Fragment Loi figurative n° 30 / 31  – Papier original : RO 43-2 et 43-2 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 317 p. 139-139 v° / C2 : p. 167-168

Éditions de Port-Royal :

     Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 76  / 1678 n° 1 p. 76-77

     Deux paragraphes ont été ajoutés dans l’édition de 1678 : Chap. XII - Figures : n° 5 p. 94 et Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : n° 9 p. 234

Éditions savantes : Faugère II, 245, IV / Havet XV.2 / Brunschvicg 643 / Tourneur p. 267 / Le Guern 258 / Lafuma 275 / Sellier 306

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

Conciliorum œcumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane, éd. 1996, p. 673-674.

DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Paris, Nizet, 1957.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

FORCE Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 536.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

MESNARD Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans les Pensées de Pascal”, in Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, supplément 1994, Paris, Klincksieck, 1994, p. 45-57. Voir p. 50.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 256-257.

MOROT-SIR Édouard, La métaphysique de Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1973, p. 83 sq.

ORCIBAL Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 15.

SAINT-CYRAN, Lettres inédites de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Le manuscrit de Munich (Cod. Gall. 691) et la Vie d’Abraham, éd. A. Barnes, Paris, Vrin, 1962, Lettre CXXXIV, p. 367.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

 

 

Éclaircissements

 

Figures.

Isaïe 51. la mer Rouge image de la rédemption.

 

Voir le récit du passage de la mer Rouge dans Exode, XIV.

Havet, éd. des Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 5, note : dans Loi figurative 30, on trouve que la sortie de la mer Rouge est l’image de la rédemption. Ce sont les versets 10 et 11 d’Isaïe LI que Pascal interprète ainsi.

Le fragment Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738) contient la même citation : Is. 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer rouge. Voir en effet Isaïe, LI. « 10. N’est-ce pas vous qui avez desséché la mer, et la profondeur de l’abîme ; qui avez fait un chemin au fond de ses eaux, pour y faire passer ceux dont vous étiez le libérateur ? »

Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuves par les principes des rabbins qu’il y a deux sens. Qu’il y a deux avènements du Messie, glorieux ou abject selon leur mérite. Que les prophètes n’ont prophétisé que du Messie. La loi n’est pas éternelle, mais doit changer au Messie. Qu’alors on ne se souviendra plus de la mer Rouge. Que les Juifs et les gentils seront mêlés.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Et cependant ce testament fait pour aveugler les uns et éclairer les autres marquait en ceux mêmes qu’il aveuglait la vérité qui devait être connue des autres. Car les biens visibles qu’ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins qu’il paraissait bien qu’il était puissant de leur donner les invisibles et un Messie.

Car la nature est une image de la grâce et les miracles visibles sont image des invisibles, ut sciatis, tibi dico surge.

Is. 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer Rouge.

Dieu a donc montré en la sortie d’Égypte, de la mer, en la défaite des rois, en la manne, en toute la généalogie d’Abraham qu’il était capable de sauver, de faire descendre le pain du ciel, etc., de sorte que ce peuple ennemi est la figure et représentation du même Messie qu’ils ignorent.

Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Saci et son temps, p. 190 sq. Dieu a voulu montrer aux hommes qu’il est le maître des deux vies, ciel et terre. Voir Exode, Préface, II, p. XII. Il a accordé au peuple juif d’être sauvé par la Mer Rouge, il l’a guidé au désert et l’a comblé de biens.

Pascal, qui est revenu à plusieurs reprises sur le passage de la mer Rouge, pense que la rédemption est un miracle beaucoup plus grand que le passage de la mer Rouge, qui n’en est que la figure.

Les notes de l’Exode, dans la Bible de Port-Royal, indique sur les versets 24-25 du chapitre XIV, que « le temps était enfin arrivé où Dieu devait donner un exemple illustre à tous les siècles, de ce que doit tendre un homme mortel qui ose disputer contre Dieu, et qui n’oppose à tous ses prodiges et à toutes ses menaces qu’une impiété qui résiste à tout, et un orgueil qui ne fléchit point ».

Voir le commentaire du chapitre XV dans l’Exode traduit par Sacy : « Saint Augustin fait voir excellemment que tout le mystère de la loi nouvelle est dépeint comme en un tableau dans ce miracle que Dieu fit alors pour sauver son peuple [Aug. in Ps. 72, post init.]. « Saint Paul, dit ce saint, nous assure que tout ce qui arrivait aux Juifs était une figure de ce qui se passe dans l’Église. L’Égypte était l’image du monde, Pharaon ennemi de Dieu et endurci dans son impiété, était la figure du démon.

Ce prince impie tyrannisait le peuple de Dieu, comme le démon tyrannise les âmes qui se sont livrées à lui en s’assujettissant au péché. Moïse délivre les Hébreux de la tyrannie de Pharaon : Jésus-Christ délivre les âmes de la servitude du péché et du démon. Les Hébreux se sauvent en passant par la mer Rouge : Jésus-Christ sauve les âmes en les faisant passer par l’eau du baptême, qui est devenue sainte et sanctifiante par le vertu de son sang [August. ibid.]. Tous les Égyptiens meurent dans la mer Rouge : tous nos péchés sont comme submergés dans l’eau du baptême : Moriuntur in mari rubro omnes inimici populi illius : moriuntur in baptismo omnia peccata nostra [August. in Ps. 72] ». Le commentateur ajoute que le fait que le peuple hébreu n’entre pas tout de suite après le passage de la mer Rouge dans la terre promise figure la vie du chrétien qui ne passe pas immédiatement du baptême à la gloire.

 

-------

Ut sciatis quod filius hominis habet potestatem remittendi peccata tibi dico surge.

 

Le fait que le Christ parvienne à guérir une paralysie du corps montre qu’il est capable d’actions beaucoup plus puissantes dans l’ordre surnaturel. La guérison corporelle est la figure de la surnaturelle.

La guérison du paralytique est explicitement interprétée en ce sens dans Marc, II, 10. 2, que Pascal cite ici : « Ut autem sciatis quia potestatem habet Filius hominis in terra dimittendi peccata ait paralytico, tibi dico surge tolle grabattum tuum et vade in domum tuam » ; « Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, Levez-vous, dit-il au paralytique, je vous le commande ; emportez votre lit, et vous en allez en votre maison. » (Tr. de la Bible de Port-Royal).

Le fragment Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738) contient les mêmes idées, et le même rapprochement entre l’épisode de la mer Rouge et cette citation : Et cependant ce testament fait pour aveugler les uns et éclairer les autres marquait en ceux mêmes qu’il aveuglait la vérité qui devait être connue des autres. Car les biens visibles qu’ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins qu’il paraissait bien qu’il était puissant de leur donner les invisibles et un Messie.

Car la nature est une image de la grâce et les miracles visibles sont image des invisibles, ut sciatis, tibi dico surge.

Is. 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer rouge.

 

Dieu, voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle, a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce, il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible.

 

Sur ces promesses et leur double aspect, temporel et spirituel, voir saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, Bibliothèque augustinienne, p. 245. Dieu donnera au peuple juif une terre en Canaan : il sera le père de toutes les nations qui imitent sa foi. Développement des promesses divines : p. 249.

Sainteté invisible : il s’agit de la véritable sainteté, qui est de nature spirituelle, et qui échappe donc aux yeux.

OC IV, éd. J. Mesnard, p. 991, sur le rapport de ce fragment avec la Prière pour demander le bon usage des maladies sur le sujet des figures, et la représentation des choses invisibles dans les visibles.

Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, p. 426-453. Les biens matériels symbolisent les spirituels. Il ne faut pas s’arrêter à l’amour des choses sensibles, mais y voir un reflet des choses de Dieu.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 256-257. Les miracles par lesquels Dieu dispense les biens matériels n’ont pas leur fin en eux-mêmes, ils enferment la promesse des biens spirituels, qui sont les seuls véritables. Le salut des Juifs fuyant les Égyptiens est l’image du salut des hommes par la Rédemption du Christ. Le salut des corps n’est que l’image du salut des âmes. Quand Dieu marque sa puissance dans l’ordre matériel, il signifie sa puissance dans l’ordre spirituel. Les miracles de Dieu ne sont pas seulement des signes, ce sont surtout des figures.

Force Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62. Voir p. 57. L’observation des mouvements de la nature permet de comprendre ceux de la grâce. Dieu a effectué dans la nature des miracles visibles afin de faire comprendre qu’il pouvait effectuer des miracles invisibles.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Saci et son temps, p. 190 sq. Dieu a voulu montrer aux hommes qu’il est la maître des deux vies, ciel et terre. Voir Exode, Préface, II, p. XII. Il a accordé au peuple juif d’être sauvé en passant la mer Rouge, il l’a guidé au désert et l’a comblé de biens. Il réalisera le même plan dans la répartition des biens spirituels figurés par les sensibles. Ces biens étant le fruit de l’Incarnation et de la rédemption, les Juifs ne pouvaient les connaître avant la venue du Messie. Seuls quelques prophètes, par faveur spéciale, ont connu le secret des figures.

Saint-Cyran, Lettres inédites de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Le manuscrit de Munich (Cod. Gall. 691) et la Vie d’Abraham, éd. A. Barnes, Lettre CXXXIV, p. 367. « Tout ce qui se fait dans le cours de la vie humaine est une image de ce qui se fait dans le cours de la grâce ». Voir aussi lettre XCV, p. 230 : Jésus-Christ « a accoutumé de faire ainsi, et d’exhorter à ce qui est l’esprit par ce qu’il nous fait voir extraordinairement dans les corps. C’est pourquoi les Pères disent qu’il guérit un hydropique en la présence d’un pharisien pour le faire songer à l’enflure de son âme par celle de son corps, et contempler la guérison de l’hydropisie de l’âme dans celle du corps, qu’il guérissait devant lui ».

Morot-Sir Édouard, La métaphysique de Pascal, p. 83 sq. La nature est l’image de Dieu.

L’idée semble fonctionner dans deux sens différents. Dans le présent fragment, Pascal dit que Dieu agit puissamment dans le visible pour que l’on comprenne qu’il est capable de le faire aussi dans les choses invisibles.

On trouve chez Arnauld l’idée que « Dieu montre par son alliance avec un peuple charnel qu’il est dispensateur des biens terrestres » : voir la Seconde apologie de Jansénius, Livre II, ch. 9. Chapitre IX, p. 131 sq. « Raisons de saint Augustin, pourquoi Dieu a établi le Vieil Testament, en faisant alliance avec un peuple charnel, qui ne le devait servir que charnellement, et pour des récompenses temporelles ». Dieu a voulu montrer qu’il est souverain distributeur de tous les biens de la terre et du ciel ; il donne les premiers, selon saint Augustin, aux Juifs, parce que leurs affections ne les rendent pas capables des biens célestes. Seconde raison : comme l’a écrit Jansénius, le vieux Testament est une comédie qui sert de représentation vivante aux mystères de Jésus-Christ. Les figures de la vieille loi n’ont pas été seulement les sacrifices, autels, cérémonies et « observations extérieures » : p. 133. Mais « leur justice même n’a été qu’une figure de la justice chrétienne, et la manière dont ils ont observé le loi, une figure de celle dont nous la devons observer ; parce qu’ils ne l’observaient que par le désir de ces biens temporels, que Dieu leur promettait, pour figurer les biens spirituels, qu’il nous promet dans son Évangile, dont l’amour seul doit posséder notre cœur, et nous porter à l’observation des commandements de Dieu ».

L’idée de Pascal est plus complexe. Il admet bien que le Vieux Testament est figure des vérités annoncées dans le Nouveau, mais il marque aussi que Dieu a voulu, par les événements rapportés dans le premier, montrer qu’il est maître des secondes. Autrement dit, les miracles en question sont la marque de la gloire de Dieu.

 

Il a donc sauvé le peuple du déluge,

 

Sur le déluge, voir Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327), avec les commentaires de la Bible de Port-Royal.

Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 214. Dieu a sauvé le peuple du déluge pour signifier qu’il sauverait son vrai peuple du péché.

 

il l’a fait naître d’Abraham,

 

Sur Abraham, voir Loi figurative 22 (Laf 267, Sel. 298). Les notes de la Genèse traduite par Sacy contiennent aussi sur lui de nombreuses indications. Voir Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Abraham, p. 4-5.

Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 214. Dieu a fait naître le peuple juif d’Abraham pour signifier que le peuple fidèle naîtrait de Jésus-Christ.

Cazelles Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, p. 185 sq. Abraham, patriarche type avec ses vertus, sa fermeté et sa réussite.

Sellier Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 471-483.

Les promesses de Dieu à Abraham : voir Genèse, XII, 1-3 : « 1. Le Seigneur dit ensuite à Abram : Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai. 2. Je ferai sortir de vous un grand peuple ; je vous bénirai ; je rendrai votre nom célèbre, et vous serez béni. 3. Je bénirai ceux qui vous béniront, et je maudirai ceux qui vous maudiront ; et tous les peuples de la terre seront bénis en vous. »

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies , en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

Que Dieu n’acceptait point la postérité d’Abraham.

Que les Juifs seront punis de Dieu comme les étrangers s’ils l’offensent.

[...] Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.

Is. 63. 16. Vous êtes véritablement notre père, et Abraham ne nous a pas connus et Israël n’a point eu de connaissance de nous, mais c’est vous qui êtes notre père et notre rédempteur.

Moïse même leur a dit que Dieu n’acceptera point les personnes.

Deut. 10. 17. Dieu dit : je n’accepte point les personnes ni les sacrifices.

 

il l’a racheté d’entre ses ennemis

 

Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 214. Dieu a racheté le peuple juif de ses ennemis pour montrer comment il devait racheter les saints du démon.

 

et l’a mis dans le repos.

 

La Terre promise était censée être le lieu dans lequel le peuple juif devait pouvoir vivre en repos.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Figures. Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant pour affermir l’espérance de ses élus dans tous les temps il leur en a fait voir l’image, sans les laisser jamais sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut, car dans la création de l’homme Adam en était le témoin et le dépositaire de la promesse du sauveur qui devait naître de la femme.

Laf. 608, Sel. 504. J.-C. Offices. Il devait lui seul produire un grand peuple, élu, saint et choisi, le conduire, le nourrir, l’introduire dans le lieu de repos et de sainteté, le rendre saint à Dieu, en former le temple de Dieu, le réconcilier à Dieu, le sauver de la colère de Dieu, le délivrer de la servitude du péché qui règne visiblement dans l’homme, donner des lois à ce peuple, graver ces lois dans leur cœur, s’offrir à Dieu pour eux, se sacrifier pour eux, être une hostie sans tache, et lui-même sacrificateur, devant offrir lui-même son corps et son sang. Et néanmoins offrir pain et vin à Dieu.

Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Figures. Dès qu’on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le vieil testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? non, donc c’étaient des figures.

 

L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour n’introduire que dans une terre grasse.

Et même la grâce n’est que la figure de la gloire car elle n’est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi et figure elle‑même la [gloire], mais elle en est la figure et le principe ou la cause.

 

Pascal a écrit figure elle-même la grâce, qui est certainement un lapsus. Voir la transcription diplomatique.

En quel sens doit-on dire que la Loi juive figure la grâce ?

GEF XIV, p. 86, n. 3. La loi figure dans l’ordre charnel ce qu’est la grâce dans l’ordre spirituel ; mais la grâce elle-même n’est qu’un état préparatoire à la gloire ; elle en est la figure parce que la grâce est déjà la délectation victorieuse, mais c’est la victoire militante sur la nature, image de la victoire pacifique de Dieu. Cependant il n’y a pas seulement entre la grâce et la gloire le rapport du figuratif au figuré, comme entre la loi et la grâce, il y a un rapport de cause à effet. La loi ne donne pas la grâce, la grâce donne la gloire.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figures, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent (je ne dis pas bien) et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.

Tout ce qui ne va point à la charité est figure.

L’unique objet de l’Écriture est la charité.

Tout ce qui ne va point à l’unique bien en est la figure. Car puisqu’il n’y a qu’un but tout ce qui n’y va point en mots propres est figure.

La circoncision est un bon exemple de la manière dont les préceptes de la Loi mosaïque figure la loi du Christ : la circoncision charnelle symbolise la circoncision du cœur.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. La lettre tue - Tout arrivait en figures - Il fallait que le Christ souffrît - Un Dieu humilié - Voilà le chiffre que St Paul nous donne. Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple : les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel. [...] Je suis le vrai pain du ciel.

Perpétuité 10 (Laf. 288, Sel. 320). Moïse, Deut. 30. promet que Dieu circoncira leur cœur pour les rendre capables de l’aimer.

Comment la grâce figure-t-elle la gloire ? Et que faut-il entendre par gloire ?

Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 149. La gloire, en langage chrétien, signifie l’état glorieux des élus dans le ciel.

Encyclopédie théologique, art. Gloire, Migne, t. XXXIV, Paris, col. 984 sq., 1834. Gloire éternelle : c’est l’état des bienheureux dans le ciel. De même que la gloire de l’homme sur la terre, est d’être soumis à Dieu et de lui plaire, sa gloire dans le ciel sera de lui être éternellement agréable, et de trouver en lui le parfait bonheur. Il n’y a de vraie gloire pour ce monde et pour l’autre que dans la vertu : col. 986.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 298 sq. Par gloire, Pascal entend la vision béatifique dont les élus, contemplant la face de Dieu dans le ciel, jouissent avec un bonheur éternel et parfait.

Il faut cependant entendre le mot dans un sens plus large dans le présent fragment.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 278 sq. Le sens du mot, quand il s’agit de la gloire de Dieu, est différent de celui d’opinion flatteuse ou d’honneur. Le terme vient du mot hébreu kavôd, qui signifie poids. La manifestation de la puissance divine avant l’écrasement des Égyptiens dans la mer Rouge est précédée de la formule « Vous verrez la gloire du Seigneur ». Dans le Nouveau testament, gloire signifie l’irradiation de la puissance et de la sainteté de Dieu. La gloire divine apparaît comme une communication de ce qui fait la transcendance absolue de Dieu. On parle de la glorification des élus pour parler de l’état de communication qu’ils auront en paradis avec la personne de Dieu.

Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, art. Gloire, t. II, Paris, Cerf, 1967, p. 167 sq. Le thème de la gloire de Dieu remonte à l’Ancien Testament Le mot hébreu évoque quelque chose de pesant, de grave, qui s’impose à l’homme. La gloire est inséparable de la sainteté, chose étrangère sans équivalent dans l’expérience humaine. Il est essentiel à la gloire d’appartenir à Dieu : elle exprime que Dieu est caché dans sa transcendance et présent par sa révélation. L’expression gloire de Dieu a pris le sens technique de manifestation extérieure de la sainteté de Yahvé. La notion de la gloire de Dieu enferme une caractère lumineux et la plénitude de la puissance : p. 168.

Sur le triptyque nature-grâce-gloire, voir OC IV, éd. J. Mesnard, p. 993.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. [...] Tout ce qui ne va point à la charité est figure. L’unique objet de l’Écriture est la charité. Tout ce qui ne va point à l’unique bien en est la figure. Car puisqu’il n’y a qu’un but tout ce qui n’y va point en mots propres est figure. [...] Et les chrétiens prennent même l’Eucharistie pour figure de la gloire où ils tendent.

GEF XIV, p. 86, n. 3. La loi figure dans l’ordre charnel ce qu’est la grâce dans l’ordre spirituel ; mais la grâce elle-même n’est qu’un état préparatoire à la gloire ; elle en est la figure parce que la grâce est déjà la délectation victorieuse, mais c’est la victoire militante sur la nature, image de la victoire pacifique de Dieu. Cependant il n’y a pas seulement entre la grâce et le gloire le rapport du figuratif au figuré, comme entre la loi et la grâce, il y a un rapport de cause à effet. La loi ne donne pas la grâce, la grâce donne la gloire.

Il semble que le rapport de figuration recouvre ici un rapport de cause à effet. Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 147-148. La grâce est figure et principe de la gloire parce qu’elle est donnée en vue de la gloire. La notion de figure n’enferme donc pas seulement l’idée de représentation analogique.

La question est abordée dans Force Pierre, Le problème herméneutique..., p. 118 sq., qui pense que le lapsus de Pascal s’explique par le fait que toutes choses sont figurées et figurantes. La grâce, en tant qu’accomplissement de la loi, constitue sa fin. En tant que préfiguration de la gloire, elle en est le principe et la cause. Cela résout le paradoxe qui consiste à donner à la figure le statut de cause ou de principe.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 95, renvoie au Concile de Trente, Session VI, chapitre VII, Quid sit justificatio impii, et quae ejus causae, in Conciliorum oecumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane, éd. 1996, p. 673-674, dans lequel l’accent est mis sur la cause formelle de la justification par la grâce : parmi tout ce qui peut avoir une action causale sur la production de notre justice, ce chapitre indique que la cause finale est la gloire de Dieu et du Christ et le salut de l’homme, « finalis quidem gloria Dei et Christi ac vita aeterna ». La gloire de Dieu est la fin de l’action divine ad extra. Le salut de l’homme coïncide matériellement avec la gloire extérieure de Dieu, car c’est par le salut de l’homme que cette gloire est produite.

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, p. 536. La grâce entraîne la justification ; elle a pour but de préparer la vision béatifique qui se continuera dans l’éternité.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 15. La grâce est figure de la gloire.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 403-404. Pascal insiste sur la consistance littérale de l’Écriture. La figure subsiste. Quand Pascal écrit que la grâce n’est que la figure de la gloire, il ne veut pas dire que la grâce n’a pas de consistance ni d’importance.

Ce passage est important dans la théorie des figures telle que Pascal la développe dans les Pensées, car c’est l’un des seuls où Pascal envisage le cas de figures enchaînées. En principe, une fois le sens littéral d’un récit ou d’un objet (ennemi, circoncision, etc.) converti dans un sens spirituel, l’interprétation s’arrête à ce second sens. Or dans le cas présent, la loi juive, prise comme objet lorsqu’un esprit charnel a sur elle l’idée de chose, est figure de la grâce lorsque l’on a sur elle une idée de signe. Mais la grâce elle-même est susceptible d’être considérée avec une idée de signe, et figure alors la gloire.

Pascal, qui se montre très sévère à l’égard des trop grands figuratifs (Loi figurative 10 - Laf. 254, Sel. 286), qui enchaînent les figures et les interprétations à l’infini, n’est donc pas hostile par principe à ce que des idées de signe successives enchaînent des rapports de figuration, par conversions successives d’idées de choses en idées de signe.

Cependant, le processus qui chez les trop grands figuratifs et les kabbalistes peut se poursuivre en principe à l’infini, trouve nécessairement chez Pascal un terme ultime, lorsque la figure désigne la dernière fin.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 381, voit dans ce fragment l’aboutissement de l’argumentation pascalienne de Loi figurative, qui conduit de la Loi à la grâce, et de la grâce à la gloire.

 

-------

La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, etc. Dieu a donc montré le pouvoir qu’il a de donner les biens invisibles par celui qu’il a montré qu’il avait sur les visibles.

 

Félicité : Jouissance des biens qui peuvent satisfaire le corps et l’esprit. On ne  trouve point de parfaite félicité en ce monde. Il n’y a que la félicité éternelle dont on se doive mettre en peine (Furetière). Le mot a un sens en matière religieuse, pour désigner le bonheur terrestre, mais surtout le bonheur dans l’au-delà, ce qui n’est pas le cas pour satisfaction.

Satisfaction : contentement qu’on donne à quelqu’un, ou plaisir qu’on ressent de quelque chose (Furetière). Le mot a un sens plus général que félicité. Les éditeurs de Port-Royal ne l’ont sans doute pas trouvé recevable parce qu’ils ont pensé que la notion de félicité enferme l’idée de satisfaction.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738), donne une explication : Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les bien spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent.

Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet, c’est le motif de toutes les actions de tous les hommes jusqu’à ceux qui vont se pendre.

Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent : voir Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures. [...] Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise. Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.