Fragment Soumission et usage de la raison n° 20 / 23  – Papier original : RO 409-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 235 p. 83 v° / C2 : p. 111

Éditions de Port-Royal : Chap. V - Soumission, et usage de la raison : 1669 et janvier 1670 p. 49  / 1678 n° 6 p. 51

Éditions savantes : Faugère II, 349, III / Havet XIII.8 / Brunschvicg 265 / Tourneur p. 231-4 / Le Guern 174 / Lafuma 185 / Sellier 217

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941.

JULIEN-EYMARD D’ANGERS, Pascal et ses précurseurs, Paris, Nouvelles éditions latines, 1954.

GUION Béatrice, Pierre Nicole moraliste, Paris, Champion, 2002.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d'après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol.

LO CHIATTO Franco et MARCONI Sergio, Galilée entre le pouvoir et le savoir, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988.

MAYAUD Pierre-Noël, Le conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l’histoire des idées. Autour de l’affaire Galilée, Paris, Champion 2005, 5 vol.

MESNARD Jean, “Pascal et la doctrine de la double vérité”, in Averroes (1126-1198) oder der Triumph des Rationalismus, Heidelberg, C. Winter, 2002, p. 336 sq.

RAPP Francis, L’Église et la vie religieuse en occident à la fin du Moyen-Âge, Nouvelle Clio, Paris, P. U. F., 1971.

RUSSO François, “Lettre de Galilée à Christine de Lorraine Grande-Duchesse de Toscane (1615)”, Revue d'histoire des sciences, t. XVII, n° 4, oct.-déc. 1964, p. 331-367.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine, 1998.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977, p. 53.

 

 

Éclaircissements

Une source

 

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine, 1998, p. 36. Rapprochement avec l’hymne Pange lingua (vêpres du Saint Sacrement) :

« Et si sensus deficit

Ad firmandum cor sincerum

Sola fides sufficit [...]

Praestet fides supplementum

Sensuum defectui »

Traduction : Même si nos sens défaillent, la foi seule suffit à affermir un cœur pur, [...] que la foi supplée à la défaillance des sens. Autre référence : le Lauda Sion (messe et procession du Saint Sacrement).

 

L’indépendance de la foi et des facultés naturelles

 

Le principe de l’indépendance des domaines de la foi et des facultés naturelles (sens et raison) a été inculqué à Pascal par son père dès sa jeunesse.

Périer Gilberte, Vie de Pascal, 1re version, § 23, OC I, éd. J. Mesnard, p. 578. « Il m’a dit plusieurs fois qu’il joignait cette obligation à toutes les autres qu’il avait à mon père, qui, ayant lui-même un très grand respect pour la religion, le lui avait inspiré dès l’enfance, lui donnant pour maxime que tout ce qui est l’objet de la foi ne saurait m’être de la raison, et beaucoup moins y être soumis ».

L’indépendance de ces deux domaines tient à la différence de leur objet respectif. Voir Introduction critique à l’Ancien Testament, I, p. 63. Comme le dit Baronius, « l’Écriture nous apprend comment on va au ciel, et non comment va le ciel ».

L’idée est amplement expliquée dans la Provinciale XVIII, 29. « D’où apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce sera des yeux, mon Père, qui en sont les légitimes juges, comme la raison l’est des choses naturelles et intelligibles, et la foi des choses surnaturelles et révélées. Car, puisque vous m’y obligez, mon Père, je vous dirai que, selon les sentiments de deux des plus grands Docteurs de l’Église, saint Augustin et saint Thomas, ces trois principes de nos connaissances, les sens, la raison et la foi, ont chacun leurs objets séparés, et leur certitude dans cette étendue. Et, comme Dieu a voulu se servir de l’entremise des sens pour donner entrée à la foi, fides ex auditu, tant s’en faut que la foi détruise la certitude des sens, que ce serait au contraire détruire la foi que de vouloir révoquer en doute le rapport fidèle des sens. C’est pourquoi saint Thomas remarque expressément que Dieu a voulu que les accidents sensibles subsistassent dans l’Eucharistie, afin que les sens, qui ne jugent que de ces accidents, ne fussent pas trompés : Ut sensus a deceptione reddantur immunes. »

Chacun de ces domaines est soumis à un mode de connaissance propre : voir Provinciale XVIII, § 30 : « Concluons donc de là que, quelque proposition qu’on nous présente à examiner, il en faut d’abord reconnaître la nature, pour voir auquel de ces trois principes nous devons nous en rapporter. S’il s’agit d’une chose surnaturelle, nous n’en jugerons ni par les sens, ni par la raison, mais par l’Écriture et par les décisions de l’Église. S’il s’agit d’une proposition non révélée et proportionnée à la raison naturelle, elle en sera le premier juge. Et s’il s’agit enfin d’un point de fait, nous en croirons les sens, auxquels il appartient naturellement d’en connaître. »

Ces idées ont été amplement développées dans la Préface au traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 777 sq.

 

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas,

 

Pascal cite implicitement Saint Paul, Ep. Hébreux, XI, 1 : « Est autem fides sperandorum substantia, rerum argumentum non apparentium ». Traduction de la Bible de Port-Royal :  « Or la foi est le fondement des choses que l’on doit espérer, et une pleine conviction de ce qu’on ne voit point ».

Saint Augustin, De fide rerum quae non videntur, La foi aux choses qu’on ne voit pas, Bibliothèque augustinienne, t. VIII, 1951, p. 305 sq. Saint Augustin répond à l’objection selon laquelle la religion, « au lieu de présenter un objet qui se voie, [...] prescrit de croire à des choses qu’on ne voit pas » : p. 311. Mais il ne semble pas que Pascal s’en soit servi dans le cas présent.

Pascal a sans doute en tête des exemples précis. Il en propose un dans Soumission 15 (Laf. 181, Sel. 212), qui fait allusion à l’ impiété de ne pas croire l’Eucharistie sur ce qu’on ne la voit pas. La transsubstantiation dans l’Eucharistie, demeure invisible aux sens sous les espèces du pain et du vin. Mais il est de foi que l’hostie devient le corps du Christ. Et comme l’indique la Provinciale XVI, § 6, « l’hérésie de Genève consiste essentiellement [...] à croire que Jésus-Christ n’est point enfermé dans ce Sacrement ». Voir sur ce sujet Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 335 sq.

 

mais non pas le contraire de ce qu’ils voient.

 

Pascal ajoute une idée à la maxime qu’il a reçue de son père sur l’indépendance des ordres de la science et de la foi : la foi ne contredit jamais directement ce que révèlent les sens. La proposition peut être généralisée à la raison, et à la science  en général : la foi ne contredit pas plus les conséquences que la raison tire de ce que les sens lui révèlent, que les données certaines que les sens apportent.

L’idée est déjà formulée par saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, Q. 1. La théologie, p. 119 sq. Il ne peut y avoir de contradiction entre les conclusions légitimes de la foi et de la raison.

La base de cette règle est que deux vérités ne peuvent pas se contrarier. Du fait que l’auteur de l’Écriture est Dieu, ou un prophète inspiré par Dieu, qui ne peut se tromper ni tromper l’homme, il est certain que l’Écriture ne peut contenir rien de faux, même du point de vue de la science.

Mayaud Pierre-Noël, Le conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles, t. VI, p. 24 sq. Saint Augustin, dans le De Genesi ad litteram, exclut toute possibilité que l’Écriture contienne une véritable erreur : p. 24-25.

Ce principe est énoncé par Saint Thomas, Somme théologique, Ia, q. 68. a. 1. Rép. La première règle que Saint Augustin enseigne sur ces questions, c’est qu’il faut « tenir indéfectiblement que l’Écriture sainte est vraie »

Mayaud Pierre-Noël, Ibid., p. 367. Textes faisant allusion au concile de Latran V, Session VIII de 1513, qui contient la proposition que le vrai dans l’Écriture ne peut contredire le vrai dans l’ordre philosophique.

Lo Chiatto Franco et Marconi Sergio, Galilée entre le pouvoir et le savoir, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988, p. 67, Lettre de Galilée à Castelli du 21 décembre 1613.« Les saintes Écritures ne peuvent jamais ni mentir, ni se tromper, [...] leurs décrets sont d’une absolue et inviolable vérité. »

Ce principe exclut naturellement la doctrine selon laquelle il existerait deux vérités indépendantes l’une de l’autre, pour la théologie d’une part, pour la science et la philosophie d’autre part. Voir sur ce sujet Mesnard Jean, “Pascal et la doctrine de la double vérité”, in Averroes (1126-1198) oder der Triumph des Rationalismus, Heidelberg, C. Winter, 2002, p. 336 sq.

Mais il faut aussi tenir fermement l’idée que le rapport des sens donne à l’homme une certitude à laquelle non seulement il peut, mais surtout il doit accorder confiance : voir Laf. 701, Sel. 579 les appréhensions des sens sont toujours vraies, et le commentaire de Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 53.

Kepler avait d’ailleurs souligné que lorsque les théologiens s’écartent de ce que les sens leur révèlent solidement, ils ne manquent pas d’adopter des opinions très diverses, et incompatibles entre elles. Voir Mayaud Pierre-Noël, Le conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l’histoire des idées. Autour de l’affaire Galilée, t. III, p. 944-945. Voir t. IV-V, p. 444, notes 3 et 4. Discussion de Kepler sur les passages qui font appel à l’expérience des hommes concernant les choses naturelles et allèguent ce que l’on voit ; ils sont clairs et n’ont besoin d’aucune interprétation et chaque fois qu’on s’écarte du jugement des yeux pour les expliquer, naît aussitôt une grande diversité parmi les interprètes : p. 262. Lorsqu’on peut le faire, dit-on, que l’on suive le sens littéral : bonne règle, mais quel juge est établi qui puisse le faire ?, p. 262. C’est l’expérience commune des hommes. « Donc qu’on écoute l’expérience plus particulière des astronomes, et du moment qu’ils ont dit que ne peut être fait dans de bonnes conditions que ce qui est dit selon le sens de la vue soit vrai et soit selon la lettre en astronomie, l’interprète de l’écriture doit alors cesser de se soucier du sens astronomique, se contentant de ce sens qui a été défini à partir des yeux et de la vue... » : p. 262. Voir commentaire in t. IV-V, p. 194.

Le problème posé par l’accord de la foi et de la raison n’est pas une nouveauté. Voir Rapp Francis, L’Église et la vie religieuse en occident à la fin du Moyen-Âge, p. 106 sq. La théologie spéculative est entrée en crise à la fin du Moyen-Âge : au XIIIe siècle, un grand effort est réalisé pour rattacher les vérités révélées à celles qu’a élaborées la raison après la découverte d’Aristote et des penseurs grecs, arabes et juifs, et les combiner avec les progrès acquis dans l’art du raisonnement depuis la fin du XIe siècle. Au commencement, les œuvres d’Aristote ne fournissent que des éléments confirmatifs ; mais elles deviennent bientôt une part plus grande de la spéculation. Thomas d’Aquin donne à la philosophie d’Aristote une place fondamentale, en la présentant comme un ensemble de données purement rationnelles que couronnait la Révélation : p. 107-108. Thomas fait pourtant figure d’isolé en son temps. Il rencontre la résistance des averroïstes et celle des augustiniens : p. 108.

Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, I, chap. 7, éd. Michon, Garnier-Flammarion, p. 154 sq. : la vérité de la raison n’est pas contraire à la vérité de la foi chrétienne. « Si la vérité de la foi chrétienne dépasse la capacité de la raison humaine, ce que la raison possède naturellement de manière innée ne peut cependant pas être contraire à cette vérité » : p. 154. Ce qui est naturellement inscrit dans la raison est absolument vrai ; ce qui est tenu par la foi aussi ; or seul le faux est contraire au vrai ; il est impossible que la vérité de la foi soit contraire aux principes que la raison reconnaît naturellement.

Ce que la vérité découvre, dit saint Augustin, ne peut aller contre les livres saints, soit de l’Ancien, soit du Nouveau Testament. Voir saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, 48, p. 578. Augustin esquisse les traits d’une théorie des rapports de la science et de la foi. Une opposition entre deux certitudes est inconcevable. La vraie philosophie ne peut pas entrer en conflit avec l’interprétation vraie des Écritures. Dans le cas de thèses scientifiques établies par des arguments certains, la tâche de l’exégète est de montrer qu’elles ne contredisent en rien l’Écriture ; dans le cas opposé d’une affirmation claire de la foi, il lui faut montrer, si c’est possible, la fausseté des opinions scientifiques contraires, ou du moins laisser voir que ces opinions scientifiques sont erronées. Saint Thomas ajoutera cette précision que la tâche du théologien, face à des énoncés philosophiques contraires à la foi, est de montrer soit leur fausseté, soit l’incertitude des arguments qui les fondent. Voir Somme contre les gentils, I, 7. Si un énoncé, par ailleurs non contraire à la foi, est contredit par un raisonnement certain, il faut y voir l’effet de l’ignorance humaine et non l’expression authentique de l’Écriture : voir De doctrina christiana, II, XVIII, 28-XL, 61.

Il en résulte que la foi d’une part, et la raison et les sens d’autre part, sont toujours en harmonie et ne peuvent jamais se contredire : voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 77 sq.

C’est une idée admise dans le milieu de Port-Royal que la foi, même divine, ne peut être contraire à la raison ; elle est soumise à la règle d’évidence comme la raison. Sur la position d’Antoine Arnauld, voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 412 sq., sur la foi et la raison. La foi, même divine, ne doit pas être contraire à la raison. Sur celle de Pierre Nicole, voir Guion Béatrice, Pierre Nicole moraliste, p. 200 sq.

Voir les Réflexions d’un docteur de Sorbonne d’Antoine Arnauld (27 avril 1657), Œuvres, XXI, p. 22 : « Il est certain en second lieu que la foi divine doit avoir plus de force sur notre esprit, que notre propre raison : et cela par la raison même, qui nous fait voir qu’il faut toujours préférer ce qui est plus certain à ce qui l’est moins ; et qu’il est plus certain que ce que Dieu dit est véritable, que ce que notre raison nous persuade ; parce que Dieu est plus incapable de nous tromper, que notre raison d’être trompée. Néanmoins, à considérer les choses exactement, jamais ce que nous voyons évidemment, ou par la raison, ou par le fidèle rapport des sens, n’est opposé à ce que la foi divine nous enseigne ; mais ce qui fait quelquefois que nous le croyons, c’est que nous ne prenons pas garde à quoi se doit terminer l’évidence de notre raison ou de nos sens. Par exemple, nos sens nous montrent clairement dans l’Eucharistie, de la rondeur, de la blancheur et autres semblables accidents ; ce qui n’est pas contraire à la foi : notre raison de même, nous fait voir qu’un seul corps ne peut pas être en divers lieux ; mais cela ne se doit entendre que de la condition naturelle du corps, parce que ce serait un défaut de raison, de s’imaginer que notre esprit étant fini, il pût comprendre jusques où peut aller la puissance de Dieu, qui est infinie ; puisqu’au contraire notre raison même nous fait voir plus clairement que toute autre choses, qu’il est de la nature de l’infini de ne pouvoir être compris par ce qui est fini. Ainsi, il ne se peut jamais arriver que nous ayons aucun sujet raisonnable de ne pas soumettre nos sentiments à la révélation divine qui est le fondement de notre foi. Toute la difficulté ne pourrait être que de s’assurer de cette révélation ; mais c’est à quoi Dieu a suffisamment pourvu par l’établissement de son Église, à qui il a promis l’assistance de son Esprit saint, pour être la fidèle dépositaire de toutes les vérités qu’il a révélées à ses apôtres, afin que tous les hommes en pussent être instruits par son entremise ».

Il en résulte que savants et croyants se doivent une sorte de respect mutuel.

Mayaud Pierre-Noël, Le conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l’histoire des idées. Autour de l’affaire Galilée, t. III, p. 263. Kepler : « la réponse aux arguments théologiques, ou bien il ne fallait pas permettre aux chrétiens d’être astronomes... ou bien une fois donnée la liberté de rechercher la vérité des choses célestes, la théologie ne se réservera aucun droit de limiter dans des bornes étroites la recherche de la vérité ou d’imposer des lois issues de la théologie à la science astronomique qui est d’un genre totalement différent ; ce serait donner une chose de la main droite et la reprendre de la main gauche [...]. Cependant tout astronome qui aime le Christ aura soin de ceci : de manière que lui-même veut se servir librement de ses raisonnements en matière astronomique sans obstacle de la part de la part des théologiens, de même qu’il se contrôle pour ne pas empiéter sur les droits de la théologie et sur ce qui est matière de foi et de mœurs et pour ne pas glisser dans l’hérésie en s’avançant par ses raisons au delà des bornes de son sujet » : p. 263-264.

Autrement dit, même lorsque l’Écriture s’exprime en termes apparemment contraires à la vérité, elle ne la contredit pas réellement, mais seulement en apparence.

Voir Mayaud Pierre-Noël, Ibid., p. 291 sq. L’opinion de saint Augustin est que, quand on oppose à une proposition démontrée par la science l’autorité de l’Écriture, comme l’Écriture est vraie, c’est son sentiment particulier que l’on oppose à la science, et non le vrai sentiment de l’Écriture.

Ce principe a été invoqué pour sa défense par Galilée, dans sa lettre à Benedetto Castelli du 21 décembre 1613 ; voir Lo Chiatto Franco et Marconi Sergio, Galilée entre le pouvoir et le savoir, p. 165.

Il implique que, lorsque l’Écriture semble contredire directement les données des sens et du raisonnement, on doit en interpréter le texte pour les accorder. Voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 391 sq. : Les questions de physique et de science naturelle n’étant pas de foi, lorsque l’Écriture en parle, elle se conforme aux manières ordinaires de parler, sans dessein de fournir des lumières nouvelles.

Saint Thomas rappelle dans la Somme théologique, Ia, q. 68. a. 1. Rép., que « Saint Augustin enseigne qu’il y a deux règles à observer dans ces questions : 1. Tenir indéfectiblement que l’Écriture sainte est vraie. 2. Quand l’Écriture peut être expliquée de plusieurs manières, personne ne doit donner à l’une des interprétations une adhésion tellement absolue, que, dans le cas où il serait établi par raison certaine que cela est faux, on ait la présomption d’affirmer que tel est le sens de l’Écriture : de peur que la sainte Écriture n’en vienne à être tournée en ridicule par les infidèles, et qu’ainsi le chemin de la foi ne leur soit fermé. »

La XVIIIe Provinciale explique ce point à propos des cas où le texte de la Bible semble contredire les données de la science :

§ 31. « Cette règle est si générale que, selon saint Augustin et saint Thomas, quand l’Écriture même nous présente quelque passage, dont le premier sens littéral se trouve contraire à ce que les sens ou la raison reconnaissent avec certitude, il ne faut pas entreprendre de les désavouer en cette rencontre pour les soumettre à l’autorité de ce sens apparent de l’Écriture ; mais il faut interpréter l’Écriture, et y chercher un autre sens qui s’accorde avec cette vérité sensible ; parce que la parole de Dieu étant infaillible dans les faits mêmes, et le rapport des sens et de la raison agissant dans leur étendue étant certain aussi, il faut que ces deux vérités s’accordent ; et comme l’Écriture se peut interpréter en différentes manières, au lieu que le rapport des sens est unique, on doit, en ces matières, prendre pour la véritable interprétation de l’Écriture celle qui convient au rapport fidèle des sens. Il faut, dit saint Thomas, I p., q. 68, a. I, observer deux choses, selon saint Augustin : l’une, que l’Écriture a toujours un sens véritable ; l’autre que, comme elle peut recevoir plusieurs sens, quand on en trouve un que la raison convainc certainement de fausseté, il ne faut pas s’obstiner à dire que c’en soit le sens naturel, mais en chercher un autre qui s’y accorde.

32. C’est ce qu’il explique par l’exemple du passage de la Genèse, où il est écrit que Dieu créa deux grands luminaires, le soleil et la lune, et aussi les étoiles ; par où l’Écriture semble dire que la lune est plus grande que toutes les étoiles : mais parce qu’il est constant, par des démonstrations indubitables, que cela est faux, on ne doit pas, dit ce saint, s’opiniâtrer à défendre ce sens littéral, mais il faut en chercher un autre conforme à cette vérité de fait ; comme en disant : Que le mot de grand luminaire ne marque que la grandeur de la lumière de la lune à notre égard, et non pas la grandeur de son corps en lui-même.

33. Que si on voulait en user autrement, ce ne serait pas rendre l’Écriture vénérable, mais ce serait au contraire l’exposer au mépris des infidèles ; parce, comme dit saint Augustin, que, quand ils auraient connu que nous croyons dans l’Écriture des choses qu’ils savent certainement a être fausses, ils se riraient de notre crédulité dans les autres choses qui sont plus cachées, comme la résurrection des morts et la vie éternelle. Et ainsi, ajoute saint Thomas, ce serait leur rendre notre religion méprisable, et même leur enfermer l’entrée. »

Les idées de Galilée sur ce problème ont été amplement expliquées dans sa lettre à Christine de Lorraine. Voir Russo François, “Lettre de Galilée à Christine de Lorraine Grande-Duchesse de Toscane (1615)”, Revue d'histoire des sciences, t. XVII, n° 4, oct.-déc. 1964, p. 331-367.

Pascal appuie son argumentation sur des événements récents, qui ont rendu le problème aigu, notamment l’affaire Galilée, dans la Provinciale XVIII, § 36.

« Ce fut aussi en vain que vous obtîntes contre Galilée ce décret de Rome, qui condamnait son opinion touchant le mouvement de la Terre. Ce ne sera pas cela qui prouvera qu’elle demeure en repos ; et si l’on avait des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheraient pas de tourner, et ne s’empêcheraient pas de tourner aussi avec elle. Ne vous imaginez pas de même que les lettres du pape Zacharie pour l’excommunication de saint Virgile, sur ce qu’il tenait qu’il y avait des antipodes, aient anéanti ce nouveau monde ; et qu’encore qu’il eût déclaré que cette opinion était une erreur bien dangereuse, le roi d’Espagne ne se soit pas bien trouvé d’en avoir plutôt cru Christophe Colomb qui en venait, que le jugement de ce Pape qui n’y avait pas été ; et que l’Église n’en ait pas reçu un grand avantage, puisque cela a procuré la connaissance de l’évangile à tant de peuples qui fussent péris dans leur infidélité. »

Mersenne parle de la même manière sur l’interprétation de l’Écriture : voir Campanella Tommaso, Apologia pro Galileo, Apologie de Galilée, éd. M.-P. Lerner, p. CXLIX. Les passages déniant le mouvement de la terre et l’attribuant au ciel et aux astres n’ont pas été jusque-là interprétés par l’Église dans un sens tel que le chrétien doive s’en tenir à la seule acception littérale.

Introduction critique à l’Ancien Testament, I, p. 63. Saint Thomas, Ia Q. 70, art. 1, sol. 3 : Moïse « a parlé d’après les apparences sensibles », et selon « l’estimation du public, comme c’est la coutume dans l’Écriture ». Les auteurs se servent des locutions et images de leur temps sans se préoccuper d’en corriger les inexactitudes scientifiques. La Bible ne fait pas de science, la science ne fait pas de théologie. Là où les deux domaines se recoupent (miracles bibliques, unité de l’espèce humaine), il n’y a pas d’opposition à craindre, pourvu que la Bible soit comprise selon son langage propre et que la science ne force pas le sens de ses constatations positives en construisant des systèmes commandés par des postulats philosophiques hostiles à la Révélation. Lorsque les écrivains bibliques parlent de la voûte des cieux, etc., c’est une manière de s’exprimer pour parler d’autre chose que de la constitution du globe.

C’est toute la doctrine des figures qui est ainsi enfermée en germe dans le fragment Soumission 20.

 

Elle est au-dessus et non pas contre.

 

Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, I, chap. 6, éd. Michon, Garnier-Flammarion, p. 151 sq. Donner son assentiment à ce qui relève de la foi n’est pas faire preuve de légèreté, bien que cela soit au-dessus de la raison.

Pascal dit ici de la foi ce que saint Thomas d’Aquin écrit de la théologie.

Pascal rappelle l’éminence de la théologie dans la Préface au traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 778-779 : « C'est l’autorité seule qui nous en peut éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c’est dans la théologie, parce qu’elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que pour donner la certitude entière des matières les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacrés, comme, pour montrer l’incertitude des choses les plus vraisemblables, il faut seulement faire voir qu’elles n’y sont pas comprises ; parce que ses principes sont au-dessus de la nature et de la raison, et que, l’esprit de l’homme étant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir à ces hautes intelligences s’il n’y est porté par une force toute-puissante et surnaturelle. »

Mais étant au-dessus des sens et de la raison, la foi n’empiète pas sur leur domaine, et s’impose ainsi sans tyrannie.

Julien-Eymard d’Angers, Pascal et ses précurseurs, p. 84. Un thème commun au jésuite Caussin et à Pascal : la foi est au-dessus de la raison et non contre.