Dossier thématique : l’imagination

 

 Situation de Pascal dans la problématique de son temps relative à l’imagination

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 124 sq. Tradition intellectuelle sur l’imagination. Pascal apparaît étranger à la problématique dans laquelle se propose à son temps le concept d’imagination.

Pic de la Mirandole, De l’imagination (De imaginatione), éd. C. Bouriau, Chambéry, Comp’Act, 2005. Le livre comporte trois parties essentielles : la première montre que l’imagination est nécessaire aux opérations de la pensée. La seconde en montre les dangers. La troisième montre comment elle peut être réglée par la raison. Rien ne témoigne que Pascal ait lu ce livre, alors déjà ancien, puisqu’il date de 1500.

Le livre de Tetsuya Shiokawa, Pascal et les miracles, contient des analyses importantes sur la théorie de l’imagination chez les libertins, et sur le retentissement qu’elle a eus sur la réflexion de Pascal sur les miracles. Voir par exemple la doctrine de Vanini. Les visions produites par les vapeurs suscitées par l’imagination, qui fixent une image dans l’air ambiant ; des femmes enceintes qui impriment un certain aspect au fœtus par l’imagination. Les miracles doivent-ils être considérés comme des produits de l’imagination ? L’imagination est une force qui déborde tyranniquement de l’ordre de la chair pour semer le désordre dans l’ordre des esprits.

 

 Pascal et Platon sur l’imagination

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 159 sq. Échos platoniciens dans la pensée de Pascal sur l’imagination. Platon relègue l’eikasia (l’imagination) au dernier rang des facultés humaines, derrière le noèsis (pensée intuitive), la dianoia (pensée discursive) et le pistis (croyance), et il lui assigne pour domaine le non-savoir, l’opinable (doxaston) par opposition au connaissable. Dans cette perspective, il revient à l’imagination de ne se nourrir que d’opinions.

 

 Pascal et les stoïciens sur l’imagination

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 156 sq. Sur plusieurs points la critique de l’imagination par Pascal rejoint des conceptions stoïciennes.

Ce point a été étudié par Shiokawa Tetsuya, “Imagination, fantaisie et opinion...”, Équinoxe VI, p. 69. L’association de l’imagination et de l’opinion apparaît en contexte stoïcien.

 

 Pascal et Montaigne sur l’imagination

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 142 sq.

Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution..., p. 105. Comment Pascal utilise l’Apologie de R. Sebond dans le fragment Laf. 44. Alors que chez Pascal la corruption de la nature explique que l’homme échoue toujours à se donner satisfaction par ses propres moyens, chez Montaigne les enseignements chrétiens sur la condition pécheresse de l’homme doivent seulement l’aider à se souvenir qu’il doit se défier de la raison qui l’induit souvent en erreur.

 

  Imagination, fantaisie et opinion

 

Voir Laf. 530, Sel. 455. Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre mais elle est ployable à tous sens. Et ainsi il n’y en a point.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 126 sq. Voir p. 154 sq. L’édition de Port-Royal remplace à plusieurs reprises imagination par fantaisie et opinion. La conception de l’imagination qui paraît dans ce fragment a peut-être choqué le comité qui s’est occupé de la publication des Pensées. Mais ce n’est pas toujours le cas : on y trouve dans le texte les termes imagination et imaginaire.

Ce point a été étudié par Shiokawa Tetsuya, “Imagination, fantaisie et opinion...”, Équinoxe VI, p. 69. L’association de l’imagination et de l’opinion apparaît en contexte stoïcien. La phantasia, dans la doctrine stoïcienne, est la représentation imprimée dans l’âme par les objets qui fournit la matière à l’assentiment : c’est le critère par lequel on reconnaît la vérité des choses : p. 76. Par contraste avec la phantasia qui sert de principe à la connaissance, l’opinion (dogma) est en principe le jugement qu’on porte sur elle ; elle consiste en un assentiment faible et trompeur, par opposition à celui que donne la science. La critique sceptique consiste à tout ramener à l’opinion : p. 76-77. La correction par laquelle Port-Royal remplace imagination par opinion est pertinente, du point de vue des éditeurs : p. 78. Réhabilitation de l’imagination par la recherche de la raison des effets : p. 80.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 154 sq. Le mot d’imagination apparaît chez Pascal en contexte stoïcien. La parenté ou la quasi-équivalence, chez Pascal, de l’opinion et de l’imagination se fonderait sur la traduction en français de notions d’origine stoïcienne, comme en témoigne l’Entretien avec M. de Sacy. Fantasia et dogma chez Epictète sont rendus par opinion : p. 155-156.

Laf. 554, Sel. 463. La force est la reine du monde, et non pas l’opinion. Mais l’opinion est celle qui use de la force. C’est la force qui fait l’opinion [...].

 

  L’imagination faculté de disproportion

 

L’imagination est une faculté créatrice de disproportion sous deux aspects complémentaires.

D’une part, elle peut augmenter ce qui est petit. Voir OC II, , éd. J. Mesnard, p. 522, Lettre au P. Noël. « L’imagination a cela de propre qu’elle produit avec aussi peu de peine et de temps les plus grandes choses que les petites ». Pascal use de cette capacité dans “Disproportion de l’homme” pour évoquer les espaces cosmiques infinis à partir des réalités qui existent à l’échelle humaine, puis l’infiniment petit à partir du ciron.

Mais il estime aussi en mauvaise part que l’imagination donne de l’importance à ce qui par soi-même est négligeable, et rend au contraire presque insensible ce qui devrait retenir toute l’attention des hommes.

Laf. 531, Sel. 456. Ces choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, ce n’est souvent presque rien. C’est un néant que notre imagination grossit en montagne : un autre tour d’imagination nous le fait découvrir sans peine.

Laf. 551, Sel. 461. L’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme par une estimation fantasque, et par une insolence téméraire elle amoindrit les grandes jusqu’à sa mesure, comme en parlant de Dieu.

Mais l’imagination est aussi une faculté de disproportion au sens où il y a disproportion entre des genres ou des ordres de choses différents. L’imagination est une force qui déborde tyranniquement de l’ordre de la chair pour semer le désordre dans l’ordre des esprits. C’est ainsi que les philosophes accordent des passions, des sympathies et des antipathies aux corps, alors que la matière est dénuée de sensibilité. Voir sur ce point l’adresse Au lecteur du Récit de la grande expérience de l’équilibre des liqueurs, OC II, éd. J. Mesnard, p. 688-689 : « la nature n’a aucune répugnance pour le vide, […] elle ne fait aucun effort pour l’éviter ; […] tous les effets qu’on a attribués à cette horreur procèdent de la pesanteur et pression de l’air ; […] elle en est la seule et véritable cause, et […], manque de la connaître, on avait inventé exprès cette horreur imaginaire du vide pour en rendre raison. Ce n’est pas en cette seule rencontre que, quand la faiblesse des hommes n’a pu trouver les véritables causes, leur subtilité en a substitué d’imaginaires, qu’ils ont exprimées par des noms spécieux qui remplissent les oreilles et non pas l’esprit : c’est ainsi que l’on dit que la sympathie et antipathie des corps naturels sont les causes efficientes et univoques de plusieurs effets, comme si des corps inanimés étaient capables de sympathie et d’antipathie. Il en est de même de l’antipéristase, et de plusieurs autres causes chimériques, qui n’apportent qu’un vain soulagement à l’avidité qu’ont les hommes de connaître les vérités cachées, et qui, loin de les découvrir, ne servent qu’à couvrir l’ignorance de ceux qui les inventent, et à nourrir celle de leurs sectateurs » : p. 688-689. Dans ce cas, l’imagination transgresse la différence qui existe entre les ordres des corps et des esprits. Elle conduit à des erreurs beaucoup plus graves lorsqu’elle transgresse la différence entre les ordres naturels et celui de la charité, qui est surnaturel.

 

  Capacité créatrice de l’imagination

 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles. Doctrine de Vanini. Les visions produites par les vapeurs suscitées par l’imagination, qui fixent une image dans l’air ambiant ; des femmes enceintes qui impriment un certain aspect au fœtus par l’imagination. L’imagination créatrice de miracles ? L’imagination est une force qui déborde tyranniquement de l’ordre de la chair pour semer le désordre dans l’ordre des esprits.

 

  Critique cartésienne de l’imagination

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 133 sq.

 

 Éloge de l’imagination

 

Arnauld Antoine, Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs, Œuvres, XLII, p. 382 sq. Éloge de l’imagination pour son rôle dans l’invention scientifique, dans les sciences d’expérience. Voir p. 395-396, sur l’usage de l’imagination dans la géométrie, avec l’emploi des figures. Usage de l’imagination dans les matières d’autorité et dans la foi, soit divine, soit humaine : p. 398. L’imagination est inséparable de la foi ; l’imagination est donc une préparation à l’intelligence : p. 399.

 

  Imagination, volonté et amour propre

 

Laf. 531, Sel. 456. Cacher son peu de bien, néant que notre imagination grossit en montagne. Voir Épictète, Propos, III, 26, sur la pauvreté.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 157. L’imagination a partie liée avec la libido sentiendi : p. 168. L’imagination oriente la volonté vers des leurres qui la détournent de sa fin surnaturelle. Elle est aussi liée à la libido sciendi : p. 170.

 

 L’imagination et la foi chrétienne

 

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 172 sq., renvoie aux reproches que Pascal adresse à l’explication métaphorique que le jésuite Garasse donne de l’Incarnation, où la « personnalité humaine a été comme entée ou mise à cheval sur la personnalité du Verbe » : p. 173. La critique de l’imagination touche aussi les maximes de morale des casuistes, qui se livrent à des concours de subtilité dans l’invention des cas les plus complexes et invraisemblables : p. 174 sq. Pascal reproche aussi à la Compagnie de Jésus dans son ensemble de jouer sur le phantasme, d’exploiter systématiquement les pouvoirs de l’imagination pour soutenir sa gloire et son pouvoir : p. 176-178. À travers l’exemple des jésuites apparaît le danger que l’imagination fait courir aux croyants : elle lui donne, par le biais des opinions probables, licence de s’éloigner de Dieu. D’autre part, l’imagination finit par substituer à Dieu ses propres images : on se fait une idole de la vérité même, car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu, et est son image et une idole qu’il ne faut point aimer ni adorer (Pensée n° 12M - Laf. 926, Sel. 755) : p. 181. Ainsi « unusquisque sibi deum fingit », chacun se forme un dieu pour lui-même : p. 182.