Preuves par discours II - Fragment n° 4 / 7  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 35 p. 221 / C2 : p. 433-433 v°

Éditions de Port-Royal :

    Chap. XXIV - Vanité de l’homme : 1669 et janvier 1670 p. 188  / 1678 n° 13 p. 184

    Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 336 [n° 29] (doublon)

    Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 238  / 1678 n° 1 p. 230

Éditions savantes : Faugère II, 22 / Havet III.6 / Michaut 445 / Brunschvicg 194 bis et ter, 195 bis / Le Guern 403 / Lafuma 432 (série IV) / Sellier 684

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Bibliographie

 

 

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995.

MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320.

SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité, Paris, Champion, 2012.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal, Paris, Champion, 2008.

Voir la bibliographie du fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681).

 

 

Éclaircissements

 

Ce recueil de notes, connu seulement par les Copies, a servi à Pascal pour la rédaction du grand texte contre l’indifférence des incrédules à leur destinée (Preuves par discours II - Laf. 427, Sel. 681). La liaison est attestée par les indications portées en marge des Copies, qui rattachent ces lignes au texte commençant par les mots Qu’ils apprennent…, termes initiaux du grand texte. Voir ces mentions sur les images des Copies.

L’interprétation des formules elliptiques qui composent le présent recueil de notes peut donc être dirigée par recours à ce grand texte.

Ce fragment doit aussi être rattaché à un autre ensemble de même nature, dont l’original subsiste sur la page 205 du Recueil des originaux, et que les Copies ont enregistré aux p. 425 v° sq. de C1, et p. 399 de C2. Il s’agit du texte (Laf. 432 série XXX, Sel. 662), qui contient aussi des esquisses qui ont servi à la rédaction du grand texte (Preuves par discours II - Laf. 427, Sel. 681).

La relation entre ces deux recueils de notes a été remarquée par certains éditeurs. Elle ne tient pas seulement au fait que les deux recueils portent sur des sujets très voisins, mais aussi à la présence d’un terme commun qui sert de « réclame » de l’un à l’autre.

La fragment Preuves par discours II, 4 commence de façon très abrupte par le mot amour propre, qui ouvre une phrase manifestement incomplète et par elle-même incohérente : Amour propre, et parce que c’est une chose qui nous intéresse assez pour nous en émouvoir, d’être assurés, qu’après tous les maux de la vie, une mort inévitable qui nous menace à chaque instant doit infailliblement, dans peu d’années dans l’horrible nécessité.

Ce début peut être associé à une note portée dans la marge de gauche du manuscrit de (Laf. 432 série XXX, Sel. 662), qui fournit le complément suivant :

 

 

 

 

 

 

non par un zèle

de dévotion et de détachement

mais par un principe

purement humain

et par un mouvement

d’intérêt et

d’amour propre

(texte barré verticalement)

 

 

La « réclame » amour propre rétablit ainsi un texte qui forme une suite qui comporte une certaine cohérence :

non par un zèle de dévotion et de détachement, mais par un principe purement humain et par un mouvement d’intérêt et d’amour propre, et parce que c’est une chose qui nous intéresse assez pour nous en émouvoir, d’être assurés, qu’après tous les maux de la vie, une mort inévitable qui nous menace à chaque instant doit infailliblement, dans peu d’années dans l’horrible nécessité.

Comme cette reconstitution aboutit malgré tout à un texte visiblement incomplet, certains éditeurs ont pris l’initiative d’associer le début de ce texte à une autre note de (Laf. 432 série XXX, Sel. 662) : Je ne prends point cela par bigoterie, mais par la manière dont le cœur de l’homme est fait (texte barré verticalement).

Elle se présente comme suit :

 

 

Les éditeurs reconstituent ainsi un paragraphe qui présente une certaine cohérence, et auquel Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) fait clairement écho :

Je ne prends point cela par bigoterie, mais par la manière dont le cœur de l’homme est fait, non par un zèle de dévotion et de détachement, mais par un principe purement humain et par un mouvement d’intérêt et d’amour propre, et parce que c’est une chose qui nous intéresse assez pour nous en émouvoir, d’être assurés, qu’après tous les maux de la vie, une mort inévitable qui nous menace à chaque instant doit infailliblement, dans peu d’années dans l’horrible nécessité.

Enfin, pour rendre intelligible la fin de cette reconstitution, Lafuma propose de la compléter à l’aide de quelques mots prélevés sur le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) : « doit infailliblement, dans peu d’années (nous mettre) dans l’horrible nécessité (d’être éternellement ou anéantis ou malheureux) ». On trouve en effet dans ce texte des indications précises : Il ne faut pas avoir l’âme fort élevée pour comprendre qu’il n’y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu’enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d’années dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis, ou malheureux. Et dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682) : Cependant cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu’ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée.

Quel que soit le caractère séduisant et l’intérêt de ces constructions pour l’intelligence des notes qui composent Preuves par discours II, 4, il faut noter :

1. qu’il n’existe aucun signe de renvoi sur le manuscrit de (Laf. 432 série XXX, Sel. 662entre les phrases Je ne prends point cela par bigoterie, mais par la manière dont le cœur de l’homme est fait et non par un zèle de dévotion et de détachement, mais par un principe purement humain et par un mouvement d’intérêt et d’amour propre. Seules des raisons grammaticales justifient qu’elles soient associées ;

2. que rien dans les Copies n’autorise les additions extraites de Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681).

Il faut se reporter à l’étude “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320, dans laquelle J. Mesnard explique comment les deux éléments qu’il désigne par les sigles P1 (Laf. 432 série XXX, Sel. 662) et P2 (Preuves par discours II, 4), initialement associés par la réclame « amour propre » ont été ensuite disjoints et placés dans des dossiers différents.

La mise à part de ce fragment s’explique peut-être par le fait que la plupart des notes qu’il contient n’ont pas été vraiment exploitées dans les rédactions développées. La plupart d’entre elles n’ont du reste pas été barrées.

 

Amour propre, et parce que c’est une chose qui nous intéresse assez pour nous en émouvoir, d’être assurés qu’après tous les maux de la vie une mort inévitable qui nous menace à chaque instant doit infailliblement, dans peu d’années... dans l’horrible nécessité... (texte barré verticalement)

 

Voir ci-dessus les raisons de ce début visiblement incomplet.

Cette idée est amplement développée dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie et qui, par cette seule raison qu’ils ne trouvent pas en euxmêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs et d’examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d’ellesmêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable, je les considère d’une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s’agit d’eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m’irrite plus qu’elle ne m’attendrit, elle m’étonne et m’épouvante, c’est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d’une dévotion spirituelle. J’entends au contraire qu’on doit avoir ce sentiment par un principe d’intérêt humain et par un intérêt d’amourpropre. Il ne faut pour cela que voir ce que voient les personnes les moins éclairées. Il ne faut pas avoir l’âme fort élevée pour comprendre qu’il n’y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu’enfin la mort qui nous menace à chaque instant doit infailliblement nous mettre dans peu d’années dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux.

Preuves par discours II (Laf. 428, Sel. 682). De tous leurs égarements, c’est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d’aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet. Il n’y a rien de plus visible que cela et qu’ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s’ils ne prennent une autre voie. Que l’on juge donc làdessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui, se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement.

 

Les trois conditions.

 

Le passage n’est pas barré ; il n’a donc pas été utilisé. Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) n’explique pas expressément quelles sont ces trois conditions. On peut en revanche recourir à Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Il y a trois sortes de personnes : les uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, p. 305.

 

Il ne faut pas dire de cela que c’est une marque de raison.

 

Non barré, peut-être parce que cela n’a pas été utilisé dans la rédaction étoffée Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681).

Pascal pense sans doute à l’objection que peut faire un incrédule rationaliste, qui soutient que la raison ne trouvant rien dans la nature qui montre Dieu, il est raisonnable de ne pas chercher. Il tente de faire pièce à cet argument en montrant que l’indifférence à la recherche n’est pas une marque de raison, mais au contraire de folie.

 

C’est tout ce que pourrait faire un homme qui serait assuré de la fausseté de cette nouvelle ; encore ne devrait‑il pas en être dans la joie mais dans l’abattement.

 

Cette esquisse ne semble pas avoir été utilisée par Pascal. L’idée en est cependant associée au développement de Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) selon lequel la certitude de la vanité de la recherche ne peut être une source de joie, mais doit plutôt susciter l’affliction.

Rien ne permet de préciser de quelle nouvelle il s’agit.

Peut-être la nouvelle en question peut-elle être assimilée à l’Évangile (littéralement : la bonne nouvelle du salut ; voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 247 sq.).

 

Rien n’est important que cela, et on ne néglige que cela.

 

Argument que l’on trouve dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Rien n’est si important à l’homme que son état ; rien ne lui est si redoutable que l’éternité. Et ainsi, qu’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d’une éternité de misères, cela n’est point naturel. Ils sont tout autres à l’égard de toutes les autres choses : ils craignent jusqu’aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d’une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c’est celui-là même qui sait qu’il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause.

 

Notre imagination nous grossit si fort le temps présent à force d’y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l’éternité, manque d’y faire réflexion, que nous faisons de l’éternité un néant, et du néant une éternité, et tout cela a ses racines si vives en nous que toute notre raison ne nous en peut défendre et que...

 

Vanité 33 (Laf. 47, Sel. 80). Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin.

Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Voir dans Shiokawa Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité, p. 91-104, les pages consacrées au temps et à l’éternité, particulièrement p. 95 sq.

Le fait que les hommes savent négliger les choses les plus importantes et les plus graves et s’obnubiler sur celles qui devraient être négligeables permet de relier cette argumentation au thème général de l’imagination, qui procède toujours en grossissant ce qui est petit et vice versa.

Voir Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 168 sq. L’imagination a partie liée avec la libido, et elle opère dans l’esprit l’inversion des grandes et des petites choses : p. 171. Le renversement d’appréciation qu’induit l’imagination est à la fois l’indice et l’effet du renversement par lequel le raison s’est trouvée soumise au magistère des facultés inférieures que sont les sens et l’imagination, après le péché originel. L’imagination établit bien en l’homme une « seconde nature », la nature déchue : p. 172.

Laf. 632, Sel. 525. La sensibilité de l’homme aux petites choses et l’insensibilité aux plus grandes choses, marque d’un étrange renversement.

Dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), l’idée apparaît dans le passage suivant : Rien n’est si important à l’homme que son état ; rien ne lui est si redoutable que l’éternité. Et ainsi, qu’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d’une éternité de misères, cela n’est point naturel. Ils sont tout autres à l’égard de toutes les autres choses : ils craignent jusqu’aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d’une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c’est celui-là même qui sait qu’il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause. Il faut qu’il y ait un étrange renversement dans la nature de l’homme pour faire gloire d’être dans cet état, dans lequel il semble incroyable qu’une seule personne puisse être.

 

Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux‑mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.

 

Cette indication n'a pas reçu tout le développement qu’elle mérite dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), en dehors du passage suivant : En vérité, il est glorieux à la religion d’avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables ; et leur opposition lui est si peu dangereuse, qu’elle sert au contraire à l’établissement de ses vérités. Car la foi chrétienne ne va presque qu’à établir ces deux choses : la corruption de la nature, et la rédemption de Jésus-Christ. Or, je soutiens que s’ils ne servent pas à montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs, ils servent au moins admirablement à montrer la corruption de la nature, par des sentiments si dénaturés.

La rétorsion consiste à montrer que l’adversaire lui-même est le meilleur argument qui soit contre sa propre thèse. Voir Perelman Chaïm et Olbrechts-Tyteca L., Traité de l’argumentation, p. 274. La rétorsion, que l’on appelait au Moyen Âge la redarguitio elenchica, constitue un usage de l’autophagie, ou de l’auto-inclusion : c’est un argument qui montre que la personne qui pose une thèse est elle-même la preuve du contraire de cette thèse. Voir aussi Reboul Olivier, Introduction à la rhétorique, p. 171, qui définit ce procédé polémique comme une manière de reprendre l’argument de l’adversaire en montrant qu’il s’applique en réalité contre lui. Pascal use de ce procédé dans les Provinciales, lorsqu’il fait présenter les casuistes par un jésuite naïf qui, en faisant l’éloge de leur théologie morale, en montre par là même les excès et la corruption. Voir Descotes Dominique, “Fonction argumentative de la satire dans les Provinciales”, in Baader Horst (éd.), Onze études sur l’esprit de la satire, p. 43-65 ; surtout p. 50-51 ; Ferreyrolles Gérard, Blaise Pascal. Les Provinciales, p. 58-59 ; Thirouin Laurent, “Imprudence et impudence. Le dispositif ironique dans les Provinciales”, in Descotes Dominique (dir.), Treize études sur Blaise Pascal, p. 167-193.

Pascal a utilisé aussi ce procédé dans la partie de son apologie consacrée à réfuter les philosophes, lorsqu’il a montré que les défenseurs de la grandeur de l’homme prouvent en fait par leur discours même sa misère, et que les sceptiques qui affirment la misère de l’homme en prouvent la grandeur. Voir le fragment Contrariétés 5 (Laf. 122, Sel. 155). Ainsi la personne même des philosophes tient lieu de preuve du contraire de ce qu’ils soutiennent : ce ne sont pas seulement les doctrines qui prouvent chacune la doctrine contraire, mais ceux-là même qui les tiennent : c’est une position difficile et passablement ridicule pour un philosophe que d’être en sa propre personne le meilleur argument en faveur de la thèse contraire à la sienne. Sur ce procédé, voir Descotes Dominique, “Piège et paradoxe chez Pascal”, Méthodes chez Pascal, p. 509-524, et L’argumentation chez Pascal, p. 428 sq. Voir aussi Susini Laurent, L’écriture de Pascal, p. 496.

Un procédé analogue permet à Pascal de s’en prendre aux incrédules en montrant que leur attitude d’indifférence à l’égard de ce qui les touche le plus est une preuve de la corruption de la nature humaine, de sorte qu’ils sont eux-mêmes la preuve de la religion qu’ils nient ou méprisent. Il a été esquissé dans les notes suivantes :

Laf. 432 série XXX, Sel. 662. Mais ceux-là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n’y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument qu’il y a quelque chose de surnaturel car un aveuglement de cette sorte n’est pas une chose naturelle. Et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l’horreur d’un exemple si déplorable, et d’une folie si digne de compassion.

Voir aussi le fragment Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683) : Ainsi, les deux preuves de la corruption et de la Rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.

Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 128. Les impies servent de preuve à la religion.

Voir Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 191. Sur le texte dont Port-Royal a usé comme introduction à ce fragment. « Les impies qui s’abandonnent aveuglément à leurs passions sans connaître Dieu, et sans se mettre en peine de le chercher, vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption. Et les Juifs qui combattent si opiniâtrement la Religion Chrétienne, vérifient encore cet autre fondement de cette même foi qu’ils attaquent, qui est que Jésus-Christ est le véritable Messie, et qu’il est venu racheter les hommes, et les retirer de la corruption et de la misère où ils étaient ; tant par l’état où l’on les voit aujourd’hui et qui se trouve prédit dans les prophéties, que par ces mêmes prophéties qu’ils portent, et qu’ils conservent inviolablement comme les marques auxquelles on doit reconnaître le Messie. Ainsi les preuves de la corruption des hommes, et de la rédemption de Jésus-Christ, qui sont les deux principales vérités du Christianisme, se tirent des impies qui vivent dans l’indifférence de la Religion, et des Juifs qui en sont les ennemis irréconciliables. »