Fragment Fondement n° 16 / 21  – Papier original : RO 27-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 290 p. 119 v° / C2 : p. 147

Éditions savantes : Faugère II, 156, XXI / Havet XXIV.82 / Brunschvicg 510 / Tourneur p. 253-3 / Le Guern 224 / Lafuma 239 / Sellier 271

 

 

 

L’homme n’est pas digne de Dieu mais il n’est pas incapable d’en être rendu digne.

Il est indigne de Dieu de se joindre à l’homme misérable mais il n’est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère.

 

 

Les idées de dignité, de misère et d’incapacité, qui marquaient les liasses Vanité, Misère et Ennui, réapparaissent dans ce fragment, mais dans un contexte nouveau, puisqu’ils ne servent pas seulement à définir la nature de l’homme, du point de vue du moraliste, mais les rapports entre l’homme et Dieu, d’un point de vue religieux. Pascal s’appuie sur un raisonnement qu’il a développé dans A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Conformément à sa technique de reprise des mêmes thèmes modulés par variations successives, l’idée qui n’était dans A P. R. 2 qu’un argument polémique réfutatif devient dans le présent fragment une thèse fondamentale, qui mérite sa place dans la liasse Fondement.

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Si on vous unit à Dieu c’est par grâce, non par nature.

Si on vous abaisse, c’est par pénitence, non par nature.

Ainsi cette double capacité.

Vous n’êtes pas dans l’état de votre création. 

[...] Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.

[...] Dieu a voulu racheter les hommes et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient, mais les hommes s’en rendent si indignes qu’il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu’il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due.

Morale chrétienne 3 (Laf. 353, Sel. 385). Non pas un abaissement qui nous rende incapables du bien ni une sainteté exempte de mal.

Morale chrétienne 4 (Laf. 354, Sel. 386). Il n’y a point de doctrine plus propre à l’homme que celle-là qui l’instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce à cause du double péril où il est toujours exposé de désespoir ou d’orgueil.

Dossier de travail (Laf. 394, Sel. 13). Au lieu de vous plaindre de ce que Dieu s’est caché vous lui rendrez grâces de ce qu’il s’est tant découvert et vous lui rendrez grâces encore de ce qu’il ne s’est pas découvert aux sages superbes indignes de connaître un Dieu si saint.

Preuves par discours III (Laf. 444, Sel. 690). Il est donc vrai que tout instruit l’homme de sa condition, mais il le faut bien entendre : car il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu : indignes par leur corruption, capables par leur première nature.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Qu’ils en concluent ce qu’ils voudront contre le déisme, ils n’en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption et du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités : et qu’il y a un Dieu, dont les hommes sont capables, et qu’il y a une corruption dans la nature, qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l’un et l’autre de ces points ; et il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l’en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur.

 

Mots-clés : CapacitéDieuDignitéHommeMisère.