La liasse VANITÉ (suite)

 

 

Vanité et l’édition de Port-Royal

 

Les textes de Vanité ont été utilisés essentiellement dans les chapitres XXIV et XXV, Vanité de l’homme et Faiblesse de l’homme. Un tiers des fragments de la liasse a été utilisé dans l’édition de Port-Royal, en particulier le texte “Imagination” (Vanité 31) qui constitue la charpente du chapitre XXV.

 

Constitution du chapitre XXIV - Vanité de l’homme : Laf. 806, Sel. 653 (Pensées diverses), Laf. 37, Sel. 71 (Vanité 24), Laf. 71, Sel. 105 (Misère 20), Laf. 628, Sel. 521 (Pensées diverses), Laf. 627, Sel. 520 (Pensées diverses), Laf. 633, Sel. 526 (Pensées diverses), Laf. 120, Sel. 152 (Contrariétés 2), Laf. 634, Sel. 527 (Pensées diverses), Laf. 77, Sel. 112 (Ennui 1), Laf. 31, Sel. 65 (Vanité 19), Laf. 43, Sel. 77 (Vanité 30), Laf. 47, Sel. 80 (Vanité 33), Laf. 432, Sel. 684 (Preuves par discours II), Laf. 749, Sel. 622 (Pensées diverses).

 

Constitution du chapitre XXV - Faiblesse de l’homme : Laf. 33, Sel. 67 et Laf. 34, Sel. 68 (Vanité 21), Laf. 21, Sel. 55 (Vanité 9), Laf. 44, Sel. 78 (Vanité 31), Laf. 60, Sel. 94 (Misère 9), Laf. 48, Sel. 81 (Vanité 34), * , Laf. 28, Sel. 62 (Vanité 16), Laf. 125, Sel. 158 (Contrariétés 8), Laf. 126, Sel. 159 (Contrariétés 9). Pascal n’avait semble-t-il pas prévu de mettre à part ce thème. * Laf. 536, Sel. 458 et Laf. 551, Sel. 461 (Pensées diverses) ont été ajoutés dans l’édition de 1678.

 

Autres fragments de Vanité retenus dans l’édition :

Vanité 11 : chap. XXVIII - Pensées Chrétiennes.

Vanité 7 (il a quatre laquais) et 17 : chap. XXIX  – Pensées Morales.

Vanité 35 : chap. XXXI - Pensées diverses.

 

Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, p. 187 sq.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Vanité

 

Les 38 fragments ont été en fait écrits sur 39 papiers. En effet, le texte de Vanité 21 a été écrit par un copiste à cheval sur deux feuillets ; ces deux feuillets ont ensuite été découpés par Pascal puis les papiers ont été collés dans le Recueil des originaux p. 81 et 83.

Seuls 8 papiers portent des traces de filigranes : Cor couronné / P H (Vanité 10) ; Écu 3 annelets doubles / P.F. (Vanité 16) ; France et Navarre / I C (Vanité 15) ; Marque royale (Vanité 26) ; France et Navarre / P H (Vanité 30) ; Grappe de raisin et AR (Vanité 31) ; Gros raisin (Vanité 33) ; et Écusson fleurette RC/DV (Vanité 38). Les huit papiers proviennent de 8 types de feuilles différents dont 7 correspondent aux types de papiers les plus utilisés par Pascal.

Les reconstitutions de Pol Ernst montrent que le papier de Vanité 13 provient d’un feuillet de type Cadran et France et Navarre / P H (Album, p. 157) ; que le papier de Vanité 17 provient d’un feuillet de type Cadran d’horloge / DD (Album, p. 9) ; et que les papiers de Vanité 21 proviennent de deux feuillets de type Cor couronné / P H (Album, p. 118-119).

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 290-293, 8 papiers pourraient provenir de feuillets au type France et Navarre / I C (4, 5, 11, 15, 18, 19, 20, 36), 5 papiers de feuillets au type Cor couronné / P H (6, 10, 21, 22, 23), 5 papiers de feuillets au type Cadran & France et Navarre / P H (9, 13, 28, 29, 30), et 3 papiers de feuillets au type Marque royale & PF / B R (24, 26, 27). 11 papiers ne portent pas de filigrane et leur type n’a pas pu être identifié. Aucun de ces papiers n’a pu être rapproché d’un papier portant un filigrane identifié. Seule une vérification précise des écartements des pontuseaux pourrait confirmer leur provenance.

Une des caractéristiques est la diversité des papiers utilisés et le fait qu’ils ne soient pas regroupés par type de feuille. Ces mêmes types sont utilisés dans de nombreuses liasses et dossiers (voir la synthèse).

Est-ce que tous les papiers ont été enfilés dans la liasse ?

Seuls 15 papiers ont conservé un trou d’enfilage situé dans leur marge de gauche. Cette même marge a été rognée dans les autres papiers et s’il y avait des trous d’enfilage ils ont disparu. On peut cependant être étonné de trouver deux feuillets complets (925 cm2) au milieu de la liasse entre deux petits papiers (36 et 37 cm2).

Le papier de Vanité 1 porte une encoche dont on ne connaît pas la provenance. Celui de Vanité 33 porte plusieurs encoches qui pourraient être des traces de couture.

Interventions d’un secrétaire et d’un copiste :

Quatre papiers (Vanité 13, 28, 29 et 30) portent l’écriture du secrétaire assidu de Pascal et les deux papiers de Vanité 21 ont été écrits par un copiste à l’écriture fine et élégante. Les quatre premiers papiers pourraient provenir de feuillets au type Cadran & France et Navarre / P H ; les deux autres proviennent d’un feuillet au type Cor couronné / P H (il semble que ce copiste n’a écrit que sur ce type de papier, utilisé aussi par Pascal). On retrouvera ces deux écritures dans d’autres dossiers tels que Misère, Raisons des effets, Grandeur, etc., ainsi que dans les dossiers de travail, les Preuves par les juifs et les prophéties, etc.

 

Bibliographie

 

ERNST Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, p. 152 sq.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 77-78.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris SEDES, 1993.

THIROUIN Laurent, “Les premières liasses des Pensées : architecture et signification”, XVIIe Siècle, n° 177, oct.-déc. 1992, n° 4, p. 451-467.

 

On peut lire aussi...

 

DUMONT Pascal, Descartes et l’esthétique. L’art d’émerveiller, P. U. F., Paris, 1997, 274 p. Voir p. 90, sur Laf. 40, Sel. 74 (Vanité 27).

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 55 sq.

PAROLINI Rocco, Il Pascal dialettico del XXe secolo : excursus storico, Università degli Studi di Ferrara, 2002.

PAROLINI Rocco, La tattica persuasiva di Blaise Pascal : il « renversement » gradevole, Annali dell’Università di Ferrara, Nuova serie, sezione III, Filosofia, n. 80, Università degli Studi di Ferrara, 2006.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, p. 187 sq.

SOELBERG Nils, “La dialectique de Pascal. De la conférence de Port-Royal à la démarche apologétique”, Revue romane t. XIII, fasc. 2, 1978, p. 229-276.

Voir la bibliographie relative à l’imagination dans le fragment Laf. 44-45, Sel. 78 (Vanité 31).

 

Éclaircissements

 

Situation de la liasse Vanité

 

La liasse Vanité se trouve en tête du plan de l’apologie parce qu’elle participe à l’opération de captatio benevolentiae qui doit nécessairement précéder le mouvement qui vise à « affliger » le lecteur dans la liasse Misère. Pascal pensant que « la part que nous pouvons prendre aux choses étant de deux sortes (car ou elles nos affligent, ou elles nous consolent), il croyait qu’il ne fallait jamais affliger qu’on ne consolât, et que bien ménager tout cela était le secret de l’éloquence » (Vie de Pascal, 2e version, § 50, OC I, éd. J. Mesnard, p. 621). Mais avant d’affliger, il faut nécessairement éviter que le lecteur ne soit rebuté par des attaques trop amères. Il faut donc s’adapter à son langage, entrer dans ses préoccupations, pour l’amener ensuite à des réflexions plus profondes.

Pascal reprend donc des thèmes philosophiques et moraux et des formes rhétoriques qui sont ceux de l’auteur dont il estime le plus l’art de conférer, Montaigne. Il se livre dans cette liasse à une description de la société à la manière des Essais, usant des observations courantes et des « entretiens ordinaires de la vie » pour montrer avec humour ou ironie la vanité des hommes.

Cette vanité, conçue comme absence de raison, de justification et plus généralement de fondement, permet de susciter le rire, parce qu’elle révèle dans les conduites humaines des disproportions entre ce que l’on a coutume de penser et ce que la réalité révèle. Pascal retrouve donc dans cette liasse la veine des Provinciales, lorsqu’il dénonçait les ridicules des casuistes.

Ce programme initial explique pourquoi la liasse Vanité enferme une variété considérable de remarques tirées d’observations toujours concrètes de la vie ordinaire, prises de circonstances diverses et variées ou d’imaginations plaisantes. Le grand nombre de mots-clés qui figurent dans le tableau précédent témoigne de la variété des sujets abordés par Pascal dans cette liasse. La comparaison avec d’autres liasses, comme Grandeur ou Raisons des effets, est sur ce point instructive.

Ce premier temps vise à mettre en évidence la vanité des hommes ; ce n’est que dans le second que Pascal viendra à des observations plus amères et que le ton plaisant et comique laissera place à une rhétorique plus sombre.

La liasse Vanité représente donc le mouvement initial de la première partie de l’apologie, celle qui est résumée dans le premier vers du fragment Laf. 130, Sel. 163 (Contrariétés 13) :

S’il se vante je l’abaisse.

S’il s’abaisse je le vante.

Et le contredis toujours.

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible.

Par la suite, la transition de Raisons des effets conduira au second temps, « S’il s’abaisse je le vante », où Pascal montrera que dans tout ce qui a été d’abord présenté comme marques de la vanité et de la misère de l’homme, on peut découvrir des marques de sa grandeur perdue.

 

Concept de vanité de l’homme

 

La notion de vanité n’a pas toujours été bien remarquée par les commentateurs. L’entrée Vanité ne figure pas dans Le vocabulaire de Pascal de P. Magnard, Paris, Ellipses, 2001. Jacques Chevalier lui consacre une ligne dans le résumé de la démarche apologétique de Pascal qu’il propose dans Pascal, Paris, Plon, 1922. Peut-être le mot de misère, plus dramatique, a-t-il masqué aux commentateurs l’originalité et l’intérêt de ce terme, titre de la liasse qui ouvre la démarche apologétique de Pascal.

La vanité, au sens latin du terme (vanitas), désigne le vide d’un être dont les prétentions dépassent si outrancièrement les capacités effectives qu’il en devient digne de risée. Il est surprenant, écrit Pascal, que cette disproportion ne frappe pas tout le monde : Qu’une chose aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable. (Vanité 4 - Laf. 16, Sel. 50).

Le thème de la vanité des hommes n’est pas propre à Pascal : on le trouve chez les grands moralistes, comme Montaigne, et ses épigones, comme Charron Pierre, De la sagesse, I, ch. XXXVIII, éd. Duval, I, p. 237 : « La vanité est la plus essentielle et propre qualité de l’humaine nature ». Voir p. 240 : une vanité : « nous ne vivons que par relation à autrui ; nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en effet, et en vérité, comme quels nous soyons en la connaissance publique. Tellement que nous nous defraudons souvent, et nous prisons de nos commodités et biens, et nous gehennons pour former les apparences à l’opinion commune ». Plan du chapitre de Charron : Dans l’espèce humaine tout est vanité ; peut-être vaut-il mieux rire de ses défauts que de s’en affliger. Combien il y a de vanité dans nos pensées, nos désirs, nos discours, nos actions. Exemples et preuves de ces diverses vanités. Nos actions les plus ordinaires, de même que celles que nous croyons importantes, sont également vaines et frivoles. Le même terme apparaît aussi chez des auteurs moins connus, qui s’inscrivent dans la lignée de Montaigne, Essais, III, 9 (voir plus bas la référence au livre de K. Misono sur Léonard de Marandé). Il renvoie aussi à l’Ecclésiaste, I, 2 et XII, 8, qui proclament que « tout est vanité », et à certains Psaumes.

 

Quel sens propre Pascal donne-t-il à ce mot de vanité ?

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 180 sq. et p. 189 sq. La vanité comme impossibilité de bien juger, qui tient à ce que l’on attache beaucoup de valeur à ce qui en a peu ou n’en a pas : p. 189. La vanité a des aspects sociaux : p. 191. Elle paraît dans la disproportion entre l’effort fourni par l’homme et le profit qu’ils peuvent en tirer : p. 191 sq. Le comble de la vanité est de ne pas voir la vanité : p. 192.

Le problème du sens de la notion de vanité et de la place qu’il occupe dans l’ensemble des Pensées a fait l’objet d’une riche étude de Thirouin Laurent, “Les premières liasses des Pensées : architecture et signification”, XVIIe Siècle, n° 177, oct.-déc. 1992, n° 4, p. 451-467. Cette étude définit la vanité non par opposition à la grandeur, mais par opposition à la raison des effets. Est vain ce qui manque de fondement ou de cause solide, par exemple le respect que l’on accorde aux grands de naissance, alors que leur valeur humaine ne mérite pas toujours un excès d’honneur. La raison des effets montre que, dans certains cas que Pascal analyse, ce qui a paru sans fondement à un moment de l’analyse peut se révéler en réalité très bien fondé à l’étape suivante.

Vaines, c’est-à-dire dépourvues de raisons solides, sont les raisons qui nous font choisir un métier plutôt qu’un autre. Ridicules aussi les raisons qui nous font estimer les Grands : La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit qu’il vient d’une force naturelle. (Vanité 13 - Laf. 25, Sel. 59).

Le terme vanité représente ainsi l’expression comique, voire burlesque, de la notion, plus dramatique, de néant. Ce n’est pas seulement parce qu’une chose ou une conduite manque de fondement qu’elle est vaine, c’est aussi parce que cette absence de raison fait qu’elle n’est littéralement rien. Le thème de la vanité de l’homme annonce et prépare ainsi celui du néant de l’homme, qui réapparaît dans les Pensées à un stade postérieur de l’argumentation. Il est ainsi, pour ainsi dire en creux, l’expression laïque d’une idée qui prendra une forme d’ordre religieux, lorsque Pascal développera celle du néant de l’homme devant Dieu.

Au premier stade de l’argumentation, l’idée de vanité est associée à plusieurs concepts qui en expriment les différents aspects concrets ou les diverses formes, par exemple l’inconstance, qui exprime le fait que l’homme varie en raison de causes insignifiantes ou dérisoires, et la disproportion, qui consiste dans le fait qu’il n’existe pas de rapport entre une cause et un effet, une conduite et ses raisons. Voir sur ce point Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), p. 414 sq. Des expressions pittoresques comme celle de talon de soulier, quelque peu mystérieuses au premier abord, reçoivent leur signification de leur insertion dans la liasse Vanité. Quelques figures illustres, Cléopâtre, César, Paul-Émile entre autres, sont pris comme incarnations vivantes de certaines formes de la vanité.

Cette variété de degrés qui vont de l’idée générale de la vanité à des concepts subalternes, puis à des termes concrets et à des figures individuelles éduque pour ainsi dire l’esprit du lecteur : le concept général de vanité et ses subalternes apprennent au lecteur à considérer toute réalité humaine avec l’œil de Montaigne. Inversement, les réalités concrètes et les personnalités particulières cristallisent symboliquement les différents aspects de la vanité générale.

L’idée de vanité est génératrice de comique. Apercevoir une vanité, autrement dit comprendre qu’une chose, quelle qu’elle soit, attitude, conduite humaine, institution sociale, idée commune, valeur sociale, est vaine, c’est, conformément à l’étymologie, comprendre qu’elle est vide, sans consistance, sans réalité, sans valeur réelle. C’est comprendre qu’il existe une disproportion entre ce que cette chose est en apparence et ce qu’elle est en réalité. Or, d’après ce que Pascal écrit dans la XIe Provinciale, § 14, la saisie d’une pareille disproportion engendre d’abord le rire. A propos des maximes de morale des casuistes, Pascal écrit : « Qu’y a-t-il de plus propre à exciter à rire que de voir une chose aussi grave que la Morale Chrétienne, remplie d’imaginations aussi grotesques que les vôtres. On conçoit une si haute attente de ces maximes, qu’on dit que Jésus-Christ a lui-même révélées à des Pères de la Société, que quand on y trouve qu’un Prêtre qui a reçu de l’argent pour dire une Messe peut outre cela en prendre d’autres personnes en leur cédant toute la part qu’il a au sacrifice : qu’un Religieux n’est pas excommunié pour quitter son habit lorsque c’est pour danser, pour filouter, ou pour aller incognito en des lieux de débauche ; et qu’on satisfait au précepte d’ouïr la Messe en entendant quatre quarts de Messe à la fois de différents Prêtres, lors dis-je, qu’on entend ces décisions, et autres semblables il est impossible que cette surprise ne fasse rire : parce que rien n’y porte davantage qu’une disproportion surprenante entre ce qu’on attend, et ce qu’on voit. Et comment aurait-on pu traiter autrement la plupart de ces matières, puisque ce serait les autoriser que de les traiter sérieusement selon Tertullien. Quoi, faut-il employer la force de l’Écriture et de la Tradition pour montrer, que c’est tuer son ennemi en trahison, que de lui donner des coups d’épée par derrière et dans une embûche ; et que c’est acheter un bénéfice que de donner de l’argent comme un motif pour se le faire résigner ? Il y a donc des matières qu’il faut mépriser, et qui méritent d’être jouées et moquées. Enfin ce que dit cet ancien auteur, que rien n’est plus dû à la vanité que la risée, et le reste de ces paroles s’applique ici avec tant de justesse, et avec une force si convaincante, qu’on ne saurait plus douter qu’on peut bien rire des erreurs sans blesser la bienséance. Et je vous dirai aussi, mes Pères, qu’on en peut rire sans blesser la charité, quoique ce soit une des choses que vous me reprochez encore dans vos écrits : Car la charité oblige quelquefois à rire des erreurs des hommes pour les porter eux-mêmes à en rire et à les fuir, selon cette parole de S. Augustin : Haec tu misericorditer irride, ut eis ridenda ac fugienda commendes. Et la même charité oblige aussi quelquefois à les repousser avec colère, selon cette autre parole de S. Grégoire de Nazianze : L’esprit de charité et de douceur a ses émotions et ses colères. En effet comme dit saint Augustin : Qui oserait dire, que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge, et qu’il sera permis aux ennemis de la foi, d’effrayer les fidèles par des paroles fortes, et de les réjouir par des rencontres d’esprit agréables ; mais que les catholiques ne doivent écrire qu’avec une froideur de style qui endorme les lecteurs ? »

Le rire est la réaction naturelle de toute personne qui s’aperçoit que ce qu’elle ou d’autres avaient pris au sérieux n’est en réalité rien. Aussi est-ce dans le registre comique que Pascal emprunte des idées, des anecdotes réelles ou fictives, voire de pures imaginations comme le philosophe sur sa planche, à l’auteur qui connaît le mieux la vanité humaine, Montaigne.

Ce caractère de comique de la Vanité n’exclut pas que, lorsqu’on en approfondit la signification ou les implications, le rire ne laisse la place à une réaction marquée d’amertume, voire d’angoisse devant le néant. Ce seront les liasses Misère et Ennui qui amorceront ce changement de style.

La richesse de l’idée de vanité a été révélée par le développement récent des études sur les moralistes, qui lui ont accordé une place importante. On ne peut citer ici que quelques titres particulièrement significatifs.

Discours et enjeux de la vanité, Littératures classiques, n° 56, Paris, Champion, automne 2005.

Guion Béatrice, “Fantômes et simulacres : le discours port-royaliste sur la vanité”, La solitude et les solitaires de Port-Royal, Chroniques de Port-Royal, 51, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2002, p. 467-486.

Guion Béatrice, « Car quel siècle a-t-on jamais vu où la vanité ait été plus désordonnée ? Vanités augustiniennes », in Discours et enjeux de la vanité, Littératures classiques, n° 56, Paris, Champion, automne 2005, p. 279-293.

Michon Hélène, « La vanité : de Pascal à La Rochefoucauld », in Discours et enjeux de la vanité, Littératures classiques, n° 56, Paris, Champion, automne 2005, p. 267-278.

Bénichou Paul, Morales du grand siècle, Paris, NRF, Gallimard, 1948. Voir le chapitre sur La démolition du héros, p. 155 sq.

Picavet Emmanuel, « Vanité du moi et sujet de la décision : Pascal, Bossuet, Fénelon », in Discours et enjeux de la vanité, Littératures classiques, n° 56, Paris, Champion, automne 2005, p. 119-132.

Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, p. 413 sq. Statut logique et moral de la vanité.

Misono Keisuke, Écrire contre le jansénisme au XVIIe siècle : Léonard de Marandé polémiste vulgarisateur, Thèse, Clermont-Ferrand, 2008, p. 60 sq. Thème de la vanité de l’homme chez Léonard de Marandé.

Sur la notion de disproportion, voir le dossier sur “Disproportion de l’homme”.

 

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