Fragment Perpétuité n° 8 / 11  – Papier original : RO 277-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 327 p. 147 v° / C2 : p. 178

Éditions savantes : Faugère II, 361, XX / Havet XV.10 bis / Brunschvicg 609 / Tourneur p. 273-4 / Le Guern 269 / Lafuma 286 / Sellier 318

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

FERREYROLLES Gérard, Pascal et les païens, in SHIOKAWA Tetsuya (dir.), Littérature et mystique dans la France moderne, Research project report, Université de Tokyo, mai 2004, p. 7-17.

FERREYROLLES Gérard, “Pascal et les adversaires de l’Église”, in M. Servet (dir.), Polémiques en tous genres, Cahiers du GADGES, Genève, Droz, 2009, p. 191-212.

FERREYROLLES, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 31-32.

MESNARD Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans les Pensées de Pascal”, in Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, supplément 1994, Paris, Klincksieck, 1994, p. 45-57.

PASCAL Blaise, Les Provinciales, éd. Cognet, Paris, Garnier, 2010.

PONTCHÂTEAU, Morale pratique des jésuites, in ARNAULD, Œuvres, XXXII, p. 95.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Deux sortes d’hommes en chaque religion.

 

Mesnard Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans les Pensées de Pascal”, in Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, supplément 1994, Paris, Klincksieck, 1994, p. 45-57. Voir p. 47 sq., sur ce fragment et sa structure binaire.

 

Parmi les païens, des adorateurs de bêtes et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle.

 

Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, Revue philosophique, n° 1-2002, p. 21-40 (voir aussi dans Shiokawa Tetsuya (dir.), Littérature et mystique dans la France moderne, Research Project report, Université de Tokyo, mai 2004, p. 7-17). Parmi les païens, il y a des adorateurs des bêtes.

Ce sont dans l’esprit de Pascal les Égyptiens, par exemple. Voir Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313) : Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin ; au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, [...]. Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). C’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux , insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère , inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien tout également peut lui paraître tel jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés.

D’autres, qui en ont en effet plus approché ont considéré que il est nécessaire que ce bien universel que tous les hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul et qui étant partagées affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu’ils n’ont pas, qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré, et leur raison est que ce désir étant naturel à l’homme puisqu’il est nécessairement dans tous et qu’il ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent...

Flavius Josèphe, Histoire de la Guerre des Juifs contre les Romains, Réponse à Appion, Martyre des Maccabées, par Flavius Josèphe et sa vie écrite par lui-même. Avec ce que Philon a écrit de son ambassade vers l’empereur Caïus Caligula. Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly. Troisième édition. Paris, chez Pierre Le Petit, MDCLXX. Voir Réponse à ce qu’Appion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, p. 397 sq. Livre premier, Chapitre IX, « Causes de la haine des Égyptiens contre les Juifs. Preuves pour montrer que Manéthon, historiens égyptiens, a dit vrai en ce qui regarde l’antiquité de la nation des Juifs, et n’a écrit que des fables dans tout ce qu’il a dit contre eux » : p. 416 sq. La haine des Égyptiens vient de la « diversité des religions », car « il n’y a pas moins de différence entre la pureté toute céleste de l’une et la brutalité toute terrestre de l’autre, qu’entre la nature de Dieu, et celle des animaux irraisonnables. Car c’est une chose ordinaire parmi eux de prendre des bêtes pour leurs dieux, et de les adorer par une folle superstition qu’on leur inspire dès leur enfance » : p. 416.

Ferreyrolles Gérard, Ibid. Pascal évoque les païens dans les Provinciales à propos de la responsabilité des hommes dans leurs actes. Dans les Pensées, il ne pose plus les païens en maîtres, comme il l’a fait dans les Provinciales ; ils font au contraire dans l’apologie office de repoussoir. Dans la partie anthropologique, ils servent à montrer la misère de l’homme sans Dieu : par définition, les païens ne peuvent compter que sur la nature ; privés de la grâce, ils ne peuvent agir que poussés par la cupidité. L’abandon de Dieu paraît dans les païens, selon Preuves par discours III (Laf. 442, Sel. 690). Le fragment Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94), souligne que c’est chez les païens qu’a été pratiqué le meurtre des enfants et des pères. Cependant la valeur que les Provinciales reconnaissent aux païens ne leur est pas complètement déniée dans les Pensées : Pascal rappelle que l’un des livres les plus illustres de l’Ancien Testament a pour auteur Job, qui est païen. Même dépourvus de grâce et laissés aux seules forces de la nature, les païens ne sont pas incapables de la justice. Les lois des païens ne sont pas entièrement dépourvues de valeur, puisque Pascal pense qu’elles sont une imitation des lois de Moïse ; même la religion des païens n’est pas dépourvue de valeur, ni exposée au mépris de Pascal. Les païens ne connaissent point Dieu par définition Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321), mais certains, comme Épictète, ont « connu Dieu » (voir l’Entretien avec M. de Sacy). Parmi les païens, il y a des adorateurs des bêtes, mais il y a aussi des « adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle », qui se découvre non par la foi, mais par la raison.

Ces païens n’en sont pas moins dans l’erreur.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand, puissant et éternel ; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n’est pas véritable, parce qu’ils ne voient pas que toutes choses concourent à l’établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait faire.

On ne peut naturellement pas dire que les philosophes adeptes de la religion naturelle soient à proprement parler des spirituels. Mais ils ont au moins ceci de particulier qu’ils ont su détacher l’idée qu’ils se font de Dieu des représentations matérielles ou bestiales qui sont ordinaires dans les cultes païens pour se former une idée épurée de la nature divine. Ce qui permet à Pascal de les ranger au côté des spirituels, Juifs et chrétiens.  Leur tort est de ne plus saisir que Dieu n’est pas seulement un être tout-puissant créateur des vérités éternelles, mais une personne.

 

Parmi les Juifs, les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.

           

Laf. 593, Sel. 493. Les Juifs le refusent mais non pas tous ; les saints le reçoivent et non les charnels, et tant s’en faut que cela soit contre sa gloire que c’est le dernier trait qui l’achève.

Leisegang H., La Gnose, Paris, Payot, 1971, p. 26. La gnose distingue des hommes charnels ou sarkikoi, des hommes animaux ou psychiques et des hommes spirituels ou pneumatiques.

Saint Thomas, Sommé théologique, Ia IIae, Q. 107, art. 1. La loi nouvelle, p. 38 sq. Il y a des juifs spirituels sous l’Ancien Testament, mais aussi des hommes charnels sous le Nouveau.

Russier Jeanne, La foi selon Pascal, II, p. 398. Notion de vrais Juifs chez Pascal. Il ne s’agit pas de dire que les Juifs en général avaient presque les mêmes moyens de salut que les chrétiens. La plupart des Juifs étaient charnels. À eux s’opposent les vrais Juifs, conformes à la vérité de la religion juive, qui ne fait qu’un avec la vérité chrétienne.

Les spirituels sont les vrais Juifs, parce qu’ils connaissent la vraie signification, toute spirituelle, des prophéties messianiques.

Mais Pascal semble préciser l’idée par le fait que cette vérité est aussi liée à la sincérité. Voir Preuves par les Juifs VI (Laf. 480, Sel. 715). Pour les religions, il faut être sincère : vrais païens, vrais juifs, vrais chrétiens. Pascal ne fait ici que reprendre un passage de Jean I, 47 : « Jésus voyant Nathanaël qui venait le trouver, dit de lui : Voici un vrai Israélite, sans déguisement et sans artifice. »

Perpétuité 7 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.

Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J.-C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.

Prophéties 10 (Laf. 331, Sel. 363). Au temps du Messie ce peuple se partage. Les spirituels ont embrassé le Messie, les grossiers sont demeurés pour lui servir de témoins.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion [...]. Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.

Pascal ne définit nulle part les termes de spirituel et de charnel. Pour fixer les idées on peut dire qu’il désigne par le terme de charnels les personnes qui sont attachées aux réalités qui relèvent de l’ordre des corps pris au sens large : l’attachement aux objets de leurs passions, aux formes et aux cérémonies du culte, la compréhension du sens littéral des prophéties en sont les caractères principaux. Les spirituels au contraire placent leur fin dans des réalités qui se situent au-delà des matérielles, conscients du fait que les cérémonies n’ont qu’une valeur symbolique, que les prophètes s’expriment par figures dans l’Écriture sainte, et que c’est la conversion du cœur qui est exigée.

Sur les termes de grossier et de charnel, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 502, n. 18. Origine de ces notions de charnel, d’injuste, de grossier chez saint Augustin. Grossier traduit rudis, employé souvent dans la même acception chez saint Augustin et chez Pascal. Sur carnalis, voir la note p. 503. Le peuple des charnels et grossiers : p. 508. Liste des fragments où Pascal relève les biens charnels attendus par les Juifs : p. 508, n. 47.

Saint Augustin, Confessions, Œuvres, t. 14, Bibliothèque augustinienne, p. 629 sq. C’est aux spirituels qu’est réservée l’exégèse spirituelle de l’Écriture : p. 630. Qui sont et que sont les spirituels et les charnels : p. 630 sq. Les spirituels capables d’assimiler la nourriture de l’Écriture et de la distribuer à ceux qui leur sont inférieurs. Les charnels, incapables de saisir la profondeur des livres sacrés, mais ils en reçoivent l’enseignement par l’intermédiaire des parfaits. Les spirituels sont la race choisie ; homme nouveau rénové selon l’esprit, créés selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité. Compétence des spirituels limitée aux aspects extérieurs des réalités ecclésiales ou divines ; ils jugent des signes par lesquels s’exprime l’Écriture, interprètent, exposent, expliquent, mais toujours en se soumettant à l’autorité de la vérité qui dépasse les signes : p. 632. Ils sont capables d’un contact direct avec Dieu, d’une intelligence de l’Écriture et d’une participation spirituelle aux sacrements. Les spirituels ne sont tels que dans l’Église : p. 632. Les charnels se situent aussi dans l’Église : p. 633.

 

Parmi les chrétiens, les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.

 

Grossier : se dit figurément en choses spirituelles et morales. Les sauvages sont grossiers et mal polis. Il y a des esprits si grossiers qu’on ne leur peut rien apprendre. Les artisans sont bien grossiers à comparaison des gens de cour (Furetière).

L’expression Juifs de la loi nouvelle fait pendant à chrétiens de la loi ancienne.

La distinction entre spirituels et charnels se trouve aussi dans certaines branches de la spiritualité gnostique. Voir Leisegang H., La Gnose, p. 26 sq. La gnose distingue des hommes charnels ou sarkikoi, des hommes animaux ou psychiques et des hommes spirituels ou pneumatiques. Ces derniers forment l’Église au sens strict, l’Ecclesia : p. 26. Le sens spirituel des saintes Écritures ne peut être découvert que par le spirituel, qui est lui-même capable d’habiter dans le royaume de l’Esprit. Son don pneumatique en fait le seul interprète qualifié. Les Saintes Écritures étant l’œuvre d’esprits pneumatiques, leurs auteurs les ont composées de telle sorte que leur sens mystérieux demeurât caché à quiconque ne serait pas encore mûr pour la gnose.

 

Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel

 

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Perpétuité 7 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.

 Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J.-C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.

Prophéties 10 (Laf. 331, Sel. 363). Au temps du Messie ce peuple se partage. Les spirituels ont embrassé le Messie, les grossiers sont demeurés pour lui servir de témoins.

 

et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu.

 

Grossier : se dit figurément en choses spirituelles et morales. Les sauvages sont grossiers et mal polis. Il y a des esprits si grossiers qu’on ne leur peut rien apprendre. Les artisans sont bien grossiers à comparaison des gens de cour (Furetière).

Saint Thomas, Somme théologique, Ia IIae, Q. 107, art. 1. La loi nouvelle, Paris, Cerf, 1981,p. 38 sq. Il y a des juifs spirituels sous l’Ancien Testament, mais aussi des hommes charnels sous le nouveau.

Pascal a exprimé cela de manière particulièrement forte en reprenant à un jésuite l’expression de pharisiens de la loi nouvelle, par laquelle le P. Cellot désignait ceux de son ordre. Voir Cellot Louis, De hierarchia et hierarchicis, 1641 : « Ego novae legis pharisaeus ». Expression citée par Arnauld dans L’innocence et la vérité défendues, 1652, in Œuvres, XXX, p. 16, et la Remontrance aux PP. jésuites, 1651.

Second écrit des curés de Paris, § 16, in Provinciales, éd. Cognet, p. 424. « Que l’insolence a de hardiesse, quand elle est flattée par l’impunité ; et que la témérité fait en peu de temps d’étranges progrès, quand elle ne rencontre rien qui réprime sa violence ! Ces casuistes, après avoir troublé la paix de l’Église par leurs horribles doctrines, qui vont à la destruction de la doctrine de Jésus-Christ, comme disent Nosseigneurs les évêques, accusent maintenant ceux qui veulent rétablir la doctrine de Jésus-Christ, de troubler la paix de l’Église. Après avoir semé le désordre de toutes parts, par la publication de leur détestable morale, ils traitent de perturbateurs du repos public ceux qui ne se rendent pas complaisants à leurs desseins, et qui ne peuvent souffrir que ces Pharisiens de la loi nouvelle, comme ils se sont appelés eux-mêmes, établissent leurs traditions humaines sur la ruine des traditions divines. »

Pontchâteau, Morale pratique des jésuites, in Arnauld Antoine, Œuvres, XXXII, p. 95. Pharisiens de la loi nouvelle. « C’est cet esprit de pharisien, qui leur a fait composer de gros volumes, seulement pour se louer eux-mêmes, et pour prouver qu’ils ne sont pas comme le reste des hommes. Si Jésus-Christ reprochait aux pharisiens de son temps, qu’ils affectaient les premières places dans les assemblées, et voulaient être honorés comme les principaux docteurs du peuple, personne n’ignore que les jésuites s’élèvent au-dessus de tous les autres ordres religieux, qu’ils marchent partout les premiers, et se qualifient les maîtres du monde, magistros orbis. Si les anciens pharisiens prenaient l’autorité de dispenser les hommes des principaux commandements de la loi, il faut avouer que les nouveaux pharisiens sont infiniment plus habiles en cet art » : p. 95-96.

Les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu : c’est le reproche que Pascal adresse aux jésuites et aux casuistes, qui dispensent les fidèles d’aimer Dieu. Voir Provinciale X, 8-9 :

« Mais, poursuivit-il, notre P. Antoine Sirmond, qui triomphe sur cette matière dans son admirable livre de la Défense de la vertu, où il parle français en France, comme il dit au lecteur, discourt ainsi au 2 tr. sect. I, pag. 12, 13, 14, etc. S. Thomas dit, qu’on est obligé à aimer Dieu aussitôt après l’usage de raison. C’est un peu bien tôt. Scotus, chaque Dimanche. Sur quoi fondé ? D’autres, quand on est grièvement tenté. Oui en cas qu’il n’y eût que cette voie de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit un bienfait de Dieu. Bon pour l’en remercier. D’autres, à la mort. C’est bien tard. Je ne crois pas non plus que ce soit à chaque réception de quelque sacrement. L’attrition y suffit avec la confession, si on en a la commodité. Suarez dit, qu’on y est obligé en un temps. Mais en quel temps ? Il vous en fait juge et il n’en sait rien. Or ce que ce Docteur n’a pas su, je ne sais qui le sait. Et il conclut enfin, qu’on n’est obligé à autre chose à la rigueur qu’à observer les autres commandements sans aucune affection pour Dieu, et sans que notre cœur soit à lui, pourvu qu’on ne le haïsse pas. C’est ce qu’il prouve en tout son second traité. Vous le verrez à chaque page, et entre autres aux 16. 19. 24. 28. où il dit ces mots : Dieu en nous commandant de l’aimer se contente que nous lui obéissions en ses autres commandements. Si Dieu eût dit : Je vous perdrai, quelque obéissance que vous me rendiez, si de plus votre cœur n’est à moi. Ce motif à votre avis eût-il été bien proportionné à la fin que Dieu a dû et a pu avoir. Il est donc dit que nous aimerons Dieu en faisant sa volonté, comme si nous l’aimions d’affection. Comme si le motif de la charité nous y portait. Si cela arrive réellement ; encore mieux : sinon nous ne laisserons pas pourtant d’obéir en rigueur au commandement d’amour, en ayant les œuvres : de façon que (voyez la bonté de Dieu) il ne nous est pas tant commandé de l’aimer, que de ne le point haïr.

C’est ainsi que nos Pères ont déchargé les hommes de l’obligation pénible d’aimer Dieu actuellement. Et cette doctrine est si avantageuse, que nos Pères Annat, Pinthereau, Le Moine et A. Sirmond même l’ont défendue vigoureusement, quand on a voulu la combattre. Vous n’avez qu’à le voir dans leurs réponses à la Théologie Morale ; et celle du P. Pinthereau en la 2 p. de l’Abbé de Boisic, p. 53. vous fera juger de la valeur de cette dispense, par le prix qu’il dit qu’elle a coûté, qui est le sang de Jésus-Christ. C’est le couronnement de cette doctrine. Vous y verrez donc, que cette dispense de l’obligation fâcheuse d’aimer Dieu est le privilège de la loi Évangélique par-dessus la Judaïque. Il a été raisonnable, dit-il, que dans la loi de grâce du nouveau Testament Dieu levât l’obligation fâcheuse et difficile qui était en la loi de rigueur, d’exercer un acte de parfaite contrition pour être justifié ; et qu’il instituât des sacrements pour suppléer à son défaut à l’aide d’une disposition plus facile. Autrement certes les Chrétiens, qui sont les enfants, n’auraient pas maintenant plus de facilité à se remettre aux bonnes grâce de leur Père, que les Juifs, qui étaient les esclaves, pour obtenir miséricorde de leur Seigneur.

Ô mon Père, il n’y a point de patience que vous ne mettiez à bout, et on ne peut ouïr sans horreur les choses que je viens d’entendre. [...]

Ne suffisait-il pas d’avoir permis aux hommes tant de choses défendues, par les palliations que vous y avez apportées  ? [...] Mais on passe encore au-delà, et la licence qu’on a prise d’ébranler les règles les plus saintes de la conduite chrétienne, se porte jusqu’au renversement entier de la loi de Dieu. On viole le grand commandement qui comprend la loi et les Prophètes. On attaque la piété dans le cœur ; on en ôte l’esprit qui donne la vie : on dit que l’amour de Dieu n’est pas nécessaire au salut ; et on va même jusqu’à prétendre, que cette dispense d’aimer Dieu est l’avantage que Jésus-Christ a apporté au monde. C’est le comble de l’impiété. Le prix du sang de Jésus-Christ sera de nous obtenir la dispense de l’aimer. Avant l’Incarnation on était obligé d’aimer Dieu ; mais depuis que Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils unique, le monde racheté par lui sera déchargé de l’aimer. Étrange Théologie de nos jours. On ose lever l’anathème que S. Paul prononce contre ceux qui n’aiment pas le Seigneur Jésus. On ruine ce que dit S. Jean, que qui n’aime point demeure en la mort ; et ce que dit Jésus-Christ même, que qui ne l’aime point, ne garde point ses préceptes. Ainsi on rend dignes de jouir de Dieu dans l’éternité ceux qui n’ont jamais aimé Dieu en toute leur vie. Voilà le mystère d’iniquité accompli. Ouvrez enfin les yeux, mon Père, et si vous n’avez point été touché par les autres égarements de vos Casuistes, que ces derniers vous en retirent par leurs excès. Je le souhaite de tout mon cœur pour vous, et pour tous vos Pères, et prie Dieu qu’il daigne leur faire connaître combien est fausse la lumière qui les a conduits jusqu’à de tels précipices, et qu’il remplisse de son amour ceux qui en dispensent les hommes. »

Miracles II (Laf. 858, Sel. 437). L’Église a trois sortes d’ennemis : les Juifs qui n’ont jamais été de son corps, les hérétiques qui s’en sont retirés, et les mauvais chrétiens qui la déchirent au-dedans.

 

Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.

 

C’est une thèse constante chez Pascal, mais qui remonte à saint Augustin, qu’il y a eu parmi les Juifs de l’Ancien Testament des prophètes en petit nombre, qui ont attendu un Messie spirituel, et qui étaient des chrétiens avant la date.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion [...]. Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.

Perpétuité 7 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal. Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J.-C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Cette construction fondée sur trois couples binaires va permettre à Pascal de construire une typologie à trois termes reposant sur un ensemble de concordances et de différences.

Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les Juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.

Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.

De ce fait, on passe de la comparaison de structures semblables à une construction combinatoire, qui repose sur la communauté de certains traits, associée à des traits qui, eux, sont opposés. Par exemple, les Juifs ont en commun avec les chrétiens la connaissance du vrai Dieu, mais ils en diffèrent par leur amour de la terre.

Il est possible de lier ce fragment à celui auquel la reconstitution de Pol Ernst l’associe (Album, p. 63), Morale chrétienne 15 (Laf. 365, Sel. 397) : L’expérience nous fait voir une différence énorme entre la dévotion et la bonté.. La dévotion est le propre des chrétiens charnels : c’est justement une forme de grossièreté qui tend, comme le font les jésuites, à ne concevoir la religion que comme une sorte de politique. Comme l’a remarqué G. Ferreyrolles, Pascal et la raison du politique, p. 31, le mot dévot a presque toujours sous la plume des écrivains de Port-Royal un sens péjoratif.