Fragment Preuves de Moïse n° 6 / 7  – Papier original : RO 489-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de Moïse n° 332 p. 153 v° / C2 : p. 184-185

Éditions de Port-Royal : Chap. XI - Moïse : 1669 et janvier 1670 p. 91-92  / 1678 n° 3 p. 91

Éditions savantes : Faugère II, 193, XIII / Havet XV.17 / Brunschvicg 625 / Tourneur p. 275-4 / Le Guern 278 / Lafuma 296 / Sellier 327

 

 

 

Sem, qui a vu Lamech, qui a vu Adam, a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Moïse. Donc le Déluge et la Création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien.

 

 

Ce fragment explicite la conséquence de la constatation posée par Pascal dans Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324) : Pourquoi Moïse va-t-il faire la vie des hommes si longue et si peu de générations ? La théorie de la tradition héréditaire est ici présentée sous sa forme la plus concrète : si l’on tient compte, au lieu des généalogies qui multiplient les intermédiaires entre la création et l’époque de Moïse, des seuls personnages qui ont pu se connaître entre eux et vivre les uns avec les autres pendant assez longtemps, on constate que l’écart qui sépare ces époques diminue vertigineusement : la longévité des patriarches fait que cinq générations, en tout et pour tout, séparent les origines du temps où Moïse en a couché le récit sur le papier. Comme le dit Pascal dans Preuves de Moïse 3, la création et le déluge [sont] si proches qu’on y touche. Et par suite, entre Adam et Moïse, la déperdition de l’information a pu être très limitée, et les récits de Moïse peuvent être considérés comme très fidèles. Par suite, comme le déclare Ms. Joly de Fleury (Sel. 785) Ceux qui ont vu le Déluge ont cru la Création, et ont cru le Messie à venir. Ceux qui ont vu Moïse ont cru le Déluge et l’accomplissement des prophéties. Et nous qui voyons l’accomplissement des prophéties devons croire le Déluge et la Création.

Le caractère cavalier de cette argumentation ne doit pas dissimuler le fait qu’elle repose sur une réflexion sérieuse sur la nature de l’information historique d’âge en âge, et sur l’idée que, suivant le fragment Preuves de Moïse 3, ce n’est pas la longueur des années mais la multitude des générations qui rendent les choses obscures, et que la vérité ne s’altère que par le changement des hommes.

 

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Fragments connexes

 

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Isaïe, 51. la mer Rouge image de la rédemption.

Ut sciatis quod filius hominis habet potestatem remittendi peccata, tibi dico : surge.

Dieu voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible.

Il a donc sauvé le peuple du déluge ; il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis et l’a mis dans le repos.

L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Preuves de Moïse 1 (Laf. 290, Sel. 322). La longueur de la vie des patriarches, au lieu de faire que les histoires des choses passées se perdissent, servait au contraire à les conserver. Car ce qui fait que l’on n’est pas quelquefois assez instruit dans l’histoire de ses ancêtres est que l’on n’a jamais guère vécu avec eux, et qu’ils sont morts souvent devant que l’on eût atteint l’âge de raison. Or, lorsque les hommes vivaient si longtemps, les enfants vivaient longtemps avec leurs pères. Ils les entretenaient longtemps. Or de quoi les eussent‑ils entretenus, sinon de l’histoire de leurs ancêtres, puisque toute l’histoire était réduite à celle‑là, qu’ils n’avaient point d’études, ni de sciences, ni d’arts, qui occupent une grande partie des discours de la vie ? Aussi l’on voit qu’en ce temps les peuples avaient un soin particulier de conserver leurs généalogies.

Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324). Pourquoi Moïse va-t-il faire la vie des hommes si longue et si peu de générations ? Car ce n’est pas la longueur des années mais la multitude des générations qui rendent les choses obscures. Car la vérité ne s’altère que par le changement des hommes. Et cependant il met deux choses les plus mémorables qui se soient jamais imaginées, savoir la création et le déluge si proches qu’on y touche.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Lorsque les hommes étaient encore si proches de la création qu’ils ne pouvaient avoir oublié leur création et leur chute, lorsque ceux qui avaient vu Adam n’ont plus été au monde, Dieu a envoyé Noé et l’a sauvé et noyé toute la terre par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu’il avait de sauver le monde et la volonté qu’il avait de le faire et de faire naître de la semence de la femme celui qu’il avait promis. [...] La mémoire du déluge étant encore si fraîche parmi les hommes lorsque Noé vivait encore, Dieu fit ses promesses à Abraham et lorsque Sem vivait encore Dieu envoya Moïse, etc.

Preuves par discours II (Laf. 435, Sel. 687). La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d’établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devait durer jusqu’au peuple que le Messie formerait par son esprit.

Pensées diverses (Laf. 594, Sel. 491). Conduite générale du monde envers l’Église.

Dieu voulant aveugler et éclairer. L’événement ayant prouvé la divinité de ces prophéties le reste doit en être cru et par là nous voyons l’ordre du monde en cette sorte. Les miracles de la création et du déluge s’oubliant Dieu envoya la loi et les miracles de Moïse, les prophètes qui prophétisent des choses particulières. Et pour préparer un miracle subsistant il prépare des prophéties et l’accomplissement. Mais les prophéties pouvant être suspectes il veut les rendre non suspectes, etc.

 

Fragment joint à C1 (Sel. 741). Car quoiqu’il y eût environ deux mille ans qu’elles avaient été faites, le peu de générations qui s’étaient passées faisait qu’elles étaient aussi nouvelles aux hommes qui étaient en ce temps-là que nous le sont à présent celles qui sont arrivées il y a environ trois cents ans. Cela vient de la longueur de la vie des premiers hommes. En sorte que Sem, qui a vu Lamech, etc.

Cette preuve suffit pour convaincre les personnes raisonnables de la vérité du Déluge et de la Création, et cela fait voir la Providence de Dieu, lequel, voyant que la Création commençait à s’éloigner, a pourvu d’un historien qu’on peut appeler contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de son livre.

Et ce qui est encore admirable, c’est que ce livre a été embrassé unanimement et sans aucune contradiction, non seulement par tout le peuple juif, mais aussi par tous les rois et tous les peuples de la terre, qui font reçu avec un respect et une vénération toute particulière.

Sel. 785 (manuscrit Joly de Fleury). Dieu est caché. Mais il se laisse trouver à ceux qui le cherchent. Il y a toujours eu des marques visibles de lui dans tous les temps. Les nôtres sont les prophéties. Les autres temps en ont eu d’autres. Toutes ces preuves s’entretiennent toutes. Si l’une est vraie, l’autre l’est. Ainsi, chaque temps, ayant eu celles qui lui étaient propres, a connu par celles-là les autres. Ceux qui ont vu le Déluge ont cru la Création, et ont cru le Messie à venir. Ceux qui ont vu Moïse ont cru le Déluge et l’accomplissement des prophéties. Et nous qui voyons l’accomplissement des prophéties devons croire le Déluge et la Création.

 

Mots-clés : AdamConclureCréation – Déluge – JacobLamechMoïseSem.