Fragment Fondement n° 12 / 21  – Papier original : RO 57-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 285 p. 117 v° / C2 : p. 145

Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 141 / 1678 n° 12 p. 140

Éditions savantes : Faugère II, 330, XXXVIII / Havet XX.8 / Brunschvicg 771 / Tourneur p. 252-3 / Le Guern 220 / Lafuma 235 / Sellier 267

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Mame-Desclée, 2008, p. 235 sq.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 339 sq.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 346.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 508-509.

 

Éclaircissements

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 346. Le fragment est composé d’une suite de formules empruntées à la Bible, qui s’organise en une phrase au rythme très musical, dont le caractère lyrique est souligné par le rappel final au Magnificat.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 235 sq., sur les paradoxes de la conduite de Jésus-Christ.

 

Jésus-Christ est venu aveugler ceux qui voient clair et donner la vue aux aveugles,

 

La formule doit être prise en son double sens, littéral dans la mesure où Jésus a effectivement guéri des aveugles, mais aussi figuratif, parce que l’enseignement et la vie de Jésus ont aveuglé les Juifs, au sens spirituel du terme, et éclairé ceux qui se sont faits ses disciples.

Matth., IX, 22. « Jésus se retournant, et la voyant lui dit : Ma fille, ayez confiance, votre foi vous a guérie. Et cette femme fut guérie à la même heure. »

Matth., XI, 5. « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, l’Évangile est annoncé aux pauvres. »

Matth., XXI, 14. « Alors des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. »

Aveugler : voir Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Aveugler, éclaircir. Saint Augustin. Montaigne. Sebonde.

Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). J.-C. guérit l’aveugle-né et fit quantité de miracles au jour du sabbat par  où il aveuglait les pharisiens qui disaient qu’il fallait juger des miracles par la doctrine.

Nous avons Moïse, mais celui-là nous ne savons d’où il est.

C’est ce qui est admirable que vous ne savez d’où il est et cependant il fait de tels miracles.

 

guérir les malades, et laisser mourir les sains,

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 340, interprète ceux qui se croient sains.

Matth., IV, 23. « Jésus allait par toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, prêchant l’Évangile du royaume et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs parmi le peuple. » (tr. Sacy).

Matth., VIII, 3. « Jésus, étendant la main, le toucha, et lui dit : Je le veux, soyez guéri. Sa lèpre fut guérie au même instant. »

Matth., IX, 35. « Jésus allait de tous côtés dans les villes et dans les villages, enseignant dans leurs synagogues, et prêchant l’Évangile du royaume, et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs. »

Matth., XII, 15. « Jésus [...] se retira de ce lieu. Et une grande foule l’ayant suivi, il les guérit tous. »

Marc, I, 39. « Il prêchait donc dans leurs synagogues, par toute la Galilée, et chassait les démons. »

Marc, I, 41-42. « Jésus fut ému de compassion, et étendant la main, il le toucha, et lui dit : Je le veux, soyez guéri. Ayant dit cette parole, sa lèpre disparut au même instant, et il fut guéri. »

Luc, V, 13. « Jésus étendant la main le toucha, et lui dit : Je le veux, soyez guéri ; et sa lèpre disparut au même instant. »

Luc, VII, 22. « Et après cela il leur répondit : Allez dire à Jean ce que vous avez vu, et ce que vous avez entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, l’Évangile est annoncé aux pauvres. »

 

appeler à pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés,

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 340, interprète ceux qui se croient justes. L’édition de 1670 va dans le même sens.

Luc, XIII, 2-5. « Non, je vous en assure ; mais je vous déclare que si nous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même sorte. Croyez-vous aussi que des Dix-huit hommes sur lesquels la tour de Siloë est tombée et qu’elle a tués, fussent plus redevables à la justice de Dieu que tous les habitants de Jérusalem ? Non, je vous en assure : mais je vous déclare Que Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même sorte ».

Luc, XXIV, 46-47. « Et il leur dit : Il fallait selon qu’il est écrit, que le Christ souffrît, et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et qu’on prêchât en son nom la pénitence, et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem ».

Marc, VI, 12. Les apôtres « étant partis, prêchaient aux peuples qu’ils fissent pénitence ».

 

remplir les indigents et laisser les riches vides.

 

Pascal a d’abord voulu écrire justifier et damner. Voir la transcription diplomatique.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 340, interprète ceux qui se contentent des richesses charnelles.

Luc, VI, 20-25. « Alors Jésus levant ses yeux vers ses disciples leur dit : Vous êtes bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. Vous êtes bienheureux, vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés. Vous êtes bienheureux, vous qui pleurez maintenant parce que vous rirez. Vous serez bienheureux, lorsque les hommes vous haïront, lorsqu’ils vous sépareront lorsqu’ils vous traiteront injurieusement, lorsqu’ils vous rejetteront votre nom comme mauvais à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous en ce jour-là, et soyez ravis de joie, parce qu’une grande récompense vous est réservée dans le ciel : car c’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. Mais malheur à vous riches ; parce que vous avez votre consolation dans ce monde. Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. Malheur à vous qui rient maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes. »

Les riches vides : expression tirée du Magnificat de Marie, selon Luc, I, 46-53. « Et ait Maria magnificat anima mea Dominum  et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo, quia respexit humilitatem ancillae suae ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes, quia fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen eius, et misericordia eius in progenies et progenies timentibus eum 1:51 fecit potentiam in brachio suo dispersit superbos mente cordis sui, deposuit potentes de sede et exaltavit humiles, esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes ». Tr. de Sacy : « Alors Marie dit ces paroles : Mon âme glorifie le Seigneur ; et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, Parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante : et désormais je serai appelée bienheureuse dans la succession de tous les siècles. Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint. Sa miséricorde se répand d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras. Il a dissipé ceux qui s’élevaient d’orgueil dans les pensées de leur cœur. Il a arraché les grands de leur trône, et il a élevé les petits. Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches ».

Le verbe laisser appartient au langage de la théologie augustinienne : il exprime l’idée que, en dehors de ceux qu’il choisit par une miséricorde purement gratuite, Dieu abandonne à leurs passions les hommes pécheurs.

J. Mesnard remarque que le final, qui reprend le Magnificat, donne à l’ensemble un mouvement lyrique.