Fragment Fondement n° 20 / 21  – Papier original : RO 55-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 293 à 295 p. 121-121 v° / C2 : p. 147 à 149

Éditions de Port-Royal :

     Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 144  / 1678 n° 20 p. 142-143

     Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21  / 1678 n° 7 p. 20

     Chap. XVII - Contre Mahomet : 1669 et janvier 1670 p. 133  / 1678 n° 1 p. 132

     Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 87  / 1678 n° 14 p. 87

Éditions savantes : Faugère II, 146, XIV ; II, 335, XLIII / Havet XI.5 ; XIX.7 / Michaut 143-144 / Brunschvicg 585 et 601 / Tourneur p. 254-2 / Le Guern 227 / Lafuma 242 et 243 / Sellier 275 et 276

 

 

 

Que Dieu s’est voulu cacher.

S’il n’y avait qu’une religion, Dieu y serait bien manifeste. S’il n’y avait des martyrs qu’en notre religion, de même.

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Dieu étant ainsi caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable, et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Vere tu es deus absconditus.

 

La religion païenne est sans fondement.

La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a‑t‑il été prédit ? Et quelle marque a‑t‑il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète ? Quels miracles dit‑il lui‑même avoir faits ? Quel mystère a‑t‑il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité ?

La religion juive doit être regardée différemment dans la tradition des livres saints et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en est ridicule dans la tradition du peuple, mais elle est admirable dans celle de leurs saints. Le fondement en est admirable. C’est le plus ancien livre du monde et le plus authentique, et au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse pour faire subsister le sien a ordonné à tout le monde de le lire. Et toute religion est de même, car la chrétienne est bien différente dans les livres saints et dans les casuistes.

Notre religion est si divine qu’une autre religion divine n’en a que le fondement.

 

 

La première partie de ce fragment résume l’un des fondements de la religion chrétienne, le principe du Dieu caché, Deus absconditus, dont il souligne qu’il est une condition supplémentaire, après celles qui avaient été posées dans la liasse A P. R. : non seulement une religion doit mener à Dieu pour pouvoir prétendre être véritable, mais elle doit, pour être instruisante, conduire à un Dieu caché.

La seconde partie, qui est séparée de la première, compare le paganisme, l’islam, la religion juive et la chrétienne, du point de vue des fondements, et établit entre eux une gradation, qui va du manque de fondement du paganisme, à la fragilité de celui de Mahomet, les deux dernières comportant le fondement le plus solide ; mais Pascal achève en soulignant que si la religion juive et la chrétienne ont un fondement commun, seule la chrétienne a construit sur cette base un édifice véritablement divin.

 

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Fragments connexes

 

Fausseté 7 (Laf. 209, Sel. 241). Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire.

Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251). Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n’en est pas de même de l’Écriture. Je veux bien qu’il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. [...] Si Dieu n’eût permis qu’une seule religion elle eût été trop reconnaissable. Mais qu’on y regarde de près on discerne bien la vraie dans cette confusion.

Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.

Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle.

Parmi les Juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne. Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle. Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.

Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.

 Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J. C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.

Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323). Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie.

Car ceux qui par ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer et nous rendre capables de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signe et point non les signes sans cette vertu.

Morale chrétienne 9 (Laf. 359, Sel. 391). Les exemples des morts généreuses des lacédémoniens et autres, ne nous touchent guère, car qu’est-ce que cela nous apporte.

Mais l’exemple de la mort des martyrs nous touche car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux. Leur résolution peut former la nôtre, non seulement par l’exemple, mais parce qu’elle a peut-être mérité la nôtre.

Il n’est rien de cela aux exemples des païens . Nous n’avons point de liaison à eux. Comme on ne devient pas riche pour voir un étranger qui l’est, mais bien pour voir son père ou son mari qui le soient.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Qu'ils apprennent au moins quelle est la religion qu'ils combattent avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses: que Dieu a établi des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner ?

Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs.

Qu’il y a de différence d’un livre à un autre ! Je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né. Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu’il donne pour tel et qui est reçu pour tel ; car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement ; il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose : tout le monde l’apprend et en parle ; il la faut savoir, chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants ; personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire : on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.

Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte ; ainsi les livres des sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde, sont faux et se trouvent faux à la suite des temps. Il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains.

Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

Preuves par discours III (Laf. 442, Sel. 690). L’abandon de Dieu paraît dans les païens.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait toutes les autres choses.

Pensées diverses (Laf. 781, Sel. 644). En adressant leurs discours aux impies leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent, mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui recherchant de toute leur lumière tout ce qu’ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance ne trouvent qu’obscurité et ténèbres, dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert et leur donner pour toute preuve de ce grand et important sujet le cours de la lune et des planètes et prétendre avoir achevé sa preuve avec un tel discours, c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C., hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare.

 

Mémorial (Laf. 913, Sel. 742).

L’an de grâce 1654,

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément,

pape et martyr, et autres au Martyrologe.

Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres.

 

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