Fragment Vanité n° 22 / 38 – Papier original : RO 81-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 42 p. 91 / C2 : p. 22

Éditions savantes : Faugère II, 55, I-VIII / Havet XXV, 80 ter / Brunschvicg 117 / Tourneur p. 172-1 / Le Guern 32 / Maeda I p. 166 / Lafuma 35 / Sellier 69

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Bibliographie

 

 

THIROUIN Laurent,  “Les premières liasses des Pensées : architecture et signification”, XVIIe Siècle,  n° 177, oct.-déc. 1992, n° 4, p. 451-467.

 

 

Éclaircissements

Talon de soulier.

 

Contrariétés 12 (Laf . 129, Sel. 162). Métier. Pensées. Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l’homme. Que de vacations. Et par quel hasard chacun prend d’ordinaire ce qu’il a ouï estimé. Talon bien tourné.

Misère 12 (Laf. 63, Sel. 97). La gloire. L’admiration gâte tout dès l’enfance. Ô que cela est bien dit ! ô qu’il a bien fait, qu’il est sage, etc. Le talon de soulier Les enfants de P. R. auxquels on ne donne point cet aiguillon d’envie et de gloire tombent dans la nonchalance.

 

Ô que cela est bien tourné ! Que voilà un habile ouvrier ! Que ce soldat est hardi !

 

En quel sens parle-t-on de tourner un talon ? Tourner signifie arrondir : on tourne un globe, un cylindre, un cône ; on dit qu’un homme est bien tourné pour dire qu’il est bien fait, comme s’il avait été fait au tour (Furetière).

Furetière ne donne pas l’expression tourner les talons, qui n’est du reste pas celle à laquelle Pascal pense ici.

D’où provient cette expression ? On trouve une allusion au soulier dans Épictète, Entretiens, II, 14. « Il serait mal plaisant d’assister et prendre garde quand un cordonnier apprend son métier ; mais le soulier est utile est pas mal plaisant à voir. » Mais cette référence n’est intéressante que pour le soulier ; pour le reste le sens est très éloigné. Il n’y a pas de soulier chez Montaigne.

 

Voilà la source de nos inclinations et du choix des conditions.

 

Vanité 24 (Laf. 37, Sel. 71). Métiers. La douceur de la gloire est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, même à la mort, on l’aime.

Laf. 627, Sel. 520. La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme qu’un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs et les philosophes mêmes en veulent, et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui les lisent veulent avoir la grâce de les avoir lus, et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront [...]

Misère 12 (Laf. 63, Sel. 97). La gloire. L’admiration gâte tout dès l’enfance. Ô que cela est bien dit ! ô qu’il a bien fait, qu’il est sage, etc. Les enfants de P. R. auxquels on ne donne point cet aiguillon d’envie et de gloire tombent dans la nonchalance.

Contrariétés 12 (Laf . 129, Sel. 162). Métier. Pensées. Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l’homme. Que de vacations. Et par quel hasard chacun prend d’ordinaire ce qu’il a ouï estimé. Talon bien tourné.

 

Pascal mentionne aussi les préjugés de la société.

Transition 1 (Laf. 193, Sel. 226). La prévention induisant en erreur.

C’est une chose déplorable de voir tous les hommes ne délibérer que des moyens et point de la fin. Chacun songe comment il s’acquittera de sa condition, mais pour le choix de la condition, et de la patrie le sort nous le donne.

C’est une chose pitoyable de voir tant de Turcs, d’hérétiques, d’infidèles, suivre le train de leurs pères, par cette seule raison qu’ils ont été prévenus chacun que c’est le meilleur et c’est ce qui détermine chacun à chaque condition de serrurier, soldat, etc. [...]

 

Dans certains fragments, Pascal invoque la coutume.

Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit, et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. [...].

 

Cette raison n’exclut pas que l’on invoque aussi le hasard.

Contrariétés 12 (Laf . 129, Sel. 162). Métier. Pensées. Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l’homme. Que de vacations. Et par quel hasard chacun prend d’ordinaire ce qu’il a ouï estimé. Talon bien tourné.

Laf. 634, Sel. 527. La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose.

La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C’est un excellent couvreur, dit-on, et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on, et les autres au contraire : il n’y a rien de grand que la guerre, le reste des hommes sont des coquins. A force d’ouïr louer en l’enfance ces métiers et mépriser tous les autres on choisit. Car naturellement on aime la vertu et on hait la folie ; ces mots mêmes décideront ; on ne pèche qu’en l’application.

Tant est grande la force de la coutume que de ceux que la nature n’a fait qu’hommes on fait toutes les conditions des hommes.

Car des pays sont tout de maçons, d’autres tout de soldats, etc. Sans doute que la nature n’est pas si uniforme ; c’est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l’homme dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.

 

On trouve un prolongement dans Divertissement 7 (Laf. 139, Sel. 171), qui apporte une raison des effets plus profonde : On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les accable d’affaires, de l’apprentissage des langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux, sans que leur santé, leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà direz-vous une étrange manière de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter tous ces soucis, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper toujours tout entiers.

 

Inclination

 

Le mot inclination n’est pas à prendre dans le sens augustinien du fragment Preuves par les Juifs VI (Laf. 482, Sel. 717). La religion chrétienne, [...] en considérant ce que c’est que la vie et que cette religion, de suivre l’inclination de la suivre, si elle nous vient dans le cœur. Et il est certain qu’il n’y a nul lieu de se moquer de ceux qui la suivent.

 

Que celui-là boit bien ! Que celui‑là boit peu !

 

Vanité 25 (Laf. 38, Sel. 72). Trop et trop peu de vin. Ne lui en donnez pas : il ne peut trouver la vérité. Donnez-lui en trop : de même.

 

Voilà ce qui fait les gens sobres et ivrognes, soldats, poltrons, etc.

 

Dans le cas présent, Pascal pense-t-il au métier ou au caractère de soldat ? Le voisinage avec poltron semble indiquer qu’il s’agit du caractère ; mais il est bien question aussi du choix des conditions.

Retz, Mémoires, Seconde partie, éd. Hipp et Pernot, Pléiade, p. 289, sur La Rochefoucauld : « Il n’a jamais été guerrier, quoiqu’il fût très soldat ».