Fragment Misère n° 7 / 24 – Papier original :  RO 67-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Misère n° 80-81 p. 15 v° / C2 : p. 34

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées Morales : 1669 et janv. 1670 p. 290-291 / 1678 n° 47 p. 287-288

Éditions savantes : Faugère I, 188, XXX / Havet VI.37 / Michaut 192 / Brunschvicg 332 / Tourneur p. 181-2 / Le Guern 54 / Maeda II p.239 / Lafuma 58 / Sellier 92

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Transcription savante (origine : Recueil des originaux)

 

 

 

 

 

+++ elle n’est

    maistresse que

   des actions

      exterieures

   ---

ainsy ces discours

sont faux 3

 

Tyrannie

La corruption de la nature

                  consiste

paroist au desir de domination

+ 1

universel 2 & hors de son ordre

                                   ^de beaux,

Diverses chambres, de forts,^ de bons esprits, de pieux

  dont chacun regne chez soy non ailleurs, & quelquefois

   ils se rencontrent 5, & le fort & le beau se battent

   sottement a qui sera le maistre l’un de l’autre car leur

   maistrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. ++

 

 

 

 

++ & leur faute

    est de vouloir

    regner partout

rien ne le peut

  non pas mesme la

  force elle ne

  fait rien au

  Royaume des

savants +++ 4

 

Notes

 

1 Ceci est un signe de croix et non un renvoi ; il explique pourquoi Pascal commence ses renvois avec un signe double.

2 C1 : « universelle. » ; C2 : « universelle » ; Fau : « universel » ; Havet : « universelle » (corrigé « universel » dans l’éd. 1925) ; Mi : « universel » ; Br : « universel » ; T : « universel » ; Laf : « universel » ; LG : « universel » ; M : « universel » ; Sel : « universel ».

3 Conservé par L. Lafuma (non barré) comme lien avec le fragment Misère 6.

4 Le manuscrit porte ++++ au lieu de +++.

5 On lit « rencontre » sur le manuscrit.

 

Premières éditions et copies des XVIIe - XVIIIe siècles et du début du XIXe

 

Ce fragment a été en partie retenu dans l’édition de Port-Royal.

Voir cette étude...

 

La copie Périer reproduit le texte non retenu dans l’édition, p. 109 : (en rouge : les différences avec les copies C1 et C2)

La tirannie consiste au desir de domination universel

et hors de son ordre.

1er éditeur : Ch. Bossut (1779), t. II, p. 120, partie I, article IX, n° 13 publie le texte de P’ en le corrigeant

La tyrannie consiste au désir de domination universelle et hors de son ordre.

A. Renouard (1812), p. 167, partie I, article IX, n° XIII reproduit le texte de Bossut.

P. Faugère (1844) publie le texte complet à partir du papier original et des Copies.

 

Remarques

 

Les Copies ont transcrit la première phrase comme un titre. P. Faugère extrait La tyrannie de la première phrase et en fait un titre. Z. Tourneur (note 2) signale, à propos de la première phrase que « cette note a été ajoutée comme un titre et recouvre la croix qui surmontait le texte suivant. » Ph. Sellier l’édite comme un titre, contrairement à G. Michaut et L. Brunschvicg.

G. Michaut (1896) remarque en note qu’il est tentant de regrouper les deux fragments en un seul : « Mais après les mots actions extérieures, la première feuille porte : Ainsi ces discours, comme amorce du § 2. Ce § 2 lui-même est précédé du mot Tyrannie, et d’une croix, qui constituent évidemment un signe de renvoi. D’ailleurs le sens demande ce rapprochement. » De fait, certains éditeurs tels que Michaut, Brunschvicg, Lafuma et Le Guern, ainsi que Maeda, considèrent que la suite de ce texte est Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91) et que les deux textes n’en forment qu’un. Faugère édite aussi ces deux textes dans cet ordre mais en changeant de numéro d’article ; mais dans son esprit, le rapprochement est seulement thématique.

Est-ce que l’analyse des papiers permet de considérer qu’ils n’en formaient qu’un seul ?

Ils ne provenaient pas d’un même papier qui aurait été coupé en deux parties : selon Ernst, les deux papiers ne seraient pas de même type ; 67-7 (sans filigrane) serait issu d’un feuillet (17,5 cm x 25,5 cm) de type Écusson fleurette RC/DV et 67-8 (filigrane B R) est issu d’un feuillet (25 cm x 38 cm) de type Marque royale et PF/B R.

Ont-ils écrits simultanément dans cet ordre par Pascal ? C’est très peu probable.

La différence de nature des papiers indique sans doute un décalage dans le temps. Le premier type de papier (un petit format) a été notamment utilisé pour des textes sur les miracles et les prophéties, considérés comme ayant été écrits en premier par Pascal. En revanche le second type (le plus grand format) a servi pour un texte abouti tel que Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), “Disproportion de l’homme”, et d’autres grands textes tels que Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78), “Imagination” et Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94), “Économie du monde” ont été écrits sur des feuillets du même format (mais de types différents). Le texte de Sel. 91 est donc probablement plus tardif que celui de Sel. 92.

Ces deux textes se suivent dans les Copies, mais en ordre inverse. Si l’on admet, comme Pol Ernst, l’hypothèse que les Copies transcrivent les liasses en ordre inverse de l’ordre d’enfilage, les deux papiers ont pu être mis dans la liasse Sel. 92 le premier, puis Sel. 91 le second. Mais l’enfilage ne prouve rien sur l’ordre génétique des deux fragments.

Le fait que les deux papiers aient été collés ensemble et dans cet ordre sur le Recueil des originaux p. 67 (respectivement aux 7e et 8e places) n’apporte aucun renseignement sur leur genèse, et montre seulement qu’ils n’ont pas été séparés lors du collage. Il existe de nombreux papiers dans ce cas et parfois l’ordre a été inversé. L’ordre différent dans les Copies et le Recueil montre toutefois que les deux textes se trouvaient sur deux papiers séparés à la mort de Pascal, ce qui implique qu’il est l’auteur du découpage.

Ce sont donc bien deux fragments séparés, qui n’ont pas été composés en même temps, mais qui ont été associés lors de l’enfilage en liasse. Sur la succession chronologique de ces deux textes,  voir les hypothèses proposées dans l’étude de Misère 7.

En tout état de cause, l’ordre logique de lecture, tel que l’a indiqué Pascal, serait Misère 7 en premier, et Misère 6 en second, comme l’indique l’expression Ainsi ces discours sont faux, qui se trouve à la fin de Misère 7, et au milieu de Misère 6.

 

[Sel. 92]

La tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre.

Diverses chambres, de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux, dont chacun règne chez soi, non ailleurs, et quelquefois ils se rencontrent. Et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas.++  ++Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force. Elle ne fait rien au royaume des savants.+++   ++++Elle n’est maîtresse que des actions extérieures.

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Ainsi ces discours sont faux

 

[Sel. 91 - avant l’application de l’accolade de transposition]

+ [signe de croix - ce n’est pas un renvoi]

Tyrannie.

Ainsi ces discours sont faux et tyranniques « Je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer. Je suis... »

La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science.

On doit rendre ces devoirs‑là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres.

Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : « Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas. Il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. »

 

On pourrait penser que Pascal a continué sur un autre papier faute de place, et en conclure que le fragment Misère 7 est la suite de celui-ci. Mais il n’y a pas de renvoi après Ainsi ces discours sont faux. Michaut a cru en voir un sur le manuscrit, mais il a confondu une croix destinée à signer le papier avec un signe de renvoi.

D’autre part, l’expression Ainsi ces discours sont faux est précédée d’un trait de séparation bien visible sur le manuscrit : cela exclut que l’on puisse faire de Misère 7 et de Misère 6 un seul et même texte.

 

Deux hypothèses

 

On peut envisager à titre d’hypothèses deux processus de rédaction pour les papiers 67-7 et 67-8.

La première repose sur le fait qu’il existe plusieurs cas dans les Pensées où Pascal note sur le papier une idée sous une forme condensée en vue de la développer par la suite. C’est ce qu’il a peut-être fait sur le papier 67-7. Lorsqu’il a constitué les liasses, Pascal aura développé ce texte initial sur un nouveau papier (67-8) ; il aura alors barré l’expression Ainsi ces discours sont faux sur le premier papier.

La seconde hypothèse est que Pascal a d’abord écrit en premier jet le corps du texte de 67-7. Dans un deuxième temps, il a voulu ajouter sur ce même papier un texte complémentaire qui commençait par les mots Ainsi ces discours sont fau ; mais il s’est ravisé lorsqu’il a remarqué qu’il n’avait pas assez de place dans la marge, et a interrompu la rédaction avant d’avoir tracé le x final de faux. Il a donc barré cette expression. Le ton de l’encre donne à penser qu’il a d’abord complété le texte de 67-7 (Ils ne s’entendent jusqu’à actions extérieures suivi d’un petit trait de séparation qui s’est retrouvé très près de ainsy ces discours) jusqu’à ne plus avoir d’encre sur sa plume. Il a ensuite rechargé sa plume pour écrire le deuxième texte, 67-8, sur un nouveau papier sur lequel on peut observer plusieurs taches d’encre. Il aura ensuite découpé ces deux papiers pour les enfiler ensemble dans la liasse Misère.

 

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