Preuves par les Juifs V  – Papier original : RO 214-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 52 p. 249 / C2 : p. 465

Éditions savantes : Faugère II, 196, XIX et 322, XIX  / Michaut 455 et 456 / Brunschvicg 618 et 572 / Tourneur p. 324-1 / Le Guern 425 / Lafuma 456 et 457 (série X) / Sellier 696

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament (1672-1693), Paris, Champion, 2013.

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde, Paris, Champion, 1995.

RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, II, Tradition et originalité dans la théorie pascalienne de la foi, Paris, Presses Universitaires de France, 1949.

SELLIER Philippe, Le fondement prophétique, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Ceci est effectif :

 

Effectif : réel, positif. Payer en derniers effectifs, c’est-à-dire non point en papier. Une armée de 30 mille hommes sur les rôles n’est pas de 20 mille effectifs en campagne (Furetière). Le mot effectif souligne que Pascal estime que la subsistance du peuple juif malgré les persécutions dont il est victime est un fait assuré sur lequel la discussion n’est pas possible. Il tire les conséquences des reproches adressés aux apologistes maladroits dans le fragment Laf. 781, Sel. 644 de ne s’appuyer que sur des fondements incertains et en tout cas insuffisants pour toucher les incrédules.

Soucieux de n’appuyer son apologétique que sur des fondements soustraits à toute contestation, Pascal invoque ici un argument historique, autrement dit un point de fait, dont il estime que même les incrédules ne peuvent le rejeter. Il n’en disait pas autant des miracles de Moïse, par exemple : voir Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif.

Je ne parle point ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu’ils ne paraissent pas d’abord convaincants et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit. Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif.

Cette intention est affichée dès le premier dossier figurant sur la Table des matières, dans le fragment Ordre 6 (Laf. 8, Sel. 42). Ordre. Voir ce qu’il y a de clair dans tout l’état des Juifs et d’incontestable.

L’intention de ne fournir que des arguments indiscutables est attestée par la reprise du même terme dans plusieurs autres fragments, notamment

Laf. 793, Sel. 646. Dès là cette religion m’est aimable et je la trouve déjà assez autorisée par une si divine morale, mais j’y trouve de plus :

Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple.

Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur.

Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant quatre mille ans ; leurs livres dispersés durant quatre cents ans. Enfin eux sans idoles ni roi.

Un peuple entier le prédit avant sa venue, un peuple entier l’adore après sa venue.

 

Pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes,

 

Pascal désigne sans doute par là les sectes de philosophes de l’Antiquité. Elles sont mises sur le même plan que les fausses religions. Leur multitude les rend toutes équivalentes.

Dans Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694), Pascal a plutôt insisté sur la variété des religions : Je vois donc des faiseurs de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps, mais ils n’ont ni la morale qui peut me plaire, ni les preuves qui peuvent m’arrêter, et qu’ainsi j’aurais refusé également, et la religion de Mahomet et celle de la Chine et celle des anciens Romains et celle des Égyptiens par cette seule raison que l’une n’ayant point plus marques de vérité que l’autre, ni rien qui me déterminât nécessairement. La raison ne peut pencher plutôt vers l’une que vers l’autre.

 

il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde,

 

Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs.

Sur le peuple qui se trouve dans un coin du monde, voir Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694) : Il est certain que nous voyons en quelques endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif. [...] Je vois donc des faiseurs de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps. [...] Mais en considérant aussi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps je trouve en un coin du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples de la terre, le plus ancien de tous et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons.

 

déclarant que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre.

 

Sur le peuple juif devenu comme un grand prophète, voir La Genèse, dans la traduction de Sacy, Préface, § V. Voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament (1672-1693), Paris, Champion, 2013.

Ce point est développé dans le fragment Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je trouve donc ce peuple grand et nombreux sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main (et) ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères. Que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu, qu’ils sont tous abandonnés à leurs sens et à leur propre esprit. Et que de là viennent les étranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux et de religions et de coutumes.

 

En effet toutes les autres sectes cessent, celle‑là dure toujours,

 

En effet fait écho à effectif.

Idée de la disproportion entre la durée du peuple juif et celle des autres religions et des sectes de philosophes. Pascal n’a pas beaucoup développé ce thème, qui ne peut servir de preuve solide. Tout au plus permet-elle de souligner la singularité du peuple juif, sans pour autant rien établir de la vérité de sa religion. Le véritable intérêt de la durée du peuple juif consiste en ce qu’elle permettra de développer la thèse de la perpétuité de la religion chrétienne.

Mais dans ce cadre, Pascal trouve matière à un ample développement. Voir le fragment Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints comme Énoch, Lamech et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l’espérance du Messie, dont il a été la figure. Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin. Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, et Jacob mourant et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le sauveur que vous avez promis, salutare tuum expectabo domine.

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies, les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes. Et cependant, il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps, et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption, et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité. Mais que...

 

et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu.

 

Ce thème, qui résume la doctrine de la corruption due au péché originel, sera développé dans le fragment Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Voir ce fragment et, dans les Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination. Ce sont les deux thèses qui, selon Pascal, résume toute la religion chrétienne : voir Fondement 3 (Laf. 226, Sel. 258). Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on sera rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre.

 

Mais qu’il a promis de les racheter,

 

Sur le Rédempteur, voir le dossier sur Jésus-Christ.

Laf. 793, Sel. 646. Dès là cette religion m’est aimable et je la trouve déjà assez autorisée par une si divine morale, mais j’y trouve de plus. Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple. Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur.

 

que cette doctrine serait toujours sur la terre,

 

Voir Perpétuité.

 

que leur loi a double sens.

 

Thème principal de la liasse Loi figurative.

 

Que durant mille six cents ans ils ont eu des gens qu’ils ont crus prophètes qui ont prédit le temps et la manière.

Que quatre cents ans après ils ont été épars partout, parce que Jésus-Christ devait être annoncé partout.

 

Prophéties 15 (Laf. 335, Sel. 368). La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu, car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant mille six cents ans et pendant quatre cents ans après il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus-Christ dont l’Évangile devant être cru de tout le monde, il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire mais que ces prophéties fussent par tout le monde pour le faire embrasser par tout le monde.

Laf. 793, Sel. 646. Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple. Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur. Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant quatre mille ans ; leurs livres dispersés durant quatre cents ans.

Durant mille six cents ans ils ont eu des gens qu’ils ont cru prophètes : Pascal affirme que Dieu a suscité des prophètes durant mille six cents ans, puis pendant quatre cents ans, a dispersé les Juifs qui portaient leurs prophéties dans tous les lieux du monde. Le total de 1 600 + 400, soit 2 000, renvoie à peu de chose près à l’époque à laquelle, selon la chronologie de la Bible de Port-Royal, Abraham naît, soit en 1 996 avant Jésus-Christ. Selon les vues de Port‑Royal, le prophétisme proprement dit s’étend d’Abraham (né en 1 992) au « dernier des prophètes », Malachie, dont l’activité commence en 454. Après Malachie, la prophétie cesse. Voir ce qu’écrit Philippe Sellier, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470.

Brunschvicg 706, GEF XIV, p. 140 (Prophéties 15) interprète les nombres 1 600 et 400 comme suit : « de ces deux périodes, l’une commence à Abraham et l’autre finit à Jésus-Christ. L’événement qui les sépare serait la dispersion des Juifs, contemporaine de la captivité de Babylone ».

Telle a été la préparation à la naissance de Jésus‑Christ, dont l’Évangile devant être cru de tout le monde il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais que ces prophéties fussent par tout le monde pour le faire embrasser par tout le monde ».

 

Chronologie pascalienne du prophétisme (Ph. Sellier)

 

4 004

Création du monde.

 

Débuts de l’attente d’un Messie (Genèse III, 15).

2 344

Déluge.

2 000 (vers)

Le païen Job.

1 992

Abraham, puis ses descendants : Isaac, puis Jacob, puis Joseph, appelés « les patriarches ».

Promesse à Abraham d’une alliance éternelle : Genèse, XVII, 7.

1 483

Sortie d’Égypte ou exode, sous la conduite de Moïse ; Moïse législateur, prophète et « historien ».

1 055

Début du règne de David, auteur d’un livre largement prophétique, les 150 Psaumes, le plus ancien recueil lyrique de l’humanité. Dieu promet à sa descendance et à son royaume une durée sans fin (II Samuel, VII, 16).

   875

Débuts du prophète Élie, puis de son disciple Élisée.

 

Les prophètes écrivains

(dont les recueils, purement prophétiques, ont été conservés)

 

   825

Osée, Joël.

   789

Amos, Abdias.

   785

Isaïe (pendant tout le VIIIe siècle).

   770

Jonas.

   758

Michée.

   742

Nahum.

   641

Habacuc.

   630

Sophonie.

   629

Jérémie (pendant quarante-cinq ans).

   595

Ézéchiel (pendant vingt-deux ans), Daniel (jusqu’en 356).

   519

Aggée, Zacharie.

   454

Malachie, « le dernier des prophètes ».

 

Quatre cents ans après ils ont été épars partout : il ne faut pas confondre cette dispersion dans « tous les lieux du monde » avec celle qui a suivi la destruction de Jérusalem par les Romains. Les quatre cents ans dont il est ici question se situent avant l’avènement du Christ, alors que la prise de Jérusalem date de 70 après Jésus-Christ. Cette période de quatre cents ans correspond aux dominations successives des Perses, des souverains hellénistiques et des Romains. Beaucoup de Juifs restèrent dans les pays où on les avait déplacés. Ce temps de domination étrangère a paradoxalement contribué à renforcer la foi dans le Dieu d’Israël, fort ruinée durant les rois nationaux. D’autre part, beaucoup de Juifs partis en pays étrangers, ont fait pénétrer la notion du Dieu unique, préparant ainsi la voie de l’évangélisation.

Les amis de Pascal publièrent en 1662 la synthèse de leurs travaux de chronologistes, la « Chronologia sacra »dans la Biblia sacra. Bossuet a proposé la même vision de l’histoire dans son Discours de l’histoire universelle (1682).

 

Que Jésus-Christ est venu en la manière et au temps prédit.

Que depuis les Juifs sont épars partout en malédiction et subsistant néanmoins.

 

Il s’agit bien ici de la diaspora qui a suivi la ruine de Jérusalem par les Romains. Cette dispersion des Juifs (diaspora) après la prise de Jérusalem et la destruction du Temple a eu pour effet de répandre partout la connaissance du Christ.

Simon M. et Benoit A., Le judaïsme et le christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, P. U. F., 1968, p. 69 sq. La diaspora dans le judaïsme hellénistique.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Galout, p. 425 sq.

Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37). La qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours, et partout, et misérables.

Preuves de Jésus-Christ 14 (Laf. 311, Sel. 342). C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ, et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable puisqu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 491 sq. Les témoins du Messie sont partout. Ils sont toujours : p. 492 sq.

 

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Hypothèse des apôtres fourbes.

 

Russier Jeanne, La foi selon Pascal, II, Tradition et originalité dans la théorie pascalienne de la foi, Paris, P. U. F., 1949, p. 325 sq. Commentaire.

Voir les différents fragments qui abordent le problème de la sincérité et de la véracité des apôtres dans leur témoignage sur le Christ, et particulièrement sur sa résurrection.

Voir particulièrement l’analyse du fragment Preuves de Jésus-Christ 13 (Laf. 310, Sel. 341) et son commentaire : Preuves de Jésus‑Christ. L’hypothèse des apôtres fourbes est bien absurde. Qu’on la suive tout au long, qu’on s’imagine ces douze hommes assemblés après la mort de Jésus‑Christ faisant le complot de dire qu’il est ressuscité ! Ils attaquent par là toutes les puissances. Le cœur des hommes est étrangement penchant à la légèreté, au changement, aux promesses, aux biens. Si peu que l’un de ceux‑là se fût démenti par tous ces attraits, et qui plus est par les prisons, par les tortures et par la mort, ils étaient perdus. Qu’on suive cela.

Nicole Pierre, Traité de la foi humaine, Partie II, ch. V, in Nicole Pierre, Les Imaginaires et les Visionnaires. Traité de la foi humaine. Jugement équitable tiré des œuvres de S. Augustin. Lettre de Messire Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, à Messire Hardouin Péréfixe, archevêque de Paris, À Cologne, chez Pierre Marteau, 1683, p. 605 sq.

« C’est par cette règle que les défenseurs de la religion chrétienne ont prouvé la certitude de la résurrection de Jésus-Christ ; et par la certitude de sa résurrection la vérité de toute la religion qu’il a enseignée aux hommes. Car il est impossible, disent-ils, que plus de cinq cents personnes publient qu’ils ont vécu avec un homme ressuscité, qu’ils ont mangé avec lui, qu’ils l’ont vu à diverses fois, et en divers lieux, qu’ils l’ont touché, qu’il leur a parlé, et qu’ils se trompassent en ce point autrement que volontairement. Et l’argument est concluant : si les apôtres et les premiers disciples de Jésus-Christ sont sincères, Jésus-Christ est ressuscité. Or jamais sincérité ne fut claire comme celle des apôtres, et des autres témoins de la résurrection. C’était des gens simples, ignorants, et incapables de déguisements et d’artifice : ils forment un dessein d’aller prêcher à toute la terre la résurrection de Jésus-Christ, sans en espérer un autre avantage dans ce monde que les souffrances, les misères et la mort. Ils exécutent ce dessein avec des peines et des travaux incroyables, sans se ralentir, ni perdre courage : leurs paroles, leurs actions, leurs écrits, ont un air de sincérité inimitable à tout l’artifice des hommes ; ils rendent tous témoignage à cette résurrection par l’effusion de leur sang : un seul de ces témoins, qui eût démenti les autres, aurait ruiné tout leur dessein : il est impossible qu’il ne s’en fût trouvé aucun, et qu’ils eussent tous voulu mourir pour une chose qu’ils eussent su être fausse ou douteuse ; cependant nul d’entre eux ne dément les autres, ils persistent tous jusqu’à la mort dans la confession de cette vérité que Jésus-Christ est ressuscité. Il n’y a donc aucun sujet d’en douter. »

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, III, § VI. Par le § V, Grotius montre que les auteurs du Nouveau Testament ont été témoins des faits qu’ils racontent. Voir § VI, « mentiri nolebant ». L’erreur « aut ab ignorantia aut a mala voluntate debeat proficisci ». C’est à l’adversaire de prouver qu’ils peuvent avoir menti : « qui testes ex parte voluntatis refellunt, necesse est aliquid adferent, quo voluntatem credibile fit a vero dicendo diverti ». Les apôtres n’ont eu aucune raison de mentir, « nisi ob Dei reverentiam ». Le récit qu’ils font de leurs propres fautes (la fuite au moment où Jésus est en danger, le reniement de Pierre) plaide en faveur de leur sincérité. Pascal développe Grotius : « Nam si quis objiciat ipsorum causam agi, videndum erit cur ipsorum sit haec causa, non sane commodi consequendi, aut vitandi periculi alicujus gratia, cum hujus professionis causa et commoda omnia amitterent, et nulla non adirent pericula ». Grotius argumente rapidement sur chaque cas : Jacques, Paul, Luc, etc. Grotius note (§ VII) : « neque eos deterrit quod scirent iis temporibus Judaeos magistratus sibi esse infestisimos, et Romanos iniquos admodum : qui nullum omissuri essent ipsos, tamquam novae religionis auctores, aliquo crimine traducendi materiam. »

Charron Pierre, Les trois vérités, II, 6, indique que les évangélistes ont écrit « à la barbe des ennemis mortels et jurés de leur maître, qu’ils avaient fait mourir, et les leurs, gens puissants, qui ne cherchaient qu’à mordre sur eux, et les ont persécutés à la mort, dont ils eussent trouvé la juste occasion, s’il y en eût ». Voir II, 6 : les auteurs des Évangiles étaient « gens simples, sans art ni suffisance, du tout incapables de les forger, ni bâtir un corps entier d’histoire, et moins inventer une si grande sagesse, prudence, et suffisance, qui se trouve aux faits, dits, demandes, réponses, paraboles de Jésus ». Voir II, 9 : « certes si la religion chrétienne est vaine et fausse, il faut que les disciples de Jésus et les premiers chrétiens aient voulu tromper le monde, et décevoir la postérité, ou qu’eux-mêmes aient été déçus ».

Pascal prend en compte l’hypothèse envisagée par Charron que les apôtres aient été non pas trompeurs, mais trompés, dans Preuves de Jésus-Christ 24 (Laf. 322, Sel. 353). Les apôtres ont été trompés ou trompeurs. L’un et l’autre est difficile. Car il n’est pas possible de prendre un homme pour être ressuscité. Tandis que Jésus-Christ était avec eux, il les pouvait soutenir, mais après cela, s’il ne leur est apparu, qui les a fait agir ?

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 447 sq.

Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, Paris, Champion, 1995, p. 209. Rôle de l’imagination dans la formation de cette hypothèse, dont les implications font voir l’inanité.

 

Le temps clairement.

La manière obscurément.

 

Allusion à la structure des figures telles que les conçoit Pascal.

Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chap. des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi Jésus-Christ prophétisé en son premier avènement ? pourquoi prophétisé obscurément en la manière.

Cette différence est selon Pascal rendue nécessaire pour que les lecteurs dont le cœur est bon ne soient pas induits en erreur, mais que les cœurs mauvais puissent s’abuser eux-mêmes. La prédiction du temps de l’avènement du Christ ne devait pas être obscure, car le lecteur n’ayant aucun moyen d’en comprendre le sens caché, elle eût irrémédiablement induit tout le monde en erreur. En revanche, la manière dont le Christ a paru, comme un roi de charité et non pas comme le prince politique que les Juifs charnels attendaient, pouvait être annoncée en termes figuratifs, car les esprits spirituels pouvaient en comprendre le sens spirituel.

Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Les prophéties qui ont prédit le temps sont claires, celles qui ont prédit la qualité du Messie sont obscures. (barré verticalement)

Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n’y eût point eu d’obscurité, même pour les méchants.

Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité même pour les bons, car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.

Par ce moyen les méchants, prenant les biens promis pour matériels, s’égarent malgré le temps prédit clairement, et les bons ne s’égarent pas.

Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.

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Cinq preuves de figuratifs.

 

Ces preuves sont sans doute indiquées dans Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuve des deux testaments à la fois. [...] Que l’Écriture a deux sens que Jésus-Christ et les apôtres ont donnés dont voici les preuves.

1. Preuve par l’Écriture même.

2. Preuves par les rabbins. Moïse Maymon dit qu’elle a deux faces prou[vées] et que les prophètes n’ont prophétisé que de Jésus-Christ.

3. Preuves par la Cabale.

4. Preuves par l’interprétation mystique que les rabbins mêmes donnent à l’Écriture.

5. Preuves par les principes des rabbins qu’il y a deux sens.

Qu’il y a deux avènements du Messie, glorieux ou abject selon leur mérite.

Que les prophètes n’ont prophétisé que du Messie. La loi n’est pas éternelle, mais doit changer au Messie.

Qu’alors on ne se souviendra plus de la mer Rouge.

Que les juifs et les gentils seront mêlés.

Ce fragment comporte une partie barrée :      

6. Preuves par la clef que Jésus-Christ et les apôtres nous en donnent.

Lorsque Pascal a écrit le présent fragment, il avait sans doute déjà barré la preuve 6, probablement parce que c’est la seule qui ne s’appuie pas sur ce qu’ont dit ou écrit les Juifs.

 

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2 000   1 600 — Prophètes.

               400 — Épars.

 

Les Copies indiquent bien que le trait vertical devant 1 600 n’est pas le signe de l’unité, mais un trait de séparation.

1 600 + 400 = 2 000.

Sur l’interprétation de ces nombres, voir plus haut. On trouve en quelques endroits du manuscrit des Pensées de pareilles notations numériques dont le sens n’est pas toujours aussi clair.