Fragment Raisons des effets n° 13 / 21 - Papier original :  RO 244-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 124 p. 35 / C2 : p. 52

Éditions savantes : Faugère I, 179, V / Havet V.3 / Michaut 516 / Brunschvicg 313 / Tourneur p. 192 / Le Guern 87 / Lafuma 94 / Sellier 128

 

 

Ce texte n’est pas dans l’édition de Port-Royal

 

En revanche, on en retrouve une partie à la fin d’un texte qui a été copiée dans le Portefeuille Vallant, p. 56 (texte publié par P. Faugère (t. I, p. 177, art. III) puis E. Havet (art. V, note du n° 9), L. Brunschvicg (n° 320 bis), L. Lafuma (n° 977) et enfin Ph. Sellier (n° 786). M. Le Guern ne l’inclut pas dans son édition.) Cette copie intègre aussi une phrase prise dans le fragment Vanité 18 (Laf. 30, Sel. 64) : On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison.

 

 

 

 

Texte de Pascal ou texte construit autour de deux fragments de Pascal ?

 

Voir Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009, p. 43-47 et plus particulièrement p. 250-255 sur l’hypothèse d’un chapitre consacré aux pensées politiques de Pascal et abandonné par le comité de Port-Royal.

Un texte proche de celui du Portefeuille Vallant a été publié par Pierre Nicole en 1671 dans les Essais de morale, De la Grandeur, article XXIV (voir l’éd. de 1675, p. 200-201, qui précise que le titre courant de la première édition, De l’éducation d’un prince, était l’unique lien de tous les essais contenus du volume ; il ne doit donc pas être confondu avec le titre de l’essai dont est extrait ce passage).

 

 

(Image Google)

 

La note en marge précise que le texte « On ne choisit pas, disent-ils, pour gouverner un bâteau celuy qui est de meilleure maison » est de M. Paschal et non de lui-même. Ce commentaire ne concerne que cette partie du texte. La remarque ne s’étend pas à la dernière phrase (Car la guerre civile est le plus grand des maux).

 

Guion Béatrice, “Nicole, lecteur de Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 379 sq. Nicole reprend les termes de Pascal : marque de sa dette à l’égard des Pensées, il reproduit le texte de Pascal en procédant à des substitutions mineures. De même, lorsque dans De la grandeur l’ordre politique est qualifié d’invention admirable, on songe au fragment Grandeur 14 (Laf. 118, Sel. 150), sur le « règlement admirable » ; cette remarque de Pascal est absente des éditions de 1670 et de 1678, et n’est publiée pour la première fois que par Desmolets en 1728. L’analyse qui fonde ce jugement chez Nicole est proche de celle des fragments Laf. 210, Sel. 243 et Laf. 211, Sel. 244, eux aussi écartés de l’édition de 1670 et de celle de 1678.

Certains éditeurs pensent que Laf. 977, Sel. 786 pourrait être un authentique texte pascalien. Voir Le Guern, OC II, Pléiade, p. 1593, qui plaide pour l’authenticité « au moins partielle », en raison d’une particularité de rédaction qui selon lui ne s’expliquerait pas sans le recours à des notes perdues de Pascal : « ils le sont et le seront toujours », sans que la source d’anaphore de ils soit présente.

Portefeuilles Vallant, ms B. N. f. fr. 17040 à 17058. Texte rédigé par Nicole pour l’édition des Pensées, qui ne l’a pas retenu, à partir des fragments Vanité 18 (Laf. 30, Sel. 64) et Raisons des effets 13 (Laf. 94, Sel. 128). Nicole les a développés à nouveau dans ses Essais de Morale, t. II. De la grandeur, 1re partie, chap. V, Essais de morale, éd. L. Thirouin, p. 210-211.

 

Différences constatées entre les quatre documents

 

En vert : termes présents dans Laf. 30, Sel. 64 et Laf. 94, Sel. 128 repris par Pierre Nicole ; en rose : termes communs au Portefeuille Vallant et au texte publié

 

Textes issus des Copies des Pensées

Portefeuille Vallant p. 56

De la grandeur,  p. 152-153

 

Laf. 30, Sel. 64

On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison.

 

Laf. 94, Sel. 128

Opinions du peuple saines.

Le plus grand des maux est les guerres civiles.

Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu’ils méritent. Le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand, ni si sûr.

 

 

Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables à cause du dérèglement des hommes, qui a-t-il de moins raisonnable que de choisir pour gouverner un état le premier fils d’une reine, l’on ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison, cette loi serait ridicule et injuste, mais parce qu’ils le sont et le seront toujours elle devient raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus habile ? nous voilà incontinent aux mains ; chacun prétend être ce plus vertueux et ce plus habile ; attachons donc cette qualité à quelque chose d’incontestable ; c’est le fils aîné du roi, cela est net, il n’y a point de disputes. La raison ne peut mieux faire car la guerre civile est le plus grand des maux.

 

Il y en a qui voudraient au moins que cette autorité qu’il faut respecter, fût attachée au mérite, et qui traitent d’injustes toutes les lois qui l’ont attachée à des qualités extérieures. Ils triomphent en attaquant celles, qui font dépendre la grandeur de la naissance. On ne choisit pas, disent-ils, pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison. Pourquoi le fait-on donc à l’égard des royaumes et des empires ? Mais c’est qu’ils ne connaissent pas le fond de la faiblesse et de la corruption des hommes. Ils raisonneraient bien si les hommes étaient justes et raisonnables, mais ils raisonnent très mal, parce qu’ils ne le sont pas et qu’ils ne le seront jamais. L’injustice naturelle et ineffaçable du cœur des hommes, rend ce choix non seulement raisonnable, mais le chef-d’œuvre de la raison. Car qui choisira-t-on, le plus vertueux, le plus sage, le plus vaillant ? Mais nous voilà incontinent aux mains ; chacun dira qu’il est ce plus vertueux, ce plus vaillant, ce plus sage ; attachons donc notre choix à quelque chose d’extérieur et d’incontestable ; il est le fils aîné du roi, cela est net, il n’y a point à douter ; la raison ne peut mieux faire ; car la guerre civile est le plus grand des maux.

 

L’expression Le premier fils d’une reine (Portefeuille Vallant) souligne le caractère étroit et arbitraire de cette disposition légale. Ne pas confondre la loi de primogéniture masculine avec la loi salique : la disposition selon laquelle il est exclu qu’une reine prenne place sur le trône de France ne répondrait pas à l’argument de Pascal, car elle est purement négative, et ne permet pas de déterminer sans discussion possible le successeur d’un roi : il peut y avoir plusieurs mâles disponibles pour prendre la couronne. La règle de primogéniture masculine supprime toute discussion par son caractère étroit même.

La réutilisation des termes mérite et naissance par Nicole dans le texte publié (et qui sont absents de la version conservée dans le Portefeuille Vallant), et la comparaison de cette version avec le texte publié, confirment que ce texte est une version intermédiaire entre les originaux de Pascal et un texte prévu pour l’édition de Port-Royal mais finalement abandonné et publié par Nicole.

Comme le texte que l’on trouve dans Nicole n’est pas dans son entier une pensée de Pascal à proprement parler, il ne peut être publié dans les Pensées qu’à titre d’annexe.