Fragment Loi figurative n° 8 / 31  – Papier original : RO 31-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 297 p. 125 / C2 : p. 152

Éditions savantes : Faugère II, 247, VII / Havet XXV.152 / Brunschvicg 648 / Tourneur p. 257-2 / Le Guern 236 / Lafuma 252 / Sellier 284

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Bibliographie

 

 

BOUCHER Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, Ch. Roulliard, Paris, 1628.

CHÉDOZEAU Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), Paris, Nolin, 2007, p. 43 sq.

DE LUBAC Henri, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture, Paris, Aubier, 1959, 4 vol.

DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 250.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 41 sq.

JANSÉNIUS, Pentateuchus sive commentarius in quinque libros Moysis, Praefatio, Louvain, 1641, p. 6-7.

Les Nombres, traduits en français, Mons, Migeot, 1685.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MAIRE Catherine, De la cause de Dieu à la cause de la nation, Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 163 sq.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 437.

 

 

Éclaircissements

 

Deux erreurs :

 

Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, p. 437. Dans son Pentateuchus, Louvain, 1641, p. 67, Jansénius affirme à peu près la même chose. « Duo extrema cavenda sunt : primum, ne relicto sensu litterali quem verba prae se ferunt, ad allegoricas expositiones declinetur. Cum enim narratio Moysis non sit genus locutionis figuratarum rerum, sicut in Catico canticorum, sed historica rerum omnino gestatrum expositio, necesse est eam primpitus proprio et litterali sensu accipere queml verba prae se frunt, ut deinceps indagari possit quid ista etiam figurata significatione commoneant. Unde S. Ambros. in Psalm. 38 historicum naturalemque sensum initio Geneseos proprium esse tradit. Alterum est ne, in indagando sensu historico et litterali, nimium humanae philosophiae vel tribuamus, vel derogemus ».

Le texte de Pascal n’est cependant pas entièrement identique à celui de Jansénius. Alors que Jansénius oppose deux termes homogènes, sens littéral et sens allégorique, Pascal oppose sens littéral et sens spirituel, qui ne sont réellement opposés que si l’on suppose que le sens littéral est de lui-même charnel, et que le sens figuré ou allégorique est nécessairement spirituel. Voir Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 250.

La Préface du livre des Nombres dans la Bible de Port-Royal reprend une idée analogue, en insistant sur son origine augustinienne : « ceux qui croient qu’on ne doit considérer que la lettre seule, et que les histoires de l’Écriture, dont les principales sont écrites par Moïse, ne contiennent aucun mystère, sont dans une grande erreur, mihi videntur multum errare ; et [...] au contraire ceux qui s’imaginent que tout est mystère dans l’Écriture et qui entreprennent de le faire voir, s’engagent à quelque chose de bien hardi, mihi videntur multum audere, quoique l’on doive toujours recevoir avec respect les explications édifiantes que des personnes éclairées et savantes de la vraie science de l’Église peuvent donner à la parole de Dieu. » Saint Augustin écrit en effet dans La cité de Dieu, Livre XII, 3, 2 : « Mihi autem sicut multum videntur errare, qui nullas res gestas in eo genere litterarum aliquid aliud praeter id, quod eo modo gestae sunt, significare arbitrantur, ita multum audere, qui prorsus ibi omnia significationibus allegoricis involuta esse contendunt. »

L’attitude saine, qui tient le milieu entre ces deux erreurs, qui consiste à prendre à la lettre les passages littéraux, et à entendre comme figures ceux qui sont métaphoriques, n’est pas indiquée dans ce fragment.

 

1. Interpréter Prendre tout littéralement.

 

Pascal a d’abord dicté Interpréter à son secrétaire puis il s’est repris et a préféré le verbe prendre.

De Lubac Henri, Exégèse médiévale, II, 1, p. 100. Prendre tout littéralement, c’est le fait des Juifs. Comment Origène explique que les Juifs tombent dans l’erreur parce qu’ils s’obstinent, depuis la venue du Christ, à tout lire « secundum litteram ». Selon saint Augustin, ce sont aussi Marcion et Mani qui prétendent que, par l’interprétation allégorique, on prend la Loi dans un sens qui n’est pas le sien : ils ne comprennent pas que Moïse a écrit des choses spirituelles. Cette intelligence charnelle des Écritures est une intelligence judaïque, qui repousse le « pain spirituel descendu pour nous du ciel » : p. 101. Saint Jérôme reproche aussi aux hérétiques Marcionistes et Donatistes leur exégèse terre-à-terre : p. 102 sq.

On trouve cette idée chez Boucher Jean, Triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 9, p. 176. « De sorte qu’il faut bien se prendre garde d’interpréter littéralement ce qui n’est que figure, comme font les sensuels et les voluptueux, qui expliquent le Cantique sacré, qui est tout spirituel, selon leurs imaginations charnelles, ou de donner des interprétations figuratives aux choses qui ont une réalité de nature ». Boucher donne ensuite l’exemple d’Origène.

Dans l’esprit de Pascal, c’est le cœur charnel des Juifs qui est en cause.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue. Mais la manne dans le désert, la terre grasse et les Égyptiens n’étaient que des figures, que les Juifs connaissaient sans comprendre leur sens spirituel, de sorte que leur prévention les a empêchés de comprendre les réalités spirituelles lorsqu’elles ont été mises sous leurs yeux : voir Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301) : Les Juifs ont tant aimé les choses figurantes et les ont si bien attendues qu’ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures. [...] Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait.

Pourquoi n’est-il pas possible de prendre tout littéralement dans la Bible ?

Le danger de prendre à tort des textes dont la signification est spirituelle en un sens charnel est particulièrement expliqué par la Préface de la Bible de Port-Royal au Cantique des cantiques, qui, s’il n’est pris au sens spirituel qui décrit l’union intime de l’âme avec Dieu, « favoriserait plutôt les sentiments déréglés de la volupté et de sensualité ».

Mais Pascal soutient principalement que prendre toute la Bible au sens littéral conduit à lui attribuer des contradictions insoutenables, que l’on ne saurait imputer à Moïse et aux prophètes.

Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur ; comme quand Ezéchiel, ch. 20 dit qu’on vivra dans les commandements de Dieu et qu’on n’y vivra pas. Or on ne peut croire que les prophètes aient commis de telles absurdités : On ne peut pas dire cela de l’Écriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens.

 

2. Prendre tout spirituellement.

 

Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), p. 43 sq. Jansénius a exprimé sa méfiance à l’égard des trop grands figuratifs dans la Préface de son Pentateuchus : « Temeritas asserendae incertae dubiaeque opinionis difficile sacrilegii crimen evitat ». Pour ce qui concerne les livres historiques, il n’y a pas de sens figuré qui ne soit porté par un sens littéral reconnu.

Voir Loi figurative 10 (Laf. 254, Sel. 286), où Pascal projette de parler contre les trop grands figuratifs.

Sur l’erreur figuriste, qui consiste à abuser du sens figuratif de la Bible, voir Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, p. 438. Au XVIIIe siècle, les jansénistes donnent beaucoup dans ce mode d’interprétation de la Bible ; voir sur ce point Maire Catherine, De la cause de Dieu à la cause de la nation, Le jansénisme au XVIIIe siècle, p. 163 sq.

Pascal n’a évidemment pas connu cette évolution, mais il a en tête des cas d’interprétation intempérante des textes scripturaires.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 401 sq. Si c’est une exagération d’être antifiguriste et esclave du sens littéral, c’en est une autre d’être figuriste au point de ne voir partout que des figures dans la Bible. Pascal estime qu’il faut marquer les limites du sens mystique, et tenir un juste milieu entre deux extrêmes. Il s’oppose à ceux qui inventent des figures tirées par les cheveux, c’est-à-dire qui sont tirées de trop loin, ou, comme le dit l’édition de Port-Royal, qui ne sont pas naturelles.

Pascal partage en l’occurrence l’opinion exprimée par Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, Bibliothèque augustinienne, p. 185-186, selon laquelle il y a des faits de l’Écriture qui sont sans valeur symbolique.

Fausseté 15 (Laf. 217, Sel. 250). Il y a des figures claires et démonstratives, mais il y en a d’autres qui semblent un peu tirées par les cheveux, et qui ne prouvent qu’à ceux qui sont persuadés d’ailleurs. Celles-là sont semblables aux apocalyptiques. C’est-à-dire, ainsi que l’indique E. Havet, dans son édition des Pensées, p. 1 et 11, ceux qui, selon Port-Royal, « fondent des prophéties sur l’Apocalypse, qu’ils expliquent à leur fantaisie ». Voir, dans le fragment Laf. 575, Sel. 478, des exemples de la manière dont les Apocalyptiques, les préadamites et les millénaristes fondent des interprétations extravagantes sur des procédés délirants. Par exemple : Il est dit que cette génération ne passera point jusqu’à ce que tout cela se fasse. Sur cela je dirai qu’après cette génération il viendra une autre génération et toujours successivement.

Il est parlé dans le II Paralipomènes de Salomon et de roi comme si c’étaient deux personnes diverses. Je dirai que c’en étaient deux.

Le principe qui permet d’éviter ce défaut est formulé dans le fragment Loi figurative 7 (Laf. 251, Sel. 283). Qui veut donner le sens de l’Écriture et ne le prend point de l’Écriture est ennemi de l’Écriture. Aug. D. d. Ch.

Or, comme Pascal l’écrit dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303), il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Il n’est pas dit que les צ et les ח deficientes signifieraient des mystères. Il n’est donc pas permis de le dire. Et encore moins de dire que c’est la manière de la pierre philosophale. Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.

 

 Comment faire le discernement ?

 

Voir Pierre Force, Le problème herméneutique chez Pascal, chapitre II, Règles pour l’interprétation de l’Écriture, p. 41 sq., qui pose le problème du discernement des deux types de passages, littéral et figuratif (soulevé depuis longtemps par Arnobe contre les païens), et présente les principaux critères de décision tels qu’ils se trouvent chez saint Augustin et Pascal : l’absurdité comme signe de l’existence d’un sens figuré et spirituel (p. 42), l’inerrance de l’Écriture, qui exclut qu’elle contienne des contradictions (p. 45), le principe Scriptura Scripturam explicat (p. 48). Pascal donne explicitement la règle générale dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. [...] Nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.