Fragment Excellence n° 5 / 5  – Papier original : RO 416-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Excellence n° 243 p. 85 v° / C2 : p. 113

Éditions de Port-Royal : Chapitre XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670 p. 155 / 1678 n° 2 p. 153

Éditions savantes : Faugère II, 315, V / Havet XXII.5 / Brunschvicg 527 / Tourneur p. 233-4 / Le Guern 181 / Lafuma 192 / Sellier 225

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Bibliographie

 

 

ICARD Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010, p. 420.

MEURILLON Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, Équinoxe, 6, Rinsen-Books, 1990, p. 49-68.

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 67 sq.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Paris, Champion, 1999, p. 70 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010, p. 420. Les deux premières phrases du fragment sont la reprise d’un passage du sermon 37 sur le Cantique des cantiques : « comme la connaissance de nous-mêmes produit en nous [la crainte] de Dieu, et la connaissance de Dieu l’amour de lui-même ; au contraire l’ignorance de nous-mêmes produit l’orgueil, et l’ignorance de Dieu le désespoir ».

La dernière phrase peut être considérée comme un prolongement que Pascal donne aux deux premières propositions, inspirées de saint Bernard.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 67 sq.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 70 sq. Rapport de l’esquisse de Préface du fragment Laf. 781, Sel. 644 avec la liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu.

 

La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil.

 

Le fragment Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221) dit déjà que ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés. Il s’agit, dans l’esprit de Pascal, des platoniciens et des stoïciens. Voir Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 505, sur le cas historique des platoniciens, constamment célébrés par saint Augustin, lorsqu’il commente la Lettre aux Romains, I, 21, parce qu’ils ont eu une connaissance imparfaite de la divinité unique, quoique leur orgueil leur ait fait perdre ce que la curiosité leur avait permis de connaître.

Pascal pense certainement aussi aux stoïciens. Voir ce qu’il écrit d’Épictète dans l’Entretien avec M. de Sacy, et dans le fragment Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175) : Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Et ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se sentent pleins de sentiments pour l’aimer et l’adorer, et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils s’estiment bons, à la bonne heure. Mais s’ils s’y trouvent répugnants, s’[ils] n’[ont] aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes et que pour toute perfection ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu, et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent à eux ! Ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes.

 

La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir.

 

On trouve un écho développé  de cette idée dans l’essai de Nicole Pierre, De la connaissance de soi-même, éd. Thirouin, Presses Universitaires de France, p. 344 : « Il n’y a que Dieu qui nous puisse donner une connaissance de nous-mêmes qui soit tempérée dans la juste proportion dont notre infirmité a besoin : celle que nous pouvons acquérir par des efforts purement humains étant quelquefois aussi dangereuse que l’ignorance même de notre état, parce qu’elle est capable de porter l’âme au découragement, et à une espèce de désespoir ; au lieu que celle que Dieu lui donne la soutient en même temps qu’elle la rabaisse, et ne l’abat jamais par la vue de ses misères, qu’elle ne la relève par la confiance en la miséricorde de Dieu ».

 

Voir le dossier thématique sur le désespoir…

 

La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu et notre misère.

 

Milieu : voir le dossier sur la notion de Milieu.

Jésus-Christ fait connaître Dieu parce qu’il est lui-même Dieu ; il fait connaître à l’homme sa misère parce qu’il est le réparateur de la faute originelle qui l’a engendrée.

Voir le fragment Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221) : nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu-là n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés.

Laf. 793, Sel. 646. Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur. La connaissance de Jésus-Christ permet de connaître à la fois Dieu et la misère de l’homme.

Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, p. 189 sq. Le Christ et la connaissance de soi.

De Nadaï Jean-Christophe de, Jésus selon Pascal, p. 245, sur le fait que l’Incarnation du médiateur est une clé qui est destinée à faire connaître à l’homme sa misère et sa nature pécheresse : p. 245.

Même idée dans le passage évoqué plus haut de l’essai de Nicole Pierre, De la connaissance de soi-même, éd. Thirouin, p. 344 : « Il n’y a que Dieu qui nous puisse donner une connaissance de nous-mêmes qui soit tempérée dans la juste proportion dont notre infirmité a besoin : celle que nous pouvons acquérir par des efforts purement humains étant quelquefois aussi dangereuse que l’ignorance même de notre état, parce qu’elle est capable de porter l’âme au découragement, et à une espèce de désespoir ; au lieu que celle que Dieu lui donne la soutient en même temps qu’elle la rabaisse, et ne l’abat jamais par la vue de ses misères, qu’elle ne la relève par la confiance en la miséricorde de Dieu ».

Pour approfondir…

Ce fragment revêt une forme poétique. Pascal est coutumier de ce type d’expression. Elle apparaît dans les traités de mathématiques comme les Lettres de A. Dettonville, où les propositions sont présentées les unes après les autres, parfois disjointes de leur démonstration respective, pour mieux souligner le parallélisme des énoncés. Voir par exemple la succession de théorèmes qui ouvrent le Traité des sinus du quart de cercle, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 478-479.

Proposition I. La somme des sinus d’un arc quelconque du quart de cercle est égale à la portion de la base comprise entre les sinus extrêmes, multipliée par le rayon.

Proposition II. La somme des carrés de ces sinus est égale à la somme des ordonnées au quart de cercle, qui seraient comprises entre les sinus extrêmes, multipliées par le rayon.

Proposition III. La somme des cubes des mêmes sinus est égale à la somme des carrés des mêmes ordonnées comprises entre les sinus extrêmes, multipliées par le rayon.

Proposition IV. La somme des carrés-carrés des mêmes sinus est égale à la somme des cubes des mêmes ordonnées comprises entre les sinus extrêmes, multipliées par le même rayon.

Le Traité des trilignes et le Traité des arcs de cercle présentent des procédés analogues.

On trouve dans les manuscrits de nombreux fragments qui se présentent sous la forme d’expressions similaires et parallèles, qui ressemblent à des versets. Voir par exemple Morale chrétienne 2 (Laf. 352, Sel. 384) : La misère persuade le désespoir. L’orgueil persuade la présomption. L’incarnation montre à l’homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu’il a fallu.

Il ne s’agit pas nécessairement d’ébauches composées en vue de mettre des idées au net : on retrouve la même forme d’expression dans des textes dont l’élaboration est très avancée, comme le fragment sur les trois ordres, Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), où les versets engendrent un poème en prose lyrique.

Cette forme est propice à l’élaboration de structures combinatoires. Dans le cas présent, Pascal combine

Connaissance de Dieu

Ignorance de la misère

Ignorance de Dieu

Connaissance de la misère

Connaissance de Dieu

Connaissance de la misère.

Sur ce type de procédé rhétorique, voir Meurillon Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, Équinoxe, 6, Rinsen-Books, 1990, p. 49-68.