Fragment Fausseté des autres religions n° 18 / 18  – Papier original : RO 465-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fausseté n° 275 p. 109 v° / C2 : p. 136

Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janvier 1670 p. 20 / 1678 n° 4 p. 19

Éditions savantes : Faugère II, 142, V / Havet XI.4 / Brunschvicg 468 / Tourneur p. 249-2 / Le Guern 206 / Lafuma 220 / Sellier 253

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Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

MELLINGHOFF-BOURGERIE Viviane (dir.), Croisements d’anthropologies. Pascals Pensées im Geflecht der Anthropologien, Universitätvelag, Heidelberg, 2005, p. 217-247.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 76 sq.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 492 sq.

THIROUIN Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, in BEHRENS Rudolf, GIPPER Andreas,

 

 

Éclaircissements

 

Nulle autre religion n’a proposé de se haïr,

 

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 76. Si la concupiscence est l’amour de soi, l’amour de Dieu se définit par la haine de soi, c’est-à-dire par la conscience du péché, le sentiment d’une insuffisance radicale, le besoin d’un absolu pour combler le vide de soi-même.

Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.

Laf. 564, Sel. 471. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.

Laf. 618, Sel. 511. S’il y a un Dieu il ne faut aimer que lui et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies dans la Sagesse n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. Cela posé, dit-il, jouissons donc des créatures. C’est le pis-aller. Mais s’il y avait un Dieu à aimer il n’aurait pas conclu cela mais bien le contraire. Et c’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures.

Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher si nous l’ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache qu’à Dieu seul.

 

nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent hors d’eux et qui cherchent un être véritablement aimable.

 

Pascal a renoncé à l’expression qui cherchent hors d’eux.

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 76. La haine de soi enferme une aspiration vers Dieu : elle n’est pas seulement reconnaissance de son indignité, mais désir d’en être délivré, et entraîne une exigence de conversion.

Dossier de travail (Laf. 396, Sel. 15). Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir ; de même je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.

Laf. 597, Sel. 494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.

Sur la haine de soi, voir Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 49 sq. La haine de soi est le signe de la vraie religion : p. 51.

Thirouin Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, in Behrens Rudolf, Gipper Andreas, Mellinghoff-Bourgerie Viviane (dir.), Croisements d’anthropologies. Pascals Pensées im Geflecht der Anthropologien, Universitätvelag, Heidelberg, 2005, p. 217-247.

 

Et ceux‑là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.

 

Ernst Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, p. 217, note que c’est la première fois que Pascal évoque le thème du Dieu humilié.

Le Dieu humilié jusqu’à la Croix : Ép. Phil. II, 7-8 : « Il s’est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au-dehors. Il s’est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix » (tr. Sacy).

Luc, XXIV, 26 : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? »

Sur le thème du Dieu humilié : voir Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273). Source des contrariétés. Un Dieu humilié et jusqu’à la mort de la croix. Deux natures en J.-C. Deux avènements. Deux états de la nature de l’homme. Un Messie triomphant de la mort par sa mort.

Voir aussi l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC III, éd. J. Mesnard, p. 248-249.

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire, qu’il vaincrait la mort par sa mort - deux avènements.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures.

La lettre tue - Tout arrivait en figures - Il fallait que le Christ souffrît - Un Dieu humilié - Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.

L’affirmation que des personnes qui savent se haïr se rendraient à la foi chrétienne peut paraître audacieuse. Elle se justifie par le fragment suivant :

Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413). Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux-mêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi-même, mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

Il n’existe dans le cœur de l’homme que deux délectations, la concupiscence et la charité, tertia non datur. D’autre part, l’indifférence n’est pas possible, puisque, comme Pascal l’a dit dans la liasse Souverain bien, l’homme cherche toujours le bonheur. Par conséquent, dès lors que l’homme connaît sa faiblesse et son infirmité, il recherche un autre être véritablement aimable, qui ne peut se trouver qu’en Dieu (tout autre bien étant pas nature lié à la concupiscence). La disposition qui permet de se haïr, c’est-à-dire de résister à l’amour propre né de la concupiscence, est nécessairement corrélative de l’amour d’un autre être, véritablement aimable, par la charité.

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, p. 76. La haine de soi enferme une aspiration vers Dieu, car il n’y a pas de connaissance de Dieu sans connaissance de soi. Qui se connaît vraiment soi-même, partant qui se hait, trouve le chemin de Dieu par Jésus-Christ. La bonne disposition du cœur place l’homme dans l’attente de Dieu.

Pascal est cependant plus précis : il ne dit pas seulement qu’il s’agit de la religion chrétienne, mais de la religion d’un Dieu humilié. Cette formule s’explique par le fait que par sa kénose, le Christ s’est abaissé jusqu’à l’homme pour le relever de sa corruption et de sa misère.