Preuves par les Juifs IV  – Papier original : RO 335 r° / v° et 339-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 51 p. 245-245 v° / C2 : p. 461 à 463

Éditions de Port-Royal : Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 65-67  / 1678 n° 1 p. 67-68

Éditions savantes : Faugère II, 185, I  / Havet XIV.3 / Michaut 588 et 589 / Brunschvicg 619 et 717 / Tourneur p. 322 / Le Guern 424 / Lafuma 454 et 455 (série IX) / Sellier 694 et 695

 

Avertissement : nous conservons, comme dans la plupart des éditions, les textes barrés verticalement par Pascal. Ces textes sont signalés sur un fond bleuté plus foncé.

 

Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif.

Je ne parle point ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu’ils ne paraissent pas d’abord convaincants et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit.

Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde un peuple particulier, séparé de tous les autres peuples du monde, qui s’appelle le peuple juif.

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Je vois donc des faiseurs de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps. Mais ils n’ont ni la morale qui peut me plaire, ni les preuves qui peuvent m’arrêter. Et qu’ainsi j’aurais refusé également et la religion de Mahomet et celle de la Chine et celle des anciens Romains et celle des Égyptiens, par cette seule raison que l’une n’ayant point plus marques de vérité que l’autre, ni rien qui me déterminât nécessairement, la raison ne peut pencher plutôt vers l’une que vers l’autre.

 

Prophéties.

Serment que David aura toujours des successeurs.

Jér.

 

Mais en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps, je trouve en un coin du monde un peuple particulier, séparé de tous les autres peuples de la terre, le plus ancien de tous, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons.

Je trouve donc ce peuple grand et nombreux, sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main. Ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères, que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu, qu’ils sont tous abandonnés à leurs sens et à leur propre esprit, et que de là viennent les étranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux, et de religions et de coutumes, au lieu qu’ils demeurent inébranlables dans leur conduite, mais que Dieu ne laissera point éternellement les autres peuples dans ces ténèbres, qu’il viendra un libérateur pour tous, qu’ils sont au monde pour l’annoncer aux hommes, qu’ils sont formés exprès pour être les avant‑coureurs et les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.

La rencontre de ce peuple m’étonne et me semble digne de l’attention.

Je considère cette loi qu’ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable. C’est la première loi de toutes, et de telle sorte qu’avant même que le mot de loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu’ils l’avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs comme il paraît par la loi des douze Tables d’Athènes qui fut ensuite prise par les Romains, et comme il serait aisé de le montrer, si Josèphe et d’autres n’avaient assez traité cette matière.

 

 

Dans les textes de Preuves par les Juifs, Pascal s’engage dans la voie des preuves historiques, en remontant la généalogie des religions pour montrer l’ancienneté et la perpétuité de la chrétienne. Le problème est posé en termes de discernement : dans l’inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps, il discerne, dans un coin, un peuple séparé des autres, et une religion qui échappe au mélange général. Ce peuple apparaît porteur de la vérité depuis les premiers temps. La connaissance de la vérité du message qu’il porte commence par la recherche des marques qui le mettent à part de tous les autres.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Ordre 6 (Laf. 8, Sel. 42). Ordre.

Voir ce qu’il y a de clair dans tout l’état des Juifs et d’incontestable.

Misère 14 (Laf. 65, Sel. 99). Diversité.

La théologie est une science, mais en même temps combien est-ce de sciences ? Un homme est un suppôt, mais si on l’anatomise, que sera-ce ? la tête, le cœur, l’estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang ?

Une ville, une campagne, de loin c’est une ville et une campagne, mais à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe sous le nom de campagne.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles.

Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints comme Énoch, Lamech et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l’espérance du Messie, dont il a été la figure. Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin. Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, et Jacob mourant et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le sauveur que vous avez promis, salutare tuum expectabo domine.

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies, les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes. Et cependant, il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps, et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption, et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.

Perpétuité 4 (Laf. 282, Sel. 314). Perpétuité.

Le Messie a toujours été cru. La tradition d’Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l’ont prédit depuis en prédisant toujours d’autres choses dont les événements qui arrivaient de temps en temps à la vue des hommes marquaient la vérité de leur mission et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres aussi qui ont converti tous les païens et par là toutes les prophéties étant accomplies le Messie est prouvé pour jamais.

Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). Prophéties.

Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de Jésus-Christ pour le temps et pour la manière et que Jésus-Christ serait venu conformément à ces prophéties ce serait une force infinie.

Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue.

Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs.

Qu’il y a de différence d’un livre à un autre ! Je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né. Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman qu’il donne pour tel et qui est reçu pour tel car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire mais seulement un divertissement. Il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose : tout le monde l’apprend et en parle, il la faut savoir, chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants, personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire : on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.

Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte. Ainsi les livres des sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde, sont faux et se trouvent faux à la suite des temps. Il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains.

Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait luimême un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif.

Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.

Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères, et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui-ci quoique si étrangement abondant est tout sorti d’un seul homme, et étant ainsi tous une même chair et membres les uns des autres, composent un puissant état d’une seule famille, cela est unique.

Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière. Et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant, car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome et les autres qui sont venus si longtemps après soient péris il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours et malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années. Ils ont toujours été conservés néanmoins, et cette conservation a été prédite. Et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée, celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble, la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion et Philon juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte que Homère qui a écrit l’histoire de tant d’États ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture, où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses, avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement que les plus anciens législateurs grecs et romains en ayant eu quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des douze tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne.

Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante, qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles, par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.

Le livre qui contient cette loi la première de toutes, est lui-même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Preuves par les Juifs VI (Laf. 481, Sel. 716). Contre l’histoire de la Chine.

Pensées diverses (Laf. 558, Sel. 465). La diversité est si ample que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers [sont différents]. On distingue des fruits les raisins, et entre ceux-là les muscats, et puis Condrieux, et puis Desargues, et puis cette ente. Est-ce tout ? En a-t-elle jamais produit deux grappes pareilles, et une grappe a-t-elle deux grains pareils, etc.

Je n’ai jamais jugé d’une même chose exactement de même, je ne puis juger d’un ouvrage en le faisant. Il faut que je fasse comme les peintres et que je m’en éloigne, mais non pas trop. De combien donc ? Devinez.

Pensées diverses (Laf. 793, Sel. 646). Dès là cette religion m’est aimable et je la trouve déjà assez autorisée par une si divine morale, mais j’y trouve de plus :

Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple.

Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur.

Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant quatre mille ans ; leurs livres dispersés durant quatre cents ans. Enfin eux sans idoles ni roi.

Un peuple entier le prédit avant sa venue, un peuple entier l’adore après sa venue.

Pensées diverses (Laf. 822, Sel. 663). Histoire de la Chine.

Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger.

Lequel est le plus croyable des deux, Moïse ou la Chine ?

Il n’est pas question de voir cela en gros ; je vous dis qu’il y a de quoi aveugler et de quoi éclaircir.

Par ce mot seul je ruine tous vos raisonnements ; mais la Chine obscurcit, dites-vous. Et je réponds : la Chine obscurcit, mais il y a clarté à trouver. Cherchez-la.

Ainsi tout ce que vous dites fait à un des desseins et rien contre l’autre. Ainsi cela sert et ne nuit pas.

Il faut donc voir cela en détail. Il faut mettre papiers sur table.

 

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