Fragment Loi figurative n° 10 / 31  – Papier original : RO 15-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 298 p. 125 v° / C2 : p. 152

Éditions savantes : Faugère II, 254, XIX / Havet XXV.111 bis / Brunschvicg 649 / Tourneur p. 257-4 / Le Guern 238 / Lafuma 254 / Sellier 286

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), Paris, Nolin, 2007.

DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, IV, 2, Paris, Aubier, 1964, p. 109.

DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 235-236.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 401 sq.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 409.

 

 

Éclaircissements

 

Parler contre les trop grands figuratifs.

 

La maxime de Loi figurative 7 (Laf. 251, Sel. 283), Qui veut donner le sens de l’Écriture et ne le prend point de l’Écriture est ennemi de l’Écriture, est directement inspirée par le souci de s’opposer aux trop grands figuratifs : les fausses interprétations naissent en général du fait que l’on cherche hors de l’Écriture des interprétations tirées de principes qui ne sont pas dans l’Écriture.

Le caractère figuratif de l’Ancien Testament engendre deux possibilités d’erreur dans la compréhension des auteurs sacrés : il peut arriver que l’on ne voie pas que le texte est figuratif et renvoie par une métaphore à une réalité spirituelle : c’est le cas des Juifs charnels. Mais il peut arriver aussi que certains lecteurs soient saisis d’intempérance interprétative, et, au lieu de prendre au sens littéral les passages clairs, ou, lorsque l’interprétation s’impose, de l’arrêter une fois qu’ils sont arrivés à un sens qui s’accorde avec les grandes vérités de l’Écriture, continuent à chercher d’autres sens cachés, interprétant des passages suivant leur fantaisie, et non plus selon le sens qui vise à la charité. Les kabbalistes, par exemple, croient que chaque mot, que chaque lettre, chaque signe de ponctuation de la Thorah contiennent des mystères et qu’un nombre infini d’interprétations ne pourrait arriver à en épuiser le sens : une fois supposé qu’il y a un sens caché là où il n’y en a pas, plus rien ne peut les arrêter dans leur exégèse figurative, puisqu’ils sont alors conduits par leur imagination.

Or Pascal est plus méfiant que saint Augustin à l’égard de ces trop grands figuratifs. Augustin admet qu’un texte puisse avoir plusieurs sens, tous acceptables à condition qu’ils s’accordent avec la doctrine de l’Église.

En revanche, le principe selon lequel tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout (Loi figurative 13 - Laf. 257, Sel. 289), conduit Pascal à marquer des limites beaucoup plus strictes à l’interprétation, pour empêcher un foisonnement abusif des exégèses figuratives. L’interprétation doit aboutir à un sens, un seul, et qui soit en accord avec la charité.

Il ne faut pas attribuer à Pascal un excès de rigueur dû à l’intrusion de l’esprit de géométrie dans un domaine où il n’a que faire. Le danger que ces trop grands figuratifs font courir à la Révélation est grave et réel. Puisqu’en effet l’unique objet de l’Écriture est la charité, un lecteur qui se permettrait d’interpréter un passage de l’Écriture suivant sa fantaisie, le comprendra dans un sens symbolique qui n’aura aucun rapport avec la charité, faute de donner le sens de l’Écriture en le prenant de l’Écriture, il se montrera ennemi de l’Écriture. Voir Loi figurative 7 (Laf. 251, Sel. 283).

D’autre part, si après avoir trouvé à quelque figure une signification cachée, l’exégète saisi par une nouvelle idée de signe, cherche à nouveau un sens caché derrière celui qu’il a découvert, plus rien ne l’empêchera de poursuivre indéfiniment par réitération constante de cette idée de signe. Ce qui impliquerait que le Nouveau Testament est susceptible d’un dépassement ultérieur, comme l’ancien.

Pascal a même envisagé une éventualité plus grave encore : une interprétation déréglée conduit à faire de la charité, qui n’est pas un précepte figuratif, une simple figure dont la réalité serait en dehors d’elle. Il l’a marqué dans le fragment Miracles II (Laf. 849, Sel. 430) : La charité n’est pas un précepte figuratif. Dire que Jésus-Christ qui est venu ôter les figures pour mettre la vérité ne soit venu que mettre la figure de la charité pour ôter la réalité qui était auparavant, cela est horrible. Pascal récuse ici la tentation judaïque de soutenir que le nouveau Testament doive être interprété en fonction de l’ancien, et non l’inverse, ce qui revient à soutenir que Jésus-Christ est venu enlever la vérité aux hommes au lieu de la leur révéler. Voir De Lubac Henri, Exégèse médiévale, IV, 2, p. 109 ; Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 235-236.

Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, p. 437, fait référence au Pentateuchus de Jansénius, Louvain, 1641, p. 6-7. « Duo extrema cavenda sunt : primum, ne relicto sensu litterali quem verba prae se ferunt, ad allegoricas expositiones declinetur. Alterum est ne, in indagendo sensu historico et litterali, nimium humanae philosophiae vel tribuamus, vel derogemus ».

Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), Paris, Nolin, 2007, p. 43 sq. Dans le Pentateuchus, Jansénius met en garde contre les excès des trop grands figuratifs. « Temeritas asserendae incertae dubiaeque opinionis difficile sacrilegii crimen evitat ». Pour ce qui concerne les livres historiques, il n’y a pas de sens figuré qui ne soit porté par un sens littéral reconnu.

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 401 sq. Si c’est une exagération d’être antifiguriste et esclave du sens littéral, c’en est une autre d’être figuriste au point de ne voir partout que des figures dans la Bible. Il faut marquer les limites du sens mystique, et tenir un juste milieu entre deux extrêmes de l’absence d’interprétation et de l’excès d’interprétation. Pascal s’oppose donc aux trop grands figuratifs qui inventent des figures tirées par les cheveux (Fausseté 15 - Laf. 217, Sel. 250).

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 409. Pascal s’oppose aux exégèses qui risquent de ridiculiser l’Écriture. Il trouve que même saint Augustin s’est livré à des spéculations numériques aventureuses.

 

Pour approfondir…

 

Comment procèdent les trop grands figuratifs ?

Dans le fragment Laf. 575, Sel. 478, Pascal montre sur quelques exemples comment certains interprètes délirants de la Bible, les apocalyptiques, les partisans de la doctrine de La Peyrère sur les préadamites, et les millénaires, parviennent à soutenir des opinions extravagantes sur l’Écriture.

Extravagances des Apocalyptiques et préadamites, millénaires, etc.

Qui voudra fonder des opinions extravagantes sur l’Écriture en fondera par exemple sur cela.

Il est dit que cette génération ne passera point jusqu’à ce que tout cela se fasse. Sur cela je dirai qu’après cette génération il viendra une autre génération et toujours successivement.

Il est parlé dans le II Paralipomènes de Salomon et de roi comme si c’étaient deux personnes diverses. Je dirai que c’en étaient deux.

Sur l’avenir du figurisme à Port-Royal, voir Maire Catherine, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Gallimard, 1998.