Fragment Misère n° 12 / 24 – Papier original :  RO 69-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Misère n° 91 p. 19 / C2 : p. 38

Éditions savantes : Faugère I, 204, LXXVII / Havet XXV.66 / Brunschvicg 151 / Tourneur p. 185-3 / Le Guern 59 / Maeda III p. 84 / Lafuma 63 / Sellier 97

 

 

 

La gloire.

 

L’admiration gâte tout dès l’enfance. Ô que cela est bien dit, ô qu’il a bien fait, qu’il est sage, etc. Les enfants de Port‑Royal auxquels on ne donne point cet aiguillon d’envie et de gloire tombent dans la nonchalance.

 

 

 

Ce fragment, qui fait allusion aux habitudes des enfants que Pascal a pu observer aux Petites Écoles de Port-Royal, montre comme Misère 13 (Laf. 64, Sel. 98), que certains caractères de la nature de l’homme s’enracinent dans la petite enfance, qui en est pour ainsi dire le modèle réduit : ici, c’est l’impossibilité de remédier à un défaut sans tomber dans le défaut contraire qui est l’objet du fragment : que l’on cherche à ôter le défaut de l’orgueil, et l’on fait tomber l’homme dans la paresse, ou ce qu’en termes techniques on appelle l’acédie.

 

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Petites Écoles de Port-Royal

Fragments connexes

 

Vanité 22 (Laf. 35, Sel. 69). Talon de soulier.

Ô que cela est bien tourné ! que voilà un habile ouvrier ! que ce soldat est hardi ! Voilà la source de nos inclinations et du choix des conditions. Que celui-là boit bien, que celui-là boit peu : voilà ce qui fait les gens sobres et ivrognes, soldats, poltrons, etc.

Contrariétés 12 (Laf. 129, Sel. 162). Métier. Pensées.

Tout est un, tout est divers.

Que de natures en celle de l’homme. Que de vacations. Et par quel hasard chacun prend d’ordinaire ce qu’il a ouï estimé. Talon bien tourné.

On trouve un prolongement dans Divertissement 7 (Laf. 139, Sel. 171). On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les accable d’affaires, de l’apprentissage des langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux, sans que leur santé, leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà direz-vous une étrange manière de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter tous ces soucis, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper toujours tout entiers. Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure.

Preuves par les juifs VI (Laf. 465, Sel. 703). Ces enfants étonnés voient leurs camarades respectés.

Pensées diverses (Laf. 634, Sel. 527). La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose.

La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C’est un excellent couvreur, dit-on, et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on, et les autres au contraire : il n’y a rien de grand que la guerre, le reste des hommes sont des coquins. A force d’ouïr louer en l’enfance ces métiers et mépriser tous les autres on choisit. Car naturellement on aime la vertu et on hait la folie ; ces mots mêmes décideront ; on ne pèche qu’en l’application.

Tant est grande la force de la coutume que de ceux que la nature n’a fait qu’hommes on fait toutes les conditions des hommes.

Car des pays sont tout de maçons, d’autres tout de soldats, etc. Sans doute que la nature n’est pas si uniforme ; c’est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l’homme dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.

Pensées diverses (Laf. 674, Sel. 553). Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contrepoids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires. Otez un de ces vices nous tombons dans l’autre.

 

Mots-clés : AdmirationEnfantsGloirePort-RoyalTalon de soulier.