Fragment Morale chrétienne n° 25 / 25  – Papier original : RO 419-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 368 p. 181 v° / C2 : p. 215

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 244  / 1678 n° 13 p. 236

Éditions savantes : Faugère II, 378, XLV / Havet XXIV.15 / Brunschvicg 484 / Tourneur p. 295-3 / Le Guern 356 / Lafuma 376 / Sellier 408

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Bibliographie

 

 

DESCOTES Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 47-53.

FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.

MESNARD Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 355-362.

MESNARD Jean, “Pascal et la spiritualité des chartreux”, Équinoxe, n° 6, été 1990, Rinsen Books, p. 5-20.

 

 

Éclaircissements

 

Deux lois suffisent pour régler toute la république chrétienne, mieux que toutes les lois politiques.

 

Mesnard Jean, “Pascal et la spiritualité des chartreux”, p. 5-20. Voir p. 14, le rapprochement de ce passage avec le Discours en forme de lettre de Notre Seigneur Jésus-Christ à l’âme dévote, traduit du latin par Lanspergius (Jean Juste, Gerecht de son nom allemand, prieur de la Chartreuse de Juliers, approuvé par Thomas Fortin).

Il ne faut pas confondre ce que Pascal entend ici par République chrétienne et un État terrestre dirigé par un gouvernement de confession chrétienne ou un État théocratique. Voir sur ce sujet le chapitre « L’Église et l’État » de Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 203 sq. Un tel État répondrait plutôt aux vues des membres de la Compagnie de Jésus. République chrétienne, chez Pascal, désigne le corps mystique du Christ, que deux lois suffisent pour régler toute la République chrétienne mieux que toutes les lois politiques ; elle est purement spirituelle, soumise à deux lois qui n’en font qu’une, la loi de charité ou d’amour : p. 246. On est donc plus proche de ce que saint Augustin appelle la Cité de Dieu que de l’État recherché par les membres du parti dévot. Voir Morale chrétienne 18 (Laf. 369, Sel. 401).

Le fragment s’oppose implicitement à celui qui traite de l’économie du monde, sur la multiplication anarchique des lois humaines telle que Pascal la décrit dans Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94).

Les deux lois en question sont formulées en deux endroits différents de l’Ancien Testament, mais le Christ les associe dans l’Évangile de saint Matthieu.

Matthieu XXII, 36. « Maître, quel est le grand commandement de la loi ? 37. Jésus lui répondit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. 38. C’est là le plus grand et le premier commandement. 39. Et voici le second qui est semblable à celui-là : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. 40. Toute la loi et les Prophètes sont renfermés dans ces deux commandements. »

Le premier commandement est donné dans Deutéronome, VI, 4-5 : « Écoutez, Israël : le Seigneur notre Dieu est le seul en unique Seigneur. 5. Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, et de toutes vos forces. »

Commentaire de la Bible de Port-Royal sur le premier commandement, selon Matthieu, XXII, 36 : « Aimer Dieu en cette sorte, c’est rapporter toutes les pensées de son esprit, tous les mouvements de son cœur , et toutes les actions de sa vie à celui de qui ont tient et son esprit, et son cœur, et sa propre vie. » ; Sacy renvoie à saint Augustin, De doctrina christiana, I, 22. « Ainsi, selon la pensée du même saint, tout homme, pour le dire ainsi, est obligé par ce précepte d’aimer Dieu ; c’est-à-dire qu’il ne doit point y avoir aucune partie, ni dans l’homme, ni dans toute l’étendue de la vie de l’homme, qui ne soit remplie de l’amour de Dieu. Au moment donc, ajoute ce Père, que quelque objet se présente à notre esprit pour lui demander notre amour, il doit être comme absorbé en cet amour dominant qui règne en nous, et rapporté uniquement à cet objet souverain, où se porte toute l’impétuosité de notre cœur [...]. C’est pour cela que le Fils de Dieu dit à ce docteur que le commandement d’aimer Dieu était le premier et le plus grand, parce que c’est à celui-là que tous les autres doivent être rapportés ». Le commentaire du passage du Deutéronome est très proche de celui-ci.

Lévitique XIX, 17-18. « 17. Vous ne haïrez point votre frère en votre cœur ; mais reprenez-le publiquement, de peur que vous ne péchiez vous-même sur son sujet. 18. Ne cherchez point à vous venger, et ne conservez point le souvenir de l’injure de vos concitoyens. Vous aimerez votre ami comme vous-même. Je suis le Seigneur. »

Sur le second commandement : « Saint Chrysostome [Chrysost. in Matth. Hom. 72] demande pourquoi Jésus-Christ parlant du second précepte qui nous oblige à aimer notre prochain comme nous-mêmes, dit qu’il est semblable au premier. Et il répond que c’est parce qu’il en est comme l’effet et la suite naturelle. Car nous ne devons aimer notre prochain que par un effet de l’amour que nous portons à Dieu même. Et quiconque aime son prochain, comme il y est obligé, doit le porter de tout son pouvoir, dit saint Augustin, à aimer aussi lui-même Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces. Car c’est ainsi qu’en aimant les autres, il rapporte tout l’amour qu’il a pour soi et pour eux à cet amour souverain qu’il a pour Dieu, qui ne souffre point qu’un détourne aucun ruisseau de sa source, et qu’elle soit diminuée par ce partage. »

Voir la Préface de la Bible de Port-Royal à l’Exode et au Lévitique, § 7. « Différence du vieux Testament et du nouveau. Loi de crainte gravée sur la pierre. Loi d’amour écrite dans le cœur par le Saint-Esprit. » Ces préfaces sont éditées dans Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Champion, 2013, 2 vol.

Les deux lois en question font l’objet du chapitre I du Traité des lois de Domat, qui montre qu’elles sont le fondement de tout le système des lois divines et humaines. Voir § VII : la « première loi de l’homme », « qui est l’esprit de la religion, est celle qui lui commande la recherche et l’amour de ce souverain bien, où il doit s’élever de toutes les forces de son esprit et de son cœur qui sont faits pour le posséder. C’est cette première loi qui est le fondement et le premier principe de toutes les autres. Car cette loi qui commande à l’homme la recherche et l’amour du souverain bien, étant commune à tous les hommes, elle en renferme une seconde, qui les oblige à s’unir dans la possession d’un bien unique, qui doit faire leur commune félicité, et pour y être unis si étroitement qu’il est dit qu’ils ne seront qu’un ; ils ne peuvent être dignes de cette unité dans la possession de leur fin commune, s’ils ne commencent leur union en se liant d’un amour naturel dans la voie qui les y conduit. Et il n’y a pas d’autre loi qui commande à chacun de s’aimer soi-même, parce qu’on ne peut s’aimer mieux qu’en gardant la première loi, et se conduisant au bien où elle nous appelle.

VIII. Fondement de la société des hommes sur ces deux lois. C’est par l’esprit de ces deux premières lois que Dieu destinant les hommes à l’union dans la possession de leur fin commune, a commencé de lier entre eux une première union, dans l’usage des moyens qui les y conduisent. Et il a fait dépendre cette dernière union, qui doit faire leur béatitude, du bon usage de cette première qui doit former leur société.

C’est pour les lier dans cette société qu’il l’a rendue essentielle à leur nature. Et comme on voit dans la nature de l’homme sa destination au souverain bien, on y verra aussi sa destination à la société, et les divers liens qui l’y engagent de toutes parts ; et que ces lianes qui sont des suites de la destination de l’homme à l’exercice des deux premières lois, sont en même temps les fondements du détail des règles de tous ses devoirs, et les sources de toutes les lois ».

Le chapitre II présente un Plan de la société sur le fondement des deux premières lois par deux espèces d’engagements. « Ces engagements particuliers sont de deux espèces. La première est de ceux qui se forment par les liaisons naturelles du mariage entre le mari et la femme, et de la naissance entre les parents et les enfants ; et cette espèce comprend aussi les engagements des parentés et des alliances qui sont la suite de la naissance et du mariage.

La seconde espèce renferme toutes les autres sortes d’engagements qui approchent de toute sorte de personnes les unes des autres, et qui se forment différemment, soit dans les diverses communications qui se font entre les hommes de leur travail, de leur industrie, et de toute sorte d’offices, de services et d’autres secours, ou dans celles qui regardent l’usage des choses [...]. C’est par tous ces engagements de ces deux espèces que Dieu forme l’ordre de la société des hommes, pour les lier dans l’exercice de la seconde loi ».

Les deux lois de Dieu sont le fondement de la société. Mais la raison corrompue de l’homme a engendré une multiplicité de lois qui finit par faire perdre de vue ces deux lois naturelles.

Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 49.