Fragment Vanité n° 13 / 38 Papier original : RO 81-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 30 p. 5 v° à 7 / C2 : p. 19

Éditions savantes : Faugère I, 182, X / Havet V.7 / Brunschvicg 308 / Tourneur p. 170-3 / Le Guern 23 / Maeda I p. 113 / Lafuma 25 / Sellier 59

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Bibliographie

 

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 87 et 191-192.

REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées : pensées et poétiques du langage dans l'augustinisme du second Port-Royal, p. 147.

 

 

Éclaircissements

Remarque d’ensemble

 

La reconstitution de Pol Ernst permet de souligner un point commun entre les trois fragments Divertissement 5 (Laf. 137, Sel. 169), Laf. 25, Sel. 59 et Dossier de travail (Laf. 415, Sel. 34) : dans les trois cas, il s’agit de priver une personne (roi, soldat ou laboureur) de ses accompagnements, et d’en observer les conséquences, intérieures ou extérieures. C’est une démarche de physicien.

 

La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire jointe.

 

Cela prolonge ce que Pascal écrit sur les rois, dans “Imagination”, Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). C’est ainsi que nos rois n’ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d’habits extraordinaires pour paraître tels. Mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes. Ces troupes armées qui n’ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les environnent, font trembler les plus fermes. Ils n’ont pas l’habit, seulement ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le grand seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires.

Pour la machine, Y. Maeda renvoie à (Ordre 3 - Laf. 5, Sel. 39), (Ordre 5 - Laf. 7, Sel. 41) et (Ordre 9 - Laf. 11, Sel. 45). Voir Laf. 821, Sel. 661, sur l’automate et la machine, inclinés à croire. Voir aussi Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), “Infini rien”, sur le fait que l’habitude plie la machine et dispose l’esprit à la croyance.

Pour terreur, voir Soumission 6 (Laf. 172, Sel. 203) : La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons et dans le cœur par la grâce, mais de la vouloir mettre dans l’esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre la religion mais la terreur, Terrorem potius quam religionem. ; et Laf. 591, Sel. 490 : Ne si terrerentur et non docerentur improba quasi dominatio videretur.

Pour coutume, voir Preuves par discours I (Laf. 419, Sel. 680), qui rapproche les termes de coutume et de terreur (qui s’accoutume à croire que le roi est terrible).

L’opposition joint / séparé permet de relier ce fragment à la théorie des idées accessoires, toujours jointes aux idées principales et qui engendrent des confusions et des erreurs, telle qu’elle est formulée dans la Logique de Port-Royal, Voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, I, ch. XIV (éd. de 1683). On peut aussi par le même biais, lier ce fragment à la doctrine des idées imperceptibles chez Nicole.

 

Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit qu’il vient d’une force naturelle.

 

L’expression force naturelle se retrouve, dans un contexte différent, mais à plusieurs reprises, dans les fragments sur les miracles, notamment le questionnaire adressé par Pascal à Barcos : voir Miracles I (Laf. 830, Sel. 419) et Miracles III (Laf. 891, Sel. 445).

Dans ce fragment, l’expression pourrait être rapportée aux vertus occultes dénoncées par le P. Mersenne aussi bien que par Pascal. Voir sur ce point Lenoble Robert, Mersenne ou la naissance du mécanisme, Paris, Vrin, 1971, p. 114 sq., et Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), qui explicite la nature des sympathies et les antipathies que l’on imagine dans les choses à l’époque de Pascal.

 

Et de là viennent ces mots : Le caractère de la divinité est empreint sur son visage, etc.

 

Est-ce une citation ? L’original ne comporte évidemment pas l’italique, mais on ne trouve pas le soulignement que Pascal emploie parfois.

Caractère : marque, signe distinctif d’un trait de personnalité.

 

Pour approfondir…

 

L’édition GEF, t. 2, p. 230-231, renvoie aussi à un passage du Journal de 1649, mentionnant une harangue du premier président de la Cour des Aides Jacques Amelot au prince de Conti : « Dieu ne leur (sc. aux princes) avait pas donné seulement la conduite de la terre [...] mais il avait encore imprimé dans leurs visages une certaine majesté qui les élève au-dessus du commun des hommes, et qui les fait respecter. Qu’ils devaient prendre garde de ne pas effacer cette image et ce caractère [...] » (Histoire du temps, p. 44).

Il existe à la Bibliothèque de Clermont-Ferrand un recueil de mazarinades intitulé Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouvements derniers de l’année 1649, sl, sn, 1650, 7 vol. Recueils BMIU Clermont 52260. Volume I. Recueil de toutes les pièces faites contre le cardinal Mazarin sur l’enlèvement du Roi de sa bonne ville de Paris, Paris, 1649 (Ex-libris : Clary de Saint Angel), 55260 1, qui contient la Sommaire relation de ce qui s’est passé à S. Germain en la députation de la Cour des Aides pour le retour de leurs Majestés avec la harangue de Mr. Amelot, premier président, sur ce sujet, et sa réplique sur la réponse de Mr le Chancelier de la part de la Reine, au sujet de l’éloignement du Roi, imprimé par Denis Langlois, au mont S. Hilaire, 1649. Dans ce recueil, on trouve plusieurs pièces qui traitent du caractère de la divinité qui est censé marquer le roi, signe du pouvoir qu’il détient par délégation de Dieu.

L’expression s’applique spécifiquement au roi. Voir la Très humble remontrance du parlement au roi et à la reine régente, Paris, par les imprimeurs et libraires ordinaires du roi, MDCXLIX, p. 3-4. « Sire, lorsque la Providence divine mit la couronne sur la tête de V. M. en un âge auquel votre personne ne pouvait contribuer au bien de son royaume que la qualité de roi, qui porte l’image vivante de Dieu, et les bénédictions qu’il avait abondamment versées en votre naissance, votre Parlement estima ne vous pouvoir rendre un service plus important, que de joindre ses suffrages à ceux de la Nature et de toute la France, pour commettre à la reine votre mère le gouvernement de votre personne et de votre état ».

Voir aussi les Maximes morales et chrétiennes pour le repos des consciences dans les affaires présentes. Pour servir d’instruction aux curés, aux prédicateurs et aux confesseurs, dressées et envoyées de Saint Germain en Laye, par un théologien fidèle officier du roi, à Messieurs du parlement, à Paris, chez Cardin Besongne, MDCXLIX, p. 6-7. « La première maxime chrétienne qu’il faut poser dans cette conjoncture, qui est comme la base et le fondement de toutes les autres, et sans laquelle aucun ne se peut dire véritable chrétien, est l’honneur et la révérence et le respect que l’on doit au roi. Car l’autorité royale étant d’institution divine, quoique plusieurs rois ne soient que des hommes, ce caractère de la majesté de Dieu, qu’ils portent avec tant d’éclat, exige nécessairement de leurs sujets des respects conformes à cette grandeur ; et cette loi d’obligation d’honneur envers les souverains passe par proportion dans toute sorte d’inférieurs à l’endroit de ceux qui leur sont préposés : et ainsi les magistrats sont vénérables par le caractère de la puissance de Dieu qu’ils exercent sous l’autorité du roi, quand d’ailleurs ils ne le seraient pas par le défaut de leur conduite particulière ».

Dans le même recueil : Catéchisme des artisans ou résolutions théologiques touchant l’imposition levée et emploi des finances, dressé par demandes et réponses, pour plus grande facilité, par le R. P. D. P. D.  S. I. A Paris chez Cardin Besongne, MDCXLIX. « Je dirai que le roi est l’image vivante de Dieu ; le caractère de sa majesté, de sa grandeur, de son autorité et de son indépendance » : p. 4.

En fait, l’expression originale, celle qui porte la pointe du fragment, n’est pas celle du caractère de la divinité, qui est banale, c’est le fait que ce caractère soit empreint sur le visage d’une personne, de telle sorte que la vertu qui est censée en découler apparaisse pour ainsi dire comme naturelle.

Reguig-Naya Delphine, Le corps des idées : pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme du second Port-Royal, p. 147. Production d’énoncés verbaux par la coutume politique.