Fragment Fausseté des autres religions n° 5 / 18  – Papier original : RO 457-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fausseté n° 265 p. 105-105 v° / C2 : p. 130-131

Éditions de Port-Royal : Chapitre XVII - Contre Mahomet : 1669 et janv. 1670 p. 135 / 1678 n° 5 p. 134

Éditions savantes : Faugère II, 337, XLIV / Havet XIX.9 bis / Michaut 809 / Brunschvicg 597 / Tourneur p. 246-3 / Le Guern 193 / Lafuma 207 / Sellier 239

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Bibliographie

 

 

CELSE, Contre les chrétiens, éd. L. Rougier, Paris, Pauvert, 1965.

GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, Amsterdam, A. Westeinius, 1696 ; trad. De P. Le Jeune, Amsterdam, Elie Jacob Ledet, 1728.

HASEKURA Takaharu, “Commentaire des Pensées de Pascal (6), L. 207”, The proceedings of the department of foreign languages and literatures, College of arts and sciences, University of Tokyo, vol. XLI, n° 2, 1993, p. 1-24.

JANSENIUS, Cornelii Jansenii Leerdamensis, Episcopi Iprensis, Tetrateuchus, sive commentarius in Sancta Jesu Christi Evangelia, Paris, 1643.

PASCAL, Pensées, éd. Havet, II, éd. 1866, p. 43.

TILLEMONT Sébastien Le Nain de, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, C. Robustel, 1701-1712, 16 vol.

 

 

Éclaircissements

 

Contre Mahomet.

 

Le fragment s’en prend à Mahomet sous deux aspects. D’une part Pascal conteste que le Coran puisse s’arroger plus d’authenticité que les Évangiles. D’autre part, Pascal s’en prend à la véracité de Mahomet en l’enfermant dans un dilemme relatif à la manière dont il parle des apôtres qui ont rapporté les paroles du Christ. C’est encore l’autorité de Mahomet que Pascal met en cause ici.

 

L’Alcoran n’est pas plus de Mahomet que l’Évangile de saint Matthieu.

 

Pensées, éd. Havet, II, p. 43. La première phrase est un latinisme : le tour serait aujourd’hui l’Évangile de saint Matthieu n’est pas moins de saint Matthieu que l’Alcoran n’est de Mahomet... ou comme l’indique l’édition Sellier-Ferreyrolles, l’attribution à saint Matthieu de l’Évangile qui porte son nom est au moins aussi sûre que l’attribution du Coran à Mahomet.

Grotius fait état de la question de savoir si les Évangiles sont effectivement de la main des auteurs dont ils portent le nom. Voir De la vérité de la religion chrétienne, Livre III, ch. II : « Nous disons donc, que les écrits qui sont reçus unanimement par tous les Chrétiens, et attribués aux auteurs dont ils portent le nom, sont effectivement de ces auteurs. La raison en est, que les docteurs des premiers siècles, comme Justin, Irénée, Clément, et ceux qui les ont suivis, ont cité ces écrits sous les mêmes noms d’auteurs qu’ils portent aujourd’hui ; que Tertullien dit que les originaux de quelques-uns de ces livres se voyaient encore de son temps ; que toutes les Églises les ont reçus comme les ouvrages de ces mêmes auteurs, et avant qu’elles eussent encore assemblé de conciles ; que jamais les païens ni les Juifs ne leur ont fait d’affaire sur cet article ; que Julien même avoue que les écrits qui sont attribués à s. Pierre, à s. Paul, à s. Matthieu, à s. Marc, et à s. Luc, ont été écrits par ces auteurs ; qu’enfin, si le témoignage des Grecs et des Latins paraît à tout homme de bon sens, une raison de ne pas douter que les poèmes que l’on attribue à Homère et à Virgile, ne soient véritablement d’eux, à plus forte raison le témoignage constant de presque toutes les nations prouve invinciblement que les livres du Nouveau Testament ont été composés, par ceux dont ils portent le nom sur leurs titres. »

 

Car il est cité de plusieurs auteurs de siècle en siècle.

 

Pascal a peut-être tiré du Tetrateuchus ou de quelque autre autorité analogue l’idée que de nombreux auteurs citent Matthieu comme auteur authentique de l’Évangile éponyme.

Jansénius, Tetrateuchus, introduction au commentaire de saint Matthieu : « Matthaeus, ex publicabno apostolus, Evangelium scripsit sermone hebraïco, sic enim tradidit Papias, Apostolicis temporibus vicinissimus, apud Euseb. l. 3 Historiae eccles. cap. ult. et mox Irenaeus l. 3. cap. I et post illos plerique alii, Athanas. in Synopsi, Cyrillus Catechesi 14. Aug. lib. I De conf. Evang. cap  2. Hier. multis in locis : nam libro se Scriptoribus ecclesiasticis, post Euseb l. 5. ca. 10 testatur Pantaenum, stoicae sectae philosophum, i Indiam praedicandi causa profectum, reperisse Evangelium secundum Matthaeum litteris scriptum, et Alexandiram secum detulisse ; et ibidem in Matthaeo, asserit ipsum hebraicum haberi usque ad suam aetatem in Caesarensi bibliotheca, quam Pamphilus Martyr studiosissime confecerat et sibi ipsi a Nazaraeis, qui in Beroea urbe Syria hoc volumine utuntur, describendi facultatem fuisse concessans. De quibus Nazaraeis et Epiphanius in fine Haeresis 29. Est, inquit, penes Nazaraeos Evangelius secundum Matthaeum hebraice sceiptum, et quidem absolutissimum : hos enim certissime prout Hebraicis litteris initio scruptum est in hodiernum tempus usque conservatum. Haec Epiphanius. Ex qua constanti veterum sententia constat, quam immerito hoc nonnulli recentiores in dubium revocent […] ».

Comme l’indique l’éd. Havet, 1866, Pensées, II, p. 46, le plus ancien de ces témoignages est de saint Papias, évêque d’Hiérapolis en Phrygie au début du IIe siècle, disciple de saint Jean l’Évangéliste, et auteur de livres d’Expositions des discours du Seigneur, dont il ne reste que des fragments. Il est allégué dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, III, 36.

On retrouve des remarques identiques dans Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, I, Robustel, 1693, dans la note sur saint Matthieu, p. 651 sq., et II, 2e partie, éd. Frickx, note sur saint Papias, p. 538.

 

Les ennemis même, Celse et Porphyre, ne l’ont jamais désavoué.

 

Celse et Porphyre sont deux ennemis célèbres de la religion chrétienne.

Celse : Philosophe du IIe siècle, rendu célèbre par un ouvrage composé vers 170, Contre les chrétiens (voir l’éd. L. Rougier, Paris, Pauvert, 1965). Celse considère que chaque peuple doit conserver sa religion, et raille comme une folie le projet des chrétiens de convertir toute l’humanité et de la ranger sous une même loi. Il use plus de la moquerie contre les chrétiens que du raisonnement. Il a été réfuté par Origène. Voir les articles Celse de la Biographie Michaud, et de L’encyclopédie théologique de Migne. Ne pas confondre avec Cornelius Aurelius Celsus, médecin qui vécut sous Auguste, Tibère et Caligula.

Porphyre : Philosophe néo-platonicien (c. 234- c. 310), disciple de Plotin, dont il prit la succession. Il a écrit un traité Contre les chrétiens, qui récuse la conception chrétienne de Dieu, et conteste les fondements historiques du christianisme, dans les prophéties de l’ancien Testament, mais aussi dans la manière dont les Apôtres ont rapporté l’enseignement du Christ. Voir Canto-Sperber Monique (dir.), et alii, Philosophie grecque, Paris, P. U. F., 1997, p. 624 sq., et Dictionnaire des philosophes, article Porphyre, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 1255 sq.

Il est bien question, dans Grotius, De veritate religionis christianae, II, 5, de Celse et de Porphyre, non sur l’Évangile de saint Matthieu, mais sur les miracles accomplis par le Christ. En premier lieu, « Le bruit de ces miracles avait un fondement si indubitable et si ferme, que ni Celsus, ni Julien écrivant contre les Chrétiens, n’ont osé nier que Jésus-Christ n’ait fait des actions surnaturelles et prodigieuses, et que les Juifs l’avouent hautement dans leur Talmud. » Il n’est pas question alors de Porphyre. Mais un peu plus bas, examinant si les esprits qui opèrent les miracles peuvent être bons ou mauvais, Grotius écrit : « Porphyre même a reconnu que ces esprits n’avaient plus ni force ni puissance depuis que Jésus-Christ avait paru dans le monde. »

 

L’Alcoran dit que saint Matthieu était homme de bien, donc il était faux prophète ou en appelant gens de bien des méchants, ou en ne demeurant pas d’accord de ce qu’ils ont dit de Jésus-Christ.

 

Pensées, éd. Havet, II, p. 43. Le Coran, selon Havet, ne cite pas saint Matthieu ; Grotius, De la vérité de la religion chrétienne, VI, 3, dit seulement en termes généraux que Mahomet reconnaît pour de saints personnages les apôtres de Jésus : « Mahomet et ses Sectateurs avouent que Moïse et Jésus-Christ ont été envoyés de Dieu, et que ceux qui ont travaillé à répandre et à établir la religion chrétienne ont été des personnes saintes et pieuses ». Mais Mahomet soutient que les apôtres reconnaissaient Jésus comme envoyé de Dieu, et non comme Dieu.

Pascal raisonne par dilemme.

Mahomet dit que les apôtres étaient gens de bien.

Ou les apôtres n’étaient pas gens de bien, et Mahomet est un menteur.

Ou les apôtres étaient gens de bien, et Mahomet est de mauvaise foi en différant d’eux sur le reste.

Dans les deux cas il est menteur.

Mais le raisonnement ne suppose aucune hypothèse réelle sur la sincérité des apôtres. Ce que Pascal veut dire, c’est que, quoi qu’on en pense, on aboutit à la conclusion que Mahomet est un faux prophète.