Fragment Prophéties n° 11 / 27  – Papier original : RO 167-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 353 p. 167-167 v° / C2 : p. 200

Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 115  / 1678 n° 2 p. 115

Éditions savantes : Faugère II, 271, III / Havet XVIII.2 / Brunschvicg 710 / Tourneur p. 285-1 / Le Guern 313 / Lafuma 332 / Sellier 364

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament, Paris, Champion, 2013.

COHN Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, Pascal, Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 206-224.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 474.

LACOMBE Roger, L’apologétique de Pascal, Paris, P. U. F., 1958.

La Genèse traduite en français avec l’explication du sens littéral et du sens spirituel tirée des saint Pères et des auteurs ecclésiastiques, par le sieur Le Maistre de Sacy prêtre, Paris, Desprez et Desessartz, 1711.

MESNARD Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

SELLIER Philippe, “Sur les fleuves de Babylone : la fluidité du monde et la recherche de la permanence”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 411-423.

 

 

Éclaircissements

 

Prophéties.

 

Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de Jésus-Christ pour le temps et pour la manière, et que Jésus-Christ serait venu conformément à ces prophéties, ce serait une force infinie.

 

Prédictions de Jésus-Christ : entendre des prédictions ayant Jésus-Christ pour objet, et non des prophéties faites par Jésus-Christ.

Prédictions de Jésus-Christ pour le temps et pour la manière : les liasses Fondement et Loi figurative expliquent pourquoi le temps de la venue du Messie et la manière dont il devait apparaître étaient tous deux prédits, quoique le temps fût annoncé clairement, et la manière obscurément. Voir les fragments

Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi J.-C. prophétisé en son premier avènement ? pourquoi prophétisé obscurément en la manière.

Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n’y eût point eu d’obscurité, même pour les méchants.

Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité même pour les bons, car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.

Par ce moyen les méchants, prenant les biens promis pour matériels, s’égarent malgré le temps prédit clairement, et les bons ne s’égarent pas.

Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.

Un homme seul : voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 494, qui, sur « l’homme seul », renvoie à Manès, qui intitulait ses œuvres « Manès, apôtre de Jésus-Christ » et proférait seul des prophéties qui ne se sont jamais réalisées. Saint Augustin, Contra Faustum, XIII, 4, oppose à ce faux prophète le témoignage massif de tout le peuple d’Israël. Pascal reprend dans le fragment Laf. 793, Sel. 646 l’idée que ce n’est pas un homme qui le dit. Mais sachant que Manès ne peut plus intéresser personne, Pascal s’est demandé s’il n’existait pas parmi les ennemis de l’Église de son temps des gens que certains arguments antimanichéens puissent frapper. Or Mahomet offre les mêmes caractéristiques que Manès (voir Fausseté des autres religions).

Voir un écho de cette idée dans la Préface des Douze petits prophètes dans la Bible de Port-Royal ; le texte est donné par Bernard Chédozeau, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament, p. 250 : « Quand il n’y aurait eu qu’un seul homme, selon la réflexion très sage de saint Augustin, que Dieu aurait rempli de son Esprit et qui aurait prédit si longtemps auparavant toutes les merveilles de la vie, de la mort, et de la résurrection de Jésus-Christ, son autorité aurait dû suffire pour établir invinciblement la certitude de notre religion. Mais combien cette autorité est-elle plus grande et plus digne d’admiration et de créance, lorsque l’on voit que ces douze prophètes sont tellement unis aux quatre grands et conspirent tellement tous à la même fin, que comme ils ont été animés d’un même Esprit, il semble aussi qu’ils n’aient eu qu’une même bouche ; en sorte que l’on peut attribuer à tous ce que chacun d’eux a dit, et à chacun d’eux ce qu’ils disent tous ? [Aug. De cons. Evang. l. 3. c. 7] ».

Voir Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37) : alors que les psaumes sont chantés par toute la terre, qui rend témoignage de Mahomet ? lui-même ; et alors que la qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours, et partout, et misérables. Il est seul.

Cet isolement fait contraste avec l’ampleur de la tradition juive : voir Laf. 793, Sel. 646. Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant 4 000 ans ; leurs livres dispersés durant 400 ans.

Ce serait une force infinie : Pascal dit ailleurs cela est divin, ce qui revient au même.

 

Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont,

 

Sellier Philippe, “La lumière immobile : l’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., p. 187-211 ; voir p. 203 sq. L’Écriture est comme un dispositif admirable où le Christ est annoncé depuis la création du monde, promis obscurément dès les origines, puis célébré avec clarté par le roi poète David. Les prophètes écrivains suivent. Pendant quatre millénaires, qui séparent le Christ de la création, la prophétie se répète ininterrompue. Les Juifs n’ont cessé de produire, puis de diffuser partout les prophéties.

Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, p. 414-425. La réalisation des prophéties donne sa valeur probante au fait prophétique pris dans son ensemble : p. 417. Les prophéties apparaissent comme un miracle subsistant, voir Prophéties 15 (Laf. 335, Sel. 368) : p. 418. L’ampleur historique du mouvement prophétique permet à Pascal d’étendre l’argument de la prophétie à l’argument de la perpétuité.

Laf. 811, Sel. 658. Les deux plus anciens livres du monde sont Moïse et Job, l’un juif, l’autre païen, qui tous deux regardent Jésus-Christ comme leur centre commun et leur objet : Moïse en rapportant les promesses de Dieu à Abraham, Jacob, etc. et ses prophéties ; et Job [...]

Or c’est dès les temps les plus anciens que la prophétie a directement annoncé le Messie : voir Preuves de Jésus-Christ 17 (Laf. 315, Sel. 346). Moïse d’abord enseigne la Trinité, le péché originel, le Messie.

Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. Qu’Abraham est venu ensuite dire qu’il avait eu révélation qu’il naîtrait de lui par un fils qu’il aurait, que Jacob a déclaré que de ses douze enfants il naîtrait de Juda, que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue. Qu’ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, que jusque là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement, qu’ainsi leur loi ou celle du Messie dont elle était la promesse serait toujours sur la terre, qu’en effet elle a toujours duré, qu’enfin est venu J.-C. dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarant que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis 4 000 ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Que durant 1 600 ans ils ont eu des gens qu’ils ont crus prophètes qui ont prédit le temps et la manière.

Que 400 ans après ils ont été épars partout, parce que J.-C. devait être annoncé partout.

Que J.-C. est venu en la manière et au temps prédit.

Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistants néanmoins.

Laf. 793, Sel. 646. Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple.

Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur.

Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant 4 000 ans ; leurs livres dispersés durant 400 ans.

[...] Ainsi je tends les bras à mon libérateur, qui, ayant été prédit durant 4 000 ans est venu souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui en ont été prédites, et par sa grâce j’attends la mort en paix dans l’espérance de lui être éternellement uni et je vis cependant avec joie, soit dans les biens qu’il lui plaît de me donner, soit dans les maux qu’il m’envoie pour mon bien et qu’il m’a appris à souffrir par son exemple.

 

La chronologie pascalienne du prophétisme

 

Comment Pascal compte-t-il 4 000 ans ? Les 4 000 ans vont de la création du monde, qui est censée avoir eu lieu vers 4 004 avant Jésus-Christ, et à l’avènement du Christ.

Philippe Sellier donne une chronologie du prophétisme telle que Pascal la conçoit dans son étude sur “Le “fondement” prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 463 sq. On peut la compléter à l’aide de la chronologie générale proposée par N. Fontaine dans les dernières pages de son Histoire du Vieux et du Nouveau Testament avec des explications édifiantes tirées des saints Pères, et trouver des indications complémentaires dans la Chronologia sacra in qua certe quaedam annorum numerandorum formae explicantur, Mundi aetates demonstrantur, Christi mors ac nativitas examinantur, et antiqua historia ab orbe condito ad eversam Jerusalem deducitur et de son Appendice que Lancelot a placés dans la Biblia sacra Vulgatae editionis, Paris, Vitré, 1662. Voir l’étude de Bernard Chédozeau, “L’histoire et la géographie sacrée à Port-Royal”, in Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France, 1650-1708, Paris, Nolin, 2007, p. 237-264.

 

4 004. Création du monde.

Débuts de l’attente d’un Messie.

2 344. Déluge.

Environ 2 000. Le païen Job.

1 996. Naissance d’Abraham.

1 992. Abraham, puis ses descendants : Isaac, puis Jacob, puis Joseph (voir Laf. 570, Sel. 474), appelés « les patriarches ». Promesse à Abraham d’une alliance éternelle : Genèse, XVII, 7.

1 836. Naissance d’Isaac et d’Esaü.

1 759. Isaac bénit Jacob.

1 689. Jacob bénit les deux enfants de Joseph.

1 491. Exode.

1 483. Sortie d’Égypte ou exode, sous la conduite de Moïse ; Moïse législateur, prophète et « historien ».

1 095. Samuel.

1 055. Début du règne de David, auteur d’un livre largement prophétique, les 150 Psaumes, le plus ancien recueil lyrique de l’humanité. Dieu promet à sa descendance et à son royaume une durée sans fin (II Samuel, VII, 16).

1 016. Début du règne de Salomon.

875. Débuts du prophète Élie, puis de son disciple Élisée.

 

Les prophètes dont les écrits ont été conservés

825. Osée, Joël.

789. Amos, Abdias.

770. Jonas.

758. Michée.

742. Nahum.

641. Habacuc.

630. Sophonie.

629. Jérémie (pendant 45 ans).

595. Ézéchiel (pendant 22 ans), Daniel (jusqu’en 536).

536. Cyrus permet le retour des Juifs en Judée.

519. Aggée, Zacharie.

454. Malachie, le « dernier des prophètes ». Sacy le situe dans le même temps que Néhémie.

Cessation de la prophétie.

Sur la chronologie de l’histoire du monde, voir les indications fournies dans le dossier de Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).

 

et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 488. Sur l’attachement des Juifs pour la loi de Moïse, et le soin dont ce peuple entoure ses livres.

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.

Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif. [...] Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant, car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome et les autres qui sont venus si longtemps après soient péris il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours et malgré les entreprises des tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années. Ils ont toujours été conservés néanmoins, et cette conservation a été prédite. Et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée, celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble, la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion, et Philon juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte que Homère qui a écrit l’histoire de tant d’États ne s’en est jamais servi. [...] Le livre qui contient cette loi la première de toutes, est lui-même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis.

Pascal insiste sur le fait que ce zèle, loin d’être découragé par la disparition de la prophétie, s’en est au contraire trouvé renforcé : voir Preuves de Moïse 4 (Laf. 294, Sel. 325) : Tandis que les prophètes ont été pour maintenir la loi le peuple a été négligent. Mais depuis qu’il n’y a plus eu de prophètes le zèle a succédé.

Sur le fait que les Juifs observent exactement la même loi que sous Moïse, voir Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, qui rapporte les développements des Perouchey Agadoth, de R. Adereth. Voir sur le même sujet Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, Pascal, Textes du tricentenaire, p. 206-224, notamment p. 213-214.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 473, sur la persistance des Juifs dans le monothéisme.

Sellier Philippe, “Sur les fleuves de Babylone : la fluidité du monde et la recherche de la permanence”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 411-423, notamment p. 420, montre que Pascal construit un contraste frappant entre cette constance et l’instabilité qui semble être la loi universelle.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Perpétuité.

Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et cellelà a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints comme Énoch, Lamech et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l’espérance du Messie, dont il a été la figure. Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin. Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, et Jacob mourant et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le sauveur que vous avez promis, salutare tuum expectabo domine.

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies, les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes. Et cependant, il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps, et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption, et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.

Menaces et persécutions : le fait que jamais les dominations païennes ne sont parvenues à détourner les Juifs de leur Dieu, ce qui paraît aller contre toutes les lois ordinaires de l’histoire, est souligné dans le fragment Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Perpétuité. [...] Ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XVI. Les Juifs n’ont plus de prophètes et rien ne présage leur retour dans leur terre ; cependant, malgré leur dispersion, ils ne se sont jamais tournés vers le culte des faux dieux, ils prient Dieu et tentent de l’apaiser par des jeûnes, sans être pour autant écoutés.

 

Discussion de cette argumentation

 

Lacombe Roger, L’apologétique de Pascal, Paris, P. U. F., 1958,  p. 219 sq. sur cet argument, et p. 229 sur les réserves à faire.