Fragment Transition n° 4 / 8  – Papier original : RO 347 r/v°, 351 r/v°, 355 r/v°, 359 r/v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Transition n° 248 à 257 p. 91 à 99 v° / C2 : p. 117 à 129

Éditions de Port-Royal :

    Chap. XXII - Connoissance générale de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 171-178 / 1678 p. 168-174 (chap. complet)

    Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janv. 1670 p. 331-335 / 1678 n° 27 p. 326-330

Éditions savantes : Faugère II, 63, I ; II, 68, II ; II, 75, II / Havet I.1 / Brunschvicg 72 / Tourneur p. 236-1 / Le Guern 185 / Maeda I p. 219 / Lafuma 199 / Sellier 230

______________________________________________________________________________________

 

 

Éclaircissements

 

 

 

Sommaire

 

Bibliographie

Analyse du texte de RO 347 : Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté...

Analyse du texte de RO 347 v° : Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qui est...

Analyse du texte de RO 351 : qu’il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse, que les autres par leur étendue...

Analyse du texte de RO 351 v° : Manque d’avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature...

Analyse du texte de RO 355 : Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible...

Analyse du texte de RO 355 v° : Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle, et nous quitte...

Analyse du texte de RO 359 : La flamme ne subsiste point sans l’air...

Analyse du texte de RO 359 v° : De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses...

 

 

Manque d’avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle.

C’est une chose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses et de là arriver jusqu’à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. 1993, p. 237, remarque qu’un des objets de Disproportion de l’homme est de lutter contre la curiosité, la libido sciendi (voir le dossier Concupiscence), qui pousse témérairement les hommes à chercher à percer les secrets d’une Nature qu’ils ne devraient que contempler en silence. Pascal invite le lecteur à revenir sur soi sans présomption ni désespoir. Disproportion de l’homme fait contrepoint à l’attitude des hommes décrite dans la liasse Divertissement.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 180. Ceux qui ont voulu connaître tout : les présocratiques. Platon a ramené la philosophie à l’homme ; voir saint Augustin, La cité de Dieu, VIII, 3. Voir p. 191 : Pythagore, Anaximandre et sa théorie de l’infini ; Anaximène Pythagore. Saint Augustin les appelle physiciens parce qu’ils sont plongés dans l’étude de l’univers physique.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 159 sq. La présomption est un concept anti-stoïcien, tiré de Montaigne, à qui Pascal l’emprunte pour ruiner la prétention de la seconde nature à revendiquer sa grandeur et sa perfection. Présomption : conclure qu’on peut toujours ce qu’on peut quelquefois. Voir A P. R.

 

Quand on est instruit, on comprend que, la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité.

 

Nicolas de Cues, De la docte ignorance, éd. Moulinier, Paris, La Maisnie, 1930, p. 117. Comment l’univers maximum restreint n’est qu’une reproduction de l’absolu. Le monde porte la marque de son Créateur, la créature est image de son Auteur : voir Rivaud Albert, Histoire de la philosophie, II, De la scolastique à l’époque classique, p. 277. Selon Nicolas de Cues, les objets de notre connaissance sont toujours finis, mais ils ont le privilège de nous donner une vue indirecte de l’infini. L’essence du maximum est faite de toutes les formes et figures élevées à l’infinité ; voir l’image du cercle infini qui est devenu une droite : p. 278. Une partie des caractères de Dieu se retrouve dans la créature : p. 279.

Gardies Jean-Louis, Pascal entre Eudoxe et Cantor, p. 66. Pourquoi presque ? Pascal pense peut-être aux grandeurs non archimédiennes, ou aux ensembles non denses comme celui des entiers naturels.

 

C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d’infinités de propositions à exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux‑mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui, en ayant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de dernier ?

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. 1993, p. 102. Le propre du savoir scientifique est de ne jamais parvenir à son terme : au départ, les principes, par exemples les expériences de la physique, « multiplient continuellement » (voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 781) ; il en va de même en mathématiques, où la recherche de principes de plus en plus fondamentaux oriente une part des travaux des mathématiciens. On en trouve un exemple dans l’Usage du triangle arithmétique pour déterminer les partis qu’on doit faire entre deux joueurs qui jouent  plusieurs parties, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1308, où Pascal établit les principes qui commandent toute la Géométrie du hasard. Pascal connaît aussi les ambitions de Roberval, qui convaincu qu’en mathématiques, il faut, autant qu’on le peut, tout démontrer, a composé des Éléments de géométrie qui cherchent à réduire au minimum les définitions et les axiomes admis sans démontration.

Du côté des conséquences, on observe une autre forme d’infinité, dans la multitude des propositions que les savants établissent dans les sciences soumises à la raison et à l’expérience, voir la Préface au traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 779 : dans les « sujets qui tombent sous le sens ou sous le raisonnement », l’esprit « trouve une liberté tout entière de s’y étendre : sa fécondité inépuisable produit continuellement, et ses inventions peuvent être tout ensemble sans fin et sans interruption...

C’est ainsi que la géométrie, l’arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l’architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l’expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites. Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés ; et nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues. Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu’encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux, séparés des nôtres, tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d’effet que chacun en particulier. [...]

Les secrets de la nature sont cachés ; quoiqu’elle agisse toujours, on ne découvre pas toujours ses effets : le temps les révèle d’âge en âge, et quoique toujours égale en elle-même, elle n’est pas toujours également connue. Les expériences qui nous en donnent l’intelligence multiplient continuellement ; et, comme elles sont les seuls principes de la physique, les conséquences multiplient à proportion. »

Pavlovits Tamás, Le rationalisme de Pascal, p. 104 sq. Analyse de ce passage sur l’infinité des principes.

 

Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible celui au‑delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.

 

Sur l’indivisibilité du point, voir L’esprit géométrique. En principe, selon la définition d’Euclide, le point n’a pas de parties ; il n’est donc absolument pas divisible. Mais cela s’entend au sens géométrique. Or dans le langage savant de l’époque, l’expression de point indivisible ne s’entend pas exactement de la même manière lorsqu’on parle de la réalité physique concrète. Elle a, dans ce cas, un sens technique : voir Hérigone, Cursus, I, Euclide, Elementa, I, Déf. I, page non numérotée, qui explique la distinction entre point physique et point géométrique. Le point géométrique, défini comme le moindre objet de l’intellect, n’est absolument pas divisible. Le point physique est le moindre objet de la vue, comme la pointe d’une aiguille très pointue ; il est donc indivisible quant à nos capacités de perception limitées, mais il est en lui-même toujours divisible.

Henrion Denis, Eléments d’Euclide, I, Paris, Dedin, 1632, p. 1. « Les Physiciens disent que le point est le moindre objet de la vue, et icelui peut être décrit avec encre ou autre chose. Mais les mathématiciens rejetant cette définition, disent que le point est un objet de l’intellect si subtil qu’il ne peut être divisé en aucunes parties : et icelui ne se peut écrire, mais seulement entendre et imaginer : bien est vrai que pour le représenter à nos sens extérieurs nous nous servons du point physique. Le point n’a donc aucunes des dimensions géométriques, c’est-à-dire qu’il n’a ni longueur, largeur, ni épaisseur, mais bien est-il le principe d’icelles. »

Cette distinction remonte à l’Antiquité. Voir Aristote, Métaphysique : après avoir affirmé que l’unité est une et indivisible, Aristote dit, parlant du continu, « lorsqu’il s’agit de la quantité cet indivisible ne l’est que par rapport à la sensation ». Cela laisse la possibilité de poursuivre la division, en droit, au-delà du minimum perceptible.

Voir dans Long et Sedley, Les philosophes hellénistiques, II, Les stoïciens, p. 306, ce qu’écrit Proclus contre les Stoïciens, qui pensent que les limites des corps n’existent que dans la pensée. Le point fait partie du monde physique selon Proclus.

La distinction subsiste au Moyen Âge. Voir Duhem Pierre, Le Système du monde, VII, p. 34 sq. Selon Buridan, considéré dans les choses physiques, le point est divisible ; en quel sens on peut le dire indivisible : p. 35.

À l’époque classique, la distinction fait l’objet d’un débat sur la nature du point. Voir Blay Michel, Les raisons de l’infini, Paris, Gallimard, 1993, p. 135 sq. Selon Hobbes, dans le De Corpore, le point garde une extension, non comme un indivisible qui a une quantité nulle, mais comme un indivisé, ce dont on ne considère pas la quantité. Un point est chose divisible, mais pas une chose dont les parties doivent être prises en compte dans une démonstration.

Leibniz va beaucoup plus loin dans cette direction : voir Gueroult Martial, Leibniz et la dynamique, p. 9. Les points, inextensa, ne sont pas sans parties ; ce ne sont pas des minima ; ils ont des parties indistantes, c’est-à-dire inassignables dans leur distance. Cela conduit Leibniz à définir des points plus grands que d’autres : p. 10.

 

De ces deux infinis des sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre à traiter toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.

 

Montaigne, Essais, II, 12, Apologie de Raymond Sebond, éd. Balsamo et alii, p. 515 : « Impudence est cette promesse du livre de Democritus : Je m’en vais parler de toutes choses ». D’après Cicéron, Premiers académiques, II, 23 : « Quid loquar de Democrito ? Quem cum eo conferre possumus non magno ingenii magitudine, sed etiam animi ? qui ita sit ausus ordiri, Haec loquor de universis. Nihil excipit, de quo non profitatur. Quid enim esse potest extra universa ? ». Référence in Havet, éd. des Pensées, I, p. 4.

 

mais outre que c’est peu d’en parler simplement, sans prouver et connaître, il est néanmoins impossible de le faire, la multitude infinie des choses nous étant si cachée que tout ce que nous pouvons exprimer par paroles ou par pensées n’en est qu’un trait invisible. (texte barré verticalement)

On voit d’une première vue que l’arithmétique seule fournit des propriétés sans nombre, et chaque science de même. (texte barré verticalement)

 

Voir plus haut la référence à la Préface au traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 779.