Fragment Divertissement n° 7 / 7 – Papier original : RO 217-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Divertissement n° 192 p. 59-59 v° / C2 : p. 83-84

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVI - Misère de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 202-203 / 1678 n° 1 p. 197-198

Éditions savantes : Faugère II, 31, I / Havet IV.1 / Michaut 460 / Brunschvicg 143 / Tourneur p. 205-3 (voir p. 213) / Le Guern 129 / Lafuma 139 / Sellier 171

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXVI - Misère de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 202-203 / 1678 n° 1 p. 195-198

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

  

 Rien n’est plus capable de nous faire entrer dans la connaissance de la misère des hommes, que de considérer la cause véritable de l’agitation perpétuelle dans laquelle ils passent toute leur vie.

L’âme est jetée dans le corps pour y faire un séjour de peu de durée. Elle sait que ce n’est qu’un passage à un voyage éternel, et qu’elle n’a que le peu de temps que dure la vie pour s’y préparer. Les nécessités de la nature lui en ravissent une très grande partie. Il ne lui en reste que très peu, dont elle puisse disposer. Mais ce peu qui lui reste l’incommode si fort, et l’embarrasse si étrangement, qu’elle ne songe qu’à le perdre. Ce lui est une peine insupportable d’être obligée de vivre avec soi, et de penser à soi. Ainsi tout son soin est de s’oublier soi-même, et de laisser couler ce temps si court et si précieux sans réflexion, en s’occupant de choses qui l’empêchent d’y penser.

C’est l’origine de toutes les occupations tumultuaires des hommes, et de tout ce qu’on appelle divertissement ou passe-temps, dans lesquels on n’a en effet pour but que d’y laisser passer le temps, sans le sentir, ou plutôt sans se sentir soi-même, et d’éviter en perdant cette partie de la vie l’amertume et le dégoût intérieur qui accompagnerait nécessairement l’attention que l’on ferait sur soi-même durant ce temps-là. L’Âme ne trouve rien en elle qui la contente. Elle n’y voit rien qui ne l’afflige, quand elle y pense. C’est ce qui la contraint de se répandre au-dehors, et de chercher dans l’application aux choses extérieures, à perdre le souvenir de son état véritable. Sa joie consiste dans cet oubli ; et il suffit pour la rendre misérable, de l’obliger de se voir, et d’être avec soi.

On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leurs biens, et même du bien et de l’honneur de leurs parents et de leurs amis. On les accable de l’étude des langues, des sciences, des exercices, et des arts. On les charge d’affaires : on leur fait entendre, qu’ils ne sauraient être heureux, s’ils ne font en sorte par leur industrie et par leur soin, que leur fortune, leur honneur, et même la fortune et l’honneur de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule de ces choses qui manque les rend malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux. Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Demandez-vous ce qu’on pourrait faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins. Car alors ils se verraient, et ils penseraient à eux-mêmes ; et c’est ce qui leur est insupportable. Aussi après s’être chargés de tant d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, ils tâchent encore de le perdre à quelque divertissement qui les occupe tous 2 entiers, et les dérobe à eux-mêmes.

 

[Texte issu de Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168) + glose]

[Texte issu de Divertissement 5 (Laf. 137, Sel. 169)]

[Texte issu de Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168) + glose]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Divertissement.

 

On charge les hommes, dès l’enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis. On les accable d’affaires, de l’apprentissage des langues et d’exercices. Et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz‑vous, une étrange manière de les rendre heureux. Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont. Et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner, et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, à jouer et à s’occuper toujours tout entiers.

 

Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure.

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 L’original et les Copies portent tous entiers ; les éditeurs modernes donnent tout entiers. L’édition de 1678 corrige en « tout ».

 

Commentaire

 

Le premier texte du chapitre Misère de l’homme a été construit à partir de plusieurs fragments de la liasse Divertissement et de commentaires non pascaliens (voir ci-dessus). Ces commentaires sont très vraisemblablement dus à Pierre Nicole : le style et les pensées de l’introduction sont très proches des Essais de morale.

Leurs biens : la différence avec la lecture de l’original (au singulier) provient des Copies C1 et C2.

Le texte proposé en marge par Pascal n’a pas été retenu dans l’édition.