Fragment Loi figurative n° 25 / 31  – Papier original : RO 35-1 et 35-1 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 311 p. 133 v° à 135 v° / C2 : p. 162 à 164

Éditions de Port-Royal :

     Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 77-80  / 1678 n° 3, 5, 6 et 8 p. 77-80

     Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 103-104  / 1678 n° 16 et 17 p. 103-104

Éditions savantes : Faugère II, 251, XV / Havet XV.3 bis ; XVI.13 ; XV.5 ; XVI.14 / Michaut 81 / Brunschvicg 670 / Tourneur p. 264 / Le Guern 253 / Lafuma 270 / Sellier 301

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Bibliographie

 

 

DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, II, 2, Paris, Aubier, 1964.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

LO CHIATTO Franco et MARCONI Sergio, Galilée entre le pouvoir et le savoir, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988.

MESNARD, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.

ORCIBAL Jean, La spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Paris, Vrin, 1962.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

SELLIER Philippe, “La lumière immobile. L’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 187-211.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

 

 

Éclaircissements

 

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 312 sq. Fragment composé de locutions empruntées à l’Écriture.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008, p. 608 sq. Analyse rhétorique de ce fragment.

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 47 sq. Sur le second paragraphe et ses sources. Sellier situe la rédaction du fragment à la fin du carême, peut-être vers les 11-13 mars 1657, ou des 1-2 avril 1658 (vers la XVIIIe Provinciale ou le second Écrit des curés de Paris). Pascal ne cherche pas les références bibliques : il attribue à saint Paul une figure commentée par saint Jean (la valeur figurative du Temple).

 

Figures.

 

Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres :

 

Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : Épître aux Phil., III, 18-19. « Car il y en a plusieurs dont je vous ai souvent parlé, et dont je vous parle encore avec larmes, qui se conduisent en ennemis de la croix de Jésus-Christ ; 19. qui auront pour fin la damnation, qui font leur Dieu de leur ventre, qui mettent leur gloire dans leur propre honte, et qui n’ont de pensées et d’affections que pour la terre. »

 

que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent,

 

Que Dieu aimait leur père Abraham : Daniel, III, 34-36. « Ne nous abandonnez pas, Seigneur, pour jamais, à cause de votre nom, nous vous en conjurons ; ne détruisez pas votre alliance ; 35. Et ne retirez pas de nous votre miséricorde, à cause d’Abraham, votre bien-aimé, d’Isaac, votre serviteur, et d’Israël, votre saint, 36. Auxquels vous avez promis que vous multiplieriez leur race comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer. »

Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Figures. Dès qu’on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le vieil testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? non, donc c’étaient des figures. (Voir le dossier sur Abraham dans ce fragment).

Sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés : Genèse, XXVI, 24. « Multiplicando semen tuum » ; « Et la nuit suivante le Seigneur lui apparut, et lui dit : Je suis le Dieu d’Abraham votre père ; ne craignez point, parce que je suis avec vous. Je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d’Abraham mon serviteur. » (tr. de la Bible de Port-Royal).

Et distingués de tous les autres peuples : Lévitique, XX, 24. « Separavi vos a ceteris populis ». « Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous ai séparés de tout le reste des peuples. » (tr. de la Bible de Port-Royal).

Sans souffrir qu’ils s’y mêlassent : Nombres, XVIII, 4. « Alienigena non miscebitur » ; « Nul étranger ne se mêlera avec vous » (tr. de la Bible de Port-Royal).

 

que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur,

 

Que quand ils languissaient dans l’Égypte : Exode, III, 7. « Vidi afflictionem populi mei in Aegypto » ; « Le Seigneur lui dit : J’ai vu l’affliction de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai entendu le cri qu’il jette à cause de la dureté de ceux qui ont l’intendance des travaux. » (tr. de la Bible de Port-Royal).

Il les en retira : Exode, XX, 2. « Qui eduxi de terra Aegypti » ; « Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous ai tiré de l’Égypte, de la maison de servitude ». Voir Lévitique, XXII, 33, « eduxi de terra Aegypti ut essem vobis in Deum ego Dominus » ; Lévitique XXV, 55, « mei sunt enim servi filii Israhel quos eduxi de terra Aegypti » ; Amos, III, 1, « audite verbum quod locutus est Dominus super vos filii Israel super omni cognatione quam eduxi de terra Aegypti dicens ».

Avec tous ses grands signes en leur faveur : Psaume LXXVII, 12/15. « Coram patribus eorum fecit mirabilia in terra Aegypti » ; « Il a fait devant les yeux de leurs pères des œuvres vraiment merveilleuses dans la terre de l’Égypte, dans la plaine de Tanès » (tr. de la Bible de Port-Royal).

 

qu’il les nourrit de la manne dans le désert,

 

Deutéronome, VIII, 16. « Cibavit te manna in solitudine ». « Qui vous a nourri, dans cette solitude, de la manne inconnue à vos pères, et qui, après vous avoir affligé et vous avoir éprouvé, a eu enfin pitié de vous ».

Voir l’épisode de la manne accordée par Dieu aux Juifs dans le désert, Exode, XVI, 4 : « Le Seigneur dit à Moïse : Je vais vous faire pleuvoir des pains du ciel : que le peuple aille en amasser ce qui lui suffira pour chaque jour, afin que j’éprouve s’il marche ou non dans ma loi » ; v. 8 : « Moïse ajouta : Le Seigneur [...] au matin [...] vous rassasiera de pains » ; et v. 14-15 : « La surface de la terre en étant couverte, on vit paraître dans le désert quelque chose de menu et comme pilé au mortier, qui ressemblait à ces petits grains de gelée blanche qui pendant l’hiver tombent sur la terre. Ce que les enfants d’Israël ayant vu, ils se dirent l’un à l’autre : Manhu ? c’est-à-dire : Qu’est-ce que cela ? Car ils ne savaient ce que c’était. Moïse leur dit : C’est là le pain que le Seigneur vous donne à manger ».

L’expression le pain du ciel fait allusion à cet épisode.

Le commentaire de la Bible de Port-Royal sur le sens spirituel de cet épisode comporte une comparaison entre la manne et l’eucharistie.

Laf. 818, Sel. 660. Moïse ne vous a point donné le pain du ciel. L’idée que la manne est l’ombre de l’Eucharistie vient de saint Jean, VI, 32. « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité je vous le dis : Moïse ne vous a point donné le pain du ciel ; mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. »

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Je suis le vrai pain du ciel.

 

qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés,

 

Sur le Temple, voir le dossier thématique.

Sur les cérémonies et les sacrifices, voir Loi figurative 14 (Laf. 258-259, Sel. 290).

Sur la Terre promise (Canaan), voir Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Si la terre promise était le véritable lieu de repos ? Voir l’article Terre de Canaan du Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, qui donne les indications essentielles : appellation usuelle depuis le temps des patriarches pour désigner la terre d’Israël. La promesse de Dieu de donner à la descendance d’Abraham « tout le pays de Canaan » est répétée dans Genèse, XVII, 8 (« 8. Je vous donnerai, à vous et à votre race, la terre où vous demeurez maintenant comme étranger, tout le pays de Chanaan, afin que vos descendants le possèdent pour jamais ; et je serai leur Dieu »), Nombres, XXXIV, 2 sq., et Psaumes CV, 11. L’étendue du territoire est déterminée dans Nombres, XXXIV, 2 sq. : « 1. Le Seigneur parla encore à Moïse, et lui dit : 2. Ordonnez ceci aux enfants d’Israël, et dites-leur : Lorsque vous serez entrés dans le pays de Chanaan, et que vous y posséderez chacun ce qui vous sera échu par le sort, voici quelles seront ses limites : 3. Le côté du midi commencera au désert de Sin, qui est près d’Édom, et il aura pour limites vers l’orient la mer Salée. 4. Ces limites du midi seront le long du circuit que fait la montée du Scorpion, passeront par Sonna, et s’étendront depuis le midi jusqu’à Cadès-Barné ; de là elles iront jusqu’au village nommé Adar, et s’étendront jusqu’à Asémona. 5. D’Asémona, elles iront en tournant jusqu’au torrent de l’Égypte, et elles finiront au bord de la grande mer. 6. Le côté de l’occident commencera à la grande mer, et s’y terminera pareillement. 7. Les limites du côté du septentrion commenceront à la grande mer, et s’étendront jusqu’à la haute montagne ; 8. De là elles iront vers Émath, jusqu’aux confins de Sédada ; 9. Et elles s’étendront jusqu’à Zéphrona, et au village d’Énan. Ce seront là les limites du côté du septentrion. 10. Les limites du côté de l’orient se mesureront depuis ce même village d’Énan jusqu’à Séphama ; 11. De Séphama elles descendront à Rébla, vis-à-vis de la fontaine de Daphnis ; de là elles s’étendront le long de l’orient jusqu’à la mer de Cénéreth, 12. Et passeront jusqu’au Jourdain, et elles se termineront enfin à la mer Salée. Voilà quelle sera l’étendue et quelles seront les limites du pays que vous devez posséder. »

Les populations en étaient principalement des tribus d’Amorites, de Cananéens et de Jébuséens. Josué conquit la région sur de nombreuses tribus locales, qui furent intégrées à celles des vainqueurs.

Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Que le don aux Juifs de la terre promise n’était pas le véritable but de Dieu, mais que celui-ci avait fait cette promesse en un sens figuratif et spirituel, Pascal l’explique dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.

Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est-à-dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lui même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.

 

et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

 

Sur la prédiction claire du temps de l’avènement du Christ, et obscure de la manière, voir Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287).

 

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort, saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure,

 

Le monde : en fait il s’agissait des Juifs dans le paragraphe précédent. L’expression le monde ne signifie pas ici que l’ensemble de l’humanité a vieilli dans des erreurs charnelles indiquées plus haut. Le mot monde, comme le note Furetière, se dit aussi des peuples ; il désigne dans le cas présent l’ensemble du peuple juif (juifs spirituels mis à part, évidemment).

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures.

J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures.

Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures - Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel.

2. - Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire, qu’il vaincrait la mort par sa mort - deux avènements.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures.

La lettre tue - Tout arrivait en figures - Il fallait que le Christ souffrît - Un Dieu humilié - Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.

Saint Paul, Épître aux Corinthiens, X, 11. « Or toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures ; et elles ont été écrites pour nous servir d’instruction à nous autres, qui nous trouvons à la fin des temps » (tr. Sacy).

De ce fait, la notion de figure, qui renvoie toute la vérité aux réalités spirituelles, ne laisse plus au sens littéral aucune réalité substantielle : il perd pour ainsi dire toute consistance, et il ne peut avoir qu’une fonction de signe de ce qui le dépasse.

Cette idée ne présente pas de difficulté lorsque l’on envisage les prophéties : on comprend aisément que, dans leurs livres, les prophètes annoncent des biens charnels et matériels, mais qu’ils entendent par là des réalités spirituelles. Cependant, la formule de saint Paul que Pascal reprend ici, « Toutes choses leur arrivaient en figures », a un sens plus précis : ce sont les événements de l’histoire sainte, ceux que relatent les auteurs sacrés, qui sont figuratifs. Voir sur ce point le commentaire de Jean Mesnard, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 258 : « On pourrait hésiter à considérer cette exégèse des prophéties comme du même type que celle de l’histoire et de la loi. Dans le cas des prophéties, l’opposition entre la lettre et l’esprit est interne au langage et le sens littéral n’a pas de réalité ». Mais dans le cas de l’histoire et de la Loi, « une réalité tangible sert de support à l’interprétation figurative ». La différence n’est cependant pas essentielle, car « en fait pour Pascal, le langage est la structure de toutes choses. Dieu s’exprime par les événements, comme il le fait par les mots du texte sacré : c’est bien ainsi que les Juifs concevaient leur histoire. Dans tous les cas, le sens littéral cache le sens figuré. Comme les figures employées par les prophètes, les événements et les rites, pris à la lettre, empêchent de comprendre l’intention de Dieu, qui est d’en faire le signe d’une autre chose. La vérité, dissimulée par la lettre, réside toujours dans la fin vers laquelle tendent les figures. Pour le lecteur d’aujourd’hui, où toute l’histoire juive est réduite effectivement à l’état de langage, l’Ancien Testament offre un contenu d’une parfaite unité. Il « n’est que figuratif ».

C’est donc au sens strict que toutes choses arrivent en figures.

De Lubac Henri, Exégèse médiévale, II, 2, p. 60. Comme dit saint Paul, omnia in figura. Cela englobe toute la loi ancienne, et toute l’histoire sainte. Importance de cette formule chez saint Augustin : p. 62-63. Tout arrivait en figure parce que tout est propter nos ; tout nous concerne dans l’Ancien Testament : p. 63. Le peuple juif, dans sa vie, son histoire et son langage, est tout entier figuratif : p. 81.

On n’est pas loin de la pensée de Jansénius Augustinus, t. III, l. III, ch. VI, Quis fuerit veteis Testamenti et hominum sub eo viventium fuse declaratur, col. 282, qui soutient que « nihil aliud fuisse Testamentum illud perspicuum est nisi magnam quasi comoediam, quae non tam propter per seipsam quam propter id cui praefigurando serviebat, hoc est, propter Testamentum novum ». Les histoires que rapporte le vieux Testament ne sont en réalité qu’une grande comédie dont les épisodes n’ont pas de valeur propre, mais sont tous des symboles des réalités spirituelles que révélera le nouveau Testament. Voir Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, p. 432.

 

que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair mais en l’esprit,

 

Épître aux Galates, IV, 24-31. Le Royaume de Dieu ne consiste pas en la chair, mais en l’esprit. C’est l’épître du quatrième dimanche.

 

que les ennemis des hommes n’étaient pas les Babyloniens mais leurs passions,

 

Les Babyloniens apparaissent plusieurs fois dans les épîtres de carême : voir cependant Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298), où ce sont les Égyptiens (par erreur sans doute).

 

que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main mais en un cœur pur et humilié,

 

Le Temple : voir Jean, II, 13-25, Évangile du quatrième lundi. Faits de main traduit manufactum de Hébr. IX, 24 : « per amplius et perfectius tabernaculum non manufactum ». Mais Pascal ne prend que ce mot, car l’idée est différente : dans Hebr., le tabernacle juif figure le ciel ; chez Pascal, le temple de pierres figure le temple vivant où réside Dieu, l’être sanctifié du Christ.

 

 que la circoncision du corps était inutile mais qu’il fallait celle du cœur,

 

Sur la circoncision et sa signification spirituelle, voir Perpétuité 1 (Laf. 279, Sel. 311). Un mot de David ou de Moïse, comme que Dieu circoncira leur cœur fait juger de leur esprit. Que tous leurs autres discours soient équivoques et douteux d’être philosophes ou chrétiens, enfin un mot de cette nature détermine tous les autres comme un mot d’Épictète détermine tout le reste au contraire. Jusque-là l’ambiguïté dure et non pas après.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Circoncision, Paris, Cerf, 1993, p. 248-249.

Lods Adolphe, Israël, p. 196 sq. Cérémonie d’initiation ayant pour but de faire du jeune garçon un mâle apte au mariage. Le mot pour fiancé signifie proprement circoncis. Interprétée comme un acte d’affiliation au groupe : p. 197. D’après une des formes de la tradition israélite, c’est lors de l’entrée du peuple en Canaan que Yahvé ordonna à Josué de circoncire les Israélites, afin qu’ils ne fussent plus, par leur incirconcision, objet du mépris des Égyptiens, voir Josué, V, 2-3, 8-9. Selon la version yahviste, c’est sur les confins de l’Égypte, peu avant l’Exode, Exode, IV, 24-26, que la circoncision fut pratiquée pour la première fois sur un hébreu : p. 198. Aucune tradition ne le rapporte à Moïse, qui était et resta incirconcis (Exode, IV, 24-26). D’après Josué V, c’est une coutume de respect humain ; l’incirconcis, le Philistin, est, pour les Hébreux, un barbare, un sauvage. Sens figuratif dans le langage : p. 199. Être incirconcis de lèvres, c’est ne pas être éloquent (Exode, VI, 12, 30) ; avoir l’oreille incirconcise, c’est être incapable d’attention (Jér. VI, 10). C’est à l’époque de l’exil, quand les Juifs entrent en contact avec des peuples incirconcis (Perses, Assyro-babyloniens) que cette pratique prit le caractère d’une marque distinctive nationale et religieuse. Signe de l’alliance de Yahvé avec son peuple, (Genèse, XVII, 11).

Circoncision du cœur : voir les fragments

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple : les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

Genèse, tr. de la Bible de Port-Royal, t. 2, ch. XVII, édition de Paris, Lambert Roulland, 1682, p. 13 sq. Signe sensible que la révolte d’Adam a passé en tous les hommes. Il y a toujours eu quelque sacrement institué par Dieu pour effacer le péché originel et rendre les hommes enfants de Dieu. La circoncision figure du baptême : p. 16. Voir p. 493-502. Voir chapitre XVII : Les incirconcis sont dignes de la mort éternelle. Il y a toujours eu quelque sacrement institué par Dieu pour effacer le péché originel et rendre les hommes enfants de Dieu.

Le Deutéronome, tr. de la Bible de Port-Royal, Paris, Desprez, 1694, p. 125. Chapitre X, Verset 16, p. 133-135. Circoncision du cœur : « cette chair du cœur de l’homme en marque la sensualité, et non pas la flexibilité. Dieu avait créé ce cœur parfait. L’homme en péchant l’a rendu charnel au lieu de spirituel qu’il était. Et la loi nouvelle a été établie par Jésus-Christ pour le rétablir dans l’état où il fut créé ». Moïse parle ici non « en législateur de la loi ancienne, mais en docteur de la vérité, et en directeur des âmes ». La figure de la circoncision du cœur ordonnée par Jésus-Christ : Moïse recommandait la circoncision parfaite et spirituelle. Saint Ambroise note qu’il recommandait les deux circoncisions, intérieure et extérieure, la vraie et la figure : le corps et l’âme ont besoin d’être circoncis par le retranchement de la sensualité. La circoncision extérieure de la chair tend à abattre la révolte de la chair ; celle du cœur tend à abattre la révolte de l’esprit.

Voir Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, c. 27. La circoncision est figure du baptême : p. 16 ; voir Cité de Dieu, XVI, c. 26 ; elle est figure de l’alliance de Dieu avec l’Église : p. 16. Voir p. 277. La circoncision signifie la rénovation de la nature par le dépouillement de la vieillesse. Signe de la régénération : p. 281.

Deutéronome, XXX, 6. « Circumcidet Dominus Deus tuus cor tuum, et cor seminis tui ; ut diligas Dominum Deum tuum in toto corde tuo, et in tota anima tua, ut possis vivere » ; « Le Seigneur votre Dieu circoncira votre cœur, et le cœur de vos enfants ; afin que vous aimiez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur et de toute votre âme, et que vous puissiez vivre ».

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Les Juifs, comme tous les hérétiques, ne prenant dans l’Écriture que ce qu’ils croient leur pouvoir être favorable, s’appuient vainement sur ce passage, pour se persuader que le Messie qu’ils attendent ne doit venir que lorsqu’ils auront été dispersés jusques aux extrémités du monde, afin de les rassembler [2 Esdr., I, 9] ; puisque Néhémias lui-même au commencement de son livre reconnaît que cette prédiction de Moïse fut accomplie, lorsque son peuple retourne de la captivité de Babylone [ann. mund. 3550], en disant à Dieu : Souvenez-vous de la parole que vous avez donnée à Moïse votre serviteur, lorsque vous lui avez dit : Si vous violez mes ordonnances, je vous disperserai parmi les peuples. Que si vous revenez ensuite à moi, et si vous gardez fidèlement mes préceptes, quand on vous aurait enlevé jusques aux extrémités du monde, je vous ramènerai dans le lieu que j’ai choisi, etc. S. Augustin dit que cette promesse que Dieu leur faisait, de circoncire leur cœur et le cœur de leurs enfants, devait être regardée comme une promesse toute claire de sa grâce. Et S. Cyprien témoigne que cette circoncision du cœur que Moïse leur prédit devait être l’ouvrage de l’incarnation de Jésus-Christ » [August. in Deut. quaest. 53. Cypr. cont. Jud. lib. I cap. 8] ». 

Deutéronome X, 16. « Circumcidete igitur praeputium cordis vestri, et cervicem vestram ne induratis amplius » ; « Ayez donc soin de circoncire la chair de votre cœur, et ne rendez pas davantage votre tête dure et inflexible ».

Jérémie IV, 4. « Soyez circoncis de la circoncision du Seigneur, retranchez de vos cœurs ce qu’il y a de charnel, habitants de Juda et de Jérusalem, de peur que mon indignation n’éclate tout à coup et ne s’embrase comme le feu, à cause de la malignité de vos pensées, et que personne ne la puisse éteindre. » Pascal ne semble pas avoir relevé ce passage dans le fragment Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693).

Voir dans Perpétuité 1 (Laf. 279, Sel. 311), les commentaires de Jansénius, Pentateuchus, Deutéronome, XXX, 6, p. 372. Et de la Bible de Port-Royal sur Genèse, XVII, 10-13.

Sur la véritable circoncision, voir Saint Paul, Romains, II, 25-26. « Ce n’est pas que la circoncision ne soit utile, si vous accomplissez la loi ; mais si vous la violez, tout circoncis que vous êtes, vous devenez comme un homme incirconcis. Si donc un homme incirconcis garde les ordonnances de la loi, n’est-il pas vrai que tout incirconcis qu’il est, il sera considéré comme circoncis ? »

Saint Paul, Colossiens, II, 11. « Comme c’est en lui [le Christ] que vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’est pas faite de main d’homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps des péchés que produit la concupiscence charnelle, c’est-à-dire, de la circoncision de Jésus-Christ ».

Perpétuité 10 (Laf. 288, Sel. 320). Moïse, Deut. 30. promet que Dieu circoncira leur cœur pour les rendre capables de l’aimer.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

[...] La circoncision n’était qu’un signe. Gen. 17. 11.

[...] Que la circoncision du cœur est ordonnée.

[...] Que Dieu dit qu’il le ferait un jour.

[...] Que les incirconcis de cœur seront jugés.

[...] Que l’extérieur ne sert à rien sans l’intérieur.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.

La lettre tue. / Tout arrivait en figures. / Il fallait que le Christ souffrît. / Un Dieu humilié.

Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple, les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.

Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.

Vous serez vraiment libre ; donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté.

Je suis le vrai pain du ciel.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

 

que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

 

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures. J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures - Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Je suis le vrai pain du ciel.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

Laf. 818, Sel. 660. Moïse ne vous a point donné le pain du ciel.

Vrai pain du ciel est tiré de Jean, VI, 32, « Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel ».

L’expression le pain du ciel fait allusion à l’épisode de la manne accordée par Dieu aux Juifs dans le désert, Exode, XVI, 4.

Le commentaire de la Bible de Port-Royal sur le sens spirituel de cet épisode comporte une comparaison entre la manne et l’eucharistie.

 

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Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement, mais abondamment en figures, afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent (je ne dis pas bien) et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent

 

Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Prédiction claire du temps et obscure des biens. Dieu pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons [car la bonté de leur cœur] ne leur eût pas fait entendre que par exemple le ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures. Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas. Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.

Sur la parenthèse je ne dis pas bien, voir le commentaire de la transcription diplomatique.

 

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Tout ce qui ne va point à la charité est figure.

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L’unique objet de l’Écriture est la charité.

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Tout ce qui ne va point à l’unique bien en est la figure. Car puisqu’il n’y a qu’un but tout ce qui n’y va point en mots propres est figure.

 

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008, p. 608 sq. Analyse rhétorique de ce passage.

La charité est ici présentée comme la fin à laquelle tend tout ce qui se trouve dans l’Écriture.

La fin est ce en vue de quoi tout ce qui n’est pas elle n’est que moyen pour l’atteindre.

Lalande André, Vocabulaire, art. Fin, p. 352. Par opposition à moyen, la fin est ce pourquoi quelque chose existe ou se fait, but, intention ou sens.

Sur la notion de fin, voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, III, XVII, 429 sq.

Voir surtout Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures. [...] Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.

Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.

Il en découle que toute expression qui ne se rapporte pas à cette fin est médiatement relative à cette fin. Cette conséquence ne vaut évidemment pas pour les expressions qui n’ont qu’un sens littéral suffisant. En revanche, dès lors qu’une expression doit être prise pour figure, elle est nécessairement figure qui n’a de sens que par cette fin.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 413. Tout ce qui ne va pas à la charité est figure. Origine augustinienne de ce principe : p. 414. Augustin insiste dans plusieurs ouvrages sur le fait que Dieu « n’ordonne que la charité et ne condamne que la cupidité ».

De Lubac Henri, Exégèse médiévale, I, 2, p. 258. Toute interprétation mène à la charité. Pour saint Augustin, tout sens qui mène à la charité est bon, que ce soit ou non le sens voulu par l’auteur. Tout l’enseignement de l’Écriture se résume à la charité. La tropologie tend ad aedificationem caritatis : p. 569.

Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992. Principe de Pascal : il faut rechercher le sens le plus digne de Dieu, celui qui mène à la charité. Voir saint Augustin, De doctrina christiana, III, 10 : « non autem praecipit Scriptura nisi caritatem nec culpat nisi cupiditatem ». Voir Sermo CCCL.

Cette règle répond au souci d’univocité exprimé dans l’opuscule De l’esprit géométrique, mais aussi par le principe énoncé dans Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289), Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent, ou il n’a point de sens du tout. Pascal diffère en cela de saint Augustin, qui estime que, dans l’interprétation de l’Écriture, on peut admettre tout sens qui s’accorde avec la vérité. Pascal pense que les figures ont un sens et un seul, qui est déterminé par la dernière fin, savoir la charité, et la charité seule. C’est donc selon lui la totalité de l’Écriture qui est figurative.

Il faut cependant noter que sa position est plus souple qu’il ne peut le sembler. La liasse Figures particulières montre qu’il existe des figures qui ne renvoient pas directement à la charité : selon le Recueil de choses diverses, f° 344 v°, OC I, éd. J. Mesnard, p. 895, § 28, « M. Pascal remarque une chose : que les prophètes ont prédit de certaines choses qui sont arrivées afin d’autoriser celles qu’ils diraient du Messie. Ainsi il ne faut pas peut-être rapporter tout à Jésus-Christ, comme font quelques-uns ». Ces prophéties sont internes à l’Ancien Testament, et ne sont donc pas directement figuratives. Mais elles demeurent en correspondance avec le Nouveau : voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 276 sq.

Lettre de Galilée à Benedetto Castelli du 21 décembre 1613, in Lo Chiatto Franco et Marconi Sergio, Galilée entre le pouvoir et le savoir, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988, p. 166. L’autorité des lettres sacrées n’a eu d’autre visée que de convaincre les hommes de ces articles et propositions qui, étant nécessaires à leur salut et au-dessus de tout discours humain, ne pouvaient ni par une autre science ni par un autre moyen, nous devenir crédibles, si ce n’est pas la bouche du Saint Esprit. Voir aussi la lettre de Galilée à Christine de Lorraine, 1615, p. 181. L’esprit saint, selon saint Augustin, est indifférent à ce qui ne relève pas du salut ; « l’Esprit saint a lui-même tout exprès négligé de nous enseigner semblables propositions, comme absolument étrangères à son intention, qui est notre salut... »

 

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Dieu diversifie ainsi cet unique précepte de charité pour satisfaire notre curiosité qui recherche la diversité, par cette diversité qui nous mène toujours à notre unique nécessaire. Car une seule chose est nécessaire et nous aimons la diversité, et Dieu satisfait à l’un et à l’autre par ces diversités qui mènent à ce seul nécessaire.

 

Misère 14 (Laf. 65, Sel. 99). Diversité.

Cette diversité qui nous mène toujours à notre unique nécessaire : sur l’ordre concentrique qui convient au cœur, qui procède par digression sur chaque point qui a rapport avec la fin, pour la montrer toujours, voir Preuves de Jésus-Christ 1 (Laf. 298, Sel. 329).

Mersenne Marin, Questions physiques et mathématiques, Q. XLVI, éd. Pessel, Corpus de philosophes en langue française, Fayard, p. 395 sq. À savoir si la nature et les sens se plaisent à la variété, et pourquoi Dieu se plaît à la diversité : p. 359. Pourquoi aime-t-on la diversité ? p. 397 sq. Ce qui n’a pas de diversité ne plaît ni aux sens ni à l’imagination. Mais il ne faut pas qu’elle soit excessive : p. 400 sq.

Méré, Discours, Des agréments, éd. Boudhors, p. 13. « La diversité plaît toujours en ce qui regarde les sens, pourvu que tout ce qui la compose soit bien d’accord et bien proportionné. Plus les beaux paysages sont divers, plus les yeux en sont contents ». Mais pour l’esprit et l’imagination, il en va souvent autrement, la trop grande variété déplaît et embarrasse.

Car une seule chose est nécessaire : voir la note de Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 9. Ce sont les termes de Luc, X, 42, « Porro unum est necessarium », « Cependant une seule chose est nécessaire. » L’unique nécessaire est Dieu.

 

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Les Juifs ont tant aimé les choses figurantes et les ont si bien attendues qu’ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.

 

Sellier Philippe, “La lumière immobile. L’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 187-211. Les Juifs charnels amateurs de choses figurantes.

Voir plus haut : Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.

 

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Les rabbins prennent pour figure les mamelles de l’épouse et tout ce qui n’exprime pas l’unique but qu’ils ont des biens temporels.

 

Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 10 et p. 14. Le fragment est présenté comme un tout isolé avec la phrase suivante. Port-Royal supprime la fin, de peur d’appeler l’Eucharistie une figure, même dans un sens très différent des protestants. Le raisonnement de Pascal est le suivant : les rabbins mêmes sont obligés de reconnaître de pures figures dans l’Écriture, par exemple dans les images érotiques du Cantique des cantiques ; de sorte qu’a fortiori les chrétiens peuvent se permettre de ne pas tout prendre à la lettre.

Allusion au Cantique des cantiques, IV, 5 : « Duo ubera tua, sicut duo hinnuli caprea gemelli, qui pascuntur in liliis » ; « Vois deux mamelles sont comme deux petits jumeaux de la femelle d’un chevreuil, qui passent parmi les lys » (tr. de la Bible de Port-Royal). Le commentaire de la Bible de Port-Royal est, de l’aveu même de son auteur, assez embarrassé : « Il est difficile de découvrir le point juste de cette comparaison des deux mamelles de l’Épouse avec deux petits jumeaux d’une chèvre, qui paissent parmi les lys, et quelque éclaircissement que les interprètes donnent sur cela, l’esprit sent qu’il n’en est point convaincu ». Embarrassé par ces mamelles « qui sont toutes spirituelles », le commentateur se résout à les expliquer « des deux Testaments, de l’Ancien et du Nouveau, par lesquels, dit saint Augustin, la Sagesse incarnée nourrit les peuples, comme du lait de sa divine parole, qui fait les chastes délices des âmes saintes en cette vie ».

Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 76. Renseignements donnés dans le Pugio Fidei pour l’interprétation des mamelles de l’épouse dans le Cantique des cantiques : « ce sont », selon les rabbins, deux messies, « deux sauveurs qui viendront à ton secours, le Messie fils d’Éphraïm et le Messie fils de David, semblables à Moïse et Aaron fils de Jocabed, qui furent semblables à deux faons, jumeaux de la même biche ». Sur le Pugio fidei sur la multiplicité des Messies auxquels ont cru les Juifs : p. 77 sq.

Voir Martin Raymond, Pugio fidei, P. III, Dist. III, Ch. XII, § XVIII, p. 710 sq. « Duo Messiae Judaeis venturi finguntur. Imo quod majoris insaniae, atque dementiae est, ac caecitatis majoris, duos Messias delirant sibi venturos, unum videlicet de Ephraïm, et alium de David eo quod in Cant. 4. v. 5. & 7. v. 3 taliter sit scriptum : [...] Duo ubera tua sicut duo hinnuli gemelli. Idem in Targum : [...] Duo salvatores tui qui venturi sunt ad salvandum te, Messias filius David, & Messias filius Ephraim similes Moysi, & Aaroni filiis Iocabed, qui similes fuerunt duobus hinnulis gemellis damulae. Ecce quo vento insaniae moti sunt Iudaei ad credendum duos Mesias fore sibi venturos. Cum autem hic nec ista scriptura, nec alia cui oporteat credere dixerit ; patet eos insanire, & immensa fatuitate esse creatos [corr. Marginale : caecatos]. Duo enim ubera Synagogae, de quibus hic locutus est Salomo Cantic. Cant. c. 4. v. 5. [...] Duo ubera ; hi sunt Moyses et Aaron ; Non igitur duo Messiae, ut Judaei impudentissima fatuitate delirant : post istos vero duo ubera Synagogae fuerunt Prophetae, et Sapientes. Haec ubera arefecit Dominus Iudaeis malitia eorum requirente, & propheta postulante, Hoz. 9. vers. 14. [...] Da eis Domine : quid dabis eis ? da eis matricem orbam, & ubera sicca. Hoc tunc fuit impletum quando Dominus abstulit spiritum prophetiae ; ac Sapientes ipsorum permisit a diabolo infatuari, et spiritualiter excaecari ».

 

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Et les chrétiens prennent même l’Eucharistie pour figure de la gloire  où ils tendent.

 

Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 10 et p. 14. Le fragment est présenté comme un tout isolé avec la phrase précédente. Les chrétiens sont si spirituels qu’ils considèrent l’Eucharistie elle-même comme figurant la possession de Dieu dans le ciel. Pascal n’en croit pas moins à la présence réelle, comme le prouve la XVIe Provinciale.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Et même la grâce n’est qu’une figure de la gloire. Car elle n’est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi et figure elle-même la [gloire], mais elle en est la figure et le principe ou la cause.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 15. L’idée que la grâce est figure de la gloire se trouve chez Saint-Cyran : les objets des sens ne prennent une valeur de figures que par rapport au règne de la grâce, lui-même figure de la gloire à venir.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 403-404. La figure subsiste. Quand Pascal écrit que la grâce n’est que la figure de la gloire, il ne veut pas dire que la grâce n’a pas de consistance ni d’importance.

 

Les opérations en marge (voir le papier original)

 

En marge du texte se trouvent deux opérations qui ne paraissent pas avoir de rapport avec la partie manuscrite du papier.

Le sens de ces opérations n’est expliqué nulle part. Il n’est cependant pas impossible d’en donner une interprétation au moins partielle.

La deuxième opération est une soustraction, suivie d’une addition.

2 177 – 1 179 = 998

puis

998 + 464 = 1 462

La première opération, située plus haut sur le manuscrit, est une simple addition :

896 + 1 179 = 2 075

Les deux opérations sont liées par le nombre 1179, ajouté dans l’une et retranché dans l’autre.

Leur sens reçoit un peu de lumière si on les rapproche de la chronologie des Antiquités judaïques et de La guerre des Juifs contre les Romains de Flavius Josèphe, dont on sait qu’elles ont été traduites par Robert Arnauld d’Andilly, frère du grand Arnauld.

Le livre VI, ch. XLVII de La guerre des Juifs contre les Romains indique que « onze cent soixante dix-neuf ans se passèrent depuis le temps où David [...] régna [à Jérusalem] jusqu’à celui où Titus la prît et la ruinât, et deux mille cent soixante et dix-sept ans après sa fondation » (voir l’édition établie par Arnauld d’Andilly, rééditée sous le titre Les Juifs (...) par Flavius Josèphe, Paris, Lidis-Brepols, p. 906). Il est possible que Flavius Josèphe ait suggéré à Pascal les calculs en question.

La première partie de l’opération

2 177 – 1 179 = 998

se comprend aisément. Les deux nombres partent d’un événement commun, la prise de Jérusalem par Titus, et aboutissent, pour 2 177 à la fondation de Jérusalem (dont la traduction d’Arnauld d’Andilly précise qu’elle fut l’œuvre de Melchisédech), et pour 1 179 au règne de David.

La différence entre ces deux nombres, soit 998, mesure donc l’écart entre la fondation de Jérusalem par Melchisédech et le règne de David.

1 179 + 998 = 2 177

Le calcul n’est cependant pas limpide, car le règne de David est censé, selon la chronologie de Flavius Josèphe, avoir duré 40 ans, et dans certains cas Flavius Josèphe compte une vingtaine d’années en sus, y adjoignant le règne de Saül.

Quoi qu’il en soit, à ces 998 années Pascal en ajoute 464.

998 + 464 = 1 462

Rien n’indique à quoi correspond ce résultat.

On peut considérer que ces 1 462 années remontent dans le temps à partir du règne de David, mais il est difficile de trouver un événement qui réponde à ce résultat.

On peut aussi envisager que l’écart de 1 462, pris à partir de la fondation de Jérusalem, suit le fil du temps. Dans ce cas, Flavius Josèphe signale que la suite des rois d’Israël a duré 514 ans (éd. cit., p. 319) ; en défalquant les 20 années de règne de Saül, et en comptant 40 ans de règne de David, l’écart entre le règne de David et la destruction du temple de Jérusalem compte 452 années. Mais le calcul peut être discuté à partir du Livre VI, ch. XLVII de La guerre des Juifs contre les Romains, éd. Brepols, p. 906, où Flavius Josèphe écrit que « après que David, roi des Juifs, eut chassé les Chananéens, il [...] établit [sc. à Jérusalem] ceux de sa nation, et quatre cent soixante et dix sept mois après, elle fut détruite par les Babyloniens ». On approche du résultat de Pascal. Mais aucune certitude n’est possible.

L’autre calcul paraît plus simple, puisqu’il n’est composé que d’une addition. Mais il n’est pas clair pour le fond. Le nombre de 1 179 représente, on l’a vu, l’écart qui sépare le règne de David de la destruction de Jérusalem par Titus. Pascal y ajoute 896 années, ce qui donne une somme de 2 075. Ces 896 années étant ajoutées, il est vraisemblable qu’elles renvoient à un événement antérieur au règne de David. Comme il est inférieur aux 998 ans du précédent calcul, cet événement doit être postérieur à la fondation de Jérusalem par Melchisédech. Mais il doit aussi être antérieur à la sortie d’Égypte, puisque celle-ci est censée, selon les indications de Flavius Josèphe, être antérieure de plus d’environ 1 740 ans à la prise de Jérusalem par Titus. Là encore, il n’est pas possible de s’assurer.

Il est pourtant possible d’en tirer une conclusion : contrairement à l’opinion qui veut que Pascal s’intéresse peu au détail de la chronologie on constate qu’il prend parfois la peine de calculer les écarts chronologiques de manière arithmétiquement exacte. Aussi bien, on peut se demander si ces opérations ne sont pas destinées à déceler des incompatibilités dans les chronologies juives, plutôt qu’à vérifier leur exactitude.