Fragment Morale chrétienne n° 5 / 25  – Papier original : RO 419-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 361 p. 177 / C2 : p. 209

Éditions savantes : Faugère II, 376, XLIV / Havet XXV.54 bis / Brunschvicg 767 / Tourneur p. 290-5 / Le Guern 336 / Lafuma 355 / Sellier 387

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, II, Les Préfaces du Nouveau Testament (1672-1693), Paris, Champion, 2013.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

L’édition Sellier-Ferreyrolles, de même que, Pol Ernst, Approches pascaliennes, p. 488 et p. 492, estime que le texte doit être entendu du « vrai chrétien » en général. Le texte suggère plutôt qu’il s’agit du Christ, mais de toute manière, la vie du chrétien est toujours une imitation de Jésus-Christ. Le Christ, par l’amour qu’il a porté à ses proches et même à ses ennemis, peut être considéré comme le modèle de la morale chrétienne. En ce sens, ce fragment appartient à juste titre à la liasse Morale chrétienne. Le fragment semble être l’écho de l’idée formulée dans le fragment Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759), qui indique que les vertus chrétiennes sont toutes des reflets de celles du Christ : J’aime la pauvreté parce qu’il l’a aimée. J’aime les biens parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde. Je ne rends point le mal à ceux qui m’en font, mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne où l’on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes. J’essaye d’être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes et j’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement.

Le fragment est construit sur un mouvement d’amplification qui va de l’éthique personnelle du Christ, qui consiste à ne pas user des plaisirs, à  son amour pour ses proches, qui est naturel, puis à l’amour qu’il témoigne pour ses ennemis personnels, et s’élève enfin à tous les ennemis de Dieu. On revient là sur un thème esquissé dans le fragment Religion aimable 1 (Laf. 221, Sel. 254). Jésus-Christ pour tous. Moïse pour un peuple. [...] Aussi c’est à Jésus-Christ d’être universel. L’Église même n’offre le sacrifice que pour les fidèles. Jésus-Christ a offert celui de la croix pour tous.

 

De tout ce qui est sur la terre, il ne prend part qu’aux déplaisirs, non aux plaisirs.

 

L’édition Sellier-Ferreyrolles renvoie au passage du fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), qui dénonce les « plaisirs empestés », la « gloire » et les « délices ».

 

Il aime ses proches,

 

Jean, XIII, 34. « Je vous fais un commandement nouveau, qui est que vous vous aimiez les uns les autres, et que vous vous entr’aimiez comme je vous ai aimés. »

Voir la note de ce passage dans la Bible de Port-Royal : « Au lieu que la loi ordonnait aux Juifs d’aimer leur prochain comme eux-mêmes, le Fils de Dieu nous a aimés plus que soi-même », ce qui est selon Sacy la nouveauté de sa loi sur celle de Moïse.

La Préface du Nouveau Testament de Mons sur l’Évangile de saint Jean accorde une importance particulière au « disciple que Jésus aimait » ; voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, II, Les Préfaces du Nouveau Testament (1672-1693). « On ne peut douter que le Sauveur n’ait témoigné à saint Jean une affection plus particulière qu’à tous les autres, puisqu’en parlant de soi-même, sans se nommer, il se désignait souvent par ces mots : « Le disciple que Jésus aimait » [En note : Joan. 13, 23 ; 19, 26 ; 21, 20 ; August. in Joan. hom. 119, p. 225.]. Or le Fils de Dieu le traitait, comme a cru saint Augustin, avec cette sorte de distinction pour donner en quelque façon un plus grand poids aux vérités si relevées qu’il devait un jour établir dans son Évangile, et peut-être aussi pour marquer combien il aimait cette grande pureté dans laquelle son disciple avait vécu dès son enfance, sans avoir même voulu s’engager dans le mariage [En note : Nil. l. 2, ep. 171, p. 206 ; August. in Joan. hom. 124, p. 235 ; id. De Virgin., c. 49.]. On voit que dans toutes les occasions où il choisissait seulement quelques-uns de ses apôtres pour être témoins de quelque prodige qu’il voulait faire en secret, saint Jean fut toujours un des trois qu’il honorait de sa confidence [...]. Le Fils de Dieu fit paraître particulièrement cette préférence de l’amour qu’il portait à Jean au dernier souper, dans lequel il voulut bien lui permettre de se reposer sur son sein. Saint Jean a eu soin lui-même de nous faire remarquer plusieurs fois cette circonstance à laquelle il semble que l’Esprit de Dieu a eu dessein que nous fissions une attention particulière [En note : Joan 13, 23, 25 ; 21, 20.]. [...] Mais rien n’approche de l’honneur que le Fils de Dieu lui fit étant sur la croix, lorsqu’il lui donna la sainte Vierge pour sa mère et qu’il le donna lui-même pour fils à celle qui était véritablement la mère de Dieu, confiant ainsi, selon les saints Pères, une mère vierge à un apôtre vierge [En note : Hieron. advers. Jovin. Lib. 1, tom. 1, p. 480 ; Paulin. ep. 43, p. 386 ; August. in Ioan. Hom. 119, p. 225.]. »

Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759). J’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement.

 

mais sa charité ne se renferme pas dans ces bornes et se répand sur ses ennemis et puis sur ceux de Dieu.

 

Matthieu, V, 44. « Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient. »

Voir la note de ce passage de l’Évangile de saint Matthieu dans le Nouveau Testament de Mons, qui insiste sur le fait que le Christ ordonne d’aimer ses ennemis. « Lors donc que nous nos imaginons avoir été cruellement offensés, souvenons-nous, dit saint Chrysostome, qu’il s’en faut de beaucoup que nous ne l’ayons été autant que notre Seigneur, qui souffrit les plus grands outrages à des derniers des hommes, et qui étant condamné à la mort la plus cruelle par ceux qu’il avait comblés de biens, ne pria pas seulement, mais offrit même sa mort à Dieu son Père, pour le salut de ses ennemis insolents, qui insultaient à l’excès de son amour. »

Luc, XXIII, 34. « Et Jésus disait : Mon Père, pardonnez-leur : car ils ne savent ce qu’ils font. »

Laf. 560, Sel. 467. Sépulcre de Jésus-Christ. [...] Ses ennemis n’ont cessé de le travailler qu’au sépulcre.

Pensée n° 6F (Laf. 919, Sel. 749). Le Mystère de Jésus. [...] Jésus voyant tous ses amis endormis, et tous ses ennemis vigilants se remet tout entier à son Père. Jésus ne regarde pas dans Judas son inimitié mais l’ordre de Dieu qu’il aime, et la voit si peu qu’il l’appelle ami.

Le soin d’assujettir les ennemis de Dieu ne revient pas au Christ lui-même. Voir Laf. 624, Sel. 517 : Prophéties. Que Jésus-Christ sera à la droite pendant que Dieu lui assujettira ses ennemis. Donc il ne les assujettira pas lui‑même.