Fragment Ennui n° 3 / 3 – Papier original :  RO 469-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ennui n° 106 p. 27 / C2 : p. 45

Éditions savantes : Faugère II, 42, XI / Havet XXV.79 / Brunschvicg 128 / Tourneur p. 181-8 / Le Guern 74 / Lafuma 79 / Sellier 114

 

 

 

L’ennui qu’on a de quitter les occupations où l’on s’est attaché. Un homme vit avec plaisir en son ménage. Qu’il voie une femme qui lui plaise, qu’il joue cinq ou six jours avec plaisir, le voilà misérable s’il retourne à sa première occupation. Rien n’est plus ordinaire que cela.

 

 

 

La présence de ce texte dans la liasse Ennui s’explique par les deux idées principales que Pascal y développe.

En premier lieu, le fragment traite de la manière dont on peut perdre le goût de ce que l’on a aimé pendant longtemps, à la suite d’une circonstance insignifiante : l’ennui est en l’occurrence une forme laïcisée de l’acédie, ce sentiment de lassitude et de dégoût devant toute chose, cet état dépressif qui rend l’homme misérable (voir notre commentaire sur la liasse Ennui).

Le second élément important du texte est l’insistance sur le caractère ordinaire de cet ennui : il ne s’agit pas d’un sentiment préromantique d’angoisse, qui ne survient que chez des êtres aussi exceptionnels que le René de Chateaubriand, mais d’un sentiment qui peut surgir chez le premier venu qui aura vécu jusque là heureux dans les bornes étroites de son ménage.

Le rapprochement de ce fragment avec le fragment Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70) montre comment Pascal entend concrètement l’expression ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui : le jeu et les femmes font partie des divertissements, qui, une fois qu’on les a ôtés, engendrent l’ennui et le dégoût de tout le reste.

Ce fragment montre par quel biais l’observation du moraliste peut s’intégrer dans le fil argumentatif de l’apologie que Pascal prépare : cette « remarque » qui pourrait venir sous la plume de La Bruyère comme une simple observation sur les mœurs de ce temps, prend tout son relief entre la liasse Misère qui précède, et le temps de renversement du pour au contre qui va établir, dans la liasse Grandeur, que la nature de l’homme ne mérite pas ce dégoût.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 12 (Laf. 24, Sel. 58). Condition de l’homme. Inconstance, ennui, inquiétude.

Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70). Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même.

Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir ?

Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui.

Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable aussitôt qu’on est réduit à se considérer et à n’en être point diverti.

 

Mots-clés : AttachementEnnui – Femme – HommeJeuMisèreOccupationOrdinaire.