La liasse PREUVES DE MOÏSE (suite)

 

 

Preuves de Moïse et l’édition de Port-Royal

 

Port-Royal a construit le chapitre XI intitulé Moïse à partir de Preuves par les Juifs VI (Laf. 474, Sel. 711), Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268), Preuves de Moïse 3, Preuves de Moïse 6 et Preuves de Moïse 1.

Preuves de Moïse 4 est venu compléter le chapitre X, Juifs.

Les fragments Preuves de Moïse 2, Preuves de Moïse 5 et Preuves de Moïse 7 n’ont pas été retenus par le Comité. Seuls les fragments 2 et 5 ont ensuite été recopiés par Louis Périer dont une copie a été conservée. Il faut attendre l’édition Faugère (1844) pour qu’ils soient publiés.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Preuves de Moïse

 

Le papier RO 491-6, dont l’écriture est de Nicole (Preuves de Moïse 1), porte une partie d’un filigrane de type Armes des Médicis.

Le papier RO 491-2 (Preuves de Moïse 4) est marqué d’un fragment de filigrane Deux C enlacés et couronnés. Le papier est issu d’une feuille de type Deux C couronnés & Armes de Gaston d’Orléans et I ♥ C.

Les autres papiers ne portent pas de filigrane.

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 310,

le papier RO 491-6 (Preuves de Moïse 2) pourrait être issu d’un feuillet de type Écusson fleurette RC/DV ;

les papiers RO 491-1 (Preuves de Moïse 3) et RO 491-3 (Preuves de Moïse 7) pourraient provenir de feuillets de type Petit Jésus ;

le papier RO 489-6 (Preuves de Moïse 6) pourrait être issu d’un feuillet de type Cadran d’horloge & Armes de France et Navarre / P ♥ H ;

le feuillet RO 491-4 (Preuves de Moïse 5) n’est pas identifié.

 

Les indications qui suivent ne fournissent évidemment pas une information exhaustive sur la personne de Moïse. Seuls sont retenus des renseignements utiles pour la lecture des Pensées. Le recours à des ouvrages comme le Dictionnaire de théologie catholique ou les études spécialisées sur Moïse demeurent indispensables.

 

Structure de la liasse Preuves de Moïse

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 425. P. Ernst distingue un premier groupe de fragments qu’il intitule Moïse est un historien digne de foi, et un second, Les preuves, quelles qu’elles soient, ne donnent pas la foi.

Peratoner Alberto, Blaise Pascal. Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, I, p. 693-699, place la liasse dans la perspective sotériologique des trois liasses Loi figurative, Rabbinage et Perpétuité, qui émerge de la lecture figurative de l’Ancien Testament, pour en établir la crédibilité.

 

Moïse

 

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Moïse, Paris, Cerf, 1993, p. 764-768.

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre I, p. 230 sq. Moïse, abandonné au Nil, est recueilli par la fille du Pharaon, et « baillé à nourrir à sa propre mère » : p. 235 sq. Il est nourri chez les Égyptiens, dans un pays fertile, « à la façon des enfants du roi ». Mais dans ce pays, les Hébreux sont mis à mort. Après avoir tué un égyptien, s’être retiré en Arabie, où il devient berger, Moïse emmène le peuple au désert ; il suit un chemin long et égaré parce qu’il cherche à éviter les ennemis, mais aussi à éprouver son peuple : p. 245-246.

Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, 190 sq. On distingue les passages du Pentateuque où Dieu est désigné par le nom de Yahvé de ceux où il est appelé Elohim. Les critiques rationalistes pensent que les cinq livres du Pentateuque attribués à Moïse sont une compilation postérieure, où des écrivains inconnus ont fait entrer deux documents d’origines différentes : l’un appelé élohiste, l’autre dit yahviste (voir en fin de document). Les interprètes catholiques pensent qu’on ne peut pas séparer les deux types de passages. Pour le Yahviste, Moïse est le dernier des Patriarches ; c’est aussi le premier des « sauveurs » ; voir Exode, II, 17. Voir aussi p. 359 : l’équivalent d’Abraham pour Hébron, Isaac pour Bersabée, Jacob pour Béthel et le Jourdain, Moïse l’est pour Cadès : c’est là qu’il va à la Montagne sainte. Le Dieu qui se révèle à Moïse lors de son séjour chez les Qénites est le Dieu du Sinaï, du buisson ardent, identique au Dieu des ancêtres. Selon l’Elohiste, obéissant à sa mission de délivrer les siens, Moïse fonde le peuple d’Israël par la grande Alliance. Au milieu d’un peuple à la nuque raide, il est un personnage surnaturel, supérieur à Aaron et Myriam car il voit Dieu face à face et porte sur lui le reflet de sa bienveillance. Il reçoit le Décalogue. Prophète par excellence, il a l’Esprit de Dieu qu’il peut communiquer aux Anciens (Nombres, 11, 10-30).

Lods Adolphe, Israël, des origines au milieu du VIIIe siècle, p. 174 sq. et p. 194. L’autorité de Moïse, comparable à celle des chefs bédouins, repose sur son ascendant personnel.

Cazelles Henri, Introduction à la Bible, I, p. 345 sq. Tous les manuscrits sur le Pentateuque comme loi sont rattachés à Moïse. Mais son rôle, tout important qu’il soit, est difficile à définir. Les formules du décalogue le placent au carrefour de la religion personnelle du Dieu d’Abraham, de la morale élevée et respectueuse de l’individu telle qu’elle s’exprime dans les livres de la Sagesse égyptiens du deuxième millénaire, et de la situation historique d’Israël non encore établi en Canaan, en marge des civilisations du temps et vivant dans le désert. C’est à Moïse qu’il faut sans doute attribuer la première compilation juridique qu’est le code de l’alliance. Législation archaïque qui ne demande pas l’unité du sanctuaire, qui ignore la monarchie et ne connaît qu’une unité tribale très lâche. Les législations ultérieures garderont le mélange de style et les principales institutions : p. 347.

Lods Adolphe, op. cit., p. 307 sq. L’œuvre de Moïse.

Bossuet Jacques Bénigne, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade, p. 786 sq.

 

Moïse dans les notes de la Genèse traduite par Le Maistre de Sacy

 

Delassault Geneviève, Le Maistre de Saci et son temps, p. 182. Dans la préface de la Genèse, Sacy défend l’autorité de Moïse, interprète des premières révélations divines ; il met en relief la forte personnalité du chef hébreu, son éducation princière, sa science. Sacy insiste sur son rôle social et religieux : grand prêtre, ministre de Dieu, conducteur du peuple, maître et arbitre de la nature, interprète du ciel, vainqueur des rois. Ses actes sont des miracles, et ses paroles sont des prophéties. L’autorité de Moïse est en plus confirmée par le témoignage du Christ, qui a expliqué certaines de ses figures.

Genèse, tr. Sacy, I, p. X sq. Préface, §. I. Moïse auteur de la Genèse. Autorité de Moïse confirmée par ses miracles.

« L’Écriture sainte est une source de vie et de lumière : et ce que saint Paul a dit du Verbe de Dieu, se peut dire de sa parole : que tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu y sont renfermés. Le premier des livres de l’Écriture est la Genèse ; et l’auteur qui l’a écrit est Moïse.

Si l’on considère la personne de cet homme de Dieu, on n’y trouvera rien que de grand et d’extraordinaire. Il a été élevé comme le fils adoptif d’une princesse, qui avait dessein de le rendre digne d’être Roi ; et il a été instruit de toutes les sciences des sages d’Égypte, dont la réputation était alors célèbre parmi les savants.

Si l’on a égard à l’antiquité, il a été sans comparaison plus ancien que tous ces auteurs si illustres dans le monde, qui ont acquis à la Grèce le nom de mère des sciences et des arts. Car il a été près de cinq cents ans avant Homère, huit cents avant le philosophe Thalès qui a traité le premier de la nature, neuf cents ans avant Pythagore, et plus d’onze cents ans avant Socrate, Platon et Aristote, qui ont été comme les chefs et les maîtres de toute la sagesse des Grecs.

Si l’on considère ce qui paraît de grand dans ses écrits et dans toute la suite de sa vie, on trouvera que n’ayant pu tirer aucune lumière de toute l’antiquité profane, avant laquelle il a éclaté dans le monde, il a été en même temps, orateur, poète, historien, philosophe, législateur, théologien, prophète, plus que pontife, puisqu’il a sacré le grand-prêtre, ministre de Dieu, avec lequel il a traité comme un ami avec son ami, conducteur de son peuple ; enfin pour dire tout en un mot, maître et arbitre de la nature, interprète du ciel, vainqueur des Rois, Dieu de Pharaon.

Toutes ces qualités et humaines et divines ont été rassemblées en Moïse, afin qu’il possédât une autorité à laquelle les hommes fussent obligés de déférer, comme à celle de Dieu même.

L’Écriture dit de lui, qu’il a été puissant en œuvres et en paroles. Ses œuvres sont ses miracles, par lesquels il a paru un homme visiblement envoyé de Dieu. Ces plaies effroyables et pleines de merveilles, par lesquelles il a frappé tout un grand royaume, non une fois, mais dix fois de suite, sont des voix éclatantes par lesquelles Dieu lui a rendu témoignage, et s’est expliqué aux hommes plus par des tonnerres que par des paroles.

Quelques-uns objectent que les magiciens de Pharaon ont fait aussi des miracles. Il est vrai, dit saint Augustin, que le démon agissant par ces magiciens, a voulu disputer contre Dieu de la gloire des miracles. Il a changé par eux d’abord l’eau en sang, et la terre en des grenouilles. Mais la troisième plaie par laquelle Moïse remplit toute l’Égypte de moucherons, le démon après s’être efforcé en vain par toute la puissance de l’art magique d’imiter Moïse, fut obligé de témoigner lui-même sa confusion, et de rendre gloire à Dieu par la bouche des magiciens, lorsqu’ils dirent à Pharaon : Le doigt de Dieu est ici. Digitus Dei est hîc, comme s’ils lui eussent dit : Jusqu’ici l’enfer a combattu contre Dieu, mais maintenant il se confesse vaincu, et il faut qu’il cède au Tout-puissant. « Dieu permit à ces magiciens », ajoute saint Augustin, « de combattre quelque temps contre Moïse, afin qu’il les vainquît avec plus de gloire », Magi Pharaonis facere quædam mira permissi sunt, ut mirabilius vincerentur. Aussi Moïse les frappa ensuite eux-mêmes d’ulcères effroyables comme le reste de tous les Égyptiens, et les mit hors d’état de pouvoir paraître devant Pharaon, sans que toute leur magie les en pût défendre.

Le Saint-Esprit nous apprend la même chose par la bouche du Sage, lorsqu’après avoir représenté les spectres et les fantômes horribles qui se mêlèrent aux ténèbres épaisses, dont Dieu frappa par Moïse toute l’Égypte, il ajoute : « C’est alors que toutes les illusions de l’art des magiciens furent déshonorées honteusement, et devinrent inutiles, que toute cette sagesse dont ils se vantaient, tomba dans l’opprobre. Car au lieu qu’ils faisaient profession de guérir le trouble des âmes abattues par la crainte, ils se trouvèrent eux-mêmes dans une peur et un abattement ridicule, à la vue des objets effroyables qui se présentaient à eux. »

Moïse a fait ces miracles devant Pharaon ; et l’on sait assez ceux qu’il a faits à la sortie de l’Égypte et dans le désert. Il a divisé quand il lui a plu les eaux de la mer pour faire un passage aux Israélites ; et il a fait revenir ces mêmes eaux où elles étaient auparavant, quand il le leur a commandé, pour y abîmer les Égyptiens.

Il a puni la désobéissance des Israélites en leur envoyant par l’ordre de Dieu, ou des serpents, ou des flammes qui les dévoraient.

Lorsque tout le peuple mourait de soif dans le désert, il a fait sortir d’une pierre des torrents d’eau. Et quand les principaux de la Synagogue ont voulu soulever les Israélites contre lui, il a commandé à la terre de s’entrouvrir sous leurs pieds, et il les a fait descendre tout vivants dans l’enfer à la vue de tout le peuple.

Ces miracles sont très grands, et ils méritent par eux-mêmes d’être respectés comme étant certainement des œuvres de Dieu. Mais la preuve qui les autorise est encore plus grande, qui est que Moïse a été prophète, et que c’est de Jésus-Christ même que nous apprenons la déférence et la vénération qui lui est due. »

 

La personne et la vie de Moïse ont pour Pascal une valeur non seulement historique, mais aussi symbolique

 

Loi figurative 2 (Laf. 246, Sel. 278). Les peuples juif et égyptien visiblement prédits par ces deux particuliers que Moïse rencontra : l’Égyptien battant le Juif, Moïse le vengeant et tuant l’Égyptien, et le Juif en étant ingrat.

Prophéties VIII (Laf 503, Sel. 738). Isaïe, 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer Rouge.

 

Moïse a entendu la voix de Dieu

 

Saint Augustin, La cité de Dieu, X, Bibliothèque augustinienne, p. 475. Dieu était présent à Moïse sous sa forme visible, quoique cette forme n’ait pas été lui. Présent comme la pensée est présente dans les mots. Il apparut visiblement la personne de Dieu lui-même, qui demeure toujours invisible aux yeux corruptibles, mais par des signes révélateurs, etc. Par l’entremise d’une créature soumise au créateur : p. 479.

Les Nombres, tr. Sacy, ch. XII, note sur les v. 7-8, p. 152. « Cet endroit ne signifie pas, comme il est marqué ailleurs, que Moïse ait vu l’essence même de Dieu, puisque les saints ne le verront en cette manière qu’en l’autre vie, mais seulement qu’il lui parle bouche à bouche [...] Moïse s’entretenant avec l’Ange qui lui parlait en la personne de Dieu, et l’Ange lui répondant, comme un ami parle à son ami, ainsi qu’il est dit dans l’Exode. Ceci n’empêche pas néanmoins [...] que Dieu n’ait parlé en cette manière à plusieurs autres, comme à Abraham sous le chêne de Mambré, à Jacob quand il lutta avec l’Ange, et à Manüé quand l’Ange vint lui annoncer qu’il serait père de Samson. Mais l’avantage de Moïse c’est que Dieu s’est entretenu ainsi ordinairement avec lui, et qu’il déclare lui-même qu’il l’a traité avec une familiarité incompréhensible, comme un ami traite avec son ami, au lieu qu’il n’est apparu aux autres saints que très rarement en cette manière ».

Bossuet Jacques Bénigne, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade, p. 789. Moïse témoin direct.

 

Moïse prophète

 

Sur la situation de Moïse dans le courant prophétique, voir Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 463-464.

Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, III, article Prophète, Paris, Cerf, 1966, p. 499 sq. Moïse comme fondateur et prototype du prophétisme israélite.

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre I, p. 230 sq. Après avoir tué un égyptien, Moïse se retire en Arabie, où il devient berger : p. 245-246. Livre III, p. 356. « Il faut [...] que nous déclarions comment il a été le plus excellent de tous les prophètes qui furent jamais » : p. 393.

Thomas d’Aquin, Questions disputées sur la vérité, Question XII, La prophétie (De prophetia), éd. S. T. Bonino et J.-P. Torell, Article 14, Moïse a-t-il été supérieur aux autres prophètes ?, p. 184 sq. Voir les notes p. 236 sq.

Genèse, tr. Sacy, I, p. X sq. Préface, §. II. Moïse Prophète. Prophétie de Moïse autorisée par Jésus-Christ et par les Apôtres.

« Rien ne pouvait être plus glorieux à Moïse, que de voir que c’est le Fils de Dieu même qui rend témoignage à la loi que ce saint a publiée, et à la vérité de ses prophéties.

Il est clair dans l’Évangile que non seulement Jésus-Christ a approuvé la loi de Moïse, mais qu’il s’y est soumis volontairement, ayant voulu être circoncis, selon qu’il était ordonné par la même loi. Nous y voyons aussi que sa mère, quoique toujours vierge, se purifia après l’avoir mis au monde, ainsi que la loi l’avait ordonné à toutes les femmes. C’est pourquoi saint Paul dit : Que Jésus-Christ a été soumis à la loi pour délivrer ceux qui étaient sous la loi.

Jésus-Christ a observé durant sa vie cette même loi, envoyant aux prêtres des malades qu’il avait guéris, afin qu’ils fissent ce que la loi avait ordonné.

Il est remarquable que le Sauveur ne reconnaît pas seulement Moïse comme un homme plein du Saint-Esprit, mais qu’il se sert même de son autorité pour prouver une aussi grande vérité qu’est celle de la résurrection, lorsqu’il dit : « Quant à ce que les morts doivent ressusciter un jour, Moïse le déclare assez lui-même, lorsqu’étant auprès du buisson il appelle le Seigneur, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Or Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants, parce que tous sont vivants devant lui ».

Aussi le Fils de Dieu a voulu montrer lui-même le rapport essentiel qui se trouve entre la loi donnée par Moïse, et la grâce qu’il a lui-même apportée au monde, lorsqu’il a dit par la bouche de l’Apôtre saint Jean : La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ. C’est-à-dire, selon l’explication excellente de saint Augustin, « la grâce a été apportée par Jésus-Christ, afin que nous ayant remis nos péchés, elle nous fît faire par une vertu inspirée de Dieu, ce que la loi de Moïse commandait de faire : Et la vérité a été accomplie, lorsque ce culte de Dieu, qui ne consistait qu’en des ombres et des figures, a été anéanti par la présence de Jésus-Christ, selon que Dieu l’avait promis par les oracles de ses Prophètes » : Gratia et veritas per Jesum Christum facta est ; gratia scilicet, ut datâ indulgentiâ peccatorum, quod præceptum erat, ex Dei dono custodiretur : Veritas autem, ut ablatâ observantiâ umbrarum, quod promissum erat, ex Dei fide præsentaretur.

Jésus-Christ ne s’est pas contenté d’établir ce grand principe, que ce que Moïse enseigne dans ses livres était la figure de ce qui se devait faire dans la loi nouvelle ; mais il explique lui-même quelques-unes de ces figures. En voici une bien considérable.

Lorsque Dieu pour punir la désobéissance des Israélites, leur envoya des serpents qui en firent mourir plusieurs, Moïse fit élever en haut un serpent d’airain, afin que ceux qui auraient été blessés par ces morsures envenimées regardant ce serpent, fussent guéris. Ce serpent d’airain était, dit saint Augustin, l’image de Jésus-Christ, c’est pourquoi il n’avait que la figure et non le venin du serpent, pour montrer que Jésus-Christ porterait une chair mortelle semblable à celle du péché, et non le péché même. Et comme la vue de ce serpent d’airain guérissait les morsures des vrais serpents, ainsi Moïse prophétisait par cette figure, que la vue et l’adoration de Jésus-Christ élevé sur la croix, guérirait les plaies que nous a faites le démon, appelé dans l’Écriture l’ancien serpent. C’est Jésus-Christ même qui explique cette figure, lorsqu’il dit à Nicodème : « Comme Moïse éleva en haut le serpent d’airain, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé en haut, c’est-à-dire, soit élevé sur la croix, afin qu’aucun de ceux qui croient en lui ne se perde mais qu’ils aient tous la vie éternelle. »

Le Fils de Dieu déclare aussi aux Juifs qu’ils prenaient la figure pour la vérité, en croyant que la manne que leurs pères avaient mangée dans le désert, était le vrai pain du ciel, au lieu que c’était sa chair divine qui était ce pain, lorsqu’il leur dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. Car le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel, et qui donne la vie au monde. »

C’est pour cette raison que le Sauveur voulant donner aux Apôtres une grande estime de Moïse, a paru plein de gloire en sa transfiguration sur le Thabor entre Moïse et Elie, pour montrer, dit saint Paul, selon l’explication de saint Augustin, que l’Évangile serait principalement établi sur le témoignage de la loi donnée par Moïse, et sur celui des prophètes, dont Élie était comme le chef.

Mais le Fils de Dieu déclare encore plus fortement cette vérité devant les Juifs, lorsqu’il leur reproche qu’ayant un si grand respect pour les écrits de Moïse, il ne pouvaient néanmoins l’y reconnaître, quoiqu’il y eût été prédit en tant de manières : « Vous lisez », dit-il, « avec soin les Écritures, parce que vous croyez y trouver la vie éternelle, et néanmoins ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai devant le Père : Vous avez un accusateur qui est Moïse, auquel vous espérez. Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c’est de moi qu’il a écrit. Que si vous ne croyez pas ce qu’il a écrit, comment croirez-vous ce que je vous dis ? »

Jésus-Christ a fait lui-même ce qu’il accuse les Juifs de n’avoir pas voulu faire. Car il a prouvé ce qu’il était par l’autorité de Moïse, dont il s’est rendu l’interprète, lorsqu’il apparut aux deux disciples qui allaient à Emmaüs, selon qu’il est dit dans l’Évangile : « Et commençant par Moïse et continuant par les Prophètes, il leur expliquait ce qui avait été dit de lui dans toutes les Écritures. »

Il fit encore devant tous ses Apôtres ce qu’il avait fait devant ces deux disciples : « Vous voyez, leur dit-il, ce que je vous avais dit quand j’étais encore avec vous : Qu’il fallait que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes, fût accompli. »

L’autorité de Moïse a été ainsi établie par Jésus-Christ. Et nous la voyons encore confirmée depuis par les principaux d’entre les Apôtres.

C’est ce que saint Pierre nous enseigne, lorsque voulant faire voir aux Juifs que Jésus-Christ était le Messie, il le prouve par ces paroles de Moïse, qu’il soutient ne devoir s’entendre que du Fils de Dieu : « Moïse dit à nos pères : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d’entre vos frères un prophète comme moi : Écoutez-le en tout ce qu’il vous dira. Quiconque n’écoutera pas ce prophète, sera exterminé du milieu du peuple. Saint Étienne a cité aussi ce passage, établissant par Moïse la foi du Messie. »

Le même saint Pierre prouve encore la venue du Messie, par cet autre passage de Moïse pris de la Genèse, lorsqu’il dit aux Juifs : « Vous êtes les enfants des Prophètes, et de l’alliance que Dieu a établie avec nos pères, en disant à Abraham : Toutes les nations de la terre seront bénies en votre race ; c’est-à-dire, comme l’explique saint Paul, en Jésus-Christ né de votre race. »

L’apôtre saint Philippe nous apprend la même vérité, lorsqu’ayant été appelé par Jésus-Christ, qui ne lui dit que ces deux mots : « Suivez-moi, il dit à Nathanael : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi, et que les Prophètes ont prédit, savoir Jésus de Nazareth fils de Joseph. »

Saint Paul parle de Moïse d’une manière encore plus divine, en faisant voir qu’il avait prédit que les Juifs abandonneraient le Messie, que les Gentils après un si long aveuglement le recevraient, et deviendraient le peuple de Dieu, en sorte que les Juifs seraient eux-mêmes jaloux de leur avantage et de leur bonheur : « Moïse, dit ce saint Apôtre, avant tous les prophètes, a dit en la personne de Dieu qui parlait aux Juifs : Je vous rendrai jaloux d’un peuple, c’est-à-dire, du peuple Gentil qui ne mérite pas d’être appelé peuple, et je ferai qu’une nation insensée deviendra l’objet de votre indignation et de votre envie. »

Le même apôtre relève la grandeur souveraine du Fils de Dieu, en faisant voir l’avantage qu’il avait au-dessus de Moïse : « Jésus-Christ, dit-il, a été jugé digne d’une gloire d’autant plus grande que celle de Moïse, que celui qui a bâti la maison est plus estimable que la maison même. Car Moïse a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme un serviteur, pour annoncer au peuple tout ce qu’il lui était ordonné de dire ; mais Jésus-Christ, comme Fils a l’autorité sur sa maison. »

Enfin saint Paul décrit excellemment la foi et la vertu de Moïse en ces termes : « C’est par la foi que Moïse, étant devenu grand, renonça à la qualité de fils de la fille de Pharaon, et qu’il aima mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir du plaisir si court qui se trouve dans le péché, jugeant que l’ignominie de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l’Égypte, parce qu’il envisageait la récompense. C’est par la foi qu’il quitta l’Égypte sans craindre la fureur du Roi. Car il demeura ferme comme s’il eût vu l’Invisible. »

L’Apôtre saint Jean dans sa divine Apocalypse, rend aussi un témoignage très avantageux à Moïse, en disant que les bienheureux dans le ciel joignent Moïse avec Jésus-Christ, qu’il appelle l’Agneau, en chantant un cantique qui est attribué à l’un et à l’autre. « Les Saints, dit-il, chantaient le cantique de Moïse serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau, en disant : Vos œuvres sont grandes et admirables, ô Seigneur Dieu tout-puissant ; vos voies sont justes et véritables, ô Roi des siècles ».

Pour Pascal, la nature prophétique de Moïse apparaît surtout en ce qu’il sait voir, au-delà des réalités charnelles, les vérités spirituelles qu’elles figurent : voir Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313) : Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Perpétuité 10 (Laf. 288, Sel. 320) : Moïse, Deut. 30, promet que Dieu circoncira leur cœur pour les rendre capables de l’aimer.

Moïse a du reste prévenu son peuple qu’il fallait entendre ses prophéties dans un sens symbolique et spirituel. C’est par lui-même que nous savons, comme l’écrit Pascal dans le fragment Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693), que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion. En effet : La religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse. Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

Que Dieu n’accepterait point la postérité d’Abraham.

[...] Moïse même leur a dit que Dieu n’acceptera point les personnes.

Mais Moïse n’a pas seulement prêché des instructions spirituelles, il a aussi proclamé des prophéties très précises sur la venue du Messie. Selon le fragment Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9), Moïse et les prophètes sont venus [...] déclarer le temps et la manière de sa venue.

Moïse a également annoncé à son peuple la réprobation à laquelle il était destiné ; voir Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692) : Sincérité des Juifs. Ils portent avec amour et fidélité ce livre où Moïse déclare qu’ils ont été ingrats envers Dieu toute leur vie, qu’il sait qu’ils le seront encore plus après sa mort, mais qu’il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu’il le leur a assez. Il déclare qu’enfin Dieu s’irritant contre eux les dispersera parmi tous les peuples de la terre, que comme ils l’ont irrité en adorant les dieux qui n’étaient point leurs dieux, de même il les provoquera en appelant un peuple qui n’est point son peuple, et veut que toutes ses paroles soient conservées éternellement et que son livre soit mis dans l’arche de l’alliance pour servir à jamais de témoin contre eux.

Prophéties VII (Laf. 493, Sel. 736) : Moïse prédit la vocation des gentils avant que de mourir. 32, 21. Et la réprobation des Juifs.

Les prophéties de Moïse ont contribué à former le miracle subsistant de la grande annonce messianique : voir Laf. 594, Sel. 491 : Les miracles de la Création et du Déluge s’oubliant Dieu envoya la loi et les miracles de Moïse, les prophètes qui prophétisent des choses particulières. Et pour préparer un miracle subsistant il prépare des prophéties et l’accomplissement. Mais les prophéties pouvant être suspectes il veut les rendre non suspectes, etc.

Sur la manière dont Moïse écrivain prophétique rapporte l’histoire du passé, voir les fragments Preuves de Moïse 1 (Laf. 290, Sel. 322) et Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324).

 

Sagesse et science de Moïse

 

C’est un principe que Pascal affirme fortement dans le fragment Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268) : Principe : Moïse était habile homme. Si donc il se gouvernait par son esprit, il ne devait rien mettre qui fût directement contre l’esprit.

Lods Adolphe, Israël, p. 174 sq. et p. 194. On prétend que Moïse a été « instruit dans toute la science des Égyptiens ». Manéthon le présente comme un ancien prêtre d’Héliopolis en révolte contre les doctrines traditionnelles de son peuple.

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre I, p. 230 sq. Moïse est nourri chez les Égyptiens, dans un pays gras et fertile, « à la façon des enfants du roi ». « Modeste et grave » dès son enfance, Moïse ne s’occupe qu’à « ouïr et voir choses qui pouvaient profiter à l’âme ». Il apprend vite et « il comprenait de lui-même choses difficiles à comprendre : aussi les grands esprits inventent plusieurs choses nouvelles aux sciences » : p. 236. « Les savants donc d’Égypte lui montrèrent les nombres, la géométrie, la science des rythmes et des cadences, des harmonies, des mesures, et généralement toute la musique, tant par l’usage des instruments, que par la déclaration et explication des raisons, qui se trouvent aux arts, et passages plus communs : et outre, la philosophie secrète, et cachée en des marques et signes, laquelle ils montraient par lettres appelées hiéroglyphiques, ou sacrées [...]. Les Grecs lui montraient les arts libéraux, qu’on appelle Encyclopédie. Les autres, qui étaient des lieux circonvoisins, lui montrèrent les lettres assyriennes, et la science chaldaïque, qui traite des corps célestes, laquelle il apprit aussi des Égyptiens, qui étaient fort adonnés aux mathématiques, tellement qu’il comprenait de point en point ce que tous les deux lui enseignaient, prenant garde par ce même moyen en quoi ils s’accordaient, et étaient différents ». Son esprit « ne pouvait recevoir aucun mensonge » : p. 238. Jeune homme, il se retient de courir les filles : p. 238.

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Livre second, p. 425 sq. Chapitre I, « Commencement de la Réponse à Apion. Réponse à ce qu’il dit que Moïse était égyptien, et à la manière dont il parle de la sortie des Juifs hors de l’Égypte » : p. 425. Chapitre VI, « Réponse à ce que Lysimaque, Apollonius Molon et quelques autres ont dit contre Moïse. Josèphe fait voir combien cet admirable législateur a surpassé tous les autres, et que nulles lois n’ont jamais été si saintes ni si religieusement observées que celles qu’il a établies » : p. 439 sq. On dit que « Moïse notre législateur n’était qu’un séducteur et un enchanteur, et que les lois qu’il nous a données n’ont rien que de méchant et de dangereux... ». Toutes les critiques contre les Juifs se résument à deux : que leurs lois ne sont pas bonnes et qu’ils ne les observent pas. « Or je dis que notre législateur précède en antiquité Lycurgue, Solon, Zaleucus de Locres, et tous les autres tant anciens que modernes que les Grecs vantent si fort, et que le nom de lois n’était pas autrefois seulement connu parmi eux, comme il paraît par ce qu’Homère n’en a point usé. Les peuples étaient gouvernés par certaines maximes et quelques ordres des rois dont on usait selon les rencontres sans qu’il y en eût rien d’écrit. Mais notre législateur, que ceux mêmes qui parlent contre nous ne peuvent désavouer être très ancien, a fait voir qu’il était un admirable conducteur de tout un grand peuple, puisqu’après lui avoir donné d’excellentes lois il lui a persuadé de les recevoir et de les observer inviolablement. Voyons par la grandeur de ses actions quel il a été ». Il a été le chef du peuple ; il les a « garantis par son extrême prudence d’infinis périls ». C’est « un excellent capitaine, un très sage conducteur, et un protecteur remarquable. Quoiqu’il persuadait tout ce qu’il voulait à cette grande multitude, et qu’elle lui fût extrêmement soumise, il ne fut jamais tenté du désir de dominer ; mais dans le temps que les autres affectent la tyrannie, et lâchent la bride au peuple pour vivre dans le désordre ; au lieu d’abuser de son autorité, il ne pensa qu’à marcher dans la crainte de Dieu, qu’à exciter ce peuple à embrasser la pitié et la justice, qu’à l’y fortifier par son exemple, et qu’à affermir son repos. Une conduite si sainte et tant de grandes actions ne donnent-elles pas sujet de croire que Dieu était l’oracle qu’il consultait, et qu’étant persuadé qu’il devait en toutes choses se conformer à sa volonté, il n’y avait rien qu’il ne fît pour inspirer ce même sentiment au peuple dont il avait la conduite ». C’est un législateur « semblable à Minos » : car on voit bien que ses lois sont les plus saintes.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Saci…, p. 182. Dans la préface de la Genèse, Sacy défend la science de Moïse. C’est le plus ancien et le plus varié des savants de l’Antiquité.

Spinoza, Traité théologico-politique, ch. II, éd. Akkerman, p. 133. Moïse sait de Dieu qu’il est éternel, singulier et unique, miséricordieux, bienveillant et très jaloux ; qu’il a mis en ordre le monde ; qu’il a élu des Hébreux ; qu’il est aux cieux. Mais il n’a pas eu une science suffisante du fait que Dieu est omniscient et dirige par son seul décret toutes les actions humaines : p. 133-137. Les révélations de Moïse ont été adaptées à ces opinions : p. 137. Il a enseigné aux Hébreux à bien vivre, non en tant que philosophe, mais en tant que législateur, en les contraignant par l’empire de la loi : p. 139.

 

Véracité de Moïse

 

Voir le commentaire de Preuves de Moïse 5 (Laf. 295, Sel. 326).

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, I, XV. Moïse a révélé les péchés qu’il aurait pu dissimuler. On ne peut croire qu’il a menti.

Bossuet Jacques Bénigne, Discours sur l’histoire universelle, Pléiade, p. 789.

Flavius Josèphe, Contre Apion, II, VI, p. 439 sq.

             

Miracles de Moïse

 

Genèse, éd. Sacy, I, p. VII sq.

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, p. 255 sq. Les miracles de Moïse : le bâton changé en serpent, la main de Moïse devenue blanche, l’eau devenue sang. Le miracle du dragon devant le roi d’Égypte : p. 259 sq. Les dix punitions d’Égypte : p. 260 sq.

Moïse a profondément marqué l’esprit des Juifs par la puissance de ses miracles : voir Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

 

Générosité et manque d’ambition de Moïse

 

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly, 1670, Livre second, p. 425 sq. On objecte aux Juifs que « Moïse notre législateur n’était qu’un séducteur et un enchanteur, et que les lois qu’il nous a données n’ont rien que de méchant et de dangereux... » : p. 439. C’est « un excellent capitaine, un très sage conducteur, et un protecteur remarquable. Quoiqu’il persuadait tout ce qu’il voulait à cette grande multitude, et qu’elle lui fût extrêmement soumise, il ne fut jamais tenté du désir de dominer ; mais dans le temps que les autres affectent la tyrannie, et lâchent la bride au peuple pour vivre dans le désordre ; au lieu d’abuser de son autorité, il ne pensa qu’à marcher dans la crainte de Dieu, qu’à exciter ce peuple à embrasser la pitié et la justice, qu’à l’y fortifier par son exemple, et qu’à affermir son repos. Une conduite si sainte et tant de grandes actions ne donnent-elles pas sujet de croire que Dieu était l’oracle qu’il consultait, et qu’étant persuadé qu’il devait en toutes choses se conformer à sa volonté, il n’y avait rien qu’il ne fît pour inspirer ce même sentiment au peuple dont il avait la conduite » : p. 441.

 

Moïse grand chef politique

 

Lods Adolphe, Israël, p. 309. Moïse s’applique à constituer un peuple, une confédération de tribus par la fondation d’une religion nationale : p. 310.

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly, 1670, Livre second, p. 425 sq. Voir ce texte plus haut.

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre I, p. 230 sq. Après avoir tué un Égyptien, Moïse se retire en Arabie, où il devient berger : p. 245-246. Cela lui apprend l’art du commandement : « L’art de berger est un apprentissage pour le royaume, à l’avantage de celui qui doit avoir le gouvernement du doux et privé troupeau des hommes ; comme est la chasse avec les chiens, aux gens de guerre : d’autant qu’en chassant après les bêtes sauvages, ils s’appreignent et s’essaient à gouverner les armées » : p. 250. Le bon roi doit d’abord être berger.

Moïse capitaine, gouverneur et roi des Hébreux, est « poussé d’une vertu et honnêteté », et non par l’ambition, « et d’une bonne affection qu’il portait à tout son peuple, en laquelle il persévéra toujours » : p. 278. « Après qu’il eût pris le gouvernement, il ne s’étudia pas comme aucuns, à accroître sa propre maison, et avancer ses enfants (car il en avait deux) en richesse et puissance, afin qu’ils fussent pour lors ses compagnons, et en après ses successeurs ; mais usant d’une bonne conscience franche et nette en toutes choses, tant petites que grandes, domptait la naturelle amour et grande affection qu’il portait à ses enfants ; et comme un juge, était raide et entier en ce qui était raisonnable, se mettant devant les yeux un seul but fort nécessaire, qui était de soulager ses sujets, pratiquer et faire tout ce qu’il pourrait, tant en faits qu’en dits, pour le profit d’eux tous » : p. 278-279. Seul de tous les souverains, il « n’a point amassé d’or, ni d’argent, il n’a point exigé de tributs, n’a point possédé de maisons et métairies » : p. 279. Il n’y a rien de magnifique dans sa tenue qui « sentît son orgueil et gravité tragique » : p. 279.

Livre II, p. 336 sq. Philon évoque la « belle sentence de Platon » : la cité croît lorsque les rois philosophent et lorsque les philosophes règnent. Moïse « a fait paraître outre mesure ces deux grandeurs ensemble, la royale, et celle du philosophe », mais aussi trois autres, la sacrificature, la composition des lois et la législature : p. 336. L’état de législateur et de Roi s’accorde bien avec celui de sacrificateur et de prophète : ils doivent considérer les choses humaines, mais aussi les divines. Moïse demandait à Dieu le « repoussement des maux et abondance de tous les biens », qui étaient accordés. La prophétie monte où l’entendement humain ne peut parvenir. Ce sont quatre vertus qui s’accordent : p. 337-338. L’état de législateur a pour vertus la charité, l’amour du prochain, de la justice, de la vertu, l’honnêteté et la haine du mal. Moïse est le seul des humains qui ait donné par ses lois la preuve de ces vertus toutes ensemble : p. 338-339. « Qu’il ait été le plus excellent de tous les législateurs qui furent jamais, soient grecs, soient Barbares, et ses lois non seulement très belles, mais aussi divines, n’y ayant rien omis qui fût bon et salutaire, la preuve en est très évidente. Car si quelqu’un prend garde aux lois des autres, il trouvera qu’elles ont été changées par dix mille occasions, par guerres, par tyrannies, et par autres cas fortuits, qui par le renouvellement et changement de fortune surviennent. Souvent aussi les superflues et excessives richesses ont aboli les lois, ne pouvant la multitude des biens compatir avec les bonnes choses, mais s’en saoulant incontinent, et après s’être saoulées la rejetant avec un orgueil, qui est l’ennemi de la loi. Au contraire, les seules lois de Moïse sont demeurées depuis le jour qu’elles ont été écrites, jusqu’à cette heure fermes et stables, étant par manière de dire, scellées des sceaux de la nature, et si y a espérance qu’elles demeureront, tant que le soleil, la lune et tout le ciel, et le monde durera. Parce que jaçoit que les peuple des Hébreux ait effrayé les changements de la bonne et mauvaise fortune, toutefois il n’y a pas un petit commandement changé, les ayant tous (comme aussi il devait) honoré, tant sont-ils excellents et divins. Ce que donques ni la famine, ni la peste, ni la guerre, ni le roi, ni le tyran, ni la maladie de l’âme ou du corps, ou la passion, ou l’affliction, ou quelque autre mal procédant des hommes, ou d’en haut, tant terrible ait été, n’a pu abattre ; comment ne serait-il le plus excellent, le plus désirable et le meilleur de tout ce qu’on pourrait dire ? Encore ne se faut-il pas ébahir de cela (combien que ce soit une chose d’elle-même bien grande, que ces lois depuis le temps passé jusques à cette heure ont été gardées inviolablement) comme d’un autre cas, qui est à la vérité le plus merveilleux et le plus étrange du monde, que nous seulement les Juifs, mais presque tous les autres, principalement ceux qui sont contre la vertu, ont reçu et honoré les lois comme saintes et sacrées, ayant icelle gagné cet honneur par-dessus toutes les autres. La preuve de ceci est, qu’il n’y a pas une ville (il faut dire ce mot) en la Grèce, ni au pays étrange qui honore les lois des autres : voire à grand’peine entretient-elle les siennes, s’accommodant au changement des affaires et des temps. Les Athéniens rejettent les lois et coutumes des Lacédémoniens ; les Lacédémoniens celles des Athéniens » : p. 340-341. Tous « ont opinion que les leurs qu’ils tiennent, auront plus de force et de vigueurs, s’ils déprisent celles des autres. Mais les nôtres ne vont pas ainsi : car elles attirent à soi tout le monde, les barbares et étrangers, les Grecs, ceux qui demeurent en terre ferme, ceux qui demeurent aux Îles, les nations Orientales, les Occidentales, l’Europe, l’Asie ; bref toute la terre habitable depuis un bout jusques à l’autre » : p. 341-342. Exemples : le sabbat, le jeûne, le jeûne du saint mois. Moïse n’ordonne pas en tyran, « aimant mieux provoquer et inciter, que de contraindre » : p. 350. Il cherche à convaincre par préfaces, épilogues, et conclusions : p. 350.

Bruno Giordano, Œuvres complètes, Documents, I, Le procès, p. 316 sq. Moïse grand mage avisé, habile dans la magie, inventeur de la loi qu’il prétendait avoir reçue sur le Sinaï.

Spinoza Baruch, Traité théologico-politique, ch. II, éd. Akkerman, p. 139. Moïse a enseigné aux Hébreux à bien vivre, non en tant que philosophe, mais en tant que législateur, en les contraignant par l’empire de la loi : p. 139. Il les terrifia par des menaces pour le cas où ils transgresseraient ses préceptes : p. 139.

 

Moïse fut-il un imposteur ?

 

Flavius Josèphe, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Trad. Arnauld d’Andilly, 1670, Livre second, p. 425 sq. Chapitre VI, « Réponse à ce que Lysimaque, Apollonius Molon et quelques autres ont dit contre Moïse. Josèphe fait voir combien cet admirable législateur a surpassé tous les autres, et que nulles lois n’ont jamais été si saintes ni si religieusement observées que celles qu’il a établies » : p. 439 sq.

Le mystérieux Traité des trois imposteurs, éd. Retat, ch. III, § XXII, p. 73 sq., classe Moïse aux côtés de Mahomet et de Jésus-Christ parmi les imposteurs politiques qui ont usé de la religion pour asservir les esprits du peuple.

 

Moïse auteur du Pentateuque

 

Philon, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre II ; p. 349. Excellence des histoires de Moïse. Moïse a commencé ses histoires à la création du monde pour montrer « qu’il y avait un père et créateur du monde ; et législateur de vérité ; que celui qui eût à user des lois embrasse l’ordre de la nature, par harmonie des faits et des paroles » : p. 349.

Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, Paris, Desclée, 1973, p. 97 sq. Les cinq premiers livres de la Bible (Torah) sont ceux dont les noms juifs suivent :

 

Bere’shît

Wé’elleh Shemôt

Wayyigra’

Wayyedabber ou Bammidbar

‘Elleh haddebarîm

Genèse

Exode

Lévitique

Nombres

Deutéronome

 

Ce sont les Grecs qui ont donné à chaque livre un titre en rapport avec son contenu. Ils contiennent la loi d’Israël : c’est là qu’on trouve la masse des textes législatifs de la Bible. Le Pentateuque est traditionnellement une loi : c’est en tant que loi qu’on lui a accordé une valeur religieuse. Jusqu’au milieu du livre de l’Exode, les textes législatifs sont peu nombreux, alors qu’on trouve de nombreux récits mêlés aux lois : l’insertion des lois dans une trame historique est un trait caractéristique du Pentateuque.

Selon Josèphe, Contre Apion, I, 39, Moïse a écrit les cinq livres du Pentateuque, et les Prophètes ont écrit l’histoire postérieure. L’Église reçoit de la Synagogue les livres et l’explication donnée de leur composition : p. 108. Mais à l’époque moderne, un courant prend forme qui conteste l’authenticité du Pentateuque.

Sur la mise en cause de la mosaïcité du Pentateuque, voir Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 127 sq.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 197 sq. Le mouvement hostile à l’authenticité du Pentateuque commence à la fin du XVIe siècle. Le rabbin Aben Ezra a attribué la composition du Pentateuque à Esdras. Masius, en 1574, Commentarium in Josuam, Préface, p. 2, a plus prudemment montré que certains passages avaient été ajoutés à l’œuvre de Moïse, par un écrivain postérieur : le Liber bellorum Domini et le Liber justi, où étaient rapportées les actions de Josué, Samuel et Saül, le style parfois élégant, étaient des signes que l’ouvrage avait été retouché dans la suite. B. Pererius, en 1594, reprend Masius et conclut que le Pentateuque a été retouché après Moïse et restauré par Esdras.

Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien Testament, Introduction à la Bible, t. 2, Desclée et Cie., Paris, 1973, p 113. En 1580, Bodenstein Carlstadt, De canonicis scripturis libellus, pose nettement le problème de l’authenticité mosaïque en remarquant que Moïse n’a pas pu écrire le récit de sa propre mort. On admet aussi que Moïse n’est pas l’auteur de certains passages, par exemple de Genèse, XXII, 14, où il est fait allusion au Temple de Jérusalem, qui n’est bâti que sous Salomon. Certains auteurs Juifs avaient déjà pensé à faire d’Esdras l’auteur du Pentateuque, p. 113. Maes (Masius), Josuae imperatoris historia illustrata, Anvers, 1574, est mis à l’Index en 1586, parce qu’il rapprochait le Pentateuque des écrits qui suivent, notamment de Josué, des Juges, rédigés d’après lui par des hommes de piété comme Esdras à l’aide de matériaux préexistants et sous la direction du Saint-Esprit.

Au XVIIe siècle l’authenticité du Pentateuque commence à être sérieusement sapée, en raison d’incohérences apparentes dans les textes. Il faut en effet expliquer comment, si Moïse a composé le Pentateuque, il a pu raconter lui-même sa propre mort ; voir Antiquités, IV, VIII, 48 ; voir Philon, Vita Moysis, II, 51. Voir Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 198 : Au début du siècle le jésuite Bonfrère remarque certains passages qui n’ont été transcrits que bien après Moïse, notamment le récit de sa propre mort.      

En 1651, Hobbes, Léviathan, XXXIII, fait d’autres remarques dans le même sens. Il attribue le Pentateuque à Esdras, sauf le Livre de la Loi, Deutéronome, XI-fin XXVII. La Peyrère prétend en 1655 démontrer la non-authenticité du Pentateuque, au nom d’objections variées : Moïse n’a pas prononcé de paroles au-delà du Jourdain qu’il n’a pas franchi, l’Idumée n’était pas à Israël du temps de David ; étude des textes et des passages mutilés.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 199. R. Simon remarque des répétitions, des chapitres mal ordonnés, des erreurs de chronologie, des disparités de style. Voir Cazelles, Introduction à la Bible, II, p. 114 sq., sur Richard Simon.

Spinoza, qui a aussi traité de l’authenticité de l’Écriture dans son Tractatus theologico-politicus (1670), a rejeté l’attribution à Moïse, parce qu’il considérait que le Pentateuque ne pouvait pas être entièrement du grand prophète ; il ne lui accorde que ce que l’Écriture lui attribue expressément. Il attribuait seulement à Esdras d’avoir principalement rassemblé des textes qu’il n’avait pas écrits. Voir Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 185 ; Voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, II, p. 116, et Zac Sylvain, Spinoza et le problème de l’interprétation, p. 54.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 201. Insensiblement, les rationalistes discréditent l’autorité de Moïse, ce qui suscite un mouvement de défense du Pentateuque. Tout en affirmant que le Pentateuque est de Moïse, Jansénius reconnaît que certains faits relatés sont postérieurs à sa vie ; il émet deux hypothèses, soit que, comme le pensent les rationalistes, Esdras ou un autre aurait ajouté des détails au texte de Moïse, soit il suppose que Moïse a peut-être vu l’avenir par son don prophétique. Voir Pentateuchus, Praef. 1 et Genèse, XXXVI, 31.

Sacy, informé de ces discussions, a prévu une réponse analogue. Voir Le Deutéronome, tr. Sacy, Paris, Desprez, 1694, Avertissement. Il sait que certains soutiennent que le Deutéronome n’est pas de Moïse, parce qu’il raconte sa propre mort. Mais la difficulté ne lui semble qu’apparente : l’Église « n’a point douté que Josué ou le grand prêtre Éléazar n’aient pu ajouter cette circonstance de la mort de Moïse à la fin de ce livre. Mais on pourrait même dire, comme quelques-uns, qu’il ne serait pas fort étonnant que Moïse, qui parle dans tous ses livres comme un prophète, de ce qui doit arriver dans les siècles à venir, ait aussi lui-même parlé de sa mort par cette lumière toute divine qu’il recevait du Saint Esprit, à qui il servait d’organe pour instruite, non pas seulement les peuples de son siècle, mais encore tous les autres des siècles suivants ». Du reste, le texte porte les caractéristiques de Moïse : « génie élevé et tout plein de feu », « empressement extraordinaire pour le salut de son peuple », « zèle ardent pour la gloire de son Dieu ». Ces objections n’empêchent pas le Pentateuque d’être un ouvrage canonique de l’Écriture.

Voir sur la même question de savoir s’il y a des ajouts dans le texte de Moïse, Bossuet Jacques Bénigne, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade, p. 677 et 789 sq.

Voltaire, Dictionnaire philosophique, art Moïse, éd. Garnier, p. 320-325, développe des arguments contre l’authenticité du Pentateuque empruntés en grande partie à Le Clerc, Sentiments de quelques théologiens de Hollande sur l’Histoire critique du vieux Testament composée par le P. Richard Simon, de l’Oratoire, où en remarquant les fautes de cet auteur, on donne divers principes utiles pour l’intelligence de l’Écriture sainte, Amsterdam, 1685.

Le problème de la créance que l’on doit accorder au Pentateuque est au fond le seul qui intéresse vraiment Pascal. Quelques fragments sont consacrés à récuser les spéculations des érudits résumées ci-dessus sur le fait qu’Esdras a pu reconstituer les Écritures après leur destruction, ou qu’il a pu tout simplement en être l’auteur. C’est ce que Pascal dénonce sous le titre de fable d’Esdras dans les fragments suivants :

Contre la fable d’Esdras 1 (Laf. 949, Sel. 415).

Contre la fable d’Esdras 2 (Laf. 968, Sel. 416).

Contre la fable d’Esdras 3 (Laf. 953, Sel. 417). Sur Esdras. Fable : les livres ont été brûlés avec le temple. Faux par les Macchabées : Jérémie leur donna la loi.

Fable : qu’il récita tout par cœur.

Josèphe et Esdras marquent qu’il lut le livre.

Baronius, Ann., 180. Nullus penitus Hæbræorum antiquorum reperitur qui tradiderit libros periisse et per Esdram esse restitutos nisi in 4 Esdras.

Fable : qu’il changea les lettres.

Philo, in vita Moysi : Illa lingua ac caracter quo antiquitus scripta est Lex permansit usque ad 70. Josèphe dit que la Loi était en hébreu quand elle fut traduite par les 70.

Sous Antiochus et Vespasien où l’on a voulu abolir les livres et où il n’y avait point de prophète on ne l’a pu faire, et sous les Babyloniens où nulle persécution n’a été faite et où il y avait tant de prophètes, l’auraientils laissé brûler ?

Contre la fable d’Esdras 4 (Laf. 953, Sel. 418).

 

Aspects théologiques et stylistiques du Pentateuque

 

Les variations du style du Pentateuque ont servi d’argument pour en retirer l’attribution à Moïse, et à le donner à plusieurs auteurs.

Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, Paris, Desclée, 1973, p. 175 sq. Voir p. 195 sq., sur l’art du Yahviste au service de la théologie. Le Yahviste n’écrit pas pour un lecteur qui recherche les principes de la théologie, et qui met en doute le surnaturel, mais pour une génération inquiète, pour lui faire saisir où est le vrai Dieu, le vrai surnaturel, et où est la tentation du faux surnaturel : p. 196. L’optimisme théologique, le nationalisme et le messianisme du Yahviste : p. 198 sq.

Les récits élohistes ont un caractère de profondeur morale : p. 213. Elohim est la forme plurielle de l’hébreu Eloah, Dieu. Ce mot est employé dans la Bible de deux manières différentes : accompagné d’un verbe au singulier, il désigne le vrai Dieu. Dans ce cas, le pluriel du mot Dieu est un pluriel d’excellence. Les théologiens catholiques pensent que la Bible a voulu indiquer par cette forme la pluralité des personnes divines dans l’unité de nature. Les critiques rationalistes voient dans l’emploi du pluriel le vestige d’un polythéisme primitif. Accompagné du verbe au pluriel Elohim s’applique tantôt aux dieux étrangers, tantôt aux anges, tantôt aux hommes forts ou puissants Le mot Jehovah est le seul qui soit exclusivement réservé au vrai Dieu.

Cazelles Henri, op. cit., p. 160 sq. Unités littéraires de base du Pentateuque. Vocabulaires et styles différents, même sur le nom de Dieu (Yahvé, ou Elohim) : p. 286 sq. Le style du Deutéronome est oratoire, lent, ample pour l’hébreu qui manque de conjonctions de subordination. Les textes sacerdotaux sont d’un style sec et précis, avec des termes techniques et des chiffres, une propension au schéma et des sentences brèves revenant comme refrains. Un troisième genre se caractérise par une absence de monotonie et de technicité, des textes narratifs où les mots font image, des dialogues, et des agencements des paroles en vue de tableaux. La série yahviste, avec sa fraîcheur et sa vivacité, est plus typique que la tradition élohiste. L’élohiste est plus moral et moins psychologique ; l’action de Dieu est décrite de façon plus spirituelle et moins anthropomorphique.

Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 190 sq. Les variations du style du Pentateuque selon Richard Simon : le style est tantôt fort coupé, tantôt fort étendu, bien que la diversité de la matière ne l’exige pas. Richard Simon soutient la thèse que des écrivains publics furent les vrais auteurs du Pentateuque : p. 194 sq. Dans les états d’orient ayant atteint un certain degré de civilisation, comme les Égyptiens, et par suite les Juifs après leur départ d’Égypte, des scribes étaient chargés de mettre par écrit des événements d’intérêt public contemporains. Le privilège des scribes juifs était d’avoir l’inspiration divine. Richard Simon parle de « scribes prophètes ». Cette théorie, selon R. Simon, rend inutile certaines recherches sur le Pentateuque : « Il est inutile de rechercher avec trop de curiosité, comme on fait ordinairement, qui ont été les auteurs de chaque livre de la Bible en particulier, parce qu’il est constant qu’ils ont tous été écrits par des prophètes dont la république des Hébreux n’a jamais manqué, pendant tout le temps quelle a subsisté » (Préface de l’Histoire critique du Vieux Testament).

Pascal n’attache pas grande importance à ces différences de style ; il estime clair que l’usage des mêmes termes chez les grands prophètes implique qu’ils les entendent en même sens. Voir le fragment Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300) : Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis, on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens, et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie. Mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités, car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.

Ce mot d’ennemis est donc équivoque. Mais, s’il dit ailleurs, comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés, il les pouvait bien dénoter par ennemis, mais s’il pensait aux ennemis, il ne les pouvait pas désigner par iniquités.

Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David, qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis.

Pascal n’envisage le style de Moïse et des autres prophètes que du point de vue de l’opposition du charnel et du spirituel ; le langage de Moïse lui paraît prouver sans conteste que le grand prophète avait en vue les réalités spirituelles, tout comme ses successeurs du reste. Voir le fragment Perpétuité 1 (Laf. 279, Sel. 311) : Un mot de David ou de Moïse, comme que Dieu circoncira leur cœur, fait juger de leur esprit. Que tous leurs autres discours soient équivoques et douteux d’être philosophes ou chrétiens, enfin un mot de cette nature détermine tous les autres, comme un mot d’Épictète détermine tout le reste au contraire. Jusque-là l’ambiguïté dure, et non pas après.

 

Bibliographie

 

Les Préfaces et les notes des cinq livres qui composent le Pentateuque (Genèse, Deutéronome, Exode, Nombres et Proverbes) doivent être lus dans les originaux de la Bible de Port-Royal. Les Préfaces ont été réunies et éditées par B. Chédozeau aux éditions Champion, 2013.

BERNIER Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, Paris, Champion, 2010.

BOSSUET Jacques Bénigne, Discours sur l’histoire universelle, IIe Partie, ch. V, La vie et le ministère prophétique : les jugements de Dieu déclarés par les prophéties, éd. Velat et Champailler, Pléiade, Paris, NRF, Gallimard, 1961.

CAZELLES Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Nizet, Paris, 1957.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

FLAVIUS JOSÈPHE, Réponse à ce qu’Apion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly. Troisième édition. Paris, chez Pierre Le Petit, MDCLXX.

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GOYET Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, P.U.F., 1979, p. 63-74.

LE GUERN Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, p. 193 sq.

LODS Adolphe, Les prophètes d’Israël et les débuts du judaïsme, Paris, A. Michel, 1969.

LODS Adolphe, Israël, des origines au milieu du VIIIe siècle, Paris, A. Michel, 1969.

PHILON, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, auteur très éloquent et philosophe très grave contenant l’exposition littérale et moral des livres sacrés de Moïse et des autres prophètes, et de plusieurs divins mystères, pour l’instruction d’un chacun en la piété et aux bonnes mœurs, translatés en français, sur l’original grec, revues et corrigées de nouveau, et augmentées d’un 2e tome, dédiées au Roi très chrétien Louis XIII par Federic Morel, doyen des professeurs et Interprètes de sa Majesté, Paris, chez Jacques Bessin, au Mont Saint Hilaire, à la court d’Albret, MDCXIX.

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