Fragment Prophéties n° 17 / 27  – Papier original : RO 199-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 357 p. 169-169 v° / C2 : p. 202-203

Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 116-117  / 1678 n° 5 p. 116-117

Éditions savantes : Faugère II, 276, XVIII / Havet XVIII.4 / Brunschvicg 724 / Tourneur p. 286-2 / Le Guern 319 / Lafuma 338 / Sellier 370

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Bibliographie

 

 

ARNAULD Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ par les erreurs des Calvinistes touchant la justification, Paris, Desprez, 1672.

Saint AUGUSTIN, De vera religione, III, 3-5, Bibliothèque augustinienne, t. 8, p. 25 sq.

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les préfaces de l’Ancien Testament, Paris, Champion, 2013.

Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, art. Thérapeutes, Paris, Cerf, 1993.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, p. 436.

EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, éd. Gustave Bardy, Sources chrétiennes, Paris, Cerf, 2001.

FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de PascaL”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40.

GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XIV.

PHILON, De la vie contemplative ou des vertus des personnes dévotes, in Œuvres de Philon Juif, auteur très éloquent et philosophe très grave, contenant l’exposition littérale et morale des livres sacrés de Moïse et des autres prophètes, et de plusieurs divins mystères, pour l’instruction d’un chacun en la piété et aux bonnes mœurs, I, translatées en français sur l’original grec, revues et corrigées de nouveau, et augmentées d’un 2e tome, dédiées au Roi très chrétien Louis XIII, par Fédéric Morel, Paris, chez Jacques Bessin, au Mont-Saint-Hilaire, à la cour d’Albret, 1619, 2 vol.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

On trouve une version antérieure de ce fragment dans Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371), qui en donne une sorte de canevas : Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie, il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Daniel seraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda. Et tout cela est arrivé sans aucune difficulté et qu’alors il arrivât le Messie et J.-C. est arrivé alors qui s’est dit le Messie et tout cela est encore sans difficulté et cela marque bien la vérité de prophétie. La comparaison des deux textes donne une bonne idée de la méthode de Pascal dans l’élaboration progressive des textes, et du passage graduel d’une simple énumération de points à développer successivement à une rédaction plus ample, dans laquelle la recherche rhétorique tient une plus grande place.

 

Prédictions.

 

Prédiction n’est pas pour Pascal identique à prophétie. Selon Prophéties 7 (Laf. 328, Sel. 360), prophétiser c’est parler de Dieu, non par preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat. Mais ce n’est pas nécessairement annoncer l’avenir. Certaines prophéties proclament la parole de Dieu, sans pour autant prédire le destin du peuple juif.

 

Qu’en la quatrième monarchie,

 

Voir le dossier du fragment Prophéties 12 (Laf. 333, Sel. 365) : Prophéties. Le temps prédit par l’état du peuple juif, par l’état du peuple païen, par l’état du temple, par le nombre des années.

La prophétie des quatre monarchies vient de Daniel. Il y a en fait deux prophéties convergentes : la prophétie des quatre bêtes (Daniel VII), et la prophétie de la statue (Daniel II). Voir ce qu’en dit la Préface au livre de Daniel dans la Bible de Port-Royal ; le texte en est donné par Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les préfaces de l’Ancien Testament, p. 591-595. Pascal donne le texte de Daniel et son interprétation dans Prophéties III (Laf. 485, Sel. 720).

D’après la prophétie des quatre bêtes, dans Daniel, VII, quatre royaumes devaient se succéder : l’empire de Babylone, le royaume des Mèdes, le royaume des Perses, et le royaume d’Alexandre et de ses successeurs. Voir Havet, Pensées, 1866, t. 2, p. 34. La pierre qui les brise symbolise l’empire romain.

Voir sur le même sujet Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Seconde partie, Ch. IX, éd. Velat et Champailler, Pléiade, p. 816. « Durant la captivité, et surtout vers les temps qu’elle allait finir, Daniel révéré pour sa piété même par les rois infidèles, et employé pour sa prudence aux plus grandes affaires de leur État, vit par ordre, à diverses fois, et sous des figures différentes, quatre monarchies sous lesquelles devaient vivre les Israélites. Il les marque par leurs caractères propres. On voit passer comme un torrent l’empire d’un roi des Grecs : c’était celui d’Alexandre. Par sa chute, on voit établir un autre empire moindre que le sien, et affaibli par ses divisions. C’est celui de ses successeurs parmi lesquels il y en a quatre marqués dans la prophétie. Antipater, Séleucus, Ptolémée et Antigonus sont visiblement désignés. Il est constant par l’histoire qu’ils furent plus puissants que les autres, et les seuls dont la puissance ait passé à leurs enfants. [...] On voit naître enfin sur la fin, et comme dans le sein de ces monarchies, le règne du Fils de l’Homme ».

D’autres auteurs réunissent Mèdes et Perses, et comptent Rome pour quatrième empire. C’est une hypothèse qu’envisage le commentaire de la Bible de Port-Royal, avant de lui préférer l’idée que le quatrième royaume est celui des successeurs d’Alexandre.

 

Pour approfondir…

 

avant la destruction du second temple,

 

Allusion à la destruction du second Temple de Jérusalem par les troupes commandées par Titus. Voir le dossier thématique sur le Temple.

L’édition de Sellier-Ferreyrolles renvoie à Aggée, II, traduit dans Prophéties I (Laf. 483, Sel. 718) : Vous qui, comparant cette seconde maison à la gloire de la première, la méprisez, prenez courage, dit le Seigneur, à vous Zorobabel, et à vous Jésus grand-prêtre, et à vous, tout le peuple de la terre, et ne cessez point d’y travailler. Car je suis avec vous, dit le Seigneur des armées ; la promesse subsiste, que j’ai faite quand je vous ai retirés d’Égypte ; mon esprit est au milieu de vous. Ne perdez point espérance, car le Seigneur des armées dit ainsi : Encore un peu de temps, et j’ébranlerai le ciel et la terre, et la mer et la terre ferme (façon de parler pour marquer un changement grand et extraordinaire) ; et j’ébranlerai toutes les nations. Alors viendra celui qui est désiré par tous les Gentils, et je remplirai cette maison de gloire, dit le Seigneur. L’argent et l’or sont à moi, dit le Seigneur (c’est-à-dire que ce n’est pas de cela que je veux être honoré ; comme il est dit ailleurs : Toutes les bêtes des champs sont à moi : à quoi sert de me les offrir en sacrifice ?) ; la gloire de ce nouveau temple sera bien plus grande que la gloire du premier, dit le Seigneur des armées ; et j’établirai ma maison en ce lieu-ci, dit le Seigneur. Cette référence a peut-être été inspirée par la lecture du Pugio fidei (mentionné au début du fragment Prophéties I), Pars II, cap. III, § XXIV, Cur sexaginta septimanae separatae, éd. de 1651, p. 231-232, consacrée à la prophétie de Daniel sur les soixante-dix semaines, et qui indique que le second temple a reçu plus d’honneur que le premier, puisque c’est celui dans lequel le Christ a pénétré. Puisque Jésus-Christ a connu ce temple dans sa gloire, c’est qu’il n’était pas encore détruit. La référence au Pugio Fidei, Pars II, chapitre IX, § X, Messias debuit venire ante desolationem templi secundi, et XVII, Messias in secundo templo venturus, n’apporte pas d’information utile.

Voir le dossier sur le fragment Prophéties I.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XIV. Sur Aggée, II. Prédiction que le second Temple aurait plus de gloire que le premier, contre les apparences. « Sed quo Templum hoc posterius priori praestiturum sit, ibi quidem breviter ostendit Deus, cum pacem suam, id est, gratiam et benevolentiam, in eo templo se quasi federe certo stabiliturum dicit ». Le Messie doit venir « stante Templo secundo » : p. 81 B. « Herodis Magni temporibus Templum non ex ruinis ressuscitatum fuit, sed paulatim per partes innovatum : qualis mutatio facit idem Templum appellari ».

Sur la destruction du Temple de Jérusalem par Titus, consulter Poznanski Lucien, La chute du temple de Jérusalem, Paris, Éditions complexe, 1991.

Pascal insiste sur l’importance de ce signe dans le fragment Prophéties 8 (Laf. 329, Sel. 361). Que J.-C. serait petit en son commencement et croîtrait ensuite. La petite pierre de Daniel. Si je n’avais ouï parler en aucune sorte du Messie, néanmoins après les prédictions si admirables de l’ordre du monde que je vois accomplies, je vois que cela est divin et si je savais que ces mêmes livres prédissent un Messie je m’assurerais qu’il serait venu, et voyant qu’ils mettent son temps avant la destruction du 2e temple je dirais qu’il serait venu.

 

avant que la domination des Juifs fût ôtée

 

Voir les Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 22, sur la fin du règne de Juda imposée par Rome, avec la destruction du Temple et l’état de dispersion et d’exil qui a suivi. C’est ce qu’annonçait la prophétie de Jacob sur le duc ôté de la cuisse, Genèse, XLIX, 10, lorsqu’il disait que « le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que celui qui doit être envoyé soit venu ; et c’est lui qui sera l’attente des nations » (tr. Sacy). Voir Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348) : J.-C. prédit quant au temps et à l’état du monde. Le duc ôté de la cuisse, et la 4e monarchie.

Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371). Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Danielseraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda.

Sur la prophétie de Jacob, voir Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure. [...] Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé. Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.

 

en la soixante dix-septième semaine de Daniel,

 

Allusion au compte des années par les soixante-dix semaines de Daniel, qui symbolisent les soixante-dix années qu’a duré l’exil à Babylone. Sur cette prophétie, voir le dossier sur le fragment Prophéties 20 (Laf. 341, Sel. 373).

Le compte des soixante-dix semaines de Daniel enferme, selon Pascal, une certaine approximation : Prophéties. Les soixante-dix semaines de Danielsont équivoques pour le terme du commencement à cause des termes de la prophétie. Et pour le terme de la fin à cause des diversités des chronologistes. Il minimise toutefois cette difficulté, car toute cette différence ne va qu’à deux cents ans.

 

pendant la durée du second temple, les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs ; que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.

 

Délivrés de leurs ennemis : au sens littéral, dans les récits de l’Ancien Testament, la délivrance des ennemis désigne pour les Juifs le passage de la Mer Rouge qui les a délivrés des Égyptiens. Mais au sens figuré, ce sont les péchés.

Pendant la durée du second temple : la précision n’est pas insignifiante. On lit en effet dans le Pugio fidei, Pars II, ch. VI, p. 279 sq., que, selon les rabbins, « Messias Judaeorum secundum ipsos natus est illa die qua templum destructum est a Tito, et Vespasiano », le Messie est né le jour où Titus et Vespasien ont détruit le Temple. Cette hypothèse exclut évidemment que Jésus-Christ soit le Messie, puisque la destruction du Temple est bien postérieure à sa mort. R. Martin consacre tout un chapitre à la réfutation de cette « fable ».

Voir aussi, dans la même partie, le ch. IX, Alia ratio ad probandum quod Messias jam venit, p. 301 sq., le § X, Messias debuit venire ante desolationem Templi secundi, p. 304-305.

 

Et il est arrivé qu’en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, etc., les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.

 

Le renouveau de sainteté à l’avènement du Messie : voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 448. Pascal considère que l’avènement du Messie fut marqué par un accroissement soudain du nombre des élus. Il ne lie pas ce changement à la réussite d’une pédagogie de Dieu, mais à la seule réalisation des prophéties annonçant la conversion de l’univers.

Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leur grandeur, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? c’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.

Arnauld Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ, p. 30 sq. Sur la surabondance de l’Esprit de Dieu au moment où les Évangiles ont été annoncés, marque du doigt de Dieu : p. 31.

Texte à rapprocher de Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, éd. Velat et Champailler, Pléiade, p. 863, sur les progrès de la religion de Jésus et les changements moraux qu’ils entraînent.

 

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Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs.

 

Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tousles peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue. La citation latine renvoie à Joël, II, 28 : « Et erit post haec effundam spiritum meum super omnem carnem et prophetabunt filii vestri et filiae vestrae senes vestri somnia somniabunt et iuvenes vestri visiones videbunt ». Traduction de la Bible de Port-Royal : « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; vos vieillards seront instruits par des songes, et vos jeunes gens auront des visions ». Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Cette prophétie est l’une des plus claires et des plus indubitables de la loi nouvelle, le Saint-Esprit ayant écrit ces propres paroles par la bouche de saint Pierre en sa première prédication [Act. 2, v. 17], pour prouver aux Juifs que ce qu’ils voyaient arriver lorsqu’il descendit sur les Apôtres et sur les disciples en forme de feu, et qu’il les fit parler diverses langues sans en avoir jamais appris aucune, avait été prédit clairement par ce prophète, près de huit cents ans avant Jésus-Christ.

Joël donc marque l’établissement de l’Église, en disant que ses enfants seraient pleins de l’Esprit de Dieu, et prophétiseraient ; comme Moïse semble l’avoir eu dans l’esprit, lorsque reprenant Josué, qui le priait d’empêcher de prophétiser deux de ces septante-deux personnes, qui devaient être sous Moïse les juges du peuple, il lui répondit avec autant de lumière que d’humilité [Nomb. 11, v. 19], Pourquoi vous intéressez-vous pour mon honneur particulier ? Plût à Dieu que tout le peuple prophétisât, et que Dieu leur donnât à tous son Esprit !, marquant ainsi quinze cents ans auparavant ce qui est arrivé, lorsqu’à la naissance de l’Église tous les fidèles ont été remplis du Saint-Esprit.

Je répandrai, dit-il, mon Esprit, non plus comme autrefois sur quelques prophètes, qui paraissaient rarement et de temps en temps, mais sur toute chair, c’est-à-dire sur tous les hommes, Juifs ou Gentils, sans distinction ni de sexes, ni d’âge, ni de pays. C’est pourquoi il ajoute : Vos fils et vos filles prophétiseront. Car on voit dans les Actes [Act. 11, v. 21], que plusieurs prophètes se trouvaient en même temps dans l’Église d’Antioche. Et il y en avait un si grand nombre dans celle de Corinthe, que saint Paul fut obligé de prescrire la manière en laquelle ils devaient prophétiser l’un après l’autre, pour ne point troubler l’ordre de l’Église [I Cor. 14, v. 29]. Il est marqué aussi dans les Actes, que les quatre filles de Philippe Diacre étaient prophétesses. »

Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 22-23, renvoie dans une note à De la vie contemplative de Philon, qui parle de la secte juive des Thérapeutes, qui vivaient en Égypte. Pascal suit la pensée de plusieurs Pères, qui ont soutenu que les Thérapeutes étaient des chrétiens (voir ci-dessus le passage d’Arnauld).

Philon, De la vie contemplative ou des vertus des personnes dévotes, in Œuvres, I, p. 820 sq. Les « Médecins ou ministres », p. 821. En note : therapeutai. Ils « étaient anciennement comme Moines, qui se retiraient es lieux solitaires pour vaquer à la Philosophie ». Philosophes qui « font profession d’une médecine meilleure que n’est celle qui est éventée par les villes » ; qui guérit non seulement le corps, mais les vices de l’âme. Ils prétendent « faire service à l’Essence divine ». Voir p. 823 sq. : « les Thérapeutiques et médecins qui guérissent les maladies de l’âme, adorant un seul Dieu, apprenant tous les jours à voir clair, et à contempler Dieu, en surpassant ce soleil visible, et ne délaissant jamais le train qui mène droit à la parfaite félicité ». Voir p. 823-824 : ils ne sont pas obéissants à une coutume, mais entraînés par l’amour céleste.

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, II, XVII, éd. Gustave Bardy, p. 72 sq. Ce que Philon raconte des ascètes d’Égypte. Philon les appelle thérapeutes « et les femmes qui vivent avec eux thérapeutrides » : p. 73. « Il indique les raisons de cette désignation : elle vient soit de ce qu’ils soignent et guérissent les âmes de ceux qui viennent à eux, les délivrant à la manière des médecins, des souffrances causées par la méchanceté, soit de ce qu’ils rendent des soins et des adorations chastes et purs à la divinité » : p. 73. Renonçant à leurs biens et à leur parenté, ils vivent dans les champs et les jardins, hors les murs des villes, imitant la vie des disciples des Apôtres. « L’intervalle entre l’aurore et le soir est tout entier pour eux une ascèse. Ils lisent en effet les saintes Lettres et philosophent sur la sagesse des ancêtres, en en faisant l’allégorie ; car ils pensent que les mots sont des symboles de la nature cachée qui se découvre dans les interprétations allégoriques » : p. 74. « Tout cela paraît donc avoir été dit par un homme qui les a entendu expliquer les saintes Écritures », et leurs livres sont peut-être les Évangiles et les écrits des Apôtres : p. 75. Eusèbe les identifie à des chrétiens : p. 76. Philon « dit en effet qu’avec les hommes dont nous parlons se rencontrent aussi des femmes, dont la plupart, arrivées à la vieillesse, sont vierges : elles ont gardé la chasteté, non par nécessité comme certaines prêtresses grecques, mais par libre choix, par le désir et le zèle de la sagesse, avec laquelle elles s’efforcent de vivre en renonçant aux plaisirs du corps » : p. 76.

Arnauld Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ, p. 30 sq. Surabondance de l’Esprit de Dieu au moment où les Évangiles ont été annoncés. Sur les solitaires dans les déserts, voir p. 39. « Au même temps que le monde, pour ainsi dire, se répandait dans l’Église par la conversion des empereurs, Dieu a inspiré à une infinité de bonnes âmes, pour se garantir plus facilement de la contagion de la multitude, d’aller peupler les déserts, et d’y faire à Jésus-Christ comme un nouveau peuple qui suivît plus exactement les règles de son Évangile. [...] La sainteté de l’Église pouvait-elle paraître avec plus d’éclat que dans celle de ces admirables solitaires de l’Égypte, du Pont, de la Palestine, et de tant d’autres endroits, qui ayant quitté les plaisirs du monde après les avoir méprisés, vivaient en commun d’une vie toute chaste, et toute sainte, qui employaient le temps à prier, à lire, à conférer ensemble, qui n’étaient jamais ni enflés d’orgueil, ni agités de troubles, ni portés d’envie, mais toujours modestes, toujours humbles, toujours tranquilles, qui vivaient dans une parfaite union, et dans une perpétuelle contemplation des grandeurs divines, et offraient à Dieu comme un sacrifice agréable tous les dons et toutes les grâces qu’ils avaient reçues de sa libéralité [Aug. De morib. Eccl. Cath. c. 31] ».

 

Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits, une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.

 

Sur l’enseignement moral et spirituel de Platon, voir Laf. 533, Sel. 457, et Laf. 612, Sel. 505. Platon pour disposer au christianisme. Pascal remarque ici que Platon, tout sage qu’il fût, n’a pas été capable de persuader ses contemporains.

Saint Augustin, La cité de Dieu, II, Livre VIII, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, p. 247. Aucun philosophe n’est plus proche du christianisme que Platon, parce qu’il pense que le sage imite, connaît et aime Dieu. Il reconnaît le vrai Dieu pour auteur des êtres, pour source de vérité : p. 249. Il a mis la béatitude de l’homme dans la jouissance de Dieu : p. 261. Certains apologistes chrétiens pensent que Platon aurait eu connaissance de la loi de Moïse ; Saint Augustin soutiendrait volontiers cette idée : p. 269-271.

Saint Augustin, De vera religione, III, 3, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 8, p. 25 sq. Voir p. 471 sq., la note Néoplatonisme et christianisme : le platonisme sert à saint Augustin contre le manichéisme : p. 477. Notamment sur le problème du mal, qui n’est pas selon lui dans les choses, mais dans l’homme. Le platonisme enferme une renonciation au sensible, et une méthode de catharsis qui détourne l’âme du devenir temporel pour l’attacher au spirituel, et redresse l’homme charnel en homme spirituel : p. 479 et 482.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 58 sq. Le cas historique du platonisme : La cité de Dieu affirme la découverte de l’existence de Dieu par Platon ; saint Augustin a consacré aux platoniciens le Sermon 141, de verbis Domini, 55, 1-2. Les néoplatoniciens ont trouvé la vérité, mais non la voie, qui était celle des preuves métaphysiques.

Mais Pascal va plus loin que la constatation de l’inefficacité de l’art de persuader platonicien : les prophètes précurseurs du Christ, si saints qu’ils aient été, n’ont pas mieux réussi que lui à convertir les païens : voir Preuves par discours III (Laf. 447, Sel. 690) : La conversion des païens n’était réservée qu’à la grâce du Messie, les Juifs ont été si longtemps à les combattre sans succès, tout ce qu’en ont dit Salomon et les Prophètes a été inutile, les sages comme Platon et Socrate n’ont pu les persuader. Seul le Christ a su susciter des conversions massives chez les Gentils.

 

Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.

 

Note placée en addition sur le manuscrit, sans doute en vue d’une exploitation approfondie. Le mot voyez est une indication à l’usage de Pascal lui-même.

Voir plus haut sur les thérapeutes au désert.

 

Qu’est‑ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant. Depuis deux mille années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu.

 

Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 23. Deux mille années, c’est-à-dire depuis Abraham.

 

Les [temples] sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est‑ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.

 

Sur l’expansion du christianisme, voir Simon M. et Benoit A., Le Judaïsme et le Christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, P. U. F., 1968, p. 72 sq.

Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.

 

Nul païen depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ selon les rabbins mêmes, la foule des païens après Jésus-Christ croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile.

 

Texte placé en addition dans la marge de gauche du manuscrit, ce qui explique sans doute son caractère incomplet.

Il faut sans doute compléter la première phrase par « n’a adoré le Dieu des Juifs », ou « n’a cru les prophéties de Moïse ». Mais elle vise visiblement à compléter la phrase depuis deux mille années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs, qui se trouve dans le corps du texte, pour souligner que ce sont « les rabbins mêmes » qui le déclarent. L’addition marginale précise donc l’idée du premier jet.

Il en va de même pour la phrase la foule des païens après Jésus-Christ croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile, qui précise la rédaction centrale dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu : à l’idée que les Gentils se convertissent en masse, Pascal ajoute la précision qu’ils se convertissent au christianisme, c’est-à-dire que s’ils ont accepté la loi de Moïse, ils n’ont pas reçu les cérémonies auxquelles les Juifs charnels étaient attachés, et n’ont retenu que l’essentiel, c’est-à-dire la loi de charité. Ils ont abandonné la figure pour suivre la vérité : on retrouve dans ces lignes l’idée de la liasse Loi figurative.