Fragment Vanité n° 26 / 38 – Papier original : RO 23-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 46 p. 91 / C2 : p. 23

Éditions savantes : Faugère II, 41, X / Brunschvicg 141 / Tourneur p. 173-1 / Le Guern 36 / Maeda I p. 181 / Lafuma 39 / Sellier 73

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Bibliographie

  

 

Voir la bibliographie générale de Vanité.

 

Éclaircissements

 

 

Les hommes s’occupent à suivre une balle et un lièvre. C’est le plaisir même des rois.

 

Le fragment Laf. 628, Sel. 521 classe déjà la chasse et le jeu parmi les marques de la vanité de l’homme : Vanité, jeu, chasse, visites, comédies, fausse perpétuité de nom.

Le fragment Vanité 26, souligne un autre aspect de la vanité, qui est la disproportion entre la dignité royale et les jeux de balle ou de la chasse. En même temps, Pascal souligne l’universalité de cette manière de se consacrer entièrement à des activités aussi futiles.

Pascal reprendra l’idée que la chasse n’est un plaisir royal qu’en apparence, dans le fragment Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168) : Le gentilhomme croit sincèrement que la chasse est un plaisir grand et un plaisir royal, mais son piqueur n’est pas de ce sentiment-là.

La balle, le lièvre et les rois sont trois éléments de Divertissement. On retrouve en effet le même thème, autrement traité, dans la liasse qui porte ce titre.

Voir Divertissement 4, qui réunit les lièvres et les rois. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court ; on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.

De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible, de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c’est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu’on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs. Le roi est environné de gens qui ne pensent qu’à divertir le roi et à l’empêcher de penser à lui. Car il est malheureux tout roi qu’il est s’il y pense.

Laf. 522, Sel. 453. (Cet homme si affligé de la mort de sa femme et de son fils unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente, d’où vient qu’à ce moment il n’est point triste et qu’on le voit si exempt de toutes ces pensées pénibles et inquiétantes ? Il ne faut pas s’en étonner. On vient de lui servir une balle et il faut qu’il la rejette à son compagnon. Il est occupé à la prendre à la chute du toit pour gagner une chasse. Comment voulez-vous qu’il pense à ses affaires ayant cette autre affaire à manier ? Voilà un soin digne d’occuper cette grande âme et de lui ôter toute autre pensée de l’esprit. Cet homme né pour connaître l’univers, pour juger de toutes choses, pour régler tout un État, le voilà occupé et tout rempli du soin de prendre un lièvre. Et s’il ne s’abaisse à cela et veuille toujours être tendu il n’en sera que plus sot, parce qu’il voudra s’élever au-dessus de l’humanité et il n’est qu’un homme au bout du compte, c’est-à-dire capable de peu et de beaucoup, de tout et de rien. Il n’est ni ange ni bête, mais homme.). Noter que chasse, dans gagner une chasse, désigne le premier rebond d’une balle.

Ce que divertissement ajoute à l’idée du présent fragment, c’est la raison profonde de cette vanité : on se passionne pour la chasse et le jeu pour ne plus voir sa propre misère.

Occuper signifie s’emparer, se rendre maître de quelque chose ; se dit en choses morales et spirituelles, en parlant de sentiments, de passions, d’idées qui accaparent l’esprit ou le cœur. Il faut entendre que l’attention est entièrement absorbée dans ce qu’elle poursuit. Le verbe songer, que Pascal a d’abord employé, est déjà fort par lui-même, mais occuper marque un degré de plus dans l’absorption de l’esprit. Ce verbe occuper prépare la liasse Divertissement : le divertissement est une manière d’occuper l’esprit en ce sens.

 

Une balle

 

Il ne s’agit évidemment ni de football ni de tennis, mais de jeu de paume, comme l’indique Laf. 522, Sel. 453.

La maison de Pascal rue Monsieur-le-Prince, donnait sur les terrains de jeu de paume du Luxembourg.