Fragment Fausseté des autres religions n° 14 / 18  – Papier original : RO 465-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fausseté n° 271 p. 109 / C2 : p. 134

Éditions savantes : Faugère II, 141, II / Havet XXV.87 / Brunschvicg 493 / Tourneur p. 248-1 / Le Guern 202 / Lafuma 216 / Sellier 249

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

BOUYER L., Dictionnaire théologique, Tournai, Desclée, 1963, p. 445.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

ORCIBAL Jean, La Spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Les Origines du jansénisme, V, Vrin, Paris, 1962, p. 30.

PÉRIER Gilberte, Vie de Pascal, 1e version, OC I, éd. J. Mesnard, p. 584-585 et 587-588.

SELLIER Philippe, “Pascal : les conclusions du projet d’apologie”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 82.

 

 

Éclaircissements

 

La vraie religion enseigne nos devoirs, nos impuissances, orgueil et concupiscence, et les remèdes, humilité, mortification.

 

Voir les dossiers thématiques Orgueil et Concupiscence.

 

 Humilité

 

Saint-Cyran, Lettres, éd. Donetzkoff, I, p. 44 sq. 28 novembre 1628, lettre de Saint-Cyran, de Poitiers, à Jérôme I Bignon. « La première fleur de la première charité qui justifie l’âme est une vraie humilité, qui fait qu’ayant été saisie auparavant dans la pénitence, de l’horreur de ses péchés, et de cette honteuse subjection qu’elle a rendue aux créatures, elle tâche par un heureux échange de s’humilier maintenant devant Dieu, et de lui rendre, non plus par crainte et par intérêt, comme aux premiers mouvements de sa conversion, mais par amour et par révérence, l’hommage qu’elle lui doit, comme au Créateur de son âme. [...] Cette vraie humilité naissante de la charité est le principe de la vraie patience... » « Comment est-il donc possible... qu’il faut être anéanti pour être sauvé, et que Dieu tend à cela par toutes les afflictions qu’il nous envoie... » : p. 47.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986, p. 29 sq. Pour Pascal, la conversion consiste à s’anéantir devant l’être universel, et à connaître qu’il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, que seul Jésus-Christ médiateur peut surmonter. Voir p. 32 : s’humilier et s’anéantir dans la conversion : p. 38 sq. S’humilier est une disposition morale ; s’anéantir vise l’être même du moi. La substitution de l’anéantissement à l’humilité chez Pascal ne signifie pas que le moi disparaisse dans l’oubli de soi-même : pour lui, le moi s’humilie pour adorer Dieu dans une adoration qui se confond avec une supplication, reconnaissant qu’il ne peut rien sans la grâce pour son salut ; il y a une différence, non d’état, mais de degré, car dans l’anéantissement tel que le conçoit Pascal, le moi du pécheur est toujours là : p. 48-49. L’anéantissement est une façon de voir la mort qui est une façon de voir la vie : je consens à la mort parce qu’elle signifie la destruction de la vie corrompue ; accomplissement du sacrifice perpétuel : p. 87.

Sellier Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 627-648. Voir p. 635, sur l’anéantissement.

L’humilité est une manière d’imiter le Christ. Voir Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 714 sq. Étude de l’humilité comme qualité du Christ dans sa kénose (descente de Dieu dans l’histoire humaine), qui doit conduire à l’imitation par l’homme du Christ humble. L’humilité est pour saint Augustin la condition et le fondement de la vie chrétienne (Ép. 118, 22) : p. 720.

L’idée se retrouve à Port-Royal : voir Orcibal Jean, La Spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Les Origines du jansénisme, V, Vrin, Paris, 1962, p. 30. Les hommes qui sont le corps de Jésus-Christ doivent retracer en eux les mêmes humiliations et le même martyre.

Pascal traduit le devoir d’humilité par cette règle :

Pensée n° 19T r° (Laf. 919, Sel. 751). Faire les petites choses comme grandes à cause de la majesté de J.-C. qui les fait en nous et qui vit notre vie, et les grandes comme petites et aisées à cause de sa toute-puissance.

Pensée n° 19T v° (Laf. 936, Sel. 751). Les pénitences extérieures disposent à l’intérieure, comme les humiliations à l’humilité.

 

 Mortification

 

Bouyer L., Dictionnaire théologique, p. 445. Mortification : nom donné à toutes les pratiques ascétiques qui, en exténuant en nous la vie naturelle, viciée actuellement par le péché, n’ont pas d’autre but que de nous aider à vaincre celle-ci, de telle sorte que la vie soit surnaturellement restaurée en nous. Leur signification découle essentiellement de la pensée paulinienne sur notre union à la croix du Christ dans le baptême devenant le principe de notre union à la puissance de sa résurrection.

Sur la nécessité de la mortification pour le progrès spirituel de l’âme, voir dans Jean de la Croix, Œuvres complètes, éd. Lucien-Marie de Saint-Joseph, Bibliothèque européenne, Paris, Desclée de Brouwer, 1967, Index, p. 1140. La nuit de Pascal est abordée par Bord André, Pascal et Jean de la Croix, Paris, Beauchesne, 1987, p. 250 sq.

Sur le sens de la mortification selon Pascal, voir la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, et le commentaire de J. Mesnard, OC IV, p. 990 sq.

Voir aussi, sur la manière dont Pascal entend la mortification, la lettre aux Roannez du 24 septembre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1031 sq. : « Il est bien assuré qu’on ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin ; mais quand on commence à résister et à marcher en s’éloignant, on souffre bien ; le lien s’étend et endure toute la violence ; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu’à la mort. Notre Seigneur a dit que, depuis la venue de Jean Baptiste, c’est-à-dire depuis son avènement dans chaque fidèle, le royaume de Dieu souffre violence et que les violents le ravissent. Avant que l’on soit touché, on n’a que le poids de sa concupiscence, qui porte à la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit saint Léon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien. Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa vie : car il n’y a point ici de paix. Jésus-Christ est venu apporter le couteau, et non pas la paix. Mais néanmoins il faut avouer que comme l’Écriture dit que la sagesse des hommes n’est que folie devant Dieu, aussi on peut dire que cette guerre qui paraît dure aux hommes est une paix devant Dieu ; car c’est cette paix que Jésus-Christ a aussi apportée. Elle ne sera néanmoins parfaite que quand le corps sera détruit, et c’est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant néanmoins de bon cœur la vie pour l’amour de celui qui a souffert pour nous et la vie et la mort, et qui peut nous donner plus de biens que nous ne pouvons ni demander ni imaginer, comme dit saint Paul, en l’épître de la messe d’aujourd’hui… »

Pascal n’emploie guère le mot mortification que dans la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui, OC IV, p. 58, dans un contexte très différent de celui du présent fragment, mais en des termes qui indiquent bien la signification de cette mortification dans la lutte contre la concupiscence : « Il faut donc qu’ils [les chrétiens qui ont été « élevés domestiques de la foi », par opposition aux catéchumènes] se soumettent à recevoir l’instruction qu’ils auraient eue s’ils commençaient à entrer dans la communion de l’Église ; et il faut de plus qu’ils se soumettent à une pénitence telle qu’ils n’aient plus envie de la rejeter et qu’ils aient moins d’aversion pour l’austérité de la mortification qu’ils ne trouvent de charmes dans l’usage des délices vicieux du péché ».

 

Pour approfondir…

 

La Vie de Pascal explique de quelle manière Pascal s’appliquait à lui-même certaines mortifications.

 

Musée des Granges de Port-Royal.

 

Périer Gilberte, Vie de Pascal, 1e version, OC I, éd. J. Mesnard, p. 584-585 et 587-588.

§ 42. « Ces conversations auxquelles il se trouvait souvent engagé, quoiqu’elles fussent toutes de charité, ne laissaient pas de lui donner quelque crainte qu’il ne s’y trouvât du péril ; mais comme il ne croyait pas aussi pouvoir en conscience refuser le secours que ces personnes lui demandaient, il avait trouvé un remède à cela. Il prenait en ces occasions une ceinture de fer pleine de pointes et il la mettait à nu sur sa chair ; et lorsqu’il lui venait quelque pensée de vanité, ou qu’il prenait quelque plaisir au lieu où il était, ou autre chose semblable, il se donnait des coups de coude pour redoubler la violence des piqûres et se faisait ainsi souvenir lui-même de son devoir. Et cette pratique lui a paru si utile qu’il l’a conservée jusques à la mort, et même dans les derniers temps de sa vie, où il était dans des douleurs continuelles : parce que, ne pouvant écrire ni lire, il était contraint de demeurer sans rien faire et de s’aller quelquefois promener. Et il était dans une continuelle crainte que ce manque d’occupation ne le détournât de ses vues. Nous n’avons su toutes ces choses qu’après sa mort, et par une personne de très grande vertu qui avait beaucoup de confiance en lui et en qui aussi il avait beaucoup de confiance, à qui il avait été obligé de le dire par des raisons qui la regardaient elle-même.

§ 43. Cette rigueur qu’il exerçait sur lui-même était tirée de cette grande maxime de renoncer à tout plaisir, sur laquelle il avait fondé tout le règlement de sa vie dès le commencement de sa retraite. Il ne manquait pas non plus de pratiquer aussi exactement cette autre qui l’obligeait de renoncer à toute superfluité ; car il retranchait avec tant de soin toutes les choses inutiles qu’il s’était réduit peu à peu à n’avoir plus de tapisserie dans sa chambre, parce qu’il ne croyait pas que cela fût nécessaire, et d’ailleurs n’y étant obligé par aucune bienséance, parce qu’il n’y venait que des gens à qui il recommandait sans cesse les retranchements ; de sorte qu’ils n’étaient pas surpris de ce qu’il vivait lui-même de la manière qu’il conseillait aux autres de vivre. »

[...]

§ 50. La mortification de ses sens n’allait pas seulement à se retrancher de tout ce qui pouvait leur être agréable, mais encore à ne leur rien refuser pour cette raison qu’il leur pourrait déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remèdes. Il a pris quatre ans durant des consommés sans en témoigner le moindre dégoût ; et il prenait toutes les choses qu’on lui ordonnait pour sa santé, sans aucune peine, quelque difficiles qu’elles fussent ; et lorsque je m’étonnais de ce qu’il ne témoignait pas la moindre répugnance en le prenant, il se moquait de moi, et me disait qu’il ne pouvait comprendre lui-même comment on pouvait témoigner de la répugnance quand on prenait une médecine volontairement et après qu’on avait été averti qu’elle était mauvaise, et qu’il n’y avait que la violence ou la surprise qui dussent produire ces effets. C’est en cette manière qu’il travaillait sans cesse à la mortification de ses sens. »