Verso du fragment Transition n° 2 / 8 – Papier original : RO 49-3 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Transition n° 246 p. 89-89 v° / C2 : p. 115-116

Éditions savantes : Faugère I, 235-236, CLXXXVII à CLXXXIX / Brunschvicg 37, 86 et 163 bis / Tourneur p. 234-2 / Le Guern 183 / Lafuma 195, 196 et 197 / Sellier 228

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(Voir le texte situé au recto)

 

Bibliographie

 

 

CROQUETTE Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974, p. 38.

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995, p. 141 sq.

JUNGO Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd., p. 77.

MESNARD Jean, “Pascal et la musique”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963 ; repris in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 324.

MESNARD Jean, “Universalité de Pascal”, Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 335-356.

LAFUMA Louis, “Les trois fragments de Pascal sur Cléopâtre”, XVIIe siècle, 1962, 54-55, p. 54-57.

MESNARD Jean, “Sur le nez de Cléopâtre”, in La Culture au XVIIe siècle, P.U.F., Paris, 1992, p. 387-392.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 53.

THIROUIN Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, in DESCOTES Dominique, McKENNA Antony et THIROUIN Laurent (dir.), Le rayonnement de Port-Royal, Paris, Champion, 2001, p. 356 sq.

 

Voir le dossier thématique Honnête homme.

Voir la bibliographie de Vanité 32 (Laf. 46, Sel. 79) sur Cléopâtre.

 

 

Éclaircissements

 

Peu de tout (texte barré)

 

Montaigne, Essais, I, 25 (26), éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 150. « Un peu de chaque chose, et rien du tout, à la française ».

 

Puisqu’on ne peut être universel en sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout, car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose. Cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux encore mieux, mais s’il faut choisir il faut choisir celle‑là.

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 113. Pascal rappelle que l’ambition d’un savoir total est vaine.

Thirouin Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, p. 357. Écho possible avec les réflexions de Disproportion de l’homme sur le fait qu’il est impossible de connaître les parties sans connaître le tout. Le fragment Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) montre que comme la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes de sa double infinité, de sorte que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier. La vanité des philosophes qui, comme Démocrite, prétendent « parler de tout », est aussi dérisoire que celle de Descartes lorsqu’il traite Des principes des choses, Des principes de la philosophie, voire De omni scibili. On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence, et l’étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder, mais il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. Ce thème de l’impossibilité pour l’homme d’acquérir une science totale permet de rattacher le fragment Transition 2 v° à la liasse Transition, quoique Pascal l’ait barré sur le manuscrit.

Cependant l’homme peut accéder à une sorte d’universalité en sachant un peu de tout, ce qui permet de s’adapter à toutes sortes d’auditeurs. Voir sur ce point le dossier thématique sur l’Honnête homme.

Cette conception reflète chez Pascal l’idée que l’universalité, loin d’être porteuse d’insignifiance, est au contraire ce qui permet d’instaurer une véritable communauté entre les hommes.

Mesnard Jean, “Universalité de Pascal”, Méthodes chez Pascal, p. 335-356.

 

Et le monde le sent et le fait, car le monde est un bon juge souvent.

 

Pascal reprend ici un thème qu’il a déjà utilisé dans la liasse Raisons des effets, condensée dans la formule opinions du peuple saines.

Raisons des effets 3 (Laf. 83, Sel. 117). Le monde juge bien des choses, car il est dans l’ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l’homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis. Mais c’est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d’entre-deux, qui sont sortis de l’ignorance naturelle et n’ont pu arriver à l’autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde, ceux-là le méprisent et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien.

 

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Ma fantaisie me fait haïr un coasseur et un qui souffle en mangeant

 

Furetière donne coacer, qui se dit du cri des grenouilles.

Coasseur : voir Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd., p. 77. Mot copié sur une des copies, biffé sur l’autre. Pascal a condensé dans ce mot la description que fait Montaigne du « bruit des mâchoires à un repas ; celui que fait quelqu’un qui a le passage du gosier ou du nez empêché ». B. Croquette, Pascal et Montaigne, p. 38, renvoie aussi à Montaigne, Essais, II, XII, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 632 : « J’en ai vu, qui ne pouvaient ouïr ronger un os sous leur table sans perdre patience : et n’est guère homme, qui ne se trouble à ce bruit aigre et poignant, que font les limes en raclant le fer : comme à ouïr mâcher près de nous, ou ouïr parler quelqu’un, qui ait le passage du gosier ou du nez empêché, plusieurs s’en émeuvent, jusques à la colère et la haine. »

Mais le mot coasseur n’est pas dans Montaigne. Il ne paraît se trouver chez aucun auteur en dehors de cette pensée de Pascal. Le Dictionnaire de l’Académie semble indiquer que le mot coasser n’est pas souvent utilisé : mot fait pour exprimer le cri que font les grenouilles. Quelques auteurs s’en sont servis. Les grenouilles coassent. Le Dictionnaire ne donne pas coasseur ; non plus que Richelet. On cherche vainement ailleurs que dans ce fragment des Pensées.

Le milieu savant que fréquente Pascal s’est intéressé aux anomalies de la voix humaine, comme on le constate chez Mersenne, par exemple dans l’Harmonie universelle, Livre premier, De la voix, Proposition XLIV, Expliquer pourquoi quelques-uns parlent du nez, s’il y a moyen d’y remédier, et quels sons l’on peut faire avec le nez, p. 59 sq. Mersenne s’interroge notamment sur les causes des voix rauques. Mais cette référence ne fournit aucune source pour le mot coasseur.

J. Mesnard, “Pascal et la musique”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 203, qualifie de « curieuse et énigmatique », la mention du terme coasseur.

 

La fantaisie a grand poids. Que profiterons‑nous de là ? que nous suivrons ce poids à cause qu’il est naturel, non mais que nous y résisterons.

 

Exemple d’une faculté naturelle, mais à laquelle il faut résister pour éviter les illusions dénoncées dans le fragment Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78), Imagination.

Sur la fantaisie, voir Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995, p. 141 sq. Physique de la fantaisie.

La fantaisie a grand poids parce qu’elle passe souvent pour le sentiment, et que l’on prend les illusions de la fantaisie pour les certitudes du sentiment.

Laf. 530, Sel. 455. La fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre mais elle est ployable à tous sens. Et ainsi il n’y en a point.

Pascal a envisagé cette maxime dans le cas particulier de la religion chrétienne dans le fragment Laf. 817, Sel. 659. On a beau dire : il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant. C’est parce que vous y êtes né dira-t-on. Tant s’en faut je me roidis contre par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne, mais quoique j’y sois né je ne laisse pas de le trouver ainsi.

L’utilisation du lexique de la statique à propos de la fantaisie, avec les termes de poids, de résister, l’expression suivre un poids, rappelle que Pascal pense en physicien, mais c’est peut-être aussi une réminiscence de la formule de saint Augustin pondus meum amor meus (Confessions, XIII, 9, Bibliothèque augustinienne, 14, p. 440-441).

 

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Rien ne montre mieux la vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l’amour, car tout l’univers en est changé. Le nez de Cléopâtre.

 

Sur Cléopâtre, voir notre commentaire dans Vanité 32 (Laf. 46, Sel. 79). Vanité. La cause et les effets de l’amour. Cléopâtre.