Preuves par discours III - Fragment n° 7 / 10  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 44 p. 227 / C2 : p. 439 v°

Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XIV - Jésus-Christ : 1678 n° 8 p. 112

Éditions savantes : Faugère II, 368, XXV  / Havet XVIII.8 / Brunschvicg 769 / Le Guern 417 / Lafuma 447 (série V) / Sellier 690

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Bibliographie

 

 

CAZELLES Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010.

SIMON M. et BENOIT A., Le Judaïsme et le Christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, P. U. F., 1968.

 

 

Éclaircissements

 

Le fragment oppose l’impuissance des païens et des Juifs à répandre la croyance en un Dieu unique et la morale qui lui est liée à la  puissance de la révélation du Christ, qui a connu, dans ses premiers temps, une expansion foudroyante. Voir Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 145, qui analyse ce fragment à partir des « catégories éthico-religieuses » de païen et de juif. Pascal parle selon l’histoire, mais sans oublier la signification générale qu’il accorde à ces mots, qui dépasse la réalité historique (il y a eu des juifs qui n’étaient pas charnels, mais spirituels, aussi bien que des chrétiens charnels ; voir Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318).

 

La conversion des païens n’était réservée qu’à la grâce du Messie.

 

Voir Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. Qu’en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la soixante-dixième semaine de Daniel, pendant la durée du second temple, les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs ; que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour. Et il est arrivé qu’en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, etc., les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique. Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits, une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles. Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.

Qu’estce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant. Depuis deux mille années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les [temples] sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’estce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.

Nul païen depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ selon les rabbins mêmes ; la foule des païens après Jésus-Christ croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile.

Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, p. 21-40.

Arnauld Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes touchant la justification, Livre I, chapitre V, Paris, Desprez, 1672, p. 30 sq. Lorsque les Évangiles ont été annoncés, le monde a connu une surabondance de l’Esprit de Dieu. Différence entre l’Église de Jérusalem et les Églises des Gentils dans cette perfection : p. 31. Marque du doigt de Dieu : p. 31. Référence à l’Apologie de Justin : p. 31 sq. Calomnies des païens : p. 33 sq. Arnauld distingue plusieurs traits qui manifestent cet accroissement de la grâce :

1. la résolution de se priver des plaisirs, notamment chez les vierges, p. 34-35 ;

2. l’exemption des crimes, surtout ceux qui blessent la pureté, p. 35 ;

3. la patience dans les persécutions : p. 38.

Il mentionne aussi la retraite des solitaires dans les déserts. Il note aussi qu’il n’y a pas eu d’effusion analogue de l’Esprit dans les premiers temps de la Réforme : p. 43.

Sur l’expansion du christianisme, voir Simon M. et Benoit A., Le Judaïsme et le Christianisme antique, p. 72 sq. Noter que cette conception des débuts éclatants de l’Église primitive ne signifie pas que Pascal ait adhéré à l’optimisme héroïque qui faisait croire à son triomphe final dans les derniers temps, bien au contraire. Voir la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui (OC IV, éd. J. Mesnard), qui constate la dégradation qui s’est produite dans l’Église depuis les premiers temps, et le Projet de mandement, sur la manière dont Pascal conçoit le destin de l’Église dans les temps modernes et les derniers temps du monde.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 450. Loin de croire que le retour du Christ aura lieu lorsque l’humanité se sera élevée vers Dieu, Pascal voit le second avènement du Fils de Dieu intervenir au moment où le vaisseau de l’Église paraîtra près de sombrer. Cependant l’Église a la promesse que le mal ne l’emportera pas sur elle, et qu’elle ne disparaîtra pas. Voir le fragment RO 397-2 (Laf. 963, Sel. 797). Vous ignorez les prophéties si vous ne savez que tout cela doit arriver, princes, prophètes, pape – et même les prêtres – et néanmoins l’Église doit subsister.

 

Les Juifs ont été si longtemps à les combattre sans succès : tout ce qu’en ont dit Salomon et les prophètes a été inutile.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 476-477. L’annonce messianique du peuple juif. Parmi les peuples païens, Israël devient le héraut d’une des idées fondamentales de l’Apologie de Pascal : misère de l’homme sans le Christ, félicité avec le Christ.

Voir saint Augustin, De catechisandis rudibus, III, 3, 6. « Deus benedictus in saecula praemisit in sanctis patriarchis et prophetis quamdam partem corporis sui, qua velut manu se nasciturum esse praenuntians, etiam populum superbe praecedentem, vinculis Legis tamquam digitis quinque supplantavit (quia et per quinque temporum articulos praenuntiari venturus prophetarique non destitit ; et huic rei consonans per quem lex data est, libros quinque conscripsit ; et superbi carnaliter sentientes et suam justitiam volentes constituere, non aperta manu Christi repleti sunt benedictione, sed constricta atque conclusa retenti sunt. »

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je trouve donc ce peuple grand et nombreux sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères. Que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu, qu’ils sont tous abandonnés à leur sens et à leur propre esprit. Et que de là viennent les étranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux et de religions et de coutumes. Au lieu qu’ils demeurent inébranlables dans leur conduite, mais que Dieu ne laissera point éternellement les autres peuples dans ces ténèbres, qu’il viendra un libérateur, pour tous, qu’ils sont au monde pour l’annoncer aux hommes, qu’ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.

Sans succès : le peuple juif a été en butte à l’hostilité de toutes les nations. Ce n’est qu’avec l’évangélisation que la foi en Dieu s’est répandue dans le monde païen.

Laf. 589, Sel. 488. Le peuple juif moqué des Gentils.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Les sages qui ont dit qu’il n’y a qu’un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que s’il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre.

 

Salomon

 

Voir Misère 18 (Laf. 69, Sel. 103).

Pourquoi Pascal cite-t-il particulièrement Salomon ? La sagesse de Salomon est légendaire. Elle vient d’une promesse divine faite en rêve la veille de son couronnement. Voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 44 sq. Auteur des Proverbes, Salomon est présenté comme l’initiateur de la littérature sapientielle : p. 566 sq.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010, p. 259. La mention de Salomon renvoie à la conviction du XVIIe siècle que ce roi est l’auteur du Livre des Proverbes, de l’Ecclésiaste, du Cantique des cantiques, de l’Ecclésiastique et même du Livre de la Sagesse. L’Ecclésiaste insiste sur la misère de l’homme, ce qui est une façon de l’humilier.

Dossier de travail (Laf. 403, Sel. 22). Misère. Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l’homme, l’un le plus heureux et l’autre le plus malheureux. L’un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l’autre la réalité des maux.

C’est par conséquent Salomon l’auteur scripturaire dont le message sur la misère de l’homme aurait dû être le plus apte à être compris par les païens.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Cerf, 1993, article Salomon, p. 1105 sq.

 

Les sages, comme Platon et Socrate, n’ont pu le persuader.

 

Voir la fiche thématique sur Platon.

L’idée est brièvement développée dans le fragment Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Les sages qui ont dit qu’il n’y a qu’un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que s’il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre. Cependant, l’allusion à la persécution des sages païens n’est pas claire : elle peut s’entendre de Socrate, qui a été condamné à boire la ciguë, mais Platon n’a pas subi le même traitement.

Saint Augustin, La cité de Dieu, Livre VIII, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, p. 247. Aucun philosophe n’est plus proche du christianisme que Platon, parce qu’il pense que le sage imite, connaît et aime Dieu. Il reconnaît le vrai Dieu pour auteur des êtres, pour source de vérité : p. 249. Il a mis la béatitude de l’homme dans la jouissance de Dieu : p. 261. Christianisme et platonisme : p. 263. Selon certains apologistes chrétiens, Platon aurait eu connaissance de la sainte Écriture et de la loi de Moïse : p. 270. Saint Augustin soutiendrait volontiers cette idée : p. 271.

Saint Augustin, De vera religione, III, 3, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 8, p. 25 sq. Voir p. 471 sq., la note Néoplatonisme et christianisme : le platonisme sert à saint Augustin contre le manichéisme, notamment sur le problème du mal, qui est dans l’homme, et non pas dans les choses extérieures : p. 477. Il voit dans le platonisme une renonciation au sensible, et une méthode de catharsis qui détourne l’âme du devenir temporel pour l’attacher au spirituel, et redresse l’homme charnel en homme spirituel : p. 479 et 482.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 58 sq. Dans le livre de La cité de Dieu, Saint Augustin affirme la découverte du cas historique de Platon qui a découvert l’existence de Dieu ; il a consacré aux platoniciens le Sermon 141 de verbis Domini 55, 1-2, dont Pascal tire une formule dans Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222) : Quod curiositate cognoverint, superbia amiserunt. Les néoplatoniciens ont trouvé la vérité, mais non la voie, qui y conduit.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 213 sq., référence à La Cité de Dieu, au De vera religione, et aux Confessions : p. 214. Plato christianus.

De son côté, Pascal écrit que Platon est le philosophe qui est le plus approprié pour faire faire les premiers pas dans la voie de la conversion. Voir Laf. 533, Sel. 457, et Laf. 612, Sel. 505 : Platon pour disposer au christianisme.

Voir cependant ce qu’écrit Gouhier Henri, B. Pascal. Conversion et apologétique, p. 146, dans son analyse du fragment Laf. 612, Sel. 505. Pascal prend-il à son compte la note Platon pour disposer au christianisme ? Rien dans les Pensées ne répond à cette orientation apologétique : p. 147. Voir p. 236, n. 69, la bibliographie sur ce sujet.

En tout cas, Pascal ne semble pas se faire d’illusion sur l’efficacité de l’enseignement moral et spirituel de Platon.

Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.

Sur la morale de Platon, voir Laf. 683, Sel. 562.

 

Socrate

 

C’est dans les Pensées le seul cas où Pascal mentionne Socrate.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 180 sq. Saint Augustin mentionne Socrate dans La cité de Dieu, VIII, 3.

« Socrates ergo, primus universam philosophiam ad corrigendos componendosque mores flexisse memoratur, cum ante illum omnes magis physicis, id est naturalibus rebus perscrutandis operam maximam impenderent. Non mihi autem videtur posse ad liquidum colligi, utrum Socrates, ut hoc faceret, taedio rerum obscurarum et incertarum ad aliquid apertum et certum reperiendum animum intenderit, quod esset beatae vitae necessarium, propter quam unam omnium philosophorum invigilasse ac laborasse videtur industria, an vero, sicut de illo quidam benevolentius suspicantur, nolebat immundos terrenis cupiditatibus animos se extendere in divina conari. Quando quidem ab eis causas rerum videbat inquiri, quas primas atque summas non nisi in unius ac summi Dei voluntate esse credebat ; unde non eas putabat nisi mundata mente posse comprehendi ; et ideo purgandae bonis moribus vitae censebat instandum, ut deprimentibus libidinibus exoneratus animus naturali vigore in aeterna se attolleret naturamque incorporei et incommutabilis luminis, ubi causae omnium factarum naturarum stabiliter vivunt, intellegentiae puritate conspiceret. »

Tr. : « Socrate est reconnu pour avoir le premier tourné la philosophie entière à la correction et au règlement des mœurs, alors qu’avant lui, tous consacraient leur plus grande attention plutôt à la recherche des vérités physiques, c’est-à-dire naturelles. Il ne me paraît pas possible de tirer au clair si c’est par dégoût de ces questions obscures et incertaines que Socrate dirigea son esprit vers la découverte de quelque chose de clair et de certain, qui fût nécessaire à cette félicité à laquelle seule le génie de tous les philosophes ont consacré leurs veilles et leurs travaux, ou si, suivant quelques interprètes bienveillants, il ne voulait pas que des âmes rendues impures par toutes les passions terrestres aspirent aux choses divines. Car il voyait qu’ils recherchaient les causes naturelles, choses fondamentales et sublimes qu’il croyait relever de la volonté d’un Dieu unique et suprême, ce qui lui faisait juger qu’elles ne pouvaient être comprises que par des âmes pures ; de sorte qu’il pensait qu’il fallait s’appliquer à purifier la vie par de bonnes mœurs, pour que l’âme, soulagée des passions qui l’alourdissent, s’élève par sa force naturelle aux choses éternelles, et contemple par la pureté de l’intelligence la nature de la lumière incorporelle et immuable, où les causes de toutes les natures créées jouissent d’une existence stable ».

Les philosophes qui, selon Augustin, recherchent les causes naturelles, sont les présocratiques.

Pascal reprend l’idée selon laquelle Socrate prépare les idées pré-chrétiennes qu’il attribue à Platon.

Voir Romilly Jacqueline de, Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Paris, De Fallois, 1988, p. 34 sq. Avec Socrate, par opposition aux philosophes qui l’ont précédé, seul comptent l’homme et les fins qu’il se propose, et le bien.

Dictionnaire des philosophes, article Socrate, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 1407 sq.

 

Sur la structure du fragment

 

Ce fragment est la transposition historique d’une construction combinatoire sous-jacente que l’on trouve dans Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu. » Les Juifs charnels et les païens sont également impuissants, chacun à leur manière, à répandre la vérité, contrairement aux chrétiens qui « connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 145. Rapprochement avec Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318) et Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321), sur les catégories théologiques des païens, des Juifs, etc.