Fragment Raisons des effets n° 13 / 21 - Papier original :  RO 244-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 124 p. 35 / C2 : p. 52

Éditions savantes : Faugère I, 179, V / Havet V.3 / Michaut 516 / Brunschvicg 313 / Tourneur p. 192 / Le Guern 87 / Lafuma 94 / Sellier 128

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Bibliographie

 

 

ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La logique ou l’art de penser, I, VII (1664), éd. DESCOTES, Paris, Champion, 2011, p. 205 sq. 

KAWAMATA Koji, “Les soulèvements populaires et Pascal”, in FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 237-244.

SFEZ Gérald, Les doctrines de la raison d’État, Armand Colin, Paris, 2000, p. 137.

 

 

Éclaircissements

 

Opinions du peuple saines

 

Le titre du fragment est difficile à justifier en dehors de la liasse : nulle part il n’y est question que le peuple dise quoi que ce soit. Le fragment répondrait mieux au titre Raisons des effets. Mais il faut sans doute entendre que Pascal veut dire que la loi de primogéniture masculine est acceptée par le peuple, qui a raison de ne pas la remettre en cause, comme le font les demi-habiles.

 

Le plus grand des maux est les guerres civiles.

 

Sfez Gérald, Les doctrines de la raison d’État, Armand Colin, Paris, 2000, p. 137. Le mal des guerres civiles et la politique du moindre mal pour assurer la paix civile.

Kawamata Koji, “Les soulèvements populaires et Pascal”, in Ferreyrolles Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 237-244.

Raisons des effets 2 (Laf. 81, Sel. 116). Ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.

 

Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, tous diront qu’ils méritent.

 

Récompense : don que l’on fait à quelqu’un, avantage qu’on lui procure pour des services qu’il a rendus, pour une bonne action qu’il a faite. Se dit aussi en mauvaise part, pour un châtiment.

L’opinion des demi-habiles que Pascal conteste ici est formulée dans le fragment Vanité 18 (Laf. 30,  Sel. 64) : On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison.

On peut objecter à Pascal que le système républicain des élections répond à son objection, dans la mesure où il permet de désigner par l’accord de la majorité le candidat qui mérite le plus. Mais cela ne supprime pas le fait que de telles élections entraînent des débats et des querelles que la règle monarchique de succession par primogéniture masculine évite entièrement. D’autre part, l’argument de raison des effets n’en demeure pas moins valable : ce serait une illusion de croire que le système d’élection démocratique est par lui-même plus juste qu’un autre : il a seulement pour principe d’accorder l’avantage à la majorité, c’est-à-dire en dernière instance à la force. Par conséquent, la loi de primogéniture masculine tout comme la règle des élections ont en commun de reposer toutes deux sur la force soit de la majorité, soit de la coutume ; et la plus économique des deux demeure la première. Pascal n’en considère pas moins que lorsqu’un État est parvenu à l’état démocratique, ce serait une faute de l’en retirer.

 

Pour approfondir…

 

Aspect logique du problème

 

Les conflits entre candidats à une place qui doit être attribuée au plus méritant est rapproché dans la Logique de Port-Royal du problème de l’équivoque d’erreur. Voir Logique, I, VII (1664), éd. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 205 sq. :

« Les termes complexes qui sont ainsi équivoques par erreur, sont principalement ceux qui enferment des qualités dont les sens ne jugent point, mais seulement l’esprit, sur lesquelles il est facile que les hommes aient divers sentiments.

Si je dis par exemple : Il n’y avait que des hommes de six pieds qui fussent enrôlés dans l’armée de Marius, ce terme complexe d’homme de six pieds n’était pas sujet à être équivoque par erreur, parce qu’il est bien aisé de mesurer des hommes, pour juger s’ils ont six pieds. Mais si l’on eût dit qu’on ne devait enrôler que de vaillants hommes, le terme de vaillants hommes eût été plus sujet à être équivoque par erreur, c’est-à-dire à être attribué à des hommes qu’on eût crus vaillants, et qui ne l’eussent pas été en effet.

Les termes de comparaison sont aussi fort sujets à être équivoques par erreur : le plus grand géomètre de Paris : le plus savant homme, le plus adroit, le plus riche. Car quoique ces termes soient déterminés par des conditions individuelles, n’y ayant qu’un seul homme qui soit le plus grand géomètre de Paris, néanmoins ce mot peut être facilement attribué à plusieurs, quoiqu’il ne convienne qu’à un seul dans la vérité : parce qu’il est fort aisé que les hommes soient partagés de sentiments sur ce sujet, et qu’ainsi plusieurs donnent ce nom à celui que chacun croit avoir cet avantage par-dessus les autres. »

 

Le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand, ni si sûr.

 

Pascal prend le contrepied du fragment Laf. 977, Sel. 786. (Portefeuilles Vallant, ms B. N. f. fr. 17040 à 17058 ; texte rédigé par Nicole à partir des fragments Vanité 18 (Laf. 30,  Sel. 64) et Raisons des effets 13 pour l’édition des Pensées, qui ne l’a pas retenu. Nicole les a développés à nouveau dans ses Essais de Morale, t. II. De la grandeur, 1re partie, chap. V. Voir cette étude.

Ni si grand, ni si sûr : grandeur de l’enjeu et sûreté du péril sont les deux critères fondamentaux de la règle des partis. Pascal se place ici non pas dans la perspective du juste, mais dans celle du sûr, qui implique que l’on minimise les risques pour maximiser le gain.