Fragment Loi figurative n° 26 / 31  – Papier original : RO 29-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 312 p. 135 v° / C2 : p. 164

Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 99  / 1678 n° 8 p. 99-100

Éditions savantes : Faugère II, 315, VII / Havet XVI.8 / Michaut 75 / Brunschvicg 545 / Tourneur p. 265-1 / Le Guern 254 / Lafuma 271 / Sellier 302

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Bibliographie

 

 

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

MESNARD Jean, “La maladie, “état naturel des chrétiens” ”, Communio, Revue catholique internationale, t. II, 1977, p. 84-94.

ROHOU Jean, “L’amour de soi au XVIIe siècle : de la concupiscence à la complaisance, à l’angoisse et à l’intérêt”, Les visages de l’amour propre au XVIIe siècle, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse-Le Mirail, 1984, p. 78-89.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 287 sq.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 486 sq.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007.

 

 

Éclaircissements

 

Jésus-Christ n’a fait autre chose qu’apprendre aux hommes qu’ils s’aimaient eux‑mêmes,

 

Voir le fragment Amour propre (Laf. 978, Sel. 743). La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 154 sq.

Pascal, Lettre sur la mort de son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 857-858. À l’origine, Dieu a créé l’homme avec deux amours, l’un pour Dieu, l’autre pour soi, avec cette condition que l’amour pour Dieu serait infini, et l’amour de soi fini et rapporté à Dieu. Dans cette situation, l’homme s’aimait sans péché, et ne pouvait pas ne pas s’aimer sans péché. « Cet amour propre s’est étendu et débordé dans le vide que l’amour de Dieu a quitté ; et ainsi il s’est aimé seul, et toutes choses pour soi, c’est-à-dire infiniment ». L’amour propre était « naturel à Adam, et juste en son innocence », de sorte que « l’homme en cet état non seulement s’aimait sans péché, mais ne pouvait pas ne point s’aimer sans péché » ; mais cet amour « est devenu criminel et immodéré, ensuite de son péché » : l’amour de Dieu s’est alors perdu, et seul est demeuré l’amour de soi, avec une infinité engendrée par la place vide laissée par l’amour de Dieu.

Le péché consistant en l’orgueil qui rapporte tout au moi, Pascal conclut dans le fragment Laf. 597, Sel. 494, que le moi est haïssable, et que, selon Laf. 564, Sel. 471, la vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer.

C’est ce qui se trouve dans la foi la plus simple, suivant Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412) : Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes.

Il existe pourtant une forme d’amour de soi qui n’est pas mauvaise, et qui est même légitime ; qui consiste à s’aimer en tant que membre d’un corps, savoir le corps mystique de l’Église. Voir sur ce point la liasse Morale chrétienne, et Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 184 sq.

Morale chrétienne 18 (Laf. 368, Sel. 401). Pour régler l’amour qu’on se doit à soi-même il faut s’imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s’aimer, etc.

Plus précisément, toujours selon le fragment Laf. 564, Sel. 471, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.

Il en résulte que le précepte qui commande à l’homme de se haïr ne conduit pas au désespoir, car il a pour pendant le commandement de s’aimer en Dieu. Voir Preuves par discours III (Laf. 450, Sel. 690) : Il faudrait que la véritable religion enseignât la grandeur, la misère, portât à l’estime et au mépris de soi, à l’amour et à la haine.

La haine de soi ne s’adresse pas à tout l’homme : elle doit essentiellement atteindre en lui ce qui relève de la concupiscence : voir Contrariétés 1 (Laf. 119, Sel. 151) : Contrariétés. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l’homme. Que l’homme maintenant s’estime son prix. Qu’il s’aime, car il y a en lui une nature capable de bien ; mais qu’il n’aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu’il se méprise, parce que cette capacité est vide ; mais qu’il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu’il se haïsse, qu’il s’aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d’être heureux ; mais il n’a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante.

 

qu’ils étaient esclaves,

 

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 74 sq., une étude approfondie de la manière dont il faut concevoir l’esclavage auquel le péché a réduit l’homme (notamment pour le concilier avec l’idée que la liberté de la volonté subsiste). Voir p. 93 sq., sur le caractère volontaire des liens du péché : p. 93 sq. et n. 128.

Saint Augustin, La cité de Dieu, XIX, Bibliothèque augustinienne, p. 21 ; voir p. 123 : la première cause de l’esclavage est le péché. Doctrine de l’esclavage : p. 745.

Pascal développe cette idée dans les Écrits sur la grâce, par exemple dans la Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement final, 6, Rédaction inégalement élaborée, OC III, éd. J. Mesnard, § 34-35, p. 693-707 : « Aussi cet admirable enseignement de saint Paul devrait suffire pour nous en instruire, quand il dit que l’homme est ou esclave de la justice, et libre du péché ; ou libre de la justice, et esclave du péché ; c’est-à-dire ou esclave du péché ou esclave de la justice ; jamais sans être esclave ou de l’un ou de l’autre ; et partant jamais libre de l’un et de l’autre. Il est maintenant esclave de la délectation ; ce qui le délecte davantage l’attire infailliblement : ce qui est un principe si clair, et dans le sens commun et dans saint Augustin, qu’on ne peut le nier sans renoncer à l’un et à l’autre. » Dans l’état de nature corrompue, selon le Traité de la prédestination, 3, § 10, OC III, p. 794, « Le libre arbitre est demeuré flexible au bien et au mal ; mais avec cette différence, qu’au lieu qu’en Adam il n’avait aucun chatouillement au mal, et qu’il lui suffisait de connaître le bien pour s’y pouvoir porter, maintenant il a une suavité et une délectation si puissante dans le mal par la concupiscence qu’infailliblement il s’y porte de lui-même comme à son bien, et qu’il le choisit volontairement et très librement et avec joie comme l’objet où il sent sa béatitude ».

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 248. « L’homme quelquefois ne saurait vouloir et quelquefois en voulant quelque chose il ne le saurait faire ». Il a pour ainsi dire les jambes brisées.

 

aveugles,

 

Sur l’idée d’aveuglement, voir Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.

Prophéties 26 (Laf. 347, Sel. 379). Que Dieu les frappera d’aveuglement et qu’ils tâtonneront en plein midi comme les aveugles.

Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 45, p. 231 sq. Aveuglement et obstination. L’aveuglement suppose que l’on a joui antérieurement de la vue. Les Juifs ont été aveuglés par la vue de Jésus-Christ : avant le Christ, ils avaient la vraie foi, ils étaient clairvoyants parmi les païens. Ils ont été aveuglés à l’avènement du Christ. De même pour les impies : ils ont reçu la lumière de la vraie foi, mais la vanité les perd. « Ce cœur est dit être endurci quand il n’est pas enclin à aimer et vouloir quelque chose ».

L’obscurcissement, qui suscite l’aveuglement entraîne à échéance l’endurcissement.

Truchet Jacques, La prédication de Bossuet, I, Paris, Cerf, 1960, p. 181 sq. L’endurcissement est l’état du pécheur qui s’est tant abandonné au mal qu’il en est arrivé à se retirer toute possibilité de conversion, donc de salut. Ce n’est pas seulement un phénomène psychologique, explicable par une habitude de pécher si invétérée qu’elle ne peut plus cesser de s’exercer ; c’est une réalité d’ordre spirituel : il vient un moment, impossible à déterminer pour la sagesse humaine, où Dieu décide de retirer sa grâce au coupable ; celui-ci est dès lors perdu sans remède, voué à l’impénitence finale. La permission par laquelle Dieu permet le péché a alors une valeur de châtiment. « Il y a un jour que Dieu sait, après lequel il n’y a plus pour l’âme aucune ressource » (Bossuet, Œuvres complètes VI, p. 100). « Dieu qui nous voit périr, nous avertit qu’il viendra un point où il cessera de pardonner, et auquel à la fin nous tomberons au dernier degré d’endurcissement et à l’impénitence finale » (Œuvres complètes VI, p. 578).

Voir Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 45 : l’endurcissement du pécheur a plusieurs causes : Dieu aveugle et endurcit en permettant qu’on tombe dans le péché, en le laissant au milieu de la tentation, en endurcissant par soustraction de la grâce, ou par l’abondance des faveurs dont on abuse. Aveuglement concerne proprement l’esprit ; endurcissement concerne proprement le cœur. Voir Q. 46, p. 233 sq. : comment se fait l’aveuglement.

Pascal décrit par exemple ce processus d’endurcissement dans le mal suscité par l’aveuglement dans le Sixième écrit des curés de Paris, § 22, à propos de la Compagnie de Jésus. Il y a eu différents degrés de l’endurcissement chez les jésuites : « Les Jésuites sont si aveuglés en leurs erreurs, qu’ils les prennent pour des vérités, et qu’ils s’imaginent ne pouvoir souffrir pour une meilleure cause. C’est l’extrême degré d’endurcissement. Le premier est de publier des maximes détestables. Le second de déclarer, qu’on ne veut point les condamner, lors même que tout le monde les condamne. Et le dernier, de vouloir faire passer pour saints et pour compagnons des martyrs, ceux qui souffrent la confusion publique pour s’obstiner à les défendre. Les Jésuites sont aujourd’hui arrivés à cet état. »

Le fait de l’aveuglement des hommes est visible ; mais il est si extraordinaire que Pascal y voit un effet d’une cause qui ne peut être que hors de la nature. Voir Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) : C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, Paris, P. U. F., 1923, p. 92, note : critique d’Arnauld contre la comparaison de l’homme destitué de la grâce avec un aveugle. Voir De Lubac Henri, Augustinisme et théologie moderne, p. 68, qui remarque que Baïus a tiré abusivement de cette comparaison toute une théorie.

 

 malades, malheureux et pécheurs ;

 

Saint Augustin, De natura et gratia, Œuvres, t. 21, Bibliothèque augustinienne, p. 616, note. Voir p. 621, sur les traits de la nature déchue : privation de la grâce originelle et de ses privilèges, c’est une blessure, qui détruit la rectitude primitive. « Vulnerata, sauciata, vexata, perdita natura est ».

Pensée n° 20V (Laf. 938, Sel. 763). Les figures de l’Évangile pour l’état de l’âme malade sont des corps malades. Mais parce qu’un corps ne peut être assez malade pour le bien exprimer il en a fallu plusieurs. Ainsi il y a le sourd, le muet, l’aveugle, le paralytique, le Lazare mort, le possédé : tout cela ensemble est dans l’âme malade.

Mesnard Jean, “La maladie, “état naturel des chrétiens””, Communio, Revue catholique internationale, t. II, 1977, p. 84-94.

Voir la Vie de Pascal, OC I, p. 599 et 639. La maladie place le chrétien dans la condition qui devrait toujours être la sienne : privation des plaisirs, affaiblissement des passions, attente de la mort. Cependant la formule de Gilberte résume l’idée de façon approximative seulement : si la maladie réalise la séparation du monde, elle ne l’accomplit pas sur le plan spirituel : il y faut la grâce spéciale de la conversion : voir OC IV, p. 991.

Thirouin Laurent, “La santé du malheur. Santé et maladie dans la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 275-298.

Voir la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 998, et  la notice, p. 987 sq.

 

qu’il fallait qu’il les délivrât,

 

Jean, VIII, 32. « Veritas liberabit vos ».

 

éclairât,

 

Arnauld Antoine, Apologie pour les saints Pères, Œuvres, XVIII, Liv. VI, ch. II, p. 556-559. Explication, contre le P. Le Moyne, de l’idée que Dieu éclaire l’âme de l’homme. Le Moyne argue de Jean I, « Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum ». L’homme reçoit des rayons de la foi en Jésus-Christ.

« C’est cette lumière spirituelle, dont parle si souvent saint Augustin, qui est toujours présente à nos âmes, qui leur luit toujours, même dans les plus épaisses ténèbres, et dont nous pouvons toujours être éclairés, pourvu que nous ayons des yeux pour la voir. Et en ce sens il est la lumière qui éclaire généralement tous les hommes et tous les anges.

Mais comme le soleil visible éclaire durant le jour tous les yeux corporels, et leur donne à tous le moyen de voir, en ce qui dépend de la seule présence de sa clarté, quoique ceux qui ont la vue obscurcie ne puissent la voir, si l’on ne guérit leur aveuglement : ainsi ce soleil invisible illumine sans cesse toutes les créatures intelligentes, et leur présente à toutes ses rayons divins et éternels, par lesquels seuls elles peuvent contempler la vérité. Mais parce que le péché a rendu tous les hommes aveugles, et a couvert leurs yeux de ténèbres, quoique cette lumière immortelle ne laisse pas de leur nuire, parce qu’elle n’a point changé de nature ; le changement qui est arrivé en eux fait qu’ils ne sont plus maintenant au même état d’en jouir, qu’ils étaient avant que de s’être détournés d’elle, et s’être aveuglés en s’en détournant.

C’est pourquoi ce n’est plus assez que cette lumière les éclaire en cette manière générale, dont elle les éclairait avant que leur vue eût été altérée et corrompue par le péché, et dont elle a éclairé généralement tous (p. 558) les anges, il faut qu’elle le fasse d’une manière toute particulière, et en ne se présentant pas seulement à eux pour en être vue, mais en leur donnant des yeux par lesquels elle en puisse être vue. Car autrement, selon la parole de l’Évangile au même endroit, lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt, comme le soleil ne peut être vu des aveugles, quoiqu’il les environne de toutes parts de sa clarté et de ses rayons. Sicut sol iste a caecis non videtur, quamvis eos suis radiis quodammodo vestiat, sic lumen aeternum, quod etiam in tenebris lucet, a stultitia tenebris non comprehenditur (Aug. De pecc. mer. I, 25).

Mais l’avantage qu’a ce soleil de nos âmes au-dessus de celui de nos corps, est que ce dernier nous donne moyen de voir si nous avons la vue saine, et si nous nous tournons vers lui ; mais il ne guérit pas nos yeux, s’ils sont malades, et ne fait pas que nous nous tournions vers lui si nous en sommes détournés. Au lieu que le premier fait l’un et l’autre : Etiam ut convertamur ipse adjuvat, quod certe oculis corporis lux ista non praestat (Aug. De pecc. mer. I, 5).

Or comment est-ce qu’il le fait ? Comment est-ce que cette lumière qui luit à nos yeux, lors même qu’ils sont aveugles, les rend, d’aveugles, clairvoyants et capables de jouir de sa splendeur ? En faisant ce qu’il a figuré dans l’Évangile, en mêlant sa salive à notre boue, et l’appliquant à nos yeux. C’est-à-dire que le Verbe, qui est cette lumière éternelle, qui par lui-même et selon sa nature divine, illumine toutes les âmes, comme leur soleil, en ce qu’ils ne peuvent rien voir que par sa clarté, les illumine, comme leur médecin, en leur rendant la vue intérieure que le péché avait obscurcie, que s’étant fait chair, que s’étant couvert de notre ombre, pour se proportionner à notre faiblesse, et ayant uni, par un prodige d’amour envers ses élus, cette salive sacrée qui découle de la tête du Père, avec la boue de notre humanité : afin que ce remède, étant appliqué aux yeux de notre âme, ce qui ne peut être que par la foi, il lui rende l’usage de la vue, et lui donne moyen de voir ce soleil divin, qui était toujours présent à elle pour l’illuminer, mais dont son aveuglement la rendait absente, et incapable d’en être illuminée, comme remarque excellemment saint Augustin en divers endroits.

Je demande donc à M. Le Moyne de quelle illumination il entend ces paroles de l’Évangile, que Jésus-Christ était la lumière qui illumine tous les hommes, lorsqu’il les allègue pour prouver que ceux qui n’ont aucune foi en Jésus-Christ, comme les infidèles et les Juifs, ne manquent point de grâce suffisante pour faire le bien.

Car s’il l’entend simplement de l’illumination générale, qui convient à Jésus-Christ comme Verbe, et selon laquelle la lumière luit dans les ténèbres, quoique les ténèbres en l’aperçoivent point, il est lui-même couvert de grandes ténèbres, s’il ne voit pas que vouloir établir par là une grâce suffisante pour tous les infidèles qui demeurent infidèles, et à qui cette lumière invisibles n’est présente que comme le soleil est présent aux yeux des aveugles, demeurant aveugles, ont un moyen suffisant pour voir, parce que le soleil ne cesse point de leur présenter sa lumière.

Que s’il les entend de l’illumination particulière qui convient au même verbe, comme revêtu de notre chair, et selon laquelle il témoigne qu’il est venu dans le monde pour faire voir ceux qui ne voyaient pas (Jean, 9, 39), et pour les faire passer de leurs ténèbres dans son admirable lumière (I. Petr. 2, 9), en ne présentant pas seulement la clarté à leurs yeux malades, mais en les guérissant pour les rendre capables de l’apercevoir : il est lui-même encore plus aveugle, s’il ne voit pas ce que l’Écriture nous assure en tant de lieux, que la condition essentielle, pour être en cette manière illuminé par Jésus-Christ, est de croire en Jésus-Christ ; et qu’ainsi ces infidèles, dont il parle, qui n’y ont jamais cru, n’ont pu avoir aucune part à cette illumination médicinale du sauveur du monde, sans laquelle l’autre illumination ne peut de rien servir à des âmes aveuglées, qui demeurant dans l’aveuglement et dans les ténèbres de l’infidélité, sont incapables de voir la lumière, quelque présente qu’elle puisse être à leurs yeux. »

 

béatifiât

 

Béatitude : état de félicité des saints dans le ciel, bonheur éternel. Sur la rémission des péchés et la sanctification de l’humanité par le Christ, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 441 sq. Le concile de Trente a défini que le péché originel n’a été effacé que par le mérite du seul médiateur, Jésus-Christ, et que les hommes ne peuvent être justifiés s’ils ne sont régénérés par le Christ, parce que par le moyen de cette régénération par le mérite de la Passion, la grâce par laquelle ils sont justes leur est communiquée.

Aujourd’hui, le verbe béatifier se prend en un sens plus technique, qui existait déjà à l’époque de Pascal. Béatifier : se dit quand le pape permet d’avoir de la dévotion à quelque défunt qui est mort en odeur de sainteté, en attendant qu’on le canonise (Furetière).

Voir Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Béatification, p. 101. Admission par l’Église du fait qu’un personnage mort en état de sainteté peut être considéré comme bienheureux. Acte par lequel le souverain pontife déclare, au sujet d’une personne dont la vie a été sainte, accompagnée de quelques miracles, qu’il y eu lieu de penser que son âme jouit du bonheur éternel, et en conséquence permet aux fidèles de lui rendre un culte religieux. La béatification diffère de la canonisation en ce que dans la première le pape n’agit pas comme juge, en déterminant l’état du béatifié, mais seulement en ce qu’il accorde à quelques personnes, comme à un ordre religieux, à une communauté, un culte particulier.

 

et guérît,

 

Les philosophes n’ont pas su apporter aux maux des hommes les remèdes nécessaires : voir le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182).

Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, 3, § 13. « Pour sauver ses élus, Dieu a envoyé Jésus-Christ pour satisfaire à sa justice, et pour mériter de sa miséricorde la grâce de Rédemption, la grâce médicinale, la grâce de Jésus-Christ… »

Sur le caractère médicinal de la grâce du Christ, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 287 sq. La grâce du Christ se présente d’abord sous son aspect médicinal : à l’homme si grièvement blessé par le péché et sans force, elle rend la vie. Saint Augustin invoque souvent la parabole du bon Samaritain. Voir aussi, sur la grâce médicinale : p. 312 sq.

Pascal a consacré les Écrits sur la grâce à l’étude de la manière dont la grâce du Christ guérit l’homme des blessures que le péché originel a infligées à sa nature.

 

que cela se ferait en se haïssant soi‑même et en le suivant par la misère

 

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 496. Sur la kénose du Christ.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 40 sq. L’Incarnation comme anéantissement, dans l’héritage bérullien. Exinanition de la personne divine du Verbe en la nature créée : p. 41. L’anéantissement de la condition divine dans la condition humaine en Jésus : en se faisant homme, le Verbe de Dieu renoncerait à exercer sa puissance propre, de sorte que Jésus aurait à demander pour soi-même la puissance du Saint-Esprit ; Jésus se trouverait ainsi intéressé à l’exaucement de sa propre prière, alors que dans la christologie augustinienne, la prière du Christ ne vaut guère que pour apprendre aux chrétiens à prier : p. 164-165. L’âme du Christ représentée destituée de toute consolation divine selon le Mémorial : p. 166.

Les souffrances font croître l’amour de Dieu : voir Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 322.

 

et la mort de la croix.

 

Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323). Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, Elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie.

Laf. 560, Sel. 467. Sépulcre de J.-C.

J.-C. était mort mais vu sur la croix. Il est mort et caché dans le sépulcre.

[...] C’est là que J.-C. prend une nouvelle vie, non sur la croix.

C’est le dernier mystère de la passion et de la rédemption.

Sur la mort du Christ sur la croix, voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC III, éd. J. Mesnard, p. 397 sq. Sur le sens de son sacrifice, voir Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273).