthétique d’André Malraux, la fraternité virile, qui lui semblent permettre à l’homme de dépasser sa condition faible et solitaire, ne sont-ils pas une sorte de divertissement nécessaire dans le désespoir de l’athéisme ?

Voir Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682). Comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée : l’attitude du divertissement est précisément ce que Sartre appelle mauvaise foi. La mauvaise foi, selon L’être et le néant, p. 87, est mensonge à soi ; la dualité du trompeur et du trompé n’y a pas lieu : la conscience s’affecte elle-même de mauvaise foi. « Je dois savoir très précisément cette vérité pour me la cacher plus soigneusement ». « On peut vivre dans la mauvaise foi [...] mais (cela) implique un style de vie constant et particulier » : p. 88. Les conduites de mauvaise foi : p. 94 sq. « La mauvaise foi est un type d’être dans le monde, comme la veille ou le rêve, qui tend par lui-même à se perpétuer » : p. 109.