Fragment Ennui n° 2 / 3 – Papier original : RO 81-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ennui n° 105 p. 27 / C2 : p. 45

Éditions savantes : Faugère II, 79, I / Havet XXV.81 / Brunschvicg 126 / Tourneur p. 181-7 / Le Guern 73 / Lafuma 78 / Sellier 113

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

ARNAULD D’ANDILLY Robert, Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur où sont établis les véritables fondements des vertus chrétiennes, selon la doctrine de saint Augustin, prononcé par Cornelius Jansénius Évêque d’Ipre, p. 52 sq.

ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La logique, II, XVI, éd. Clair et Girbal, p. 165 sq.

CONRIUS Florent, Abrégé de la doctrine de saint Augustin touchant la grâce, par Florent Conrius. Traduit de son livre intitulé Peregrinus Jerichuntinus, Paris, 1645.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux Duculot, 1970, p. 100-101.

PATILLON Michel, Éléments de rhétorique classique, Paris, Nathan, 1990, p. 150.

RAMUS Pierre, Institutionum dialecticarum libri tres, 1550, p. 154 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Description de l’homme.

 

Description

 

Le mot semble être un hapax dans les Pensées. Mais c’est un terme technique, qui désigne une forme rhétorique de la définition moins rigoureuse que la définition nominale ou la définition essentielle.

Patillon Michel, Éléments de rhétorique classique, Paris, Nathan, 1990, p. 150. La description est un énoncé qui dessine et met sous les yeux avec évidence ce qu’il montre. On décrit des personnes, des actions, des choses, des temps, des lieux, des animaux ou des plantes. On a une description double, si on décrit deux de ces objets à la fois, par exemple si on décrit une bataille de nuit, car la bataille est une action et la nuit une circonstance de temps. On décrit les personnes en allant de la tête aux pieds ; les actions en disant ce qui les a précédées, puis les actions elles-mêmes, puis ce qui s’en est suivi ; les temps et les lieux en montrant ce qui les entoure et ce qui s’y trouve compris.

Ramus Pierre, Institutionum dialecticarum libri tres, 1550, p. 154 sq. : « Cum vero reliquis etiam argumentis utimur ad explicandum quid sit quod quaeritur, descriptio nominatur, eaque interdum brevitate par superiori » (i. e. à la définition). « Descriptio a Graecis dicitur katagraphè » : p. 158, n. 7. « Descriptionis duo sunt genera, unum brevius, et paucioribus verbis comprehensum ; alterum longius, id est minus breve : nam in utroque genere brevitatem inesse volumus, quae nihil supervacuum esse patiatur : sed ubi minus est verborum, breviorem : ubi plus est, longiorem, id est, minus brevem descriptionem appellamus » : n. 8. On peut aussi trouver des indications sur la description dans Ramus Pierre, Dialectique, p. 59.

Fonseca, Institutionum dialecticarum libri, p. 126.

Le terme est repris dans la Logique de Port-Royal : voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, II, XVI, éd. Clair et Girbal, p. 165 sq. « La définition moins exacte qu’on appelle description est celle qui donne quelque connaissance d’une chose par les accidents qui lui sont propres, et qui la déterminent assez pour en donner quelque idée qui la discerne des autres ». Il existe des descriptions par les causes, par la matière, la forme, la fin. Kibedi-Varga A., Rhétorique et littérature, p. 39, cite la Logique.

Furetière indique que le mot est proche de dénombrement. La description peut en effet être définie comme le dénombrement des qualités d’un sujet. Cela correspond assez bien à la forme du fragment de Pascal.

Mariotte, Essai de logique, II, I, éd. Picolet, p. 55. « Quelques uns appellent description la définition par la figure, et nient que ce soit une définition. Cependant les géomètres ont appelé définitions les descriptions du carré, du triangle, de la sphère, etc. Et il y a beaucoup de choses dont la figure ou l’usage est la qualité essentielle, comme une table, une scie, un marteau ; c’est pourquoi il faut les définir par la description de leur figure, ou par leur usage, et même quelquefois par leur matière ».

 

Le mot description a pris un sens différent dans la logique et dans l’épistémologie modernes.

Pariente Jean-Claude, L’analyse du langage…, p. 200 sq. Acception différente, correspondant à celle de Russell, comme expression dénotant un objet comme le seul qui satisfasse une condition donnée. Le sens à Port-Royal : p. 200. Présentées comme une variété particulière de termes complexes, et comme engendrées par la procédure d’addition qui caractérise le mode de formation des idées totales à partir des idées élémentaires.

Hempel, Éléments d’épistémologie, p. 135. La définition descriptive : “x a la même signification que y”. Elle a pour but d’analyser la signification admise d’un terme, et de la décrire avec d’autres termes, dont la signification doit être comprise. Elle peut donc être vraie ou fausse, et plus ou moins exacte : p. 135.

 

Dépendance, désir d’indépendance,

 

Le fragment Laf. 622, Sel. 515, fait du sentiment de la dépendance une conséquence directe de l’absence de divertissement et d’application : Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. La suite relie directement cette description à la notion de l’ennui, qui est le sujet de la liasse : Incontinent il sortira du fond de son âme, l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.

La dépendance est la condition naturelle de l’homme avant le péché : il dépend de Dieu, mais cette dépendance n’est pas humiliante, ni source de désespoir.

Le désir d’indépendance est lié au péché originel, à la concupiscence de la volonté, la libido dominandi, l’orgueil. Cela lie ce fragment directement au précédent. Voir le Traité de la prédestination, III, § 6 : « Adam tenté par le Diable succomba à la tentation, se révolta contre Dieu, enfreignit ses préceptes, voulut être indépendant de Dieu et égal à lui. » Le désir d’indépendance est à la racine du péché originel.

C’est ce que la Sagesse de Dieu rappelle dans la prosopopée de A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Mais, vous n’êtes plus maintenant en l’état où je vous ai formés. J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait, je l’ai rempli de lumière et d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent. Mais il n’a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même et indépendant de mon secours. Il s’est soustrait de ma domination et s’égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même je l’ai abandonné à lui, et révoltant les créatures qui lui étaient soumises, je les lui ai rendues ennemies, en sorte qu’aujourd’hui l’homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi qu’à peine lui reste-t-il une lumière confuse de son auteur, tant toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées. Les sens indépendants de la raison et souvent maîtres de la raison l’ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l’affligent ou le tentent, et dominent sur lui ou en le soumettant par leur force ou en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination plus terrible et plus injurieuse.

Arnauld d’Andilly Robert, Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur où sont établis les véritables fondements des vertus chrétiennes, selon la doctrine de saint Augustin, prononcé par Cornelius Jansénius Évêque d’Ipre, p. 52 sq. « La raison de cela est qu’il y a un désir d’indépendance gravé dans le fonds de l’âme, et caché dans les replis les plus cachés de la volonté, par lequel elle se plaît à n’être qu’à soi, et à n’être point soumise à un autre, non pas même à Dieu. Si nous n’avons point cette inclination, nous n’aurions point de difficulté à accomplir ses commandements ; et l’homme eût rejeté sans peine ce désir d’indépendance lorsqu’il le conçut la première fois. Étant visible qu’il n’a désiré autre chose dans son péché, sinon de n’être plus dominé de personne, puisque la seule défense de Dieu qui avait la domination sur lui, devait l’empêcher de commettre le crime qu’il a commis » : p. 54-55.

S’il n’y avait eu le péché, l’homme ne se serait pas trouvé réduit à la dépendance : voir Conrius Florent, Abrégé de la doctrine de saint Augustin touchant la grâce, par Florent Conrius. Traduit de son livre intitulé Peregrinus Jerichuntinus, Paris, 1645, p. 8-9. « Que si la nature humaine eût subsisté dans cet état (sc. celui d’Adam innocent), il n’y eût point eu de prédestination des hommes, parce qu’ils eussent été élevés à la gloire par leur mérite ; et par leur propre choix, comme les anges, non par l’élection gratuite de Dieu. Et ainsi ils eussent puisé d’eux-mêmes leurs bonnes actions, et leur foi actuelle, agissant par leur propre force, aidés seulement de cette grâce qui les devait accompagner, mais ils ne les eussent point reçues d’un don particulier de Dieu, et des influences de sa pure miséricorde, c’est-à-dire qu’il y eût eu prescience de Dieu, et non pas prédestination à l’égard des hommes ».

La dépendance de l’homme après le péché est humiliante, parce qu’elle asservit l’homme à des créatures dans lesquels il met son souverain bien, créatures qui lui sont inférieures et dont l’inconstance ne peut manquer de rendre l’homme malheureux. « [Dieu] seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien tout également peut lui paraître tel jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble. »

La liasse Ennui annonce donc a contrario la liasse Souverain bien.

 

Besoins.

 

Besoin signifie nécessité ; mais aussi circonstance difficile, critique, péril. On trouve dans Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 100-101, un commentaire du mot besoin.

L’emploi de ce terme conduit à définir l’homme comme un être auquel manque quelque chose. Ce thème annonce l’interprétation romantique et existentialiste de Pascal.

Besoin vient plusieurs fois dans le fragment sur les trois ordres, Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). Mais le mot y est employé pour ainsi dire à contre-biais, dans la mesure où Pascal s’en sert pour signaler que chaque ordre supérieur n’a pas besoin de ce qui appartient aux ordres qui lui sont inférieurs.