Pensées diverses I – Fragment n° 14 / 37 – Papier original : RO 119-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 94 p. 335 v°-337  / C2 : p. 287 v°-289

Éditions savantes : Faugère II, 343, II / Havet XXV.209.5 / Brunschvicg 552 / Tourneur p. 77-2 / Le Guern 481 / Lafuma 560 (série XXIII) / Sellier 467

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Bibliographie

 

 

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Mame, 2007.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Le double Mystère de Jésus”, in DESCOTES Dominique, McKENNA Antony et THIROUIN Laurent (éd.), Le rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Philippe Sellier, Paris, Champion, 2001, p. 282.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 129.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 485-510.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 293 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 340-344. Il y a deux faces du mystère de Jésus, selon qu’on considère principalement son humanité ou sa divinité, mais elles ne sont jamais séparées chez Pascal. Le mystère devient de plus en plus profond et la signification mystique de la personne du Christ d’autant plus haute que l’humanité est plus complètement transcendée, le visible s’effaçant devant l’invisible. Pascal s’appuie essentiellement sur les événements de la vie du Christ, dont il a composé une sorte de sommaire, l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, où les événements successifs fournissaient autant de sujets de méditation. Chaque événement constitue un mystère, c’est-à-dire un fait concret comportant un sens caché permettant de s’élever à la méditation et même à la contemplation.

Mesnard Jean, “Le double Mystère de Jésus”, p. 281. Mystère désigne un événement remarquable propre à nourrir la piété, à frapper l’imagination et à inspirer la réflexion. Jacqueline Pascal a composé des pensées sur la mort du Christ ; voir OC II, p. 746-762.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 342-343. Dans ce mystère, Jésus apparaît plus caché que jamais ; même son humanité n’est plus sensible. Mais cet effacement total de sa personne humaine l’établit dans sa véritable sainteté.

Voir le dossier thématique Jésus-Christ.

Voir nos commentaires sur la liasse Preuves de Jésus-Christ.

Voir l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ.

Pascal a pu se servir de la Series vitae Jesu Christi juxta ordinem temporum de Jansénius, qu’il a utilisée pour l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ ; voir OC III, éd. J. Mesnard, p. 330. Mais il n’a pas pu en tirer grand chose pour le présent fragment.

Le Tetrateuchus de Jansénius ne lui apportait pas non plus grand chose. Enfin l’Historia et concordia evangelica d’Antoine Arnauld (voir Œuvres, t. V, p. 265-269) ne contient pas d’information complémentaire utile (voir sur cet ouvrage OC III, éd. J. Mesnard, p. 188). Ces ouvrages ont une finalité purement historique, alors que c’est la signification spirituelle et le mystère du sépulcre qui intéressent ici Pascal.

 

Sépulcre de Jésus-Christ.

 

Sépulcre : tombeau, monument, lieu destiné à enterrer les corps des défunts. Le Sauveur fut enterré dans un sépulcre, dans un monument neuf, dont la pierre fut levée miraculeusement à sa résurrection. Les pèlerinages d’Orient se font à dessein de visiter le saint Sépulcre (Furetière).

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 342-343. Dans ce mystère, Jésus apparaît plus caché que jamais ; même son humanité n’est plus sensible. Mais cet effacement total de sa personne humaine l’établit dans sa véritable grandeur et dans sa sainteté. Pascal s’attache à souligner dans le Christ le vide de toute grandeur humaine.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 496. Poème célébrant l’aboutissement de la kénose du Christ. Alors que cette évocation est demeurée unique dans l’ensemble de l’œuvre de Pascal, il n’en va pas de même de l’agonie du Christ à Gethsémani.

Sur le sens du mot kénose, voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Kénose, p. 373-374. Le mot kénose désigne l’appauvrissement volontaire du Christ dans l’Incarnation, condition mortelle, passible et obéissante jusqu’à la mort sur la croix.

Mesnard Jean, “Le double Mystère de Jésus”, in Le rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Philippe Sellier, p. 282. Pascal voit l’Incarnation sous un aspect catastrophique : l’existence de Jésus avant Pâques constitue un avilissement de la divinité, une humiliation, un anéantissement, ou comme disait Bérulle une exinanition : p. 493. Le séjour au tombeau constitue le moment extrême de cette exinanition.

J.-C. De Nadaï voit aussi dans cette idée une trace de celles de Bérulle. Voir Nadaï Jean-Christophe de, Jésus selon Pascal, p. 40 sq. L’Incarnation comme anéantissement, comme exinanition de la personne divine du Verbe en la nature créée dans l’héritage bérullien : p. 41. L’anéantissement de la condition divine dans la condition humaine en Jésus : en se faisant homme, le Verbe de Dieu renoncerait à exercer sa puissance propre, de sorte que Jésus aurait à demander pour soi-même la puissance du Saint-Esprit ; Jésus se trouverait ainsi intéressé à l’exaucement de sa propre prière, alors que dans la christologie augustinienne, la prière du Christ ne vaut guère que pour apprendre aux chrétiens à prier : p. 164-165.

 

Jésus-Christ était mort mais vu sur la croix. Il est mort et caché dans le sépulcre.

 

Voir le dossier thématique sur le Dieu caché.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 502 sq. Jésus-Christ, Dieu caché.

Lettre de Pascal à Melle de Roannez, IV, du 29 octobre 1656 environ, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1035-1036, qui insiste sur le fait que Dieu se cache, trouve ici une extension dans le séjour du Christ dans le sépulcre. La méditation de cette lettre sur la latence du Christ ne mentionne pas en effet celle du sépulcre, dont il est question ici, et insiste sur une autre manière par laquelle Dieu s’est caché : « Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui le couvre jusqu’à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité ». Dans le tombeau, Jésus-Christ se trouve encore plus caché.

Jacqueline Pascal, dans son opuscule Le mystère de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, § XXVIII, OC II, éd. J. Mesnard, p. 756, écrit : « Je vois Jésus mort en trois lieux différents : à la croix, exposé à la vue de tout le monde, descendu de la croix au milieu de ses amis, et dans le tombeau dans une entière solitude, et en ces trois lieux il est également mort. Cela m’apprend qu’en quelque état que je me puisse trouver, de conversation ou de solitude, je dois toujours être morte au monde, aussi bien en l’un comme en l’autre ».

Les § XXIX à XLVI du même écrit sont consacrés à diverses considérations sur la mort de Jésus et le séjour de son corps au sépulcre : voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 756-761. Elles diffèrent considérablement de celles du présent fragment.

Ce texte permet de comprendre ce que Pascal entend par la grandeur invisible de la passion du Christ, dans le texte sur les trois ordres. Naturellement, l’idée que l’ordre de la surnature renverse les valeurs de l’ordre de la nature, le fragment sur les trois ordres titrera de tous les caractères qui paraissent abaisser la nature du Christ jusqu’au néant les singes et les marques de son éclat surnaturel.

Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). Jésus-Christ sans biens, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions. Il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Ô qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse. [...] Il eût été inutile à N. S. Jésus-Christ pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre.

Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de Jésus-Christ, comme si cette bassesse était de l’ordre de sa du même ordre duquel est la grandeur qu’il venait faire paraître.

Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandonnement, dans sa secrète résurrection et dans le reste. On la verra si grande qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas.

Ce texte ne mentionne toutefois pas la mise au sépulcre de Jésus-Christ, ce qui laisse toute son originalité au présent fragment.

 

Jésus-Christ n’a été enseveli que par des saints.

 

L’Évangile de Matthieu, XXVII, 59-60, ne mentionne que Joseph d’Arimathie lors de la mise au cercueil, mais indique, v. 61, que « Marie-Madeleine et l’autre Marie étaient là, se tenant assises auprès du sépulcre ». Luc, XXIII, 55, mentionne les femmes qui, près du sépulcre, considéraient « comment le corps de Jésus y avait été mis ».

Le commentaire de Port-Royal à Matthieu XXVII remarque que Joseph d’Arimathie, qui était timide et craignait les Juifs, (Jean, XIX, 38), fut « tout d’un coup rempli de force à la mort de son divin maître » au point de ne plus « craindre de se déclarer pour lui » : ce changement du cœur l’a rendu « assez généreux pour s’exposer au mépris et à la haine des Juifs, en demandant au gouverneur le corps » de Jésus. Marc, XV, 43, insiste sur la « hardiesse » dont il témoigna dans sa démarche auprès de Pilate.

Jean XIX, 38-42, mentionne, outre Joseph d’Arimathie, Nicodème qui apporta « environ cent livres d’une composition de myrrhe et d’aloës ». L’évangéliste remarque en revanche le fait que la foi de ce personnage était loin d’être parfaite, les parfums qu’il apportait témoignant assez qu’il n’attendait guère la résurrection de Jésus.

Le Pentateuchus de Jansénius, Comment. In Evangelium secundum Matthaeum, cap. XXVII, remarque que les femmes demeuraient à l’écart, « loci enim angustiam non sinebat eas simul intrare, nec decentia honoris illis viris se interponere ».

 

Jésus-Christ n’a fait aucun miracle au sépulcre.

 

Le premier miracle après la mise au tombeau est l’ouverture du sépulcre par l’ange « qui descendit et roula la pierre », selon l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, 309, OC III, éd. J. Mesnard, p. 304.

Cependant, comme Jacqueline l’indique dans son écrit Sur le mystère de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, § XLVI, Jésus n’est pas demeuré inactif durant les trois jours de sa mort : « Jésus n’est pas oisif dans sa mort, car il va délivrer les âmes des saints Pères ». Il faut donc entendre les phrases de Pascal en ce sens que Jésus n’a pas accompli de miracles dans le monde naturel.

 

Il n’y a que des saints qui y entrent.

 

Voir l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, versets 315-321, OC III, éd. J. Mesnard, p. 305 : avertis par les saintes femmes, Pierre et Jean sont les premiers à entrer au sépulcre. Le verset suivant, p. 306, mentionne aussi Marie allant au sépulcre.

Le récit le plus étendu est celui de Jean XIX-XX, qui indique qu’après Marie-Madeleine, Simon Pierre et Jean coururent au sépulcre, que Pierre entra le premier, mais que seul Jean eut alors foi dans la résurrection.

Luc XXIV, 12, ne mentionne en revanche que Pierre à courir au sépulcre.

Selon Marc, XVI, 1-5, « Marie-Madeleine et Marie, mère de Jacques et Salomé » entrèrent dans le sépulcre qu’elles avaient trouvé ouvert, pour « embaumer Jésus ». De même, Luc XXIV, 3, confirme que ces femmes « entrèrent ensuite » dans le sépulcre, « et n’y trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus ». Le commentaire de Port-Royal sur Marc insiste sur le fait qu’il s’agit de « saintes femmes ».

 

C’est là où Jésus-Christ prend une nouvelle vie, non sur la croix.

C’est le dernier mystère de la Passion et de la Rédemption.

 

Ces énoncés insistent sur le caractère crucial et fondateur de la mise au tombeau.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 492 sq. Le texte ne célèbre pas un héros, il contemple un Dieu anéanti opérant le salut du monde. La finalité en est la rédemption de l’humanité : p. 497. Quoique Pascal ne cesse pas de placer l’accomplissement de la Rédemption à la mise en croix, il ne peut s’empêcher de revenir sans cesse à Gethsémani et d’y situer le don décisif et le centre de l’histoire. Voir sur ce point la Lettre sur la mort de son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 855.

Mesnard Jean, “Le double Mystère de Jésus”, in Le rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Philippe Sellier, p. 281. Mystère désigne un événement remarquable propre à nourrir la piété, à frapper l’imagination et à inspirer la réflexion.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 340-344. Les deux faces du mystère de Jésus, selon qu’on considère principalement son humanité ou sa divinité, ne sont jamais séparées chez Pascal. Mais le mystère devient de plus en plus profond et la signification mystique de la personne du Christ d’autant plus haute que l’humanité est plus complètement transcendée, le visible s’effaçant devant l’invisible. Chaque événement constitue un mystère, c’est-à-dire un fait concret comportant un sens caché qui permet de s’élever à la méditation et même à la contemplation.

 

Jésus-Christ enseigne vivant, mort, enseveli, ressuscité.

 

Pourquoi ce verset a-t-il été barré horizontalement (ce qui signifie qu’il est effectivement exclu) ? Sans doute parce que l’allusion à Jésus-Christ vivant venait rompre l’homogénéité d’un texte consacré au Christ mort.

Voir la note de Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 591, qui renvoie au De vera religione, XVI, 32, Bibliothèque augustinienne, 8, Paris, Desclée de Brouwer, 1951, p. 66-67. « Tota itaque vitae jus in terris, per hominem quem suscipere dignatus est, disciplina morum fuit » ; tr. : « Ainsi toute sa vie sur terre, par l’humanité qu’il avait daigné assumer, a été un enseignement moral ».

 

Jésus-Christ n’a point eu où se reposer sur la terre qu’au sépulcre.

 

Les évangélistes indiquent que le tombeau du Christ n’avait jamais été occupé par un autre mort avant lui.

Le Christ a d’autre part eu l’occasion de remarquer que nul prophète n’est bien reçu en son pays. Voir Luc, IV, 24, Matthieu, XIII, 57 ; Marc, VI, 4. Le Christ, revenu en Galilée, ne voulut pas s’installer à Nazareth, à cause de l’incrédulité de ses habitants, mais s’établit à Capharnaüm (commentaire de Port-Royal).

 

Ses ennemis n’ont cessé de le travailler qu’au sépulcre.

 

Travailler : tourmenter, torturer. Sans doute Pascal ne veut-il pas seulement parler des sévices infligés au Christ durant la Passion, mais aussi des mauvais procédés que lui ont infligés les pharisiens dans la période de sa prédication.

 

Les points sur lesquels le texte ne dit rien

 

Voir l’opuscule de Jacqueline Pascal, Le mystère de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, II, éd. J. Mesnard, p. 748-762, qui insiste sur des caractères très différents de ceux de son frère, et qui en tire des instructions morales.

Le texte ne dit rien sur le sépulcre lui-même, alors que l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ insiste sur le fait qu’il est « taillé dans le roc, » avec, « à l’entrée du monument une pierre, Fort grosse », et qu’il était « neuf, où jamais personne n’avait été mis » (versets 299-301, OC III, éd. J. Mesnard, p. 303). Pascal semble pourtant, selon J. Mesnard, accorder à la taille de la pierre une signification symbolique.