Fragment Loi figurative n° 16 / 31  – Papier original : RO 35-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 302 p. 129 v°-131 / C2 : p. 157-158

Éditions de Port-Royal : Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 85-86  / 1678 n° 13 p. 85-86

Éditions savantes : Faugère II, 274, XIV / Havet XV.8 / Brunschvicg 757 / Tourneur p. 260-1 / Le Guern 244 / Lafuma 261 / Sellier 292

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Bibliographie

 

 

BOULLIER David Renaud, Apologie de la métaphysique, à l’occasion du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, suivis de trois lettres relatives à la philosophie de ce poète, Amsterdam, Jean Catuffe, 1753.

DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, II, Paris, Aubier, 1959.

VOLTAIRE, Lettres philosophiques, XXV, § XIII, éd. Ferret et McKenna, Paris, Garnier, 2010.

 

 

Éclaircissements

 

Les marques Le temps du premier avènement est prédit, les marques le temps du second ne l’est point, parce que le premier devait être caché, le second devait être éclatant, et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le devaient reconnaître, mais comme il ne devait venir qu’obscurément et que pour être connu de ceux qui sonderaient les Écritures...

 

Sur le double avènement du Christ, voir Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273).

Sur l’avènement du Christ, Pascal distingue deux aspects : la prédiction du temps, et la prédiction de la manière.

La tradition chrétienne distingue deux avènements. Le fragment Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305) signale que même les rabbins admettent qu’il doit y avoir deux avènements du Messie. Le premier est celui par lequel le Christ est venu sur la terre annoncer l’Évangile et racheter les hommes par la crucifixion. Le second est celui qui doit survenir à la fin des temps, pour le jugement dernier des hommes.

Le présent fragment présente une double originalité.

En premier lieu, il n’envisage pas seulement le premier avènement, comme c’est le plus souvent le cas dans les Pensées, mais il le confronte et le met en correspondance avec le deuxième.

La comparaison repose sur une réflexion sur le rapport qui existe entre la prédiction du temps et la prédiction de la manière dans le premier avènement.

Noter que Pascal a d’abord écrit les marques : ce terme a dû lui sembler équivoque, car il existe des marques de l’avènement du Christ qui touchent le temps, et d’autres qui touchent la manière. Comme il entend parler ici des marques chronologiques des deux avènements, Pascal a substitué par deux fois le temps à les marques. La correction a entraîné une faute d’accord verbal dans le manuscrit, que les copies ont rectifiée.

Pascal a remarqué que le premier avènement devait être obscur et quasi invisible : comme l’indique le fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182), tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine et absolument capable de convaincre tous les hommes. Par conséquent, la manière dont il devait paraître devait être obscure et métaphorique : dans l’annonce prophétique du Messie dans l’Ancien Testament, les prophètes annonçaient un Messie royal et puissant, mais les prophètes savaient que leurs expressions n’étaient que figuratives : Jésus-Christ naîtrait dans une condition humble, et finirait crucifié comme un criminel, ce qui le cacherait aux yeux des Juifs charnels qui attendaient un Messie royal et glorieux.

Cependant, à cette obscurité dans la prédiction de la manière devait répondre la clarté dans l’annonce du temps : il fallait bien que les hommes de bonne volonté puissent reconnaître en Jésus le Messie attendu : il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là. Et ainsi voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il a tempéré... (A P. R. 2 - Laf. 149, Sel. 182). Le temps du premier avènement était assez clairement prédit pour que les hommes de bonne volonté qui liraient de près les Écritures se trouvent en mesure de le reconnaître avec une précision suffisante : le décompte des soixante-dix semaines annoncées par le prophète Daniel, par exemple, permettait à qui sonderait les Écritures avec attention de ne pas se laisser tromper par l’apparente humilité du Christ (Prophéties 20 - Laf. 341, Sel. 373).

Le second avènement se présente sous un aspect diamétralement opposé.

Le retour du Christ au moment du jugement dernier n’est évidemment pas prédit pour le temps : nul ne connaît l’époque à laquelle auront lieu la fin du monde et le jugement dernier. Voir là-dessus Matthieu XXIV, 36 et 42, et XXV, 13, Marc, XIII, 32 et 35, et Luc, XII, 39 : les hommes ne connaissent ni le jour ni l’heure du retour de Jésus-Christ. Cette ignorance laisse les méchants à leur liberté, sans empêcher les bons de mériter. Mais dans ce cas, l’annonce du temps n’est pas nécessaire, car, lors du jugement dernier, il sera impossible de ne pas reconnaître le Christ lorsqu’il reviendra dans toute sa gloire. La raison de ce silence se déduit par opposition avec le cas du premier avènement : comme le retour du Christ dans toute sa gloire sera éclatant et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le [devront] reconnaître, il n’est pas besoin, comme c’était le cas pour le premier avènement, d’un avertissement à l’usage des bons.

Les deux avènements se trouvent donc situés dans une analogie pour ainsi dire inversée, reconnue dans la tradition comme analogia ex contrariis, aetymologia ex contrariis, ou loi des significations inversées : voir sur cette figure De Lubac Henri, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, II, p. 461 sq. C’est de cette manière, par exemple, que l’on peut dire qu’Adamest forma futuri, c’est-à-dire figure du Christ : cela est vrai, dans la mesure où l’un et l’autre ont apporté dans la condition humaine une rupture radicale, mais a contrario, puisqu’Adam a commis le péché originel, et que le Christ l’a réparé. Le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), exprimera aussi une analogie ex contrariis, quoique sous une forme un peu différente, en mettant en regard l’humilité du Christ dans l’ordre des corps et sa grandeur dans l’ordre de la charité.

Quoique placés en contraste, et caractérisés par des aspects opposés, ces deux avènements répondent tout deux à un même dessein et expriment une même vérité. Selon Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291), le premier avènement a été de misère pour abaisser l’homme superbe. Le second sera de gloire pour élever l’homme humilié. Leur différence, ainsi que celle de leur annonce prophétique, répond donc aux deux faces d’un seul dessein.

Et quoique la situation de ce fragment dans la liasse Loi figurative puisse sembler anormale, dans la mesure où il semble qu’il ne contient aucune figure, elle s’explique par cette analogia ex contrariis, qui fait du premier avènement la figure inversée du second.

 

Discussion

 

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § XIII, éd. Ferret et McKenna, p. 173. Voltaire soutient que le temps du second avènement du Christ a été prédit plus clairement que le premier ; voir Luc XXI, qui l’annonçait pour l’époque de la ruine de Jérusalem. Il ajoute évidemment que cette prédiction ne s’est pas réalisée : « Mais si cela n’est point arrivé encore, ce n’est point à nous d’oser interroger la Providence ». Manière sournoise de suggérer qu’il vaut mieux ne pas trop approfondir les prophéties, de peur de tomber sur des absurdités plus insoutenables encore.

Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XIII, p. 51. Voltaire objecte impudemment un oracle dont l’éclatant accomplissement dans la ruine de Jérusalem forme une des preuves les plus fortes du Christianisme. « Quand Pascal soutient que le temps du second avènement n’est point prédit, il parle de celui du Sauveur au dernier jour pour juger l’univers. »