Pensées - page 160
raison un sentiment de toutes les propositions
qu’elle démontre. Cette impuissance
ne peut donc servir qu’à humilier
la raison qui voudrait juger de
tout ; mais non pas à combattre notre
certitude, comme s’il n’y avait que la
raison capable de nous instruire. Plût
à Dieu que nous n’en eussions au contraire
jamais besoin, et que nous connussions
toutes choses par instinct et
par sentiment. Mais la nature nous a
refusé ce bien, et elle ne nous a donné
que très peu de connaissances de cette
sorte : toutes les autres ne peuvent
être acquises que par le raisonnement.
Voilà donc la guerre ouverte entre
les hommes. Il faut que chacun prenne
parti, et se range nécessairement
ou au Dogmatisme, ou au Pyrrhonisme ;
car qui penserait demeurer neutre
serait Pyrrhonien par excellence :
cette neutralité est l’essence du Pyrrhonisme ;
qui n’est pas contre eux est excellemment
pour eux. Que fera donc
l’homme en cet état ? Doutera-t-il de
tout ? Doutera-t-il s’il veille, si on le
pince, si on le brûle ? Doutera-t-il s’il
doute ? Doutera-t-il s’il est ? On n’en
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